06 février 2024

À quelle température doit-on conserver l’insuline ?

La conservation de l’insuline pour éviter sa dégradation est d’un intérêt majeur pour les endocrinologues, les biologistes moléculaires et les spécialistes de la biochimie des protéines. En effet, il en va de l’efficacité thérapeutique d’un médicament utilisé par des millions de personnes vivant avec un diabète à travers le monde.

Or, la grande majorité des 420 millions de personnes diabétiques vivent dans des régions à faibles ou moyens revenus. Parmi elles, 9 millions vivent avec un diabète de type 1. Par ailleurs, 63 millions présentent un diabète de type 2 nécessitant un traitement par insuline et dont seulement la moitié y a accès.

Les fabricants d’insuline ont coutume d’indiquer que les flacons non ouverts d’insuline doivent être conservés au réfrigérateur à une température comprise entre 2°C et 8°C et qu’un flacon déjà ouvert ne doit pas être exposé à des températures supérieures à 25°C-30°C pendant sa durée d’utilisation qui, selon le produit, peut varier de dix jours à huit semaines. Les fabricants recommandent de se débarrasser de l’insuline sortie du réfrigérateur pendant une période spécifiée, que le flacon ait été déjà ouvert ou non et pas encore utilisé. Pour la majorité des produits, ce délai est de quatre semaines.

Il y a vingt ans déjà, en 2003, certains s’étaient interrogés sur ces recommandations, se demandant sur quels critères elles avaient été formulées et faisant valoir que cela revenait, pour certaines personnes vivant avec un diabète, en particulier des enfants, à jeter régulièrement de l’insuline. Comme l’indiquent les auteurs d’un article paru en 2011 dans le Journal of Diabetes Science and Technology, bien que trois fabricants d’insuline et l’American Diabetes Association aient communiqué sur le sujet, « il n’y a pas beaucoup de clarté sur les raisons pour lesquelles ces recommandations sont en place, que ce soit pour la stérilité, l’activité ou d’autres problèmes de qualité ».

Pour compliquer le tout, les notices d’utilisation recommandent de conserver l’insuline au réfrigérateur ou à température ambiante. Il est ainsi indiqué qu’une insuline devrait être conservée à la température ambiante entre 15°C et 30°C aux États-Unis et sous les 30°C dans l’Union Européenne.

Ces différences réglementaires ont déjà été critiquées. Des organisations, parmi lesquelles la United States Pharmacopeia (USP), demandent que l’étiquetage reflète mieux les données de stabilité du produit en y précisant les écarts de températures acceptables afin d’éliminer toute incertitude et cesser d’entretenir la confusion.

Des recommandations parfois à géométrie variable

Une autre demande concerne les recommandations de conservation : pour une même forme d’insuline, elles devraient être identiques dans différentes régions. Aujourd’hui, les recommandations de conservation sont harmonisées entre les États-Unis et l’Europe pour la majorité des insulines, mais il y a encore certaines exceptions. Exemple : une insuline actuellement étiquetée comme stable à température ambiante pendant huit semaines aux Etats-Unis, ne l’est pourtant que pendant seulement six semaines dans l’Union Européenne.

Nous l’avons dit, l’insuline doit être conservée au réfrigérateur, entre 2°C et 8°C, et ne pas geler. Or, 770 millions d’individus dans le monde n’ont pas accès à l’électricité et près de 77 % d’entre eux habitent en Afrique subsaharienne.

Presque chaque pays qui connaît des problèmes d’alimentation électrique vit sous un climat tropical ou subtropical. Dans ces contrées, les températures en été dépassent fréquemment les 30°C. Y conserver l’insuline aux températures fraîches préconisées par les firmes pharmaceutiques représente donc un grand défi.

Pour y faire face, sans réfrigérateur, des moyens ont été imaginés pour empêcher l’insuline d’être exposée à de fortes chaleurs. Des milliers de foyers conservent ainsi l’insuline dans des pots en terre cuite ou des paniers remplis de glace ou de sable mouillé. D’autres patients placent les flacons dans des gourdes, notamment en peau de chèvre. Enfin, d’autres malades demandent au dispensaire local de garder leur insuline ou encore à un voisin quand, celui-ci, dispose de l’électricité. Cela implique donc pour ces patients des déplacements fréquents et coûteux.

