Il est difficile de pense que des opérations techniquement complexes et mises en place sur un temps non négligeables aient été préparées en quelques heures pour que les unes correspondissent chronologiquement aux autres, comme l’une répondant à l’autre. Par conséquent, on pourrait penser au hasard. Ce n’est pas notre cas, le hasard est encore plus une solution de couard pour les imbéciles que le Dieu des organisations terrestres une solution de fortune pour les miséreux. Il reste le vaste, l’infini champ de la transcendance, l’au-delà de l’horizon de l’Unité primordiale, la non-perspective sublime de l’éternité.
C’est vers ces forces que je me tourne pour observer avec quelle simultanéité ont éclaté les événements nous annonçant que nous passons décisivement d’un état des choses à l’autre. Nous passons, en langage bureaucratique russe, de l’Opération Militaire Spéciale (OMS) à la guerre existentielle et civilisationnelle totale. Je prends ces trois événements, le même jour et les place sous les augures de cette citation de spécialiste des antichambres moscovites qu’est John Helmer, faites immédiatement avant eux trois :
« En réponse, une source moscovite bien informée estime que les paramètres de la stratégie russe deviennent plus clairs “maintenant que Poutine agite le drapeau vert”. Il est clair, par exemple, que même s'il n'y aura pas de batailles à l'intérieur de villes comme Odessa, Kharkov et Kiev, l'état-major général et le Kremlin ne peuvent pas se contenter d’un résultat militaire qui permette à jamais le terrorisme contre la Russie à partir de ces villes ou de ce qu'il reste de l'Ukraine. Il faut donc un changement de régime à Kiev et une forme d'occupation russe qui sera surprenante.
» “Je ne suis pas prêt à parler de quoi, comment et quand”, a déclaré Poutine dimanche. De même, aucune source militaire russe n'est prête. Toutefois, le retard pris dans la prise de décision opérationnelle suscite une certaine frustration. “Ce n'est pas du général Patience que nous parlons”, commente un observateur militaire, “c’est du général Couilles Molles. Voyons si [le chef d'état-major général, le général Valeri] Gerasimov le désignera en ces termes”. ».
Fin du porte-parole Prudence
Les mots et les phrases du prudentissime Dimitri Pechkov, porte-parole de Poutine souvent accusé de mollesse pro-occidentaliste, sont en elles-mêmes, hors même de leur contenu, une indication, du “climat”. Lorsque Pechkov dit « Nous sommes en guerre », alors qu’il n’était question jusqu’ici que d’une OMS, il se passe quelque chose de grave qui vient de la bouche de Poutine et de sa direction. Ce que Pechkov fit hier matin, notamment sous le titre martial de RT.com « Russia is at war » :
« Pechkov a souligné que la Russie ne pouvait pas permettre l'existence à ses frontières d'un État qui affirme publiquement qu'il s'emparera de la péninsule de Crimée ainsi que des nouveaux territoires russes, à savoir les républiques populaires de Donetsk et de Lougansk et les régions de Zaporozhye et de Kherson.
» “Nous sommes en guerre“, a déclaré Pechkov, expliquant que si le conflit a commencé comme une opération militaire spéciale, dès que “l'Occident collectif y a participé aux côtés de l'Ukraine, pour nous, c'est devenu une guerre”. »
Le tonnerre du ciel
Le deuxième événement, c’est une terrible offensive aérienne russe de trois jours (jusqu’à hier, sans rien savoir de la suite) contre l’Ukraine. On y devine sans difficultés l’emploi de ‘Kinzhal’ et autres bombes et missiles hypersoniques, d’une précision ahurissante ; et surtout, l’apparition désormais en très grand nombre des nouvelles bombes guidées totalement dévastatrices FAB-3000 qui portent 1 500 kilos d’explosifs à des vitesse hypersoniques, – contre, par exemple, 7 kilos d’explosif pour un obus de 155mm.
Mercouris décrit ainsi ces trois jours d’attaque qui constituent, selon d’autres commentateurs, les « attaques aériennes les plus puissantes faites en Europe depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale », ce que l’on déduit évidemment de sa description :
« Nous avons assisté lors des dernières 72 heures à ce que je crois être la plus puissante attaque par missiles et drones jamais effectué par la Russie contre l’Ukraine, [....] beaucoup plus puissante et surtout beaucoup plus sophistiquée que les attaques russes de l’année dernière, et cette fois contre toutes les installations du renseignement ukrainien, contre les circuits électriques et les systèmes de défense aérienne, aussi bien que contre les lignes de front... [...]
» ... Et tout cela est probablement d’une ampleur beaucoup plus importante que les attaques massives faites par l’U.S. Air Force contre l’Irak lors des deux guerres successives [de 1991 et de 2003]. »
Les attaques terroristes
A peu près le même jour, hier soir, de très puissantes et sanglantes attaques terroristes à Moscou, essentiellement à la mitraillette et aux fusils d’assaut mais aussi à la grenade, ont causé plus de 100 morts (133, chiffre Tass cet après-midi) et sans doute plus de 200 blessés. L’organisation et la coordination de ces attaques conduisent effectivement à ne pas établir de lien direct de cause à effet avec ce que nous avions décrit auparavant, mais à confirmer sans aucun doute qu’il y a comme un signe de tonnerre du ciel selon lequel nous sommes manifestement entrés dans une phase complètement nouvelle du conflit. Il n’est plus question de retenir ses coups mais bien de les lâcher, et si les évènements impliquent de façon officielle d’autres pays que les deux belligérants officiels, eh bien qu’il en soit ainsi.
