Notre Premier ministre, Madame Borne, n’est pas dénuée de qualités, mais en présentant la stratégie nationale de la biodiversité son esprit cartésien a été pris en défaut : « L’effondrement de la biodiversité est une menace existentielle pour nos sociétés » ! Et bien entendu, selon elle encore « une sixième extinction nous menace »…
Ce discours anxiogène truffé d’idées fausses et de chiffres instrumentalisés, lui a été préparé (ou imposé ?) par un Ministère de la transition écologique qui est devenu un véritable nid de militants « écologistes » à ceci près qu’ils pratiquent une écologie d’un autre âge, celle qui croit encore que la nature a été créée par Dieu, parfaite et immuable. Dans ce contexte toute modification apportée par l’homme est une atteinte intolérable à cette belle nature qu’il faut mettre à l’abri des humains dans des aires protégées. Et on ne fait pas dans la dentelle : 30% de la surface du globe en aires protégées. En attendant plus.
C’est cette idéologie rétrograde qui est la raison d’être des grandes ONG environnementales d’obédience américaine, et de certains mouvements militants, qui s’impose aujourd’hui comme un dogme dans les politiques environnementales. Ne touche pas à ma nature ! Ou plutôt ne touche pas à cette nature idéalisée, sanctifiée, déifiée, qui s’est substituée à Dieu dans le monde des croyances. Ainsi, chaque année et de manière très officielle, on rend grâce à Mère nature, ou à Gaia, sous l’égide de l’ONU ! Oui l’ONU qui a créé la Journée internationale de la Terre nourricière… Et l’IPBES, le soi-disant GIEC de la Biodiversité, ne manque pas de faire référence lui aussi à la Mère nature !
Pour que les choses soient claires, il ne fait aucun doute que nous modifions la faune, la flore, et les écosystèmes pour en faire usage. La présence de l’homme entraine nécessairement des conséquences car nous ne vivons pas dans un monde de bisounours mais dans un monde brutal dans lequel pour survivre il faut, d’une part se protéger des nuisances de la nature, et d’autre part tuer d’autres espèces pour s’alimenter (Lévêque, 2023 [1]). Ce n’est pas une raison pour nous comporter comme des barbares, mais c’est une raison suffisante pour aménager la nature de manière à ce que la vie humaine se passe dans de meilleures conditions de sécurité physique et alimentaire. Et c’est souvent en luttant contre la nature, pas seulement en la contemplant. Demandez donc aux ruraux ce qu’ils en pensent !
La technique de désinformation des militants est bien connue mais semble échapper à nombre de nos concitoyens. Il s’agit de noircir le tableau au maximum en mettant l’accent sur ce qui peut apparaitre comme négatif à l’aune de nos critères de jugement et en pratiquant une totale omerta sur ce qui est positif. Cette manière de présenter une information tronquée à un nom : mensonges par omission. Faisons une brève analyse des pratiques de ces militants en vue d’alimenter leur discours alarmiste.
Des “espèces disparues” présentes abondamment ailleurs
Le premier point concerne la sémantique. Le discours qui nous est servi utilise volontairement l’expression “espèces disparues”. Le lecteur non averti plongé dans l’ambiance anxiogène du discours, est amené à penser que ces espèces ont disparu définitivement de la surface de la terre ! Le terme exacte serait alors “éteintes”. Et bien non, disparu signifie simplement qui n’est plus observé dans un endroit donné, mais qui peut être abondant ailleurs. Ainsi, des petits poissons de milieux temporaires qui sont présents en Espagne ont été observés de manière anecdotique une ou deux fois dans le sud ouest de la France, à proximité des frontières espagnoles. Puisqu’on ne les retrouve plus, ce qui n’a rien de surprenant, ces poissons sont classés parmi les espèces qualifiées de disparues du territoire, et figurent comme telles dans les listes d’espèces établies par le muséum d’hisoire naturelle [2]. Ces listes comportent de nombreux exemples similaires et vont même jusqu’à comptabiliser comme disparues des espèces introduites volontairement par l’homme mais qui ne sont pas naturalisées ! Ainsi on fait du chiffre pour alimenter la démonstration, mais en s’asseyant sur la rigueur scientifique.