À ce propos, l’East Africa Diabetes Study Group (EADSG) a émis en 2019 des recommandations indiquant que « l’insuline ne devrait jamais être congelée ou posée directement sur de la glace », pas plus qu’elle ne doit être exposée au plein soleil, ou placée « dans la boîte à gants ou au-dessus du moteur près du siège passager dans un minibus », alors que les températures quotidiennes en Afrique de l’Est peuvent dépasser les 32 °C. De même, on peut lire que « conserver l’insuline dans des pots en terre cuite est susceptible d’entraîner des contaminations, car il est difficile de les garder propres. Cela devrait être évité ».

Les facteurs susceptibles d’entraîner une dégradation chimique ou physique de l’insuline

L’exposition de l’insuline à des températures trop élevées, à la lumière et à l’oxygène est susceptible d’entraîner sa dégradation. Il en est de même si la solution est fortement agitée, ou lorsque la surface air-liquide augmente, ce qui se produit quand le volume du flacon diminue.

Dans un flacon,  les molécules se regroupent pour former des amas de six exemplaires, des hexamères. L’agitation ou le chauffage peuvent dissocier les hexamères et libérer des monomères susceptibles de former des fibrilles. Celles-ci sont observables en microscopie optique, parfois à l’œil nu dans les flacons, mais sont difficiles à détecter dans les stylos à insuline et les réservoirs des pompes.

Témoins indirects d’une dégradation physique de la molécule d’insuline, ces fibrilles amyloïdes sont susceptibles de présenter des capacités immunogènes, possiblement responsables d’effets secondaires indésirables. Elles peuvent également avoir un impact négatif sur la bioactivité de l’insuline. En effet, après injection par voie sous-cutanée, la biodisponibilité de cette insuline serait réduite car les liaisons stables des molécules d’insuline au sein des fibrilles apportent moins de monomères disponibles. La chaleur accélère la formation de tels agglomérats.

Tous ces paramètres sont, théoriquement, susceptibles de modifier la bioactivité et la biodisponibilité de l’insuline administrée. Or, on le sait, un dosage précis est essentiel pour maintenir un bon contrôle glycérique.

Risque de conserver l’insuline en-deçà de la température de congélation

Parue en 2019 dans la revue Diabetes Technology & Therapeutics 2019, une étude, conduite par des chercheurs néerlandais et allemands a analysé, à l’aide de capteurs Bluetooth connectés et munis d’alarme, à quelle température l’insuline est stockée à domicile dans les réfrigérateurs et si cela correspond aux recommandations des fabricants. Il s’avère que l’insuline était conservée durant environ 11 % du temps à une température non conforme à celle préconisée par les firmes pharmaceutiques, et parfois à une température inférieure à 0° C, donc en deçà du point de congélation (températures enregistrées par 57 capteurs sur les 400 qui équipaient des réfrigérateurs). Pour autant, on ignore l’impact possible de cette insuline, improprement conservée aux dires des fabricants, sur son effet hypoglycémiant, les valeurs de la glycémie des patients n’ayant pas été évaluées.

Loin d’être anecdotique, la problématique de la conservation de l’insuline est l’objet de questions légitimes de la part des diabétiques dans la mesure où elle se pose dans nos contrées en période estivale et sur le lieu de travail, et surtout au quotidien dans bon nombre de pays chauds. En effet, le nombre de personnes vivant un diabète devrait augmenter d’ici 2025 pour atteindre 600 millions, la plupart résidant dans des pays à faibles revenus, et à un moment où le monde entier est soumis au réchauffement climatique.

L’insuline est une hormone peptidique. Comme tout autre protéine-médicament, elle est thermosensible. Sa stabilité dépend des conditions de conservation. D’où l’importance de maintenir la chaîne du froid lors de son acheminement des fabricants aux distributeurs et aux professionnels de santé. On peut signaler à ce propos que la firme Eli Lilly avait reçu en 2009 un dédommagement d’une valeur de 10 millions de dollars de son transporteur aérien (Air Express International) après que l’insuline expédiée avait été soumise à des températures glaciales. Les conteneurs de fret aérien avaient enregistré une température de -0,1 ° C. La cargaison d’insuline, jugée impropre pour une utilisation humaine, avait été détruite.

Il importe de respecter les conditions de conservation une fois que les patients prennent possession de l’insuline, sachant que les personnes vivant avec un diabète la transportent avec eux chaque jour, dans des flacons, des stylos, dans des pompes fixées sur leur corps, et la conservent à domicile dans leur réfrigérateur.

