18 janvier 2024

Le miscanthus, cette plante antipesticides aux mille vertus

Une collectivité iséroise mise sur le miscanthus, une graminée n’ayant besoin d’aucun intrant. Pour convaincre les agriculteurs de la cultiver, elle s’engage à acheter leur récolte afin de chauffer un gymnase.

Saint-Jean-de-Bournay (Isère), reportage

« C’est clairsemé, il y a des zones où rien ne pousse encore. Ils m’ont dit que c’était normal. Moi, j’ai l’habitude de semer au GPS, tout droit, tout régulier. Alors là, ça me change ! » À Saint-Jean-de-Bournay, à une cinquantaine de kilomètres de Lyon, Jean-Vincent Chollier se demande encore à quoi va ressembler son champ. Le végétal qu’il y a planté en avril dernier lui est inconnu.

Il s’agit du « miscanthus xgiganteus », une graminée qui, visuellement, ressemble à la canne de Provence ou à l’herbe de la pampa — sans le côté envahissant. « Il paraît que les rhizomes vont ramifier peu à peu », ajoute-t-il. Des rhizomes, il en a acheté 70 000, qui ont été répartis sur deux parcelles, pour un total de 3,4 hectares. Jean-Vincent Chollier et son frère Damien, avec lequel il est associé en Gaec, ont décidé de « jouer le jeu » : ils ont répondu positivement à la suggestion de la communauté de communes (comcom) de Bièvre-Isère. Celle-ci leur proposait de cultiver une plante qui n’a pas besoin de grand-chose : pas d’engrais chimiques ou de pesticides… L’intérêt est double : cela permet de diminuer la pollution des eaux due aux cultures alentour tout en proposant un débouché aux agriculteurs volontaires. La plante, une fois broyée, sert en effet à chauffer un futur gymnase tout proche.

La croissance du miscanthus est spectaculaire : cette parcelle a été récoltée en mars 2023. Après le passage de l’ensileuse, il ne restait plus que 10 centimètres de chaque plant. Mi-juillet, les tiges dépassent déjà les 3m. © Antoine Boureau / Reporterre

Cette collectivité réunit cinquante communes rurales du département de l’Isère, au centre du triangle Lyon-Grenoble-Valence. Un paysage vallonné, entre la vallée du Rhône et les contreforts du Vercors, qui compte 664 exploitations agricoles et 36 500 hectares de surface agricole utilisée, selon le recensement agricole de 2020. Sur ce territoire, l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse (l’établissement public qui audite l’état des ressources en eau du bassin hydrographique du Rhône) a identifié huit points de captages « prioritaires ». En clair : il est pollué — on y retrouve des résidus de nitrates et de pesticides. Lorsque l’Agence de l’eau émet un tel constat, les collectivités concernées sont tenues d’agir pour protéger l’aire d’alimentation du captage.

Vingt ans de stockage de CO2

Pour diminuer le recours aux pesticides et aux engrais (nitrates), le travail de coopération avec le monde agricole est incontournable. Les leviers sont multiples : promotion de la filière biologique, plantation de haies, développement du désherbage mécanique et des cultures à bas niveau d’intrants… Le miscanthus entre dans cette dernière catégorie. Mis à part l’année de la plantation, sa culture ne nécessite ni désherbage, ni engrais, ni arrosage — c’est bien simple, il pousse tout seul. Autre atout, c’est une plante vivace : elle repousse chaque année après la récolte. Sa durée de vie dépasse la vingtaine d’années. Vingt ans minimum, donc, durant lesquels les sols n’absorberont aucun intrant, et au contraire, stockeront durablement du CO2. Le miscanthus a donc tout pour lui, et c’est ce qui a séduit les élus, les techniciens de la communauté de communes et les experts de l’Agence de l’eau. Mais comment convaincre les exploitants de remplacer les céréales auxquelles ils sont habitués par cette plante qui ne se mange pas, ni par les humains ni par le bétail ?

Dans son rôle de financeur public, l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse prend en charge 70% du poste de Sylvain Granger, de l’étude réalisée par la Chambre d’Agriculture, et une partie du surcoût de la chaudière biomasse. © Antoine Boureau / Reporterre

« Ce n’est pas que simple », résume dans une belle litote Éric Savignon, vice-président de Bièvre-Isère Communauté, chargé du grand cycle de l’eau. Tous le savent : pour que les agriculteurs se lancent, il faut qu’ils s’y retrouvent économiquement. Les tiges de miscanthus, qui peuvent dépasser quatre mètres de haut, se récoltent en mars, si sèches qu’elles ne contiennent plus que 15 % d’eau. Elles constituent une biomasse très absorbante qui peut servir de combustible, de litière, de paillis — autant de pistes de valorisation des récoltes. Seul hic, elles sont tellement légères et volumineuses que seule une utilisation locale est pertinente.

