24 janvier 2024

Quand Henri III et ses "mignons" faisaient jaser

On n’a jamais vu pareille soirée de débauche. Lors d’un bal grandiose donné à Chenonceau, le 9 juin 1577, les femmes « les plus belles et les plus honnêtes de la cour » servent « à moitié nues » les convives, comme l’évoque le mémorialiste Pierre de l’Estoile. Henri III y est comme un poisson dans l’eau. Les oreilles alourdies de diamants, délicatement parfumé, le roi converse avec ses « mignons », des favoris apprêtés comme lui.

Pour certains, le bal a pour objectif de contenter l’esprit paillard de François d’Alençon, frère du roi et membre du parti des « Malcontents », allié des huguenots. Pour d’autres, la fête a été organisée par Catherine de Médicis afin de prouver à la cour l’attirance de son fils pour la gent féminine. Maniéré et adepte du travestissement, Henri III est en effet depuis des années moqué comme un « roi-femme », une « putain fardée » coupable de « bougrerie », un terme fleuri pour désigner l’homosexualité.

Ronsard dénonce en vers les mœurs dissolues du roi Henri III

« Petitz mignons molz, efféminez » : ainsi persiflent parfois les aristocrates de la cour au passage des favoris du roi. Ronsard lui-même dénonce en vers ses mœurs dissolues : « Le Roi, comme l’on dit, accole, baise et lèche / De ses poupins mignons le teint frais nuit et jour. /Eux, pour avoir argent, lui prêtent tour à tour / Leurs fessiers rebondis et endurent la brèche. »

Dans une période marquée par les guerres de Religion, ces jeunes précieux réussissent l’exploit d’être détestés aussi bien par les catholiques de la Sainte-Ligue, emmenés par le duc de Guise, que par les protestants, amateurs de l’écrivain et calviniste intransigeant Agrippa d’Aubigné. Partout dans Paris, les pamphlets les font passer pour « blasphémateurs », « épicuriens », « athéistes ».

Le raffinement du roi tranche avec le caractère rustre des habitués de la cour

Une réputation qui les poursuivra à travers les âges, si l’on en croit les peintures du XIXe siècle de Charles Durupt ou Ulysse Besnard, qui les représentent un bilboquet à la main, en pourpoints aux couleurs vives, le cou engoncé dans des fraises disproportionnées. En bons courtisans, ils ne font pourtant que copier l’attitude du roi. « Henri III aime les parfums, les costumes, les diamants… Ce raffinement tranche avec le caractère rustre des habitués de la cour. Il surprend et choque, rappelle Jean-François Solnon, auteur de Henri III, un désir de majesté (éd. Perrin, 2001).

Choquante aussi était la confiance accordée par le roi à ses protégés. Un privilège acquis par ces derniers sur les champs des premières batailles menées par Henri, alors simple duc d’Anjou. « Le futur roi a rencontré ses premiers mignons lors des sièges des villes huguenotes : Jarnac et Moncontour en 1569, puis La Rochelle en 1573, poursuit l’historien.

A 21 ans, Henri se porte candidat pour le trône vacant de Pologne

A cette époque, l’armée est divisée par les querelles d’ego et les rivalités entre catholiques et convertis récents, comme Henri de Navarre [le futur Henri IV]. Le jeune homme ressent le besoin de pouvoir compter sur un groupe de fidèles gentilshommes. » Saint-Luc, La Valette, Caylus, François d’O… Ces petits nobles lui jurent fidélité et le suivent jusqu’en Pologne : à l’âge de 21 ans, Henri s’était porté candidat pour le trône vacant du pays. Il y sera élu sous le nom d’Henryk Walezy, roi de Pologne et grand-duc de Lituanie. « Pour eux, cela impliquait de tout quitter pour aller chez les “Barbares” et d’assumer des coûts de transports exorbitants », explique Jean-François Solnon.