Or, force est de constater qu’on dispose de peu d’informations récentes en libre accès sur l’impact du chaud et du froid sur la stabilité de l’insuline. Publiée en 2021 dans le Journal of Diabetes Science and Technology, une étude a tenté de faire le point sur cette question. Les auteurs, allemands, américains et néerlandais soulignent que la plupart des recherches sur la stabilité et les mécanismes biochimiques conduisant à la dégradation des divers formes d’insuline ont été publiées il y a plusieurs décennies et concernent tout autant les insulines d’origine humaine, bovine et porcine. Et d’ajouter : « il est généralement admis que les différents produits à base d’insuline sont comparables en ce qui concerne leur stabilité, bien qu’ils diffèrent entre eux dans leur structure peptidique, la formulation et les méthodes de fabrication ». Ainsi, les modifications de la structure primaire de l’insuline sous l’effet de la température, ou l’ajout de substances (excipients, conservateurs) pour améliorer ou prolonger son absorption, sont susceptibles d’influencer sa stabilité.

À des températures suffisamment hautes, la molécule d’insuline perd sa configuration. La chaleur induit la formation d’agrégats, qui peuvent être immunogènes, et donc susceptibles de provoquer des effets secondaires indésirables ou avoir un impact négatif sur son effet hypoglycémiant. Dans leur article paru dans Journal of Diabetes Science and Technology, Lutz Heinemann et ses collègues rapportent que de rares cas d’acidocétose diabétique chez des utilisateurs de pompe à insuline ont été documentés, l’insuline ayant perdu son activité du fait d’une exposition au chaud ou à une température glaciale.

Dans ces rares cas documentés d’acidocétose diabétique associée à l’administration d’une insuline ayant perdu son activité, il importe de souligner que cette complication a pu être identifiée parce que des médecins ont longuement interrogé les patients en question et leurs aidants, mais aussi parce que les températures étaient inhabituelles et facilement mémorisables. Exemples : une pompe à insuline restée au soleil au moment où la personne était en train de nager ou un flacon d’insuline qui avait gelé dans le réfrigérateur d’un hôtel.

L’article de Lutz Heinemann dans le Journal of Diabetes Science and Technology souligne que pas moins de quatre organisations différentes ont émis des recommandations en matière de conservation de l’insuline : l’American Diabetes Association (ADA), l’International Society for Pediatrics and Adolescent Diabetes (ISPAD), l’East Africa Diabetes Study Group (EADSG) et la Sri Lanka Medical Association (SLMA).

Selon les pays, des recommandations différentes pour des insulines identiques

Toutes ces directives reconnaissent que l’insuline est sensible à la température et devrait être protégée du chaud comme du froid afin de préserver sa qualité. Chaque organisation fournit des recommandations pratiques à différents niveaux de détail et qui diffèrent sur la durée de vie de l’insuline. « Sur son site web, l’ADA déclare que l’insuline gardée à température ambiante peut durer environ un mois, alors que l’EADSG recommande une durée de six semaines et que la SLMA indique deux à trois semaines », soulignent Lutz Heinemann, Katarina Braune, Laura Krämer et ses collègues allemands, néerlandais et américains.

La Société internationale du diabète de l’enfant et de l’adolescent (ISPAD) évoque la cinétique de dégradation des formulations d’insuline comme conséquence attendue de la perte d’activité de l’insuline. « Cependant, ces données sont tirées d’un commentaire formulé en 2003 par un fabricant (Lilly) et il n’est pas précisé à quel type d’insuline elles s’appliquent », ajoutent ces auteurs.

Quant à l’EADSG, elle se contente de définir les limites de température minimale (0 °C) et maximale (32 °C) comme dommageables pour la qualité de l’insuline. On est donc assez loin d’un consensus en matière de recommandations, alors même que celles-ci mériteraient d’être actualisées.

Coups de chaud et coups de froid

Dans l’ensemble, les patients diabétiques sont bien plus conscients des risques d’utiliser une insuline exposée au chaud qu’au froid. Cela tient au fait que beaucoup de malades utilisent un sac isotherme si la température extérieure dépasse les 30 degrés. Publiée en 2010 dans Journal of Diabetes Science and Technology, une enquête réalisée dans le Sud-Est des États-Unis a montré que 64 % des personnes vivant avec un diabète transportent leurs médicaments antidiabétiques dans une glacière ou dans un étui commercial avec des packs de glace. Il existe sur le marché des produits pour protéger les stylos et flacons de la chaleur.