La communauté de communes a donc décidé de créer elle-même le débouché. Un gymnase est justement en construction, à quelques encâblures du point de captage. Il sera doté d’une chaudière polycombustibles, adaptée au broyat de miscanthus. Une étude « d’opportunité économique » a été effectuée par la chambre d’agriculture de l’Isère, avec le concours de l’Association pour une gestion durable de l’énergie. Elle a établi le nombre d’hectares de miscanthus à cultiver pour assurer le chauffage du gymnase et comparé la rentabilité du miscanthus par rapport à d’autres cultures locales, comme le maïs irrigué. Ces calculs ont permis d’établir un prix acceptable à la fois pour la collectivité et pour les agriculteurs : 130 euros la tonne. Montant que la comcom a décidé d’augmenter à 180 euros pour être encore plus incitative.

Jean-Vincent Cholliet, agriculteur à Royas, a consacré deux de ses parcelles à la culture du miscanthus. Il a l’avantage d’avoir suffisamment d’espace de stockage pour engranger la récolte et la livrer petit à petit au gymnase de Saint-Jean-de-Bournay. © Antoine Boureau / Reporterre

« On espère que cela fera ricochet dans d’autres collectivités »

Pour Jean-Vincent Chollier, le seuil de rentabilité du miscanthus « n’est pas miraculeux », certes, mais a l’avantage d’être assuré, loin des incertitudes qu’il vit avec le prix des céréales ou celui du lait. Le fait que le point de captage soit situé entre ses deux parcelles ne lui est pas non plus indifférent : « Ce qu’on fait a forcément un impact sur l’eau, on en est très conscient aujourd’hui. » Tout comme la proximité d’un lotissement, en bordure du champ. « Même si on traite toujours la nuit, on n’était jamais très à l’aise. Là, on n’aura plus à passer », dit-il. Et puis, même si chaque hectare de miscanthus lui a coûté 4 000 euros d’investissement, il n’en cède que 3,4 à cette innovation, sur les 330 qu’il cultive au total. Le risque est circonscrit. L’an prochain, les plants seront encore trop petits pour qu’il ait une récolte. Mais les feuilles, tombées à terre, lui épargneront désherbage et fertilisation. En 2025, il devrait avoir un rendement succinct, mais à compter de 2026, lui a-t-on promis, il peut compter sur quinze tonnes de biomasse à l’hectare. La communauté de communes s’est engagée à lui acheter sa récolte pour alimenter la chaudière du gymnase qui sera alors sorti de terre. Et si elle ne prend pas tout ? Il a lui-même une chaudière biomasse et ses cent vaches pourraient bénéficier d’une litière d’un nouveau type. Alors, pourquoi pas ?

La croissance erratique du miscanthus tout juste planté laisse perplexe les agriculteurs. Philip van der Pluijm, le technicien de culture de la société Novabiom, qui a fourni les rhizomes, la planteuse et les conseils agronomiques, les rassure : rien d’anormal ! © Antoine Boureau / Reporterre

À l’Agence de l’eau, on s’enthousiasme pour ce projet qui coche toutes les cases. Solène Dominjon, qui a suivi ce dossier pour l’établissement public, en énumère les vertus : « économie locale et circulaire, coconstruction, système gagnant-gagnant, des agriculteurs qui s’engagent, y compris financièrement, c’est assez rare ! Cela nous garantit vingt ans de pérennité d’action, sans intrant dans ces parcelles. On espère que cela fera ricochet dans d’autres collectivités. »

La comcom attend bien sûr des retombées sur la qualité de l’eau brute, mais surtout, elle espère lancer une dynamique. Car pour l’heure, seuls 3,4 hectares sont concernés sur les 662 hectares agricoles situés sur l’aire de captage. Au niveau national, cette culture reste également confidentielle — 11 000 hectares de miscanthus sont cultivés en France selon la filière. « Les quarante autres exploitants de la zone sont attentistes, reprend Éric Savignon, mais l’important, c’est que la collectivité initie les choses et s’engage aux côtés de ses agriculteurs pour leur garantir un revenu sans les montrer du doigt, comme c’est trop souvent le cas. C’est une incitation à faire évoluer les pratiques. » Jean-Vincent Chollier, lui, ne cache pas que sa curiosité l’a emporté : « J’aime bien essayer. » Il attend de voir si la graminée tient ses promesses.

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