Vendredi dernier, la BCE et la Deutsche Bundesbank ont annoncé presque simultanément d’énormes pertes pour 2023. À cause des taux d’intérêt élevés, disent-ils. En réalité, la BCE a créé quasiment de toutes pièces plusieurs billions d’euros depuis dix ans grâce à ses « programmes d’achat contre les crises ». Maintenant, avec l’aide du taux directeur, on passe par pertes et profits. Cela se fait au détriment de l’économie qui s’affaiblit. Et cela montre clairement qu’avec l’introduction d’un euro numérique, le risque augmente que de la monnaie fiduciaire non couverte puisse être créée et détruite « en appuyant sur un bouton ».
La Banque centrale européenne enregistre une perte en 2023 pour la première fois depuis environ 20 ans. Celle-ci, d’un montant de 1,3 milliard d’euros, n’est gérable que parce que la BCE a dissous ses provisions pour risques financiers et a déjà remboursé par anticipation 6,6 milliards d’euros de pertes. Pour 2023, il n’y aura pas de distribution de bénéfices aux banques centrales nationales de la zone euro. De plus, la BCE devrait continuer à enregistrer des pertes dans les années à venir.
C’est la crise
Les dirigeants affirment que la BCE est en mesure d’agir efficacement, quelles que soient les pertes subies, et de remplir son mandat principal, à savoir le maintien de la stabilité des prix. En outre, ils sont confiants dans le fait que « l’économie de la zone euro se dirige vers un “atterrissage en douceur”, ce qui signifie que l’inflation peut être maîtrisée sans déclencher de récession », comme le souligne Isabel Schnabel, membre du conseil des gouverneurs de la BCE.
Mais le séisme monétaire qui prend sa source à Francfort-sur-le-Main se poursuit dans les États membres. Vendredi dernier, la Deutsche Bundesbank a elle aussi dû annoncer une perte importante pour 2023 : le résultat est d’environ 21,6 milliards d’euros, la provision pour risques d’un montant de 19,2 milliards d’euros a été entièrement dissoute pour compenser les pertes, tout comme les réserves d’un montant de 2,4 milliards d’euros. Les mesures de politique monétaire des dernières années ont augmenté de manière significative les risques financiers dans les bilans des banques centrales, ces risques se sont réalisés en 2023, explique-t-on.
Concrètement, il s’agit d’achats accrus dans l’APP et dans le PEPP lié à la pandémie, qui font nettement croître le risque de variation des taux d’intérêt des bilans. Ces risques se réalisent avec l’augmentation des taux directeurs depuis mi-2022 et se traduisent par des pertes massives en 2023. Rappelons que le programme d’achat d’actifs (APP) de la BCE a été lancé à la mi-2014 dans le cadre d’un ensemble de mesures non standard de politique monétaire, qui comprenait également des opérations de refinancement ciblées à plus long terme, afin de soutenir le mécanisme de transmission de la politique monétaire et de fournir le degré d’accommodation de la politique monétaire nécessaire pour assurer la stabilité des prix. Plutôt que des mots compliqués, laissons parler les chiffres : l’encours des obligations APP de l’Eurosystème s’élevait à 3189 milliards d’euros fin janvier 2024.
A cela s’ajoute, depuis 2020, le programme d’achat d’urgence en cas de pandémie (PEPP), dont le volume initial de 750 milliards d’euros a ensuite été porté à 1,85 billion d’euros. Nous parlons donc, rien qu’à partir de ces deux programmes, de plus de 5 billions d’euros d’encours obligataires comme résultat des programmes d’achat de ces dernières années. Une partie non négligeable de la dette publique des pays de la zone euro se trouve dans les livres des banques.
La dette, quelle dette ?
Dans la zone euro, cela se répercute directement sur les banques nationales. La Deutsche Bundesbank part donc du principe que les pertes seront considérables en 2024 et qu’elle ne pourra donc pas distribuer de bénéfices pendant longtemps. Les dernières pertes reportées de la Deutsche Bundesbank remontent à 1979.
La « grande destruction monétaire » a donc commencé – et la BCE tiendra le gouvernail du taux directeur aussi longtemps que possible. Christine Lagarde et ses collègues tentent depuis un certain temps de convaincre les marchés que la lutte contre l’inflation n’est pas encore gagnée – et que la BCE ne devrait donc pas baisser les taux trop rapidement. Cela suscite des critiques parfois acerbes, notamment de la part d’une économie déjà fortement ébranlée. Mais les gardiens de la monnaie de la BCE veulent voir davantage de preuves que l’inflation se rapproche de son objectif de 2 % avant de pouvoir commencer à baisser les taux d’intérêt.
Il est donc encore plus à craindre que la politique monétaire de la BCE ne renforce la crise économique dans la zone euro et ne la transforme en récession. Mais une autre circonstance doit être prise en compte :
Jusqu’à la crise financière de 2007/2008, la monnaie centrale était composée en grande partie de billets de banque et, dans une moindre mesure, d’avoirs en comptes courants. Aujourd’hui, c’est l’inverse, les banques nationales ont fortement étendu les avoirs en comptes de virement afin de maintenir la fluidité du système financier. Moins les banques détiennent de réserves de liquidités par monnaie de crédit, plus elles risquent de glisser facilement vers l’illiquidité. C’est ce qui se produit lorsqu’il y a plus de retraits de dépôts que de réserves de liquidités.
C’est pourquoi la BCE, avec le soutien actif de la Commission et des États membres, travaille à la suppression progressive de l’argent liquide : les billets de 500 euros ont été discrédités en raison du blanchiment d’argent et de l’évasion fiscale, un plafond européen de 10.000 euros a été fixé et de nombreux fournisseurs – dont les compagnies aériennes et les supermarchés – n’acceptent plus que les paiements sans espèces. Il est censé être peu attrayant, compliqué, voire risqué, de posséder de l’argent liquide.
Parallèlement, la BCE travaille fébrilement à l’introduction d’un euro numérique : celui-ci doit compléter l’argent liquide, et non le remplacer, affirme-t-on souvent. Il n’en reste pas moins, parmi de nombreuses autres craintes, un défaut difficile à éliminer du point de vue de la politique monétaire : le risque que l’euro numérique ne soit rien d’autre que de la monnaie fiduciaire non couverte – à la seule différence qu’il sera alors beaucoup plus facile de le détruire, en appuyant sur un bouton.
Source : https://lecourrierdesstrateges.fr/2024/02/28/bce-la-grande-destruction-monetaire-a-commence-par-ulrike-reisner/
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