Cependant, aucune analyse systématique n’a été réalisée pour déterminer la stabilité de l’insuline conservée dans de tels dispositifs, ni même si celle-ci était maintenue à la température recommandée. Une chose est sûre : aucun stylo à insuline, ni aucun flacon ne devrait jamais être posé sur de la glace afin d’éviter toute congélation.

Depuis peu, aux États-Unis, certains systèmes de délivrance d’insuline (stylos, pompes) sont munis de capteurs de température intégrés, couplés à des applications pour smartphone. Il est trop tôt pour évaluer la pertinence des données générées par ces dispositifs connectés de surveillance thermique et surtout leur utilité dans la vie réelle pour corréler les résultats à un défaut de stabilité de l’insuline et à un possible manque d’efficacité thérapeutique.

« Il y a dans la littérature publiquement disponible une pénurie d’études récentes sur la stabilité, qui pourraient être utilisées pour donner des recommandations pratiques sur la stabilité de l’insuline. Les dernières études publiées qui étudient la cinétique de dégradation de l’insuline remontent à quelques décennies et ne couvrent pas les insulines modernes », déplore l’équipe de Laura Krämer (Nimègue, Pays-Bas) dans leur article intitulé « Conservation de l’insuline : Une réévaluation critique ».

Au final, ces données montrent que l’insuline est bien plus stable que ne le suggèrent les recommandations de conservation, mais rares sont les études publiées sur la stabilité des insulines modernes.

Des évaluations de la stabilité de l’insuline aux résultats très différents

« Les études les plus récentes ne fournissent pas plus de clarté sur la cinétique de dégradation de l’insuline en raison d’études, de méthodes analytiques et de questions de recherche différentes », peut-on encore lire dans l’article publié en 2021 dans Journal of Diabetes Science and Technology. Par exemple, une étude réalisée en Inde en 2009 révèle que les formulations d’insuline ordinaire commencent à perdre de leur efficacité à partir de trois semaines de stockage à 32 °C et 37 °C, comme évalué chez les lapins et par chromatographie en phase liquide à haute performance (HPLC).

En revanche, une étude réalisée aux États-Unis, qui a simulé les conditions de transit de l’insuline expédiée en hiver et en été, avec exposition à des températures extrêmes comme -10 °C et 45 °C pendant un cycle de trois jours, a montré que tous les échantillons d’insuline étaient toujours conformes aux spécifications selon l’analyse HPLC et ne présentaient aucun changement visible.

En résumé, que retenir des données sur la littérature concernant la température à laquelle l’insuline peut ou doit être conservée ? Tout d’abord qu’on manque d’études récentes, de données scientifiques, mais aussi qu’on observe un déficit d’information du public en matière de stabilité de l’insuline dans différentes conditions de conservation et sous différentes températures ambiantes.

Demande d’une plus grande transparence

Les recommandations sur la conservation de l’insuline sont de vraies contraintes pour les personnes traitées par insuline. Aussi, faudrait-il plus de transparence et plus de connaissances dans ce domaine pour lever bon nombre d’incertitudes et contribuerait également à soulager l’anxiété de nombreux patients et de leur famille, ainsi que de professionnels de santé.

« Les fabricants devraient envisager de publier des informations plus détaillées sur la stabilité de leurs insulines à différentes températures. L’évaluation des données provenant des capteurs de mesure en continue du glucose, des dosages en insuline et des capteurs de température permettront de mieux comprendre les possibles changements de sensibilité de l’insuline dans des conditions réelles », déclarent les auteurs de l’article paru dans Journal of Diabetes Science and Technology.

En France, la Fédération Française des Diabétiques (FDD) ne dit pas autre chose. Dans une correspondance publiée dans le numéro daté de février 2023 de la revue Médecine des Maladies Métaboliques, Nicolas Naïditch et ses collègues du “diabète LAB” de la FDD, dispositif de production d’informations et de connaissances sur la vie quotidienne des patients diabétiques, en collaboration avec APEMAC, unité de recherche en santé publique de l’université de Lorraine, déclarent qu’il serait « surprenant que les données [sur la stabilité de l’insuline] n’existent pas ».

