L’industrie électrique craint que la révision de la directive de 2003 sur la taxation de l’énergie tombe à l’eau avant les élections européennes de juin. La présidence belge de l’UE préparerait une initiative pour débloquer la proposition, qui requiert l’unanimité au sein des 27.
Au 1er février 2024, la facture d’électricité des Français a augmenté de 8 à 10 %. La raison ? L’augmentation du montant d’une taxe qui avait été abaissée lors de la crise énergétique pour juguler ses effets sur les prix de l’électricité.
« La raison est très simple : une sortie progressive des boucliers tarifaires », justifiait le cabinet du ministre de l’Économie fin janvier, après que l’État ait dépensé plus de 90 milliards d’euros de bouclier en deux ans de crise.
Dans la même séquence, le gouvernement a décidé de réintroduire l’exonération de taxe sur le gazole non-routier pour calmer la grogne du monde agricole.
Autrement dit, l’exécutif a rehaussé le montant d’une taxe sur l’électricité, fortement décarbonée en France, et a abaissé le montant de celle appliquée sur un carburant polluant.
« Notre politique fiscale est totalement désalignée avec notre objectif national de sortie des énergies fossiles », s’est dès lors emporté l’expert en marché énergétique Nicolas Goldberg.
Dans une récente note, l’Union française de l’électricité, qui représente l’industrie électrique française, relève que le coût carbone des énergies fossiles est quatre fois plus élevé pour l’essence que pour l’électricité, neuf fois plus pour le gaz naturel et 11 fois plus pour le fioul domestique.
Sur le fond, la situation n’est pas proprement française : selon un rapport de la Cour des comptes européenne, le charbon est taxé en Europe en moyenne à 2,9 euros par mégawattheure (€/MWh), 7 €/MWh pour le gaz naturel, contre 32,1 €/MWh pour l’électricité.
À Bruxelles, la Commission européenne tente d’éclaircir la situation avec une proposition de révision de la directive sur la taxation des énergies mise sur la table en juillet 2021. Mais la règle de l’unanimité qui s’applique aux questions fiscales a pour l’instant bloqué les discussions.
Il s’agit pourtant « du dernier grand sujet énergétique du Green deal », explique un représentant du secteur énergétique à Euractiv France. Il faudrait même « tout revoir » insiste-t-il : « la fiscalité est le grand oublié des politiques publiques de la transition énergétique ».
Quelle part des taxes dans la facture ?
Les taxes et prélèvements représentent environ 41 % du montant des factures d’électricité des Européens, selon les derniers chiffres du syndicat des électriciens européens Eurelectric (23 % en France, selon l’UFE).
Un montant en hausse de 29 % en dix ans, « ce qui décourage l’utilisation de technologies et de services basés sur l’électricité », alors même que l’électrification devient une priorité pour décarboner le système énergétique européen, avance Eurelectric.
Pour y remédier, la Commission européenne a proposé en 2021 une révision de la directive sur la taxation de l’énergie (DTE). À l’origine, la DTE de 2003 fixait un montant minimal de taxation sur les produits énergétiques, carburants, combustible et électricité, pour réduire les distorsions nationales au sein du marché unique.
Désormais, l’objectif est de fonder les niveaux de taxation minimum sur le niveau de performance environnementale. En d’autres termes, d’assurer que les taxes sur les énergies décarbonées sont moins élevées que celles appliquées aux vecteurs carbonés.
Mais ces deux dernières années, les discussions se sont enlisées, entre la guerre en Ukraine et la nécessité de recourir à la règle de l’unanimité pour avancer, car la fiscalité est une compétence exclusive des États membres, chacun disposant par conséquent d’un droit de véto.
Agir vite
Selon l’UFE, « le vrai enjeu est le prix de l’énergie pour l’industrie », alors qu’un accord politique vient d’être trouvé pour accélérer le déploiement d’une industrie décarbonée en Europe.
En ce sens, l’industrie sidérurgique par exemple, défend l’idée d’une exonération de taxes pour l’électricité destinée à la métallurgie, quel que soit son moyen de production, carboné ou non, confie un représentant européen de cet industrie très énergivore, à Euractiv France.
Les sidérurgistes défendent également des réductions et exemptions pour les produits non électriques issus des énergies renouvelables, comme l’hydrogène.
Deux points qui, selon les dires de son représentant, sont toujours d’actualité — pour en attester, Euractiv France n’a eu accès qu’à une proposition de la présidence suédoise du conseil de l’UE datant de mai 2023.
Quoiqu’il en soit, la situation devient urgente, selon l’Electrification Alliance, dont fait partie Eurelectric, dans une lettre envoyée jeudi (15 février) à la présidence belge du conseil de l’UE.
« Tant que nous retarderons ces négociations, l’UE ne pourra pas prétendre avoir achevé le Green Deal ni avoir traité la crise énergétique de manière exhaustive », peut-on y lire.
Les choses pourraient d’ailleurs s’accélérer dans les prochains jours. Selon un acteur du secteur énergétique au fait du dossier, la directive sera en effet à l’ordre du jour du prochain conseil « Affaires économiques et financières » des 27 prévu mercredi (22 février) à Gand en Belgique. Au moment de la publication de cet article, la présidence du conseil n’a pas répondu aux sollicitations d’Euractiv France sur ce point.
Le représentant de l’industrie sidérurgique nous confie également que la présidence belge présentera avant fin février une proposition avec plusieurs différences par rapport aux essais précédents.
Dès lors, la directive « certainement reportée à la prochaine mandature » pour l’UFE, n’est finalement peut-être pas « morte », comme le pensait Eurelectric.
[Édité par Frédéric Simon]
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