L’émission Zone interdite a diffusé un très bon reportage sur l’éducation nationale : L’éducation nationale au bord du naufrage, toujours visionnable sur le site de M6. Un reportage d’immersion au cœur du système éducatif, dans des lycées et des collèges, des rectorats, chez des parents d’élèves, qui permet de prendre la mesure du désastre éducatif en cours depuis une vingtaine d’années.
Ce qui se joue aujourd’hui c’est une accélération de la déliquescence de l’éducation nationale, que personne ne pourra éviter car c’est le système même qui est perverti. C’est un peu la limite du reportage qui laisse à penser que les problèmes rencontrés sont conjoncturels alors qu’ils sont structurels.
Aujourd’hui, l’école n’arrive plus à recruter, dans aucune des disciplines. Additionné aux départs en retraite et aux démissions qui s’accroissent (même si le ministère ne veut pas donner les chiffres), le système arrive en bout de course. Une situation qui n’a rien de surprenant puisque je l’avais déjà décrite et prévue dans un ouvrage paru en 2017 (Rebâtir l’école). Depuis, la situation n’a fait que s’aggraver. Le problème des recrutements n’est pas lié à la rémunération comme le croient beaucoup, même si les professeurs ne sont pas contre des augmentations salariales. Il est dû au fonctionnement même de l’éducation nationale. À la fin du reportage, les journalistes ont interrogé Gabriel Attal, actuel ministre de l’Éducation, dans un droit de réponse au reportage. Ses réponses, justement, démontrent qu’il n’a rien compris aux causes du drame qui est en train de se jouer.
Effondrement complet
Ce n’est pas une question de moyens. Les dépenses éducatives sont le premier poste de dépense de l’État. Entre 1980 et 2023, le coût d’un élève a été multiplié par deux : un lycéen coûte aujourd’hui environ 13 000€ par an contre 6 500 € dans les années 1980. Le reportage montre plusieurs cas qui permettent de comprendre cette inflation des dépenses. Par exemple, des rapports commandés à la pelle, pour des coûts oscillants entre 100 000 € et 500 000 €, pour fournir des documents au jargon abscons qui sont immédiatement remisés au placard. L’absentéisme des professeurs, croissant, oblige à des dépenses supplémentaires : il faut rémunérer le professeur absent et ses remplaçants. Donc au minimum deux salaires pour un même poste.
À cela s’ajoute un personnel administratif de plus en plus nombreux, qui travaille dans les rectorats et les commissions, pour une productivité faible. C’est là que l’on trouve des fonctionnaires qui ne font pas encore 35 heures par semaine. Le reportage filme les bureaux d’un rectorat à 16h30 : ceux-ci sont tous vides.
En plus des problèmes humains, il y a la dégradation des bâtiments. L’entretien des lycées relève des régions (les départements s’occupant des collèges et les communes des écoles). En Île-de-France, la gauche au pouvoir a orienté ses dépenses dans l’investissement, mais pas dans le fonctionnement. Cela permet de faire de magnifiques inaugurations, d’imprimer de belles plaquettes et de vanter le bilan. Mais les lycées déjà construits se sont eux dégradés. Les images du reportage dans plusieurs lycées de la région sont effrayantes : des murs pourris par l’humidité, des trous, des fuites, des salles dégradées pour des lieux où personne n’a envie de travailler. Attitude typique du clientélisme électoral qui vise à privilégier les investissements qui rapportent des voix au détriment du fonctionnement, qui n’en rapporte pas.
Le point nodal de l’effondrement de l’école étant celui de la discipline. Face à des élèves de plus en plus agressifs et violents, les professeurs sont malmenés et agressés sans qu’aucune sanction ne soit donnée. Ce laxisme encourage la violence et nourrit le désespoir des professeurs.
Pas de vagues
Le maitre mot de l’Éducation nationale est « pas de vagues ». Pour éviter d’avoir une carrière arrêtée, de se voir refuser une mutation, d’échapper à une médaille (palmes académiques ou ordre du mérite), proviseurs et professeurs carriéristes étouffent les affaires et camouflent les agressions. Les entretiens réalisés en caméra cachée mettent en lumière le fonctionnement dramatique de cette administration. Car même s’il manque des professeurs, tout est fait pour pousser vers la sortie ceux qui refusent le « pas de vagues » ou qui ne respectent pas le moule de l’éducation nationale. À cet égard (ce point n’est malheureusement pas évoqué dans le reportage), une véritable chasse aux déviants est menée lors de la formation initiale. Les profils qui ne respectent pas les normes de l’éducation nationale, c’est-à-dire ceux qui veulent transmettre des savoirs et qui refusent le pédagogisme, ne sont pas titularisés. L’éducation nationale préfère ne pas avoir de professeurs plutôt que de recruter des professeurs qui vont à l’encontre de ses dogmes.
