03 novembre 2023

Gaza : "un désastre humanitaire aux proportions bibliques"

Allocution du Représentant permanent