À l’arrêt depuis fin 2018, la plus grande centrale biomasse de France, dénoncée par des associations et élus écologistes comme vecteur de déforestation, est en voie de démarrage. Son plan d’approvisionnement, que révèle Reporterre, prévoit de troquer l’importation de bois brésilien pour celui de l’Europe. Ce qui ne fait pas l’unanimité.
Au milieu de cet été, la centrale de Gardanne-Meyreuil (Bouches-du-Rhône), aussi appelée centrale de Provence, a recommencé à fumer. Deux ans et demi après sa mise à l’arrêt pour cause de mouvement social et de difficultés techniques, révélées par Marsactu en février 2019. Amenée à devenir la plus grosse centrale électrique à biomasse en France [1], elle a été érigée en symbole « d’industrialisation de la forêt » par les écologistes soucieux de son avenir et de son rôle à jouer face à la crise climatique. Leur combat dépasse le contexte français, puisqu’ils dénoncent partout à travers l’Europe et le monde la transition de vieilles centrales à charbon pour y brûler du bois, comme une initiative climaticide et destructrice de la biodiversité des forêts.
Le 13 juillet 2021, GazelEnergie, la filiale française du groupe EPH du magnat tchèque Daniel Křetínský, propriétaire du site depuis deux ans, a annoncé par communiqué « la première étape de la procédure de redémarrage de la tranche biomasse », devant s’étaler sur 3 à 4 semaines. Au bout de celle-ci, il espère assurer une production quotidienne d’électricité à la puissance maximale de 150 mégawatts (MW). L’autre tranche de 600 MW, qui fonctionnait au charbon, a été mise à la retraite en décembre 2020. Une décision prise avant la date fatidique du 1er janvier 2022, au-delà de laquelle le recours au charbon pour la production d’électricité en France a été proscrit [2].
Jusque-là, depuis l’annonce il y a dix ans de la conversion de la tranche Provence 4 du charbon au bois-énergie, celle-ci n’avait jamais vraiment fonctionné. Aujourd’hui, sa mise en marche est la condition indispensable de la réalisation d’un pacte de transition validé par le gouvernement et les élus en décembre 2020. Une méga-scierie, des unités de recyclage de matériaux et de production d’e-méthanol et d’hydrogène sont en projet en complément sur les 80 hectares du site industriel.
« Ce n’est pas parce que ça vient d’Europe que c’est forcément meilleur »
À l’occasion de ce démarrage, l’exploitant a revu son plan d’approvisionnement, comme l’a découvert Reporterre dans un document transmis par l’industriel au Conseil départemental de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques (Coderst) [3]. Seule nouveauté notable en 2021, mais pas des moindres : la provenance d’une partie du bois. Pour fonctionner, la centrale requiert en effet quelque 850 000 tonnes de bois par an, et un peu de charbon pour des raisons techniques [4].
« Pour le démarrage de la centrale à biomasse en 2016, il avait été contracté un volume de 76 000 tonnes en provenance du Brésil », indique la note. Soit des plaquettes issues de plantations d’eucalyptus et d’acacias de l’État amazonien d’Amapá. Une filière qui ne sera plus utilisée : l’exploitant de la centrale depuis deux ans, GazelEnergie, déclare abandonner les importations du Brésil et plus généralement des Amériques.
Désormais, la moitié de l’imposant volume de bois qui sera brûlé à Gardanne devrait uniquement provenir de ressources forestières européennes. « Nous avons travaillé sur un recentrage de nos approvisionnements sur l’Europe de façon à opérer dans le cadre réglementaire du règlement bois de l’Union européenne visant la lutte contre le bois illégal, écrit GazelEnergie, sans plus de précision sur les origines. […] Dès la conception du plan d’approvisionnement, les approvisionnements en bois forestiers étaient conditionnés […] à l’obtention d’une certification de gestion forestière durable (PEFC ou FSC [5]). »
Pas de quoi rassurer les défenseurs de la forêt. « C’est bien d’abandonner les importations du Brésil ou encore du sud-est des États-Unis, où l’industrie des pellets déforeste massivement, mais ce n’est pas parce que ça vient d’Europe que c’est forcément meilleur, explique Nicholas Bell, membre du collectif SOS Forêt du Sud. En Estonie, par exemple, la pression est déjà forte à cause des importations de la gigacentrale de Drax, au Royaume-Uni. »
Il considère en outre les labels PEFC et FSC comme du « pipeau » : « Ils sont extrêmement critiqués et n’apportent pas la garantie d’une sylviculture respectant l’écosystème. » Quant à la commercialisation de bois abattu sur des coupes illégales, la dérive existe aussi en Europe, par exemple en Roumanie.