Il ne restera pas longtemps à l’Est : à la mort de son frère Charles IX, Henryk devient Henri III, roi de France, et sait se montrer généreux à l’égard de ceux qui l’ont toujours soutenu. Il couvre ses mignons de cadeaux, de charges et d’argent. En 1581, il marie même un de ses favoris, le duc Anne de Joyeuse, à Marguerite de Lorraine qui n’est autre que… la demi-sœur de la reine. Et, honneur suprême, le souverain et son mignon décident d’arborer à la cérémonie les mêmes habits « tant couverts de broderies, perles et pierreries qu’il était impossible de les estimer », rapporte de l’Estoile. Le mariage est, dit-on, prolongé de dix-sept festins.

Puisqu’ils dorment avec le roi, ils sont qualifiés de « mignons de couchette »

Les fêtes luxueuses données par le roi, ses cadeaux onéreux, passent mal… « Une partie du peuple ne comprend pas les largesses de ce roi qui, par manque d’argent, ne parvient pas à lever suffisamment de troupes pour régler les problèmes politiques et religieux du royaume », souligne Jean-François Solnon. A la cour aussi, les distinctions accordées aux mignons font jaser. Pour les opposants au roi et pour les familles aristocratiques jalouses de ces honneurs, tout est bon pour critiquer ces favoris. Puisqu’ils dorment avec le roi, ils sont donc qualifiés de «mignons de couchette», allusion à leur homosexualité supposée. Pourtant, la présence de favoris auprès des personnages importants de la cour n’a rien d’une révolution. Le duc de Guise tout comme François d’Anjou entretiennent leurs propres mignons. Quelques années plus tôt, Henri II invitait régulièrement un grand connétable, le duc de Montmorency, dans sa chambre, sans que jamais il ne lui en ait été fait reproche. « Cette marque de confiance fait partie des mœurs, estime l’historien. Mais, dans le contexte des guerres de Religion, on fait passer l’habitude pour l’exception. On attaque les mignons pour mieux atteindre le roi. »

Mais le souverain sait aussi se venger quand on l’attaque. En février 1578, François d’Anjou, alors en froid avec le roi, décide de snober les noces de Saint-Luc, mignon d’Henri III. Fâché, le roi, aidé de Catherine de Médicis, somme le malotru d’assister aux fêtes du lendemain. Là, à peine paru, il se retrouve sous le feu des moqueries des favoris du roi qui singent son maintien, critiquent sa petite taille et son physique disgracieux, sous l’œil impassible du roi.

Pourtant, le roi est connu pour aimer les femmes, et tout particulièrement son épouse

Le 27 avril 1578, six de ses mignons se retrouvent pour un duel illégal au marché aux chevaux, près de Bastille. La rumeur les veut peu doués pour les choses militaires. Ils sont en réalité ardents au combat et bretteurs dans l’âme. Ce dimanche-là, l’affrontement dégénère. Deux participants meurent sur place, un autre le lendemain. Enfin, Caylus, très aimé d’Henri III, se retrouve percé de dix-neuf coups de dagues. Averti, le souverain propose 100 000 écus au chirurgien qui sauverait son mignon, fait recouvrir les rues alentour de paille afin d’amortir le bruit des sabots et se rend quotidiennement au chevet du blessé pendant les trente-trois jours que dure son agonie. A la mort de Caylus, le roi récupère sur son cadavre une touffe de cheveux et ses boucles d’oreille. Par la suite, ses favoris seront inhumés en grande pompe dans des mausolées érigés pour l’occasion dans l’église Saint-Paul, ironiquement renommée « sérail des mignons ».

Cette tristesse affichée alimente encore un peu plus les rumeurs d’homosexualité qui pèsent sur Henri III. Pourtant, le roi est connu pour aimer les femmes, et tout particulièrement son épouse Louise de Lorraine, avec laquelle il n’aura pas d’enfant. « Ce que j’aime, c’est avec extrémité », écrit Henri III en 1579. La phrase pourrait tout aussi bien être attribuée à la reine. Après l’assassinat de son mari par un moine fanatique en 1589, la veuve revêt les habits immaculés du deuil. « Dame Blanche » en son château, elle fait peindre les murs de sa chambre en noir, la décore d’objets funéraires et de croix. Les fêtes dantesques, le froufrou des robes et les gentilshommes poudrés ne sont alors plus qu’un lointain souvenir.

➤ Article paru dans le magazine GEO Histoire de juin 2019 (n°45, Les grandes heures de la Renaissance).

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