Quant à l’appellation “espèce menacée” c’est en réalité un agglomérat de statuts divers définis par la liste rouge de l’IUCN. L’espèce doit être classée dans une des catégories suivantes : en danger critique, en danger ou tout simplement vulnérable, selon des critères en partie subjectifs. Mais dans ce que l’on appelle la liste rouge, si l’on détaille les statuts concernant le déclin des populations, on reste muet sur les statuts des espèces en croissance démographique. On a donc beaucoup d’informations sur les espèces qui sont supposées en déclin mais très peu sur celles qui se portent bien. Un biais majeur pour porter une appréciation sur l’état de la biodiversité.
Le second point est la fiction d’une extinction massive. En remettant sur le tapis les propos anxiogènes d’une sixième extinction, les conseillers de Madame Borne ont sans doute oublié qu’il y a quelques dizaines de milliers d’années (ce qui est hier à l’échelle géologique…) la calotte glaciaire arctique s’est étendue sur tout l’hémisphère nord. En Europe elle a atteint la Manche et un immense glacier d’étendait sur les Alpes. À coup sûr, il y a eu à cette occasion une destruction massive de la biodiversité, d’une ampleur sans aucune mesure avec celle que nous connaissons aujourd’hui (deux espèces européennes sont recensées éteintes chez les mammifères et les oiseaux : le grand pingouin et l’auroch). Et ce phénomène de glaciation s’est répété à de nombreuses reprises dans le passé, avec parfois des situations encore plus drastiques. À chaque fois la nature a repris le dessus, et ça n’a pas demandé des millions d’années.
Depuis que le climat s’est réchauffé, il y a 15 000 ans, l’Europe n’a cessé de s’enrichir en espèces qui ont recolonisé les terres libérées des glaces. Cette recolonisation a été spontanée et naturelle par des espèces venues du sud de l’Europe et du pourtour méditerranéen, mais elle a aussi été facilitée par les agriculteurs qui sont venus du Moyen Orient puis par les échanges commerciaux qui ont facilité les déplacements intercontinentaux, de telle sorte que notre diversité biologique actuelle est un melting-pot d’espèces venues de tous les continents et qui se sont naturalisées chez nous. Il n’y a aucune biodiversité vierge et originelle à protéger mais un bric à brac d’espèces qui se sont installées au hasard et de manière opportuniste ! (Lévêque, 2022 [3]).
Ces espèces continuent à arriver en nombre (et en toute illégalité bien entendu…) sur le continent européen. On les qualifie d’espèces invasives car, selon les écologistes xénophobes et leur vision quasi créationniste de la nature, elles viennent dégrader la supposée nature vierge dont nous aurions hérité !
Troisème point : l’homme détruit la nature ! L’aménagement du territoire par l’agriculture a créé de nouveaux écosystèmes tels que le bocage. Ce dernier est objectivement le résultat de la destruction d’un système forestier, mais pour les écologistes c’est un haut lieu de biodiversité. Quant à la Camargue, système artificiel s’il en est, traversé de canaux et entouré de digues, c’est un site labellisé Ramsar, le graal en matière de protection de la nature. Donc, à l’évidence, les systèmes créés par les humains ne sont pas tous des destructions intolérables de la nature ? Mais qui met en balance ces exemples « positifs » quand on parle de destruction de la nature. Pas la secte des militants conservationnistes en tout cas qui ne parle que d’exactions des hommes sur la nature. Partant d’un tel dogme il est difficile de trouver des compromis.
Cette idéologie mortifère n’a rien à voir avec la science écologique qui voudrait que l’on aborde la question de nos rapports à la nature dans un esprit ouvert, analysant ce qui est considérée comme positif ou négatif, et non pas sur la base d’un Homo bashing systématique. C’est ce que Gerald Bronner appelle le biais cognitif en matière de recherche de l’information.
