16 février 2024

Mao : hier et aujourd’hui

La chaine Public Sénat diffuse un reportage sur le sinologue Simon Leys (1935-2014) connu pour avoir démonté l’idéologie maoïste. Le film est l’occasion de découvrir la vie de Leys et de s’immerger dans une époque, les années 1960-1980, où il était de bon ton, chez les intellectuels de gauche, de soutenir le régime totalitaire de Mao.

Jean-Paul Sartre, Philippe Sollers, Gérard Miller, Serge July, Roland Barthes, André Glucksmann sont quelques-uns de ces écrivains qui ont vu en Mao l’homme providentiel et le modèle de l’Occident. Des journaux comme Libération, ouvertement maoïste, et Le Monde, ont publié des articles mensongés sur le grand bond en avant (1958-1960) et la révolution culturelle (1966-1976), taisant les crimes du maoïsme, occultant les millions de morts de la machine totalitaire. Très bien mené, s’appuyant sur des images d’archives et des témoignages d’amis de Leys, le reportage permet de comprendre ce que fut la folie communiste et la chappe de plomb intellectuelle qui sévissait en France. Quiconque n’était pas communiste était un « chien » selon les mots de Sartre, et Simon Leys fut traité pire qu’un chien.

Mao face à ses crimes

Son crime fut grand en effet. Connaissant la Chine, marié à une Chinoise, parlant et écrivant le chinois, Leys vu la réalité de la politique de Mao. Il lut et décortiqua ses écrits, notamment le Livre rouge, dont la teneur intellectuelle est proche du néant. De ses études parurent plusieurs ouvrages dont Les habits neufs du président Mao (1971) et Ombres chinoises(1974) dans lesquels il démontait le mythe maoïste. Il fut, bien évidemment, éreinté par la critique. Le Monde et Le Nouvel Observateur se déchainèrent contre lui. Il fut interdit de radio et de télévision, attaqué par les intellectuels de gauche. Bien que parfaitement sinologue, on lui refusa un poste à l’université française. Son éditeur, René Vienet, lui-même sinologue et fin connaisseur de Taïwan, fut exclu du CNRS. La purification maoïste était en marche. C’est finalement l’université de Canberra (Australie) qui l’accueillit et le Belge qu’il était passa le reste de sa vie en Australie.

Mao aujourd’hui

Mais le reportage vaut aussi pour ce qu’il dit du maoïsme et ce qui peut être rapporté à la situation actuelle. Beaucoup s’émeuvent, à juste titre, des fausses nouvelles et des théories complotistes relayées dans des médias parallèles. Mais qui en sont les premiers responsables si ce n’est les médias officiels qui, des décennies durant, ont diffusé de fausses informations ? Comment croire que Le Monde est un journal de référence quand il menti sur Mao et Pol Pot et attaqua Simon Leys ? Comment accorder du crédit à des journalistes actifs qui sont les héritiers assumés de ceux qui ont défendu le communisme en France et en Europe ? Il ne s’agit pas d’interdire ces médias, ce qui serait contraire à la tradition libérale, mais de cesser les subventions étatiques qui les maintiennent en vie. Comment un journal comme Libérationpeut-il recevoir autant de subventions quand il fut l’organe de propagande des pires exactions des années 1970-1980 ? Il fallut attendre mai 1983 et une invitation de Bernard Pivot dans son émission Apostrophes pour que Simon Leys puisse s’exprimer dans un média d’État, soit 12 ans après la sortie de son premier ouvrage.

