Javier Milei a donc été très largement élu président de l’Argentine et depuis lors les commentaires acerbes pleuvent chez les socialistes de droite et de gauche. Une personne qui a promis de réduire les dépenses de l’État, notamment en supprimant les dépenses inutiles, qui annoncent vouloir favoriser les entreprises et baisser la fiscalité, dispose en effet d’un programme horrible. Des commentaires à l’emporte-pièce qui passent outre les réalités de l’Argentine et la personne de Javier Milei.
Le premier élément, essentiel en politique, c’est que l’on juge un arbre à ses fruits. Opposants ou partisans de Milei, peu importe les sentiments que l’on peut avoir pour lui en France, la seule chose qui compte ce sont ses résultats politiques. Il faudra donc faire, comme pour tout président, un bilan dans 6 mois, un an et à la fin de son mandat. On pourra ainsi comparer l’Argentine à son arrivée et à son départ et ainsi évaluer s’il a réussi ou échoué. Le reste n’est que littérature.
Les commentaires semblent faire l’impasse sur la situation dramatique de l’Argentine. Un Argentin sur 5 vit sous le seuil de pauvreté. L’inflation est de 140%, ce qui signifie que le peso ne vaut rien. À plusieurs reprises ces dernières années, les banques d’Argentine ont cessé les retraits, ruinant ceux qui avaient de l’argent sur leur compte en banque. À cette situation bancaire et inflationniste dramatique s’ajoute une corruption endémique qui touche un pays suradministré. Depuis 1949, l’Argentine est aux mains des péronistes, Péron mari et femme, puis émules, dérivé en Kirchner dans les années 2000. Nestor Kirchner est ainsi président de 2003 à 2007 puis, malade (il meurt en 2010), il laisse sa place à sa femme Cristina, présidente de 2007 à 2015 puis vice-présidente de 2019 à 2023. Une caste familiale et politique s’est emparée de l’Argentine et c’est cette caste que les électeurs argentins ont chassée.
Une très large victoire
La victoire de Milei est très large : près de 56% des voix. En 2019, Alberto Fernandez l’avait emporté avec 48% des voix ; en 2015, Mauricio Macri avait obtenu 51% et en 2011, Kirchner avait obtenu 54% des voix. Voici résumé le pourcentage obtenu par les candidats élus :
2023 : 56%
2019 : 48%
2015 : 51%
2011 : 54%
2007 : 45% (Cristina Kirchner)
2003 : 22% (Nestor Kirchner est arrivé deuxième du premier tour. Le premier, Carlos Menem, se retire avant le second tour, ce qui permet à Kirchner d’être déclaré élu sans second tour).
Milei est donc le candidat le plus largement élu des vingt dernières années.
L’analyse par région est encore plus intéressante. Les résultats peuvent être trouvés sur ce site argentin.
https://www.pagina12.com.ar/620955-mapa-de-resultados-lo-que-dejo-el-balotaje-entre-javier-mile
Milei a gagné dans 21 régions sur 24. À Mendoza (la région du vin), il a fait 71% des voix. À Buenos Aires 49,3 % contre 50,7 % pour Massa, mais dans le district fédéral de Buenos Aires, il est à 57,3%. C’est un raz de marée sur l’ensemble du pays.
Une très grande partie de l’électorat jeune a voté pour lui, mais pas seulement.
Son style est évidemment surprenant et direct. Déguisé en « Général Ancap », c’est-à-dire anarcho-capitaliste, il dit défendre les libertés, le droit naturel, la propriété privée. On l’a vu tronçonneuse à la main annoncer vouloir découper la Banque centrale. Une autre fois, face à un mur de post-il où étaient inscrits les noms des ministères, il les a retirés un à un. Cela choque évidemment en France. Comme lorsqu’il dit qu’il veut supprimer la Sécurité sociale et le ministère de l’Éducation nationale. De tels propos choquent dans le pays de l’État providence qu’est la France. Mais Milei ne s’adresse pas aux électeurs français, mais argentins.
Confusions sémantiques
Depuis dimanche, la presse se vautre dans une confusion sémantique volontaire qui empêche de comprendre le phénomène Milei. Le qualifier d’ultra-libéral, de fasciste et d’extrême-droite n’apporte aucune analyse.
Les fascistes, faut-il le répéter, sont socialistes. Mussolini est membre du Parti socialiste italien et sa définition du fascisme est « Tout dans l’État, tout par l’État, rien en dehors de l’État ». Impossible donc d’être à la fois fasciste et libéral.
Extrême-droite relève du champ polémique, mais pas du champ scientifique. Qualifier d’extrême-droite est un moyen de coller une étiquette infamante, avec la volonté de nuire à la personne. Mais d’un point de vue scientifique, c’est-à-dire de l’analyse en sciences politiques, ce terme ne veut rien dire.
Libéral : là aussi, il faut préciser. Milei se définit lui-même comme « anarcho-capitaliste », ce qui n’est pas la même chose. L’anarcho-capitalisme considère qu’une société capitaliste doit se développer sans État. Donc que même les services dits « régaliens » doivent être assurés par des entreprises privées. L’anarcho-capitalisme assume les inégalités, comme conséquence des libertés. C’est donc différent de ceux qui défendent le capitalisme avec une structure étatique (type libéral classique) ou des anarchistes qui nient l’existence de la propriété privée et qui veulent abattre le capitalisme. C’est différent également des minarchistes, qui plaident eux pour un État minimal. Quant aux libertariens, ils plaident eux aussi pour un État minimal, soit fortement restreint (type minarchiste), soit quasiment inexistant (type anarcho-capitaliste). Mais les libertariens ne sont pas libertaires. C’est-à-dire qu’ils ne veulent pas d’une société gérée en commun, mais une société où les interactions entre les personnes découlent des contrats, reposant sur le droit naturel.
Ces différences sont subtiles, mais importantes. Il est vrai qu’il est plus facile de noyer tout cela dans l’ultra-libéralisme plutôt que de prendre la peine de distinguer et de présenter les différents courants de pensée et leurs auteurs.
C’est ainsi que beaucoup de commentateurs se sont étonnés que Milei soit à la fois « ultra-libéral » et en même temps opposé à l’avortement, loi sur laquelle il a promis de revenir. C’est au contraire parfaitement logique dans son système de pensée. Si l’embryon et le fœtus sont des êtres humains en tant que personne en devenir, nul ne peut leur ôter la vie puisqu’ils sont propriétaires de leur vie. Il n’est pas possible d’ôter la vie à une personne qui est hors du ventre de sa mère comme en dedans de celui-ci. Il n’y a donc pas de contradiction logique par rapport à la pensée qu’il défend.
Candidat « hors système » ?
Démocratiquement et largement élu, Javier Milei est délégitimé par les commentaires qui le présentent comme étant « populiste » et « hors système ». Là aussi, « populiste » est un concept polémique, mais absolument pas scientifique. Personne ne peut définir le populisme, concept flou, mouvant, qui veut tout et rien dire.
« Hors système » est une critique habile. Cela signifie qu’il est en dehors du système démocratique, donc que l’onction du suffrage universel ne peut pas s’appliquer à son égard puisqu’il ne respecte pas le système.
Rien n’est plus faux dans son cas. Milei s’est présenté aux primaires et aux présidentielles, il est donc bien dans le système démocratique. Il est élu député depuis deux ans, là aussi de façon légale. Il dispose d’une trentaine de députés à la Chambre, preuve qu’il n’est pas un candidat isolé, mais qu’il peut s’appuyer sur un petit groupe. Javier Milei n’est donc pas un candidat hors système.
En Argentine, comme dans tous les pays démocratiques, le président n’a pas tous les pouvoirs. Il a besoin d’une majorité à la Chambre pour pouvoir faire adopter ses lois. C’est là que son mandat pourrait être entravé. Mais il bénéficie du soutien d’une grande partie de la droite argentine. Patricia Bullrich, candidate de la droite classique, arrivée troisième du premier tour, l’a soutenu au second. Les partis de droite, dont celui de Mauricio Macri, ont annoncé soutenir son action, ce qui permet à Milei de disposer d’une majorité à la Chambre. Ayant annoncé clairement qu’elle était son programme, dans un style exubérant et outrancier, il a été largement élu sur ce programme-là, qui est celui de la tronçonneuse et des ministères supprimés. Il y aura donc de larges blocages en Argentine, mais il pourra toujours se prévaloir d’un mandat populaire clair et net qui lui donne le droit d’agir.
Il prendra ses fonctions le 10 décembre. Il faudra donc mesurer en juin puis à la fin de son mandat ce qu’il a réellement pu faire et si la pauvreté et l’inflation ont pu diminuer.
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