Quatrième point, s’appuyer sur des chiffres faux. C’est pour un scientifique une faute grave en matière déontologique, que de diffuser de fausses informations et/ou de la caviarder. Ainsi Madame Borne n’a probablement pas été informée par ses « conseillers » que les populations de nombreuses espèces sont en pleine expansion démographique, ce qui n’est pas anecdotique. Car si les effectifs de certaines espèces sont en régression, mais pour la plupart bien loin de l’extinction, beaucoup d’autres espèces sont en expansion. Evidemment ces bonnes nouvelles on n’en fait pas état. C’’est ce que j’appelle le tri sélectif !
J’entends par là occulter systématiquement une partie de l’information pour ne retenir que celle qui vient en support de ses idées. Oui de nombreuses espèces sont en expansion parfois forte comme le montre un rapport européen (Ledger et al., 2022 [4]). Demandez donc aux pisciculteurs ce qu’ils pensent du cormoran qui dévaste leurs étangs ? Demandez donc aux forestiers et aux agriculteurs ce qu’ils pensent des effectifs de cerfs, de chevreuils, de sangliers, qui ont quadruplé en quelques décennies, causant des dégâts considérables aux arbres et aux cultures. Sans compter le castor qui connait un retour fulgurant, ou les effectifs du loup, mais aussi le bouquetin, le lynx, le chamois, etc… (Alliot & Lévêque, 2022 [5] ; Ledger, et al., 2022).
Une forme de manipulation des chiffres
Quant aux oiseaux, le chiffre de 30% de réduction des populations est une autre forme de manipulation de l’opinion qui consiste à sortir un chiffre d’un ensemble de données, pour faire croire qu’il s’applique à l’ensemble d’un groupe. Ainsi la réduction de 30% (discutable au vu des méthodologies utilisées) ne concerne qu’une petite catégorie d’oiseaux dite « oiseaux des champs » (24 espèces d’oiseaux nicheurs dans laquelle d’ailleurs on trouve des populations en forte régression mais d’autres en augmentation) vient en réalité du programme de science participative nommé STOC (Suivi Temporel des Oiseaux Communs) dont les résultats sont globalisés et moyennés, mais qui sont en réalité très hétérogènes sur le territoire métropolitain (Lévêque, 2022).
Or plusieurs travaux montrent que la plupart des autres espèces d’oiseaux (il y a 284 espèces recensées d’oiseaux nicheurs en France) sont en expansion ; les rapaces, les oiseaux d’eau, les espèces généralistes, le oiseaux marins, etc. Ainsi, en clamant que « 30% des espèces d’oiseaux ont disparu », on instrumentalise un chiffre obtenu sur des moyennes de 24 espèces d’oiseaux mais qui est extrapolé sans vergogne à l’ensemble de la communauté d’oiseaux. Vous trouvez que c’est de la science ?
