L'armée de terre française se démène pour recruter et retenir ses soldats, alors qu’il a manqué 2 000 recrues en 2023. Dans la grande muette, les frustrations s’accumulent, alors que les missions «Sentinelle» s’accumulent et que les perspectives d’Opex en Afrique s’éloignent.
En 2023, pour la première fois, il a manqué plus de 2.000 soldats à l'appel par rapport aux objectifs de recrutement, selon le chef d'état-major de l'armée de terre française, Pierre Schill.
Avec la baisse drastique des effectifs militaires prévue par le gouvernement en Afrique, dans la foulée du départ forcé des troupes françaises du Mali, du Burkina Faso puis du Niger, les rêves de «sable chaud» s'éloignent.
En parallèle, les armées se voient fortement sollicitées sur le territoire français. L'opération Sentinelle, lancée après les attentats djihadistes de 2015, a été renforcée en octobre 2023, pour monter jusqu'à 7 000 soldats en patrouille, après l'assassinat d'un professeur par un jeune fiché pour radicalisation islamiste.
Plus de 15 000 militaires seront, par ailleurs, mobilisés pour les JO de Paris et plusieurs milliers d'entre eux camperont cet été sur la pelouse parisienne de Reuilly.
«On ne s'engage pas pour monter la garde mais pour des missions qui ont du sens», s'emporte sous couvert d'anonymat un jeune officier qui a été déployé au Sahel dans le cadre de l'opération antidjihadiste Barkhane, terminée en 2022.
Pendant près de dix ans, les opérations extérieures françaises au Sahel ont permis à toute une génération de militaires français d'acquérir une expérience au combat mais aussi d'obtenir des soldes supérieures, puisque les primes «Opex» permettent en moyenne de la multiplier par 2,5. «Ces éléments vont manquer et compliquer le recrutement et la fidélisation», admet un ancien haut gradé.
«Image brouillée de la fonction militaire»
«Plus qu'un changement de contexte des opérations à l’extérieur, ce qui peut peser, c'est une image brouillée de la fonction militaire», estime Bénédicte Chéron, maître de conférences à l'Institut catholique de Paris. «Si l’armée de terre apparaît comme une force équivalente à la police ou à la gendarmerie», les jeunes Français peuvent ne pas comprendre ce qui différencie cet engagement de la surveillance des espaces publics, poursuit-elle.
L'armée de terre, parmi les premiers employeurs de France, recrute jusqu'à 16 000 personnes chaque année. Un immense défi, avec un modèle social à soutenir : 50% des sous-officiers sont issus des militaires du rang et 50% des officiers sont d'anciens sous-officiers.
La France s'en sort un peu mieux par rapport à d'autres armées européennes comme l'Allemagne qui se pose la question de réintroduire le service militaire, ou encore le Royaume-Uni où pour huit militaires qui quittent les rangs des armées (retraites, démissions...) seuls cinq sont recrutés, selon un rapport parlementaire.
Mais la condition militaire et ses contraintes familiales restent un désavantage sur un marché du travail actuellement très concurrentiel. En outre, le vivier de jeunes recrues potentielles baisse, en raison de la démographie mais aussi d'un mode de vie plus sédentaire et moins sportif qu'auparavant.
Les frustrations s’accumulent
Dans les armées, «vous trouverez une cohésion que vous ne trouverez nulle part ailleurs», commente le jeune officier, qui déplore toutefois «une somme de frustrations» au sein des régiments, «entre les infrastructures en mauvais état, l'entraînement qui est faible, le manque de grosses munitions (missiles), les limites sur l'emploi des moyens (blindés)» et les lourdeurs administratives.
Pour fidéliser les troupes, les armées font des efforts pour améliorer les conditions de vie des familles, avec un nouveau plan doté de 750 millions d'euros sur la période 2024-2030.
Du côté des ressources humaines de l'armée, on tente de rester optimiste, évoquant des recrutements pour 2024 «encourageants». «Notre mot d'ordre c'est : "Viens faire de ton métier une aventure"», fait valoir le directeur des ressources humaines de l'armée de terre, le général Marc Conruyt, ancien commandant de Barkhane. «Nous sommes capables d'offrir à nos jeunes compatriotes des vies un peu singulières, des aventures exceptionnelles, des missions que seuls les militaires ont le droit de faire», affirme-t-il, en énumérant le large éventail d'opérations possibles en servant sous les drapeaux : «Faire de la solidarité stratégique en Roumanie, en Estonie, passer quatre mois sur le fleuve Maroni en Guyane ou dans la jungle pour lutter contre l'orpaillage illégal, aller dans le Pacifique ou en Nouvelle-Calédonie, faire de la formation en Irak...»
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