Le rejet de la science

Le Grand bon en avant plonge la Chine dans le désastre humanitaire. Mao déteste la science et rejette les scientifiques. L’industrialisation doit se faire par les masses paysannes, qui sont contraintes de créer et de s’occuper de hauts fourneaux artisanaux. Il est évident, pour tout esprit rationnel, qu’une telle politique ne peut pas fonctionner. Et c’est exactement ce qui se passe. L’acier produit est de mauvaise qualité et inutilisable et les paysans ayant été arrachés de leurs champs, la production alimentaire s’effondre et la famine survint. Au lieu de reconnaitre l’échec de la politique, l’idéologie maoïste accélère. Il est décrété que les famines sont causées par les moineaux, rendus coupables de manger les graines. Une chasse aux moineaux est lancée, qui aboutit à la destruction de millions de volatiles. Or les moineaux se nourrissent des larves de crickets. S’il n’y a plus de moineaux, les crickets n’ont plus de prédateurs et donc se développent. C’est exactement ce qui se passe : les champs sont ravagés par les insectes, aggravant la situation. La Chine doit rapidement importer des milliers de moineaux d’URSS afin de rétablir l’équilibre écologique.

« La politique commande tout. Une pensée politique correcte doit pouvoir faire pousser les choux plus vite » résume ainsi Simon Leys. En conséquence de quoi, les paysans en sont réduits à l’anthropophagie pour ne pas mourir de faim.

Cet épisode est en résonance avec le maoïsme d’aujourd’hui où le rejet de la science et du logos conduit aussi à des drames. Il est évident que si l’on arrête les produits phytosanitaires les insectes vont tuer les plantes et que si l’on ferme les centrales nucléaires, la France manquera d’énergie. Mais il faut attendre la catastrophe pour que les maoïstes des années 2020 reviennent, parfois et timidement, sur leurs pas. Nombreux sont ceux à croire que leur pensée politique suffit à faire pousser les choux. L’idéologie écologiste actuelle n’est rien d’autre qu’un maoïsme vert.

Notons aussi la catastrophe écologique causée par l’éradication des moineaux. Contrairement à ce qui est souvent dit, ce sont les régimes communistes qui détruisent l’environnement : assèchement de la mer d’Aral en URSS, pollution des villes et des fleuves en Chine. Le capitalisme permet au contraire d’entretenir les forêts, de préserver et de cultiver les espaces naturels.

Les gardes rouges de la révolution culturelle

Puis vint la révolution culturelle et la mise sur pied des gardes rouges, c’est-à-dire de la manipulation de la jeunesse pour éradiquer l’ancienne Chine. Les jeunes sont militarisés, formatés, encadrés. Ils doivent dénoncer leurs parents et leurs professeurs, détruire les livres et les éléments du patrimoine chinois. Cela rappelle furieusement la manipulation de la pauvre Greta Thunberg, les marches pour le climat, les grèves lycéennes. Les intellectuels sont humiliés en public, trainés dans les rues un panonceau dénonciateur autour du cou. Il est crucial d’éliminer tous ceux qui pensent. Comme aujourd’hui, la mise au ban et le lynchage médiatique fonctionne.

Le maoïsme investit la culture : Philippe Sollers, en extase, lit des poèmes de Mao, d’une vacuité terrible, remplaçant Baudelaire et la Pléïade. Andy Warhol décline le portrait de Mao en sérigraphie chic et pop, pendant que des milliers de Chinois sont déportés. La guerre cognitive joue à plein, l’influence étrangère dans la vie intellectuelle française est à son paroxysme. Les intellectuels servent la Chine de Mao, d’autres sont les rouages de l’URSS, comme Philippe Grumbach, patron de L’Express dont on vient de découvrir qu’il était un très actif agent du KGB, « un des plus grands espions soviétiques de la Ve République », selon les dires du journal.

Mao est mort en 1976 mais sa mémoire est encore vivace. À l’ENS Ulm, à Paris, là où est censé être formé l’élite de la nation, on trouve toujours des bustes de Mao dans certains bureaux. Simon Leys est oublié et rarement évoqué, ce qui rend d’autant plus intéressant le reportage de Public Sénat. Le plus grave étant que les techniques et les modes d’embrigadement du maoïsme demeurent, mis au service de la mutation de son idéologie.

Voir le reportage à cette adresse :

https://www.dailymotion.com/video/x8s2cym

Jean-Baptiste Noé

Source

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