Le “bureaucrate” Poutine, prudent et mesuré, a franchi un cap au-delà duquel il est sans doute conduit à estimer “prudent et mesuré” de frapper très fort, de livrer une guerre totale. Les pays de l’Occident-compulsif s’imaginaient-ils qu’ils avaient vécu durant ces deux dernières années le plus difficile dans cette épouvantable ‘subcrise’ de la GrandeCrise ? Au contraire, ils entrent maintenant dans le dur, dans le très-très-dur de la chose, où plus rien ne parviendra à arrêter l’extension des combats chez eux pour les imprudents, alors qu’ils ne cessent de mesurer leur misère absolument stupéfiante pour de si grandes et si belles puissances, – en armes, en hommes capables (sinon désireux !) d’aller au combat, en technologies opératives de guerre, en capacités industrielles, – face au colosse militaire et au monstre de détermination qu’est devenue la Russie...
Ils furent nombreux à exprimer avec une humanitariste prudence leur soutien et leur condoléances à la Russie après les attaques terroristes, notamment les USA qui précisèrent hautement que l’Ukraine n’y était pour rien. Mais pour les Russes, directement ou indirectement, la messe est dite, d’ailleurs confirmée par la bruyante satisfaction du chef des services de renseignement ukrainien Bogdanov ; voir et regarder aussi Larry Johnson interrogé par Nima R. Alkhorshid.
« Le président de l'association patriotique Russe “hommes du nord” Mikhaïl Mavashi, a fait la lumière sur la situation des suspects de l'attentat terroriste :
» “J'ai reçu des informations directement de sources internes, des services spéciaux. Tous les attaquants d'hier étaient des citoyens du Tadjikistan. Ils travaillaient spécifiquement, spécifiquement pour recruter les services spéciaux ukrainiens. Après l'attaque terroriste, ils se sont précipités dans la région de Briansk. Là, nos forces spéciales, les plus lourdes, les ont rattrapés dans la forêt. Un a été “tué”. Trois ont été arrêtés.
» Pourquoi se sont-ils précipités dans la région de Briansk ? Lors de la traversée de la région de Briansk et du territoire ukrainien, ils étaient censés être accueillis par des DRG ukrainiens, ainsi que des groupes de sabotage et de reconnaissance... » (‘Telegram’)
Dans son analyse de Poutine conversant avec Clausewitz, le groupe ‘geostrategica.es’ donnait à notre avis une excellente analyse de Poutine : tout ce qu’on veut, mais certainement pas un conquérant et un dictateur capable d’enflammer les foules, et certainement extrêmement proche d’un bureaucrate assez terne mais calme, mesuré, armé de bon sens, mais animé d’ une flamme cachée. Peut-être n’ont-ils pas assez mis l’accent sur sa seule passion : la Russie, lui qui répondait à un journaliste (évidemment a américaniste-occidentaliste hors-Carlson) remarquant qu’une guerre nucléaire détruirait le monde, – dont la Russie, – et que pour cette raison lui Poutine ne pouvait trouver aucun argument qui justifiât qu’il fit tirer lui-même en riposte des armes nucléaires russes :
« Que m’importe le sort du monde si la Russie n’existe plus ? »
Vers la fin du texte, résumant leur propos pour montrer comme Poutine et son équipe avaient réussi à convaincre le peuple russe que la guerre en Ukraine était bien une guerre existentielle, le groupe écrit ceci, – et c’est la dernière phrase de cet extrait arbitrairement sorti de son contexte qui nous intéresse :
« Poutine n'aurait tout simplement pas pu procéder à une mobilisation à grande échelle au début de la guerre. Il ne disposait ni d'un mécanisme de coercition ni d'une menace manifeste pour susciter un soutien politique massif. Peu de Russes auraient cru qu'une menace existentielle se cachait dans l'ombre : il fallait le leur montrer, et l'Occident n'a pas déçu. De même, peu de Russes auraient probablement soutenu la destruction de l'infrastructure urbaine et des services publics de l'Ukraine dans les premiers jours de la guerre. Mais aujourd'hui, la seule critique de Poutine à l'intérieur de la Russie est du côté de la poursuite de l'escalade. Le problème avec Poutine, du point de vue russe, est qu'il n'est pas allé assez loin. En d'autres termes, la politique de masse a déjà devancé le gouvernement, ce qui rend la mobilisation et l'escalade politiquement insignifiantes. »
Nous remplaçons “politique de masse” par toute cette sorte d’expressions que nous employons parce que nous ne pouvons désigner précisément le phénomène auquel nous pensons : “les évènements qui nous dominent, nous conduisent”, notre “Au-Dessus de nous sur quoi nous n’avons nul contrôle”, “Ces forces supérieures que nous ne contrôlons pas”.
Ce que nous voulons ainsi suggérer, c’est que Poutine a cherché à convaincre les Russes qu’il s’agissait d’une guerre existentielle sans en être lui-même assuré, et comme répondant à une intuition ; et que, sans que nous sachions s’il en est satisfait ou non, il se trouve emporté et dirigé par ces événements comme ceux d’hier, décisifs, impératifs.
Qu’il les ait suscités ou favorisés, qu’ils les jugent trop pressants, qu’importe car cela n’est plus son affaire. Ces événements , qui nous surpassent tous et nous conduisent vers des situations du plus grand danger possible, mais qu’il était impossible d’éviter pour parvenir à un dénouement de notre GrandeCrise, ce sont eux aujourd’hui les maîtres du jeu.
Certes, « Nous sommes en guerre ».
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