21 novembre 2023

La pignole parlementaire passe maintenant en mode turbo

On pourrait en douter et il faut le rappeler de temps en temps : une République, ça ne s’improvise pas. Pondre de la législation, écrire des petits articles et broder finement du texte de loi, c’est un métier, que dis-je, un sacerdoce de tous les jours qui demande du courage voire de l’abnégation et une solide dose de persévérance…

… Pour ne pas dire d’obstination, voire d’entêtement ou même de folie lorsqu’on commence à éplucher ce qui se passe vraiment, en coulisse.

Le citoyen lambda, pressé dans sa vie de tous les jours, remarque à peine les agitations d’avant-plan, les 49.3 qui se multiplient dangereusement au point de dépasser la Borne, celle qui signifiera la fin du mandat de l’actuel Premier Ministre et le renvoi de Babeth vers une retraite nécessaire. La presse, qui n’est plus que l’ombre d’elle-même, se contente de rapporter l’opinion vaseuse que se font les journalistes de ces agitations sur les grands principes et les grosses lois joufflues qui occupent la scène.

Mais l’observateur aguerri sait que, derrière ces gesticulations gouvernementables (non, ce n’est pas une typo) se cachent des nuées de petits bricolages parlementaires, ces micro-lois, ces nano-articles qui viennent s’ajouter comme autant de grains de sable dans la monstrueuse machine bureaucratique française pour en gripper un peu plus les rouages. Petites bidouilles des uns et des autres, à tous les niveaux de pouvoir (départemental, régional, national et même européen), ces particules fines de loi viennent silencieusement polluer la vie des citoyens français qui découvrent ensuite, éberlués, à quoi servent les copieux émoluments qu’ils versent à toute la troupe de clowns colorés qui occupent les deux chambres.

Laissée plus ou moins en roue libre pendant que les ténors gouvernementaux occupent la galerie, la députaillerie se laisse aller.

Si la presse se penchait vraiment sur ce qui se passe ensuite, elle pourrait multiplier les titres commençant par “Ivre,”

Ainsi, ivre, le Parlement européen tente de légiférer sur les emballages et leur capacité de recyclage, condamnant – dans sa précipitation et un solide de-quoi-jmemêlise – les boîtes en bois qui protègent nos camemberts.

Heureusement, notre représentation nationale a volé au secours de ce patrimoine ancestral et la voilà qui se bat pied-à-pied pour défendre une version particulière de tyrosémiophilie, acte plein de bravoure qui, au passage, n’aurait jamais été nécessaire si la pignole qui s’est emparée des institutions législatives sur tout le continent n’avait pas passé la surmultipliée.

Et pendant qu’on occupe nos députés européens sur ces questions véritablement capitales, la représentation nationale n’est pas en reste : le premier janvier, l’usage des tickets restaurant change : fini l’achat inconsidéré de pâtes, de riz ou de viande avec votre ticket restaurant, qui ne pourra plus servir que pour les sandwichs et les plats préparés, avant que tout ceci ne soit encore restreint à une catégorie précise de ces mets délicats (par exemple, ceux marqué A, B ou C dans le nutriscore ou on-ne-sait quel autre indice que nos fiers députés nous concocteront certainement).

Pour un outil (le chèque restaurant) qui n’apporte absolument aucun avantage, qui représente une ponction sur le salaire et un fléchage direct d’une partie de votre pouvoir d’achat dans des biens et services spécifiques, vous en rendant captifs, on avouera que l’État et ses parlementaires se donnent beaucoup de mal.

Ah, qu’elle est agréable, cette sensation de savoir qu’à n’importe quel moment de votre vie, n’importe quel moment du jour ou de la nuit, une grappe de députés pense à vous et raffine une petite loi ou un petit décret pour contraindre un peu plus ce que vous pouvez faire de votre temps libre, de votre argent ou de ce que vous mettez dans votre ventre.

Et puisqu’on parle de ventre, comment imaginer que la situation alimentaire parfois alarmante de certains Français ne soit pas venue aux oreilles de nos hémicyclowns parlementaires ?

C’est donc sans surprise qu’on découvre la dernière proposition d’un député du Loiret qui envisage sans rire de créer une sécurité sociale alimentaire. Le numéro vert, le Grenelle de la bouffe ou le chèque alimentaire étant passés de mode, les tickets resto ne suffisant pas, la proposition semble avoir poussé dans l’esprit fertile du législateur dont on déduira surtout qu’il a beaucoup trop de temps libre : par le truchement d’une indispensable “carte”, voilà nos Français dépouillés d’une belle brassée de milliards d’euros qui seront amplement gaspillés dans une nouvelle usine-à-gaz invraisemblable.

Petit-à-petit, on se rapproche de l’étape ultime d’une fonctionnarisation des boulangers-pâtissiers dans le pays par la mise en place d’une Sécurité sociale alimentaire dantesque, avec distribution d’une carte “Biencuite” (ou un nom niais genre Belmiche, Glucidea ou Baguetta) pour obtenir le remboursement en ligne de son pain quotidien, un tarif officiel de la consultation boulangère et évidemment un parcours pâtissier officiel avec son boulanger traitant.

En réalité, il n’y a aucune limite à l’inventivité législative de nos députés en roue libre ; par exemple, au début du mois , la classe politique nous expliquait le retour de la reprise (des chaussettes, pas de l’économie) avec la mise en place, tambours battants, d’un chèque gouvernemental pour réparer habits et chaussures troués par les vicissitudes de la vie moderne.

Et pour compléter le tableau (consternant) de ces gesticulations d’arrière-plan de plus en plus lunaires, entre deux criailleries de semi-folle lâchée dans un hémicycle auquel il ne manque plus guère que la sciure au sol pour coller parfaitement à l’image d’un cirque, signalons la proposition de loi d’un autre clown visant à reconnaître et sanctionner la discrimination capillaire. Ce n’est pas une blague.

Il faut se rendre à l’évidence : au-delà de ces contorsions qu’on peut assimiler à des spasmes, les parlementaires ne servent plus à rien. Évitant soigneusement toute remise en question du gouvernement par peur d’élections anticipées qui remettraient en cause leur gamelle, ils en sont réduits à frétiller du museau à l’idée de distribuer des petits chèques ou bricoler du sociétal.

Englués dans les sables mouvants des affaires courantes et d’une pignole législative indécente, ils s’enfoncent mollement.

Ce pays est foutu.

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