Là réside la véritable cause de l’effondrement de l’école. L’administration scolaire est une machine à broyer, ce que montre bien le reportage quand sont interrogés d’anciens professeurs. Humiliation de la hiérarchie et de l’administration, abandon des personnels, violence des élèves. Le « prof » est un pion perdu dans un immense rouage. L’EN est l’une des dernières structures soviétiques au monde. La laideur des bâtiments, la décoration triste et terne, les couleurs des murs et des sols, la pauvreté du mobilier renvoient à la thèse de Philippe Nemo dans L’esthétique de la liberté : la laideur est un habile moyen pour asservir les personnes. En faisant travailler les professeurs dans des bâtiments laids, l’administration s’assure mieux de leur contrôle.
Le pire dans tout cela, c’est qu’ils restent. On voit ainsi une femme en pleurs après avoir été une nouvelle fois agressée en plein cours par un élève de Première à la carrure beaucoup plus athlétique qu’elle, brisée, meurtrie par ce qu’elle doit subir et l’anomie de l’administration du lycée. Et pourtant, comme beaucoup d’autres, elle reste. Alors qu’elle pourrait démissionner et trouver du travail ailleurs (il existe à cet égard des associations qui aident les professeurs démissionnaires), elle ne franchit pas le pas et continue à travailler pour les rouages de l’EN. Ce faisant, elle perpétue le fonctionnement du système.
C’est l’un des autres aspects surprenants du reportage. Tous les professeurs et personnels administratifs interrogés, en poste ou retraité, sont conscients des problèmes de l’EN, qu’ils appellent « l’institution », ils savent que cela ne fonctionne pas, ils entrevoient parfois les causes de ces dysfonctionnements, mais ils ne veulent pas remettre en cause le système. Si on leur parle de liberté scolaire, de chèque éducation, de sélection des élèves, de rémunération au mérite, alors ils se braquent et refusent. Il y a une fascination morbide de la victime à l’égard de son bourreau.
Crétinisation de la France
La fabrique des crétins aboutit à une crétinisation de la France. Gabriel Attal vient de reconnaitre que les évaluations de 4e« ne sont pas bonnes ». C’est-à-dire que la moitié des élèves ne maitrisent pas correctement la lecture. De telles lacunes à cet âge-là sont quasiment irrécupérables. Les 4e de novembre 2023 étaient en CP en novembre 2016, c’est-à-dire dans la dernière année du mandat de François Hollande. Depuis, rien n’a changé. Les CP d’aujourd’hui ne seront pas meilleurs que les CP d’hier. Le bateau s’enfonce et, selon la belle formule de Gilbert Cesbron, « c’est Mozart qu’on assassine ». Le mal touche tous les établissements, certains à des degrés moindres, publics et privés, ce que montre très bien le reportage.
On trouve encore des personnes pour dire que cette situation est la faute « des libéraux ». Rappelons que l’on doit à François Guizot, par la loi de 1833 sur l’instruction primaire, la création d’écoles dans toutes les communes, dont les frais des plus pauvres devaient être pris en charge par les communes. Contrairement au mythe véhiculé, l’école n’est pas née avec Jules Ferry. Après Guizot, ce sont Falloux (1850) et Duruy (1867) qui accélèrent la scolarisation en favorisant la liberté des écoles. Inutile de revenir sur Frédéric Bastiat qui a pourfendu le monopole de l’éducation, dont on voit les effets terribles aujourd’hui.
Contrairement à ce qu’en disent la gauche et la droite socialiste, la crétinisation de la population n’est pas voulue par les « chefs d’entreprise » et le « grand capital » pour disposer d’une main-d’œuvre docile payée pour rien. Je ne connais aucun chef d’entreprise qui rêve d’embaucher des jeunes analphabètes, qui lisent et écrivent avec peine, qui ne maitrisent pas les bases de la science et qui n’ont jamais appris le goût de l’effort à l’école. C’est tout l’inverse. Les entreprises ne peuvent être fortes et se développer qu’avec du personnel hautement qualifié. La crétinisation d’aujourd’hui, c’est le déclassement économique et politique de demain et la perte d’indépendance d’après-demain. Dans la compétition mondiale de plus en plus forte, avec son école socialiste et destructrice, la France ne pèsera rien face à la Corée du Sud, à la Chine ou aux pays d’Asie centrale. Peut-être est-il nécessaire de passer par dix ans d’effondrement scolaire pour rebâtir l’école sur les libertés. Quand il n’y aura plus du tout de professeurs, il faudra bien trouver de nouvelles solutions.
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