La FDD révèle avoir contacté les filiales françaises des trois principaux laboratoires commercialisant de l’insuline en France : une « sollicitation est restée sans réponse pour l’un, et aucun des deux autres n’a été en mesure de nous transmettre les informations et les résultats des procédures de test de stabilité transmis aux autorités sanitaires ». La FDD a ensuite pris contact avec l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé (ANSM), qui lui a alors indiqué que « les études de stabilité sont confidentielles et transmises par les laboratoires lors de chaque demande d’Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) et que ce sont eux qui définissent les conditions de ces tests (température et durée) en suivant des lignes directrices européennes ».

Selon la FDD, « si l’ANSM a bien à sa disposition « la preuve » qu’il n’y a pas de dégradation de l’insuline lorsqu’elle est conservée à 2–8 °C lors de sa conservation à long terme, ni lorsqu’elle est conservée à 25–30 °C après sa première utilisation, elle ne dispose pas de données en faveur d’une altération de sa stabilité lorsqu’elle est conservée à une température supérieure. Il est probable qu’aucune étude n’ait jamais été réalisée par les groupes pharmaceutiques ». Et la FDD de réclamer que « les conditions des tests de qualité ne soient plus seulement définies par les laboratoires, mais qu’elles puissent être discutées avec eux et que de nouveaux tests soient réalisés à des températures de conservation supérieures ».

À ce propos, il convient de mentionner une étude, publiée en février 2021 dans la revue en ligne PLOS One, menée par Beatrice Kaufmann et ses collèges biochimistes de l’université de Genève, en collaboration avec Médecins sans Frontières (MSF Suisse). Ces chercheurs ont évalué la stabilité de sept formulations d’insuline à des températures élevées. Ils ont cherché à savoir si l’insuline est stable et garde son activité biologique à des températures tropicales durant quatre semaines.

Pour répondre à cette question, différentes insulines commerciales ont été exposées à des températures similaires à celles du camp de réfugiés de Dagahaley du nord du Kenya, où l’on enregistre des températures oscillant entre 25°C la nuit et 37 °C le jour. La stabilité de l’insuline a été déterminée par HPLC (chromatographie en phase liquide à haute performance). L’évaluation biophysique de la structure secondaire des molécules individuelles d’insuline (repliement de la protéine) a été évaluée par la technique dite de dichroïsme circulaire. Enfin, la bioactivité de l’insuline a été mesurée par la capacité de l’insuline à se fixer à son récepteur et à provoquer, dans deux lignes différentes de cellules hépatiques, la réaction biochimique attendue, à savoir la phosphorylation de la protéine kinase B (également dénommée Akt).

Il s’avère que la bioactivité de l’insuline des échantillons stockés à température ambiante oscillante (de 25°C à 37°C) a été identique à celle des échantillons maintenus à une température comprise entre 2°C et 8 °C. Ces résultats indiquent donc que l’insuline peut être conservée à des telles températures ambiantes oscillantes pendant quatre semaines. La formation de fibrilles n’a pas été évaluée dans cette étude. Cela dit, des températures fluctuantes (contrairement à des conditions de chauffage continu) pourraient ne pas entraîner d’agrégation irréversible des molécules d’insuline.

Stocker l’insuline à des températures élevées apparaît possible

Cette étude a ainsi montré qu’une fois ouvert, un flacon d’insuline peut être conservé pendant quatre semaines à des températures pouvant atteindre 37 °C sans que la protéine-médicament perde son activité. Sous réserve de confirmation, cette observation semble donc montrer qu’il est possible d’utiliser l’insuline en zones tropicales dans les mêmes conditions que celles recommandées par les fabricants dans les pays tempérés. Cela ne pourrait donc que faciliter le traitement du diabète dans des pays à faibles revenus et dans un contexte humanitaire.

Pour la FDD, « s’il est avéré que l’insuline peut être conservée à des températures supérieures [à celles recommandées par les laboratoires pharmaceutiques] après ouverture, cela pourrait drastiquement changer la qualité de vie des personnes traitées par insuline en France, et surtout dans tous les pays où la température ambiante n’est pas – ou plus pour longtemps – de 25–30 °C ».

Comprendre l’impact de la conservation de l’insuline hors réfrigération

En novembre 2021, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a diffusé un rapport de 63 pages sur l’accès à l’insuline dans le monde, intitulé Keeping the 100-year-old promise: making insulin access universal. On peut lire (page 28) : «  Il est nécessaire de mieux comprendre l’impact d’un stockage dans des conditions non conformes à la réglementation en matière d’efficacité et la sécurité des insulines. Si les données sur la stabilité à la chaleur démontrent une plus grande variété de conditions de stockage sans compromettre l’efficacité et la sécurité des insulines, les exigences réglementaires devraient être révisées en conséquence ».

