08 décembre 2023

Ukraine : les moments difficiles

Ce n’est pas parce que les regards se sont déportés vers Gaza qu’il ne se passe plus rien sur le front ukrainien. Après l’échec de la contre-offensive, Kiev entre dans le dur. Les tensions privées surgissent aux yeux du public et les alliés occidentaux s’interrogent sur les suites à mener.

Ce qui se disait à bas mot début septembre est désormais évoqué publiquement et ouvertement : la contre-offensive ukrainienne a échoué, or il s’agissait d’un fusil à un coup. Pire, l’armée ukrainienne est à bout. Si les pertes ne sont pas rendues publiques, la liste des morts et des blessés s’allonge. Le découragement touche les populations civiles, qui comprennent que l’armée ne pourra pas reprendre les 20% du territoire tenu par la Russie. Pour Kiev, l’enjeu n’est plus de percer, mais de tenir ; le risque étant une rupture du front conduisant à une avancée des troupes russes qui pourrait mettre la capitale en danger. Dans ces conditions, que faire ? Négocier avec la Russie pour reconnaitre la perte des territoires et sécuriser l’Ukraine restante ou continuer les combats jusqu’à entrer dans une troisième année de guerre ?

Cordon ombilical occidental

Sans l’aide de l’Occident, l’Ukraine ne pourra pas résister. Après avoir refusé une première fois de voter une rallonge budgétaire, le Congrès américain est sommé par Joe Biden de dégager cette fois des fonds en faveur de Kiev. « Sans une action du Congrès d’ici la fin de l’année, nous serons à court de ressources pour acheter des armes et des équipements à l’Ukraine et pour fournir du matériel provenant des stocks de l’armée américaine » écrit la directrice du Bureau de la gestion et du budget aux dirigeants du Sénat et de la Chambre des Représentants. Le choix leur est posé de façon claire : soit vous votez une nouvelle aide, soit l’Ukraine sera asphyxiée. Mais si les Démocrates sont plutôt enclins à l’aide, ce n’est nullement le cas des Républicains qui estiment que l’Amérique a assez donné et qu’elle devrait plutôt aider le Kansas ou l’Arizona. C’est une question de politique internationale, mais surtout de politique intérieure, nombreux étant les Américains qui ne désirent guère payer pour l’Ukraine. Le pays est loin, souvent mal situé sur les cartes, et l’intérêt d’une aide US ne leur saute pas aux yeux, surtout au moment où la Chine se révèle être la véritable menace.

Les interrogations viennent aussi d’Europe. Le Royaume-Uni fera comme les États-Unis puisque leur politique étrangère est calquée sur Washington. La Hongrie, la Slovaquie et la Pologne commencent à émettre des doutes publics. Non qu’ils ne veuillent pas aider l’Ukraine, mais ils sont réticents à aider un pays qui ne pourra pas gagner. À quoi bon dépenser autant d’argent et faire mourir des jeunes Ukrainiens pour ne pas percer le front et devoir négocier un cessez-le-feu dans quelques mois ? N’est-il pas tant d’arrêter le massacre et de trouver une solution de sécurité pérenne à l’Ukraine ? Tel est en substance ce qui se pense et ce qui se dit dans la Mittle Europa.

Zelensky ne s’y est pas trompé. Après s’être rendu à Washington en septembre, c’est en visioconférence qu’il devait s’adresser à des membres du Congrès le 5 décembre afin de les convaincre de poursuivre l’aide financière. Une réunion finalement annulée à la dernière minute, sans explication. Beaucoup y voient une rétrogradation de Zelensky, dont les portes américaines sont en train de se fermer. Sans ses soutiens internationaux, il va avoir beaucoup de mal à peser sur la politique intérieure.

Remises en cause ukrainiennes

L’enlisement aiguise les couteaux. Après l’entretien du chef d’état-major dans The Economist pour annoncer l’échec de la contre-offensive, c’est le maire de Kiev qui s’est levé contre Zelensky dans un entretien au Spiegel. En cause, le report de l’élection présidentielle prévue en mars 2024. Le président sortant fait justement remarquer qu’il n’est possible d’organiser une campagne électorale et une élection dans un pays en guerre. Comment faire voter les soldats mobilisés sur le front, les Ukrainiens réfugiés à l’étranger où ceux qui vivent en zone occupée par la Russie ? Une campagne, c’est aussi la confrontation d’idées et de stratégies différentes. On voit mal la stratégie à suivre face à la guerre et à la Russie débattue à la télévision et dans les journaux. Ce qui est possible en temps de paix ne l’est pas en temps de guerre. Mais beaucoup craignent que la démocratie soit suspendue trop longtemps et surtout que la centralisation du pouvoir effectuée durant le conflit ne soit pas relâchée à la fin de celui-ci. Le maire de Kiev, Vitali Klitschko, fait ainsi remarquer que seules les communes conservent une part de libertés locales. Pour les autres strates, le pouvoir a été capté par l’État. À quoi se battre pour la démocratie si l’Ukraine la foule aux pieds, exprime en substance le maire de Kiev : « À un moment donné, nous ne serons plus différents de la Russie, où tout dépend du caprice d’un seul homme ». Zelensky appréciera d’être comparé à Poutine.

Divisions internes

Des divergences de vues qui sont exprimées dans la presse internationale, anglaise et allemande, les deux pays qui quittent en Europe pour l’Ukraine. Ces entretiens sont autant adressés à l’opinion internationale qu’aux Ukrainiens eux-mêmes. Ils témoignent des divergences de plus en plus fortes qui se cristallisent au sein de l’appareil d’État ukrainien. Des divisions qui sont révélées au grand public par un article du Washington Post, (4 décembre), journal propriété de Facebook. La contre-offensive devait initialement débuter en avril. Ayant été reportée d’un mois pour des raisons encore non élucidées, les Russes ont exploité ce retard pour renforcer leurs lignes de défense, rendant l’attaque ukrainienne d’autant plus difficile. Une armée ukrainienne qui est regardée avec condescendance comme étant incapable de se mettre au niveau des normes OTAN. L’échec suscite des attaques lourdes, parfois autant démesurées que l’était le soutien sans faille de l’été 2023.

Au regard de tous ces éléments, la guerre en Ukraine entre dans ses dernières semaines. Le conflit devrait trouver une issue au printemps 2024, issue qui dépendra beaucoup du rapport de force à ce moment-là. Il restera deux dossiers extrêmement compliqués : la levée des sanctions économiques contre la Russie et l’établissement d’un arc de paix et de sécurité en Europe.

Jean-Baptiste Noé

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