Les écologistes, qui n’ont de cesse de dénoncer les méfaits de l’agriculture et de l’utilisation des pesticides qui est devenue leur bête noire, ont marginalisé la question de l’habitat qui est, pour un écologue, bien plus importante. Cette question qu’il serait trop longue à développer ici, a fait l’objet d’une analyse détaillée de Philippe Stoop (2023)[6]
Cinquième point, le comportement xénophobe. Je voudrais prendre un exemple qui montre combien l’emphase mise sur l’effondrement supposé est démenti par la réalité. C’est celui des nombreuses espèces originaires d’autres continents qui se naturalisent sur notre territoire, c’est-à-dire qu’elles s’y installent et s’y reproduisent. Elles peuvent le faire spontanément à l’exemple du héron garde-bœufs d’origine africaine, apparu en France en 1957 qui a progressivement colonisé une grande partie du territoire. L’ibis sacré, un autre oiseau originaire d’Afrique, s’est évadé quant à lui d’un parc animalier et a développé une importante colonie sur la Côte Atlantique, jusqu’à ce que des mal nommés « défenseurs de la nature » décident de l’éliminer pour maintenir la pureté de notre avifaune… Une belle illustration de la vision fixiste de la nature dont ils sont porteurs et un bel exemple d’application du principe que toute espèce a droit à la vie ? Pour l’instant, mais pour combien de temps, la perruche à collier est devenue un familier de nos grandes villes…
Dans le domaine aquatique, près de la moitié de nos poissons d’eau douce sont d’origine allochtone (Belliard et al, 2021[7]), et ces introductions dont une grande partie est à mettre à l’actif des pêcheurs, n’ont pas entrainé la disparition des espèces autochtones. De nombreuses espèces d’invertébrés (mollusques crustacés) continuent de se naturaliser dans nos cours d’eau en raison de la mondialisation des échanges et de la mise en service de canaux entre bassins hydrographiques (Bravard & Lévêque 2020 [8]). Mais il est vrai que quelques espèces de poissons migrateurs sont en danger à l’exemple du saumon et de l’esturgeon. Les raisons sont connues : la qualité des eaux et la surpêche.
Malgré le fait que nos systèmes écologiques sont aménagés et parfois pollués on assiste donc à un accroissement continu de la diversité biologique en métropole et en Europe. Réfléchissons : si de nombreuses populations sont en expansion, si de nombreuses espèces s’installent chez nous, on peut raisonnablement penser qu’elles s’y trouvent bien et trouvent dans nos milieux artificialisés de quoi satisfaire leurs besoins alimentaires et leur reproduction ? C’est donc que ces milieux artificialisés ne sont pas aussi « dégradés » que ne le disent ces militants écologiques et parfois même des écologues obnubilés par leur travers de diaboliser l’espèce humaine ?
Le discours de Madame Borne qui lui a été concocté par des ONG de conservation de la nature et leurs sbires du Ministère de la Transition écologique, repose sur une vision statique de la nature qui flirte avec le créationnisme si populaire aux États-Unis. Parler d’un effondrement du vivant en métropole, dans un discours officiel est tout simplement un mensonge d’État. Oui quelques espèces ont des problèmes, mais il y a aussi des gagnants et de nombreuses autres qui s’y trouvent bien.
Citoyens aimant la nature ne vous laissez pas abuser par des groupes de pression dont l’existence, et surtout le financement, reposent sur la diffusion de discours anxiogènes. Une machine à cash qui profite aussi à des scientifiques en quête de financements et qui ont « oublié » que la science repose sur des données objectives.
Car ce qui révolte le plus le scientifique que je suis c’est l‘instrumentalisation des données et le silence qui est fait sur cette question.
[1] Lévêque C., 2023.Le double visage de la biodiversité. La Nature n’est pas un jardin d’Eden. L’Artilleur.
[2] https://inpn.mnhn.fr/espece/listeEspeces/statut/metropole/W
[3] Lévêque C., 2022. Erosion de la biodiversité. Enjeux et débats. Editions ISTE
[4] Ledger, S. et al., 2022. Wildlife Comeback in Europe: Opportunities and challenges for species recovery, Rewinding Europe. https://www.rewildingeurope.com/wp-content/uploads/publications/wildlife-comeback-in-europe-2022/
[5] Alliot B. & Lévêque C. (2022), Biodiversité, faut-il vraiment paniquer ? Lorsque tant d’espèces se portent mieux… Action Écologie, www.actionecologie.org
[6] Stoop P., 2023. Oiseaux d’Europe : les populations remontent ! (mais ce n’est pas forcément une bonne nouvelle). https://www.europeanscientist.com/fr/opinion/oiseaux-deurope-les-populations-remontent-mais-ce-nest-pas-forcement-une-bonne-nouvelle/
[8] Bravard, J.-P., Lévêque, C. (dir.) (2020). La gestion écologique des rivières françaises. Regards de scientifiques sur une controverse. L’Harmattan, Paris
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