Dans ce même rapport (page 46), l’OMS rappelait que parmi les engagements de l’industrie pharmaceutique figurait celui de communiquer à l’OMS les données sur la stabilité à la chaleur des insulines humaines.

De fait, l’OMS a chargé en janvier 2022 des experts indépendants de la Cochrane (organisation à but non lucratif) d’une mission consistant à « analyser les effets de la conservation de l’insuline humaine au-dessus ou au-dessous de la plage de température de conservation de l’insuline ou de la durée d’utilisation recommandée par les fabricants, ou les deux, après l’administration d’insuline humaine à des personnes atteintes de diabète ».

Le 22 avril 2022, la firme pharmaceutique Novo Nordisk a annoncé qu’elle avait reçu un avis favorable de l’Agence européenne des médicaments (EMA) pour une mise à jour  des conditions de conservation de deux de ses insulines humaines. Ces conditions de conservation plus souples permettront que ces deux produits puissent être conservés pendant quatre semaines hors d’un réfrigérateur (si elles sont maintenues en dessous de 30° C) avant utilisation, si la date de péremption est de six mois ou plus. Une fois utilisée, l’insuline pourra donc être conservée sans réfrigération.

Un jour peut-être, une insuline thermostable

Pour conclure, signalons que la sensibilité de l’insuline à la chaleur est une caractéristique inhérente à cette molécule. Concevoir une insuline thermostable, capable d’être conservée hors réfrigérateur pendant de longues heures, serait un véritable tour de force technologique. Cela impliquerait en effet de modifier soit la composition chimique de la molécule (remplacement de certains acides aminés, voire création d’une molécule d’insuline ne comportant qu’une simple-chaîne), soit de revoir la formulation galénique (production d’une insuline administrable par voie orale).

Encore faudrait-il que ces modifications, extrêmement complexes, n’entraînent ni une perte de l’affinité de l’insuline pour son récepteur (et donc une réduction de sa bioactivité), ni une diminution de la sécurité d’emploi.

Des recherches dans ce domaine sont en cours dans des équipes de recherches universitaires. Pour les laboratoires pharmaceutiques, la priorité n’est pas là, même si Novo Nordisk a engagé une collaboration avec le Massachusetts Institute of Technology pour produire une insuline stable à la chaleur. Mais encore faudrait-il qu’une insuline thermostable ne soit ni plus compliquée à utiliser que les autres, ni d’un prix exorbitant. Rappelons qu’on estime que la prévalence du diabète de type 1 en 2040 sera comprise entre 13,5 et 17,4 millions de cas et que la plus forte augmentation se produira dans les pays à faibles et moyens revenus.

Pour les trois firmes pharmaceutiques qui contrôlent plus de 90 % du marché mondial de l’insuline (Nono Nordisk, Eli Lilly, Sanofi), il semble plus intéressant, sur le plan commercial, de continuer à produire des insulines pour lesquelles il est conseillé de les utiliser rapidement après ouverture du flacon. Interrogé en juin 2022 par la revue The Lancet Diabetes & Endocrinology, un porte-parole de la firme Eli Lilly déclarait que « les efforts visant à examiner les approches de l’insuline thermostable doivent encore aboutir à des options commercialement viables ».

Et la Fédération Française des Diabétiques de poser la question : « pourquoi est-il conseillé de conserver l’insuline à 25–30 °C maximum après sa première utilisation ? ». Pour elle, la réponse semble aller de soi : « Pour aucune raison scientifiquement démontrée, mais aussi et surtout pour nombre de raisons contingentes. Peut-être d’abord parce que ce sont les températures ambiantes dans la plupart des pays occidentaux, soit les principaux consommateurs d’insuline. Par habitude ensuite, qu’il s’agisse de celle des conditions de réalisation des tests qui sont répétées machinalement, ou de celle des informations apprises et transmises par les professionnels de santé ».

Afin de renforcer l’accès à l’insuline à toutes les personnes devant être traitées, quels que soient le lieu où elles résident et le niveau de leurs ressources financières, la question de la conservation de ce médicament essentiel nécessite, sur un plan humanitaire, que toutes les parties prenantes (industriels, biochimistes, médecins, techniciens et autorités de régulation) œuvrent dans le même sens.

Marc GOZLAN

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