Quelques nouveaux articles et infos en provenance d’Ukraine sont dignes d’intérêt.
Stephen Biddle, un professeur qui a écrit sur la stratégie et la puissance militaire d’un point de vue réaliste, examine l’état de la guerre en Ukraine.
Comment la Russie a stoppé l’élan de l’Ukraine – Foreign Affairs, 29 janvier 2024
La défense en profondeur est difficile à battre
L’essentiel :
À la fin du printemps, les Russes avaient adopté le type de défenses profondes et préparées que les attaquants ont eu beaucoup de mal à percer comme le montre plus d’un siècle d’expérience au combat. La percée a été – et est toujours – possible dans la guerre terrestre. Mais cela a longtemps nécessité des conditions permissives qui sont aujourd’hui absentes en Ukraine : un défenseur, en l’occurrence la Russie, dont les dispositions sont peu profondes, avancées, mal préparées ou sans soutien logistique, ou dont les troupes ne sont pas motivées et n’ont pas la volonté de défendre leurs positions. C’était le cas des forces russes à Kiev, Kharkiv et Kherson en 2022. Ce n’est plus le cas.
Les conséquences de cette situation pour l’Ukraine sont sombres. Sans percée offensive, le succès dans la guerre terrestre devient une lutte d’usure. Une issue favorable pour l’Ukraine dans une guerre d’usure n’est pas impossible, mais elle exigera de ses forces qu’elles survivent à un ennemi numériquement supérieur dans ce qui pourrait devenir une guerre très longue.
Biddle ne s’étend pas sur ce point.
Mais nous savons que la disposition actuelle de la Russie, qui consiste à mener une “défense active“, permet de réaliser jour après jour de petits progrès sur l’ensemble du front.
Les pertes d’artillerie de l’Ukraine ont diminué parce qu’elle n’a tout simplement pas les munitions nécessaires pour tirer. Un canon qui ne peut pas tirer cesse d’être une cible prioritaire.
Les drones FBV (First Person View) sont devenus la cause principale de toutes les pertes. L’Ukraine a été la première à les utiliser, mais la Russie a rapidement augmenté sa production. L’Ukraine est toujours à la traîne. Chaque jour, des centaines de ces drones nettoient les positions ukrainiennes sans causer de pertes significatives pour les attaquants russes.
Dans le New Yorker, Masha Gesses se penche sur la scène politique à Kiev :
La démocratie ukrainienne est dans le noir – (archivé) – The New Yorker
Avec le report des élections et l’absence en vue de fin de guerre contre la Russie, Volodymyr Zelensky et ses alliés politiques sont en train de devenir comme les fonctionnaires qu’ils avaient promis d’éradiquer : enracinés.
Gessen constate que la démocratie en Ukraine, si elle existe encore, est en piteux état :
Tel est l’état de l’Ukraine au moment où elle entre dans son troisième hiver consécutif de guerre : elle lutte toujours contre le démon de la corruption, elle est toujours défiante, mais elle est visiblement réduite, manifestement fatiguée. … Entre-temps, en Ukraine, la démocratie est largement suspendue. Selon l’ordre normal des choses, l’Ukraine devrait avoir une élection présidentielle en mars. Jusqu’à la fin du mois de novembre – quelques semaines avant la date limite pour la programmation des élections – le bureau de Zelensky a semblé ouvert à la tenue d’une élection, mais a finalement décidé de ne pas l’organiser. “Nous ne devrions pas organiser d’élections, car elles créent toujours de la désunion“, m’a dit Andriy Zagorodnyuk, un ancien ministre de la défense qui conseille aujourd’hui le gouvernement. « Nous devons être unifiés. »
On estime que quatre à six millions d’Ukrainiens vivent sous l’occupation russe. Au moins quatre millions d’entre eux vivent dans des pays de l’Union européenne, un million d’autres en Russie et au moins un demi-million ailleurs en dehors de l’Ukraine. Quatre autres millions ont été déplacés à l’intérieur du pays. Ces chiffres incluent un nombre important de personnes devenues adultes après le début de la guerre et qui ne sont pas inscrites sur les listes électorales. “Les élections sont un débat public“, m’a dit Oleksandra Romantsova, directrice exécutive du Centre ukrainien pour les libertés civiles, qui a partagé le prix Nobel de la paix en 2022. “Mais un tiers de la population est lié à l’armée et un autre tiers est déplacé. Avec autant de personnes exclues du débat public, que signifierait une élection ? …“
Tout le pouvoir en Ukraine a été concentré dans le bureau du président :
Au début de la guerre, alors que la Russie bombardait quotidiennement Kiev, le parlement a dû réfléchir aux risques de continuer à tenir des réunions dans son bâtiment, doté d’un toit en verre. Il a décidé de le faire, mais de ne voter que sur les projets de loi qu’une majorité souhaitait présenter et de limiter la discussion des amendements. Cette décision a eu pour effet de déplacer le centre du travail législatif vers le bureau du président. Entre autres projets de loi, le parlement a approuvé la déclaration de la loi martiale, introduite par Zelensky le premier jour de la guerre, et l’a régulièrement renouvelée. La loi martiale permet au cabinet des ministres de contrôler qui peut entrer et sortir du pays – depuis le début de la guerre, les hommes de moins de soixante ans n’ont pas le droit de sortir – et de réglementer le travail de tous les médias, des presses à imprimer et des sociétés de distribution.
Le bureau de Zelensky a créé le United News TV Marathon, un programme d’actualités et de débats sur la guerre diffusé 24 heures sur 24, qui a supplanté un marché de l’information télévisée autrefois dynamique et varié. Les séquences sont diffusées sur six des principales chaînes ukrainiennes et, souvent, elles présentent toutes la même chose. Malgré son nom, United Marathon a clairement été conçu pour être un sprint. Dans les premiers mois de la guerre, la programmation avait un caractère d’urgence, de nouveauté et de choc. Aujourd’hui, même les pires jours – lorsque la Russie tire un barrage de roquettes qui tuent des civils dans tout le pays – ressemblent à tous les autres jours terribles, où les gens sont tués de la même manière, plus ou moins aux mêmes endroits. Il n’y a plus grand-chose à analyser. “La seule chose sur laquelle tous les Ukrainiens sont d’accord, c’est qu’il faut mettre fin au marathon“, m’a dit Romantsova.
D’autres médias contrôlés par le gouvernement visent un public international.
Un exemple de la lutte pour le pouvoir autour du bureau présidentiel a pu être observé hier.
Vers midi, plusieurs sources politiques fiables en Ukraine ont rapporté que le président Zelensky avait signé un décret pour renvoyer le commandant en chef, le général Zaluzny. Quelques heures plus tard, le ministère de la défense a démenti le renvoi de Zaluzny.
Les informations obtenues depuis lors nous permettent de reconstituer quelque peu ce qui s’est passé.
Zaluzny a été convoqué dans le bureau du président. On lui a demandé d’écrire sa démission. Comme cadeau de consolation, il recevrait un poste d’ambassadeur dans un pays d’Europe occidentale.
Zaluzny a rejeté la demande et a insisté pour être soit licencié soit pour rester en place.
Zelenski avait prévu de promouvoir le chef de la direction principale des renseignements en Ukraine, Kyrylo Budanov, comme nouveau commandant en chef.
C’est là que je crois que d’autres hauts gradés, et probablement aussi l’armée américaine, sont intervenus.
Kyrylo Budanov travaille dans les services de renseignement des forces spéciales depuis le début de sa carrière. Il n’a jamais commandé quoi que ce soit de plus important qu’un groupe. Ni un peloton, ni une compagnie, ni un bataillon, ni une brigade, ni une division, ni un corps d’armée. Comment quelqu’un qui n’a aucune expérience de la direction de formations de forces réelles peut-il être supposé être le commandant de toutes les forces ukrainiennes, y compris l’armée de terre, l’armée de l’air et la marine ?
C’est impossible.
Budanov semble être quelque peu loyal envers Zelenski (même si je parie qu’il ne l’est pas vraiment). Il est beau et passe bien devant la caméra. C’est un beau parleur. C’est aussi un terroriste créatif et talentueux. Ses opérations militaires réelles, comme les raids terrestres sur Belgograd, ont été pour la plupart des échecs médiocres.
Je suis presque certain que le Pentagone et même la Maison Blanche ont pu appeler Kiev et empêcher Zelenski de mettre en œuvre de telles absurdités.
Zaluzny restera, pour l’instant, à son poste.
Mais toute cette affaire aura diminué l’opinion des militaires à l’égard de Zelenski et de ses consorts. En une seule journée, un coup d’État militaire à Kiev est soudain devenu beaucoup plus possible. Plus la situation militaire se détériore, plus il y a de chances que cela se produise.
Moon of Alabama
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone
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