« Que ça vienne du Brésil ou d’ailleurs, l’aberration de ce projet reste la même. »
Pour le député écologiste de Gardanne, François-Michel Lambert (Liberté Écologie Fraternité, LEF) [6], la nouvelle n’est pas bonne non plus du point de vue du bilan carbone du transport de bois. « Si l’on remplace un bateau au Brésil par les milliers de camions qui traverseront l’Europe, ce sera même pire, certifie-t-il. Que ça vienne du Brésil ou d’ailleurs, l’aberration de ce projet reste la même. De telles quantités de bois brûlées pour un rendement énergétique faible de 35 %… J’aimerais bien savoir dans quelle école d’ingénieur on enseigne cela. »
Le parlementaire fustige l’opacité entretenue par le gouvernement et l’industriel : « En dix ans, j’ai dû adresser une quinzaine de questions écrites et n’ai obtenu que cinq réponses. » Nouveau sénateur Europe Écologie-Les Verts (EELV) des Bouches-du-Rhône, Guy Benarroche fait le même constat. Fin janvier, il a adressé une question écrite à la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, concernant les conséquences des coupes de bois visant à fournir la « mégacentrale » et des pollutions locales dues au fonctionnement de l’unité. « Je n’ai à ce jour toujours pas eu de réponse », dit-il. Contactées, ni GazelEnergie ni la préfecture des Bouches-du-Rhône n’ont répondu aux demandes de précisions de Reporterre.
Des approvisionnements « locaux » nuisant à la biodiversité
L’autre moitié des approvisionnements de cette centrale serait composée de ressources forestières prélevées dans un rayon de 250 kilomètres autour de Gardanne, sur dix-sept départements du Sud-Est, en Savoie, Haute-Loire ou encore jusqu’au Tarn. Mais aussi de résidus agricoles, d’élagages et d’entretiens d’espaces verts, ou encore de bois déchet issu de déchetteries, d’anciens meubles ou palettes. Extrait d’un rapport de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) publié le 28 juin dernier, que Reporterre a consulté, le tableau ci-dessous détaille les catégories de combustibles ciblées par l’industriel :
Sur ces ressources dites locales, les écologistes renouvellent également leurs critiques. Des conflits d’approvisionnement sont toujours d’actualité dans la région avec les centrales de Brignoles (Var) et de Pierrelatte (Drôme), qui ont chacune besoin de 150 000 tonnes de bois par an, et avec l’usine de pâte à papier de Tarascon (Bouches-du-Rhône), qui engloutit jusqu’à 1,2 million de tonnes chaque année. Dans ce contexte, des filières de valorisation durable du bois peinent à décoller en Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca), comme celle du pin d’Alep, labellisé pour la construction depuis 2018.
Pour prétendre à la durabilité de son activité, GazelEnergie explique que le bois forestier ne sera pas prélevé au-delà de l’accroissement naturel de la forêt. Sylvain Angerand, coordinateur des campagnes de l’association Canopée, n’y croit pas et considère que cet argument comporte un biais : « La forêt méditerranéenne [surexploitée jusqu’au milieu du XXe Siècle] est extrêmement jeune. Si l’on exploite trop son accroissement naturel, elle ne pourra pas vieillir. Et dans l’équation, on ne résout pas l’érosion très forte de sa biodiversité et la valeur du temps présent pour la captation du carbone. On ne peut plus se permettre de dire que si l’on coupe un arbre aujourd’hui pour le brûler, son successeur retiendra autant de carbone dans cinquante ou cent ans. »
Quant au député François-Michel Lambert, il s’agace d’une énième contradiction gouvernementale en matière d’écologie : « La France organise à Marseille le Congrès mondial de la nature, qui aura lieu en septembre et où des solutions seront débattues pour faire face au recul alarmant de la biodiversité. Et à quelques kilomètres de là, elle envoie un signal contraire, en soutenant un modèle qui nuit à la biodiversité des forêts. »
Mais la centrale controversée n’est pas au bout de ses peines. Elle doit apporter la preuve que les difficultés techniques appartiennent au passé et la puissante CGT du site — qui pousse son propre projet industriel et la sauvegarde des emplois de la tranche charbon — pourrait s’engager dans la reprise du piquet de grève dès ce jeudi 5 août.
30 MILLIONS D’EUROS EFFACÉS
Interpellée en séance au Sénat le 17 février par le sénateur Guy Benarroche (EELV), la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, a choisi de ne pas réclamer 30 millions d’euros de pénalités à GazelEnergie, a révélé le média marseillais Marsactu. La centrale de Gardanne-Meyreuil bénéficie en effet d’un contrat de rachat de l’électricité, à tarif préférentiel garanti par l’État, car considéré comme producteur d’énergie renouvelable. En contrepartie, des pénalités sont prévues si elle n’assure pas une production minimale, ce qui a jusqu’ici été le cas. L’État aurait donc pu réclamer son dû.
« Certes, le contrat de rachat prévoit des pénalités si l’installation n’atteint pas une disponibilité minimale, mais dans le cas de Gardanne, il a été jugé que la longueur, l’ampleur et les causes de la grève qui a paralysé le site ces dernières années justifiaient de ne pas les appliquer pour les années 2018 à 2020 », a répondu la ministre au sénateur. Signé pour vingt ans, soit jusqu’en 2035, le contrat prévoit une juteuse surtarification évaluée à 100 millions d’euros par an si la centrale assure son fonctionnement nominal.
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