19 janvier 2024

Conseils pour temps de crise


« Le Trésor du cœur des êtres éveillés » sans les commentaires de Dilgo Khyentsé, maître de Matthieu Ricard et puissant dignitaire du bouddhisme inversé. Dilgo Khyentsé était l'antithèse du moine pauvre et errant Patrul-la-guenille.

Le moine tibétain Patrul (1808-1887), détenteur de multiples traditions et particulièrement de « L'Essence du cœur de l'immensité », préféra à la fonction monastique la vie intransigeante du yogi errant. Loin de faire carrière comme hiérarque dans un riche monastère possédant des milliers de serfs, Patrul errait dans les montagnes et vivait dans les grottes, les forêts et les ermitages perdus et solitaires. Il était parvenu à une réelle compréhension du Dzogchen, l’enseignement ultime des traditions Nyingma et Bön. Cet enseignement présente de nombreuses affinités avec le Chan répandu ouvertement au Tibet jusqu’au Concile de Lhassa (792 à 794), controverse qui opposa les bouddhistes chinois et les bouddhistes tibétains à propos de l'accès à la conscience primordiale.

Dans « Le Trésor du cœur des êtres éveillés », il dénonce les mensonges et la prédation qui caractérisent l’âge actuel :

Par ces temps de décadence, hélas, la vraie noblesse de cœur
A quitté l’âme des êtres et ils agissent de façon trompeuse :
La raison est tordue et le verbe retors,
Qui peut croire un instant à ce marché de dupes ?

A la triste vue des êtres de cet âge décadent, je me sens si confus.
Quel malheur ! Peut-on encore se fier aux paroles d’un autre ?
Nous sommes sur une île peuplée d’horribles démons cannibales :
Pensez-y et accordez-vous la plus grande des grâces !

Longtemps, votre principe conscient a erré, solitaire ;
Pressé par le karma, il a pris ici renaissance.
Bientôt, comme un cheveu extrait du beurre,
Vous partirez tout seul, laissant tout derrière vous.

Comme je ne puis que me vouloir du bien,
Il ne reste plus qu’à être honnête avec moi-même ;
Si je n’accomplis pas, pour moi-même, la quintessence du Dharma,
N’aurai-je pas, moi-même, détruit mon existence ?

Il n’est rien de plus vil que les pensées et les actes des êtres de cet âge décadent :
Personne ne vous aidera ; on cherchera plutôt à vous mystifier,
Et vous-même, vous aurez grand-peine à aider quiconque…

Et si vous coupiez court à toute dispersion ?
Servez-les : vos supérieurs ne seront jamais satisfaits ;
Protégez-les : vos inférieurs ne seront jamais contents ;
Aimez-les : jamais les gens ne se soucieront de vous.
Songez-y, et décidez-vous !

Les érudits ne servent plus la Doctrine et les polémiques font rage ;
Les maîtres accomplis ne peuvent faire le bien d’autrui et les calomnies prolifèrent,
Les dirigeants n’arrivent plus à satisfaire le peuple et la révolte gronde.
Contemplez notre époque jusqu’à en être écœuré !

Donnez-leur des explications : ils ne vous croiront pas ou comprendront autre chose ;
Aimez-les en toute sincérité : ils vous trouveront malhonnête.
A présent que les tordus voient les droits tordus aussi,
Ne comptez plus être utile à qui que ce soit !

Tous les phénomènes, déclara le Vainqueur, ressemblent à une illusion magique.
Mais de nos jours, l’illusion, plus illusoire encore,
N’est qu’une mystification suscitée par un illusionniste :
Redoutez donc cette illusion propre à notre âge décadent !

Les paroles, déclara le Vainqueur, ressemblent à un écho.
Mais de nos jours, toute parole est l’écho d’un écho,
Parole-écho des lèvres hypocrites :
N’éprouvez que dégoût pour ces échos trompeurs.

Ce ne sont pas des hommes que vous voyez, mais des fourbes :
Ils ne vous parlent pas, ils vous mentent.
Vous ne pouvez plus faire confiance à personne :
Vivez donc seul, comme bon vous semble.

En agissant selon le Dharma, vous irez à l’encontre de tous leurs agissements,
En parlant droit, vous irriterez la plupart des gens.
Votre bonté serait parfaitement sincère qu’ils trouveraient à redire :
Il est donc temps pour vous de garder secret ce que vous êtes.

Cachez-vous, physiquement, en vous retirant dans les montagnes désertes ;
Cachez votre parole, en parlant peu, en coupant tout contact ;
Cachez votre esprit, en y regardant vos seuls défauts en face,
Et vous serez ce qu’on appelle un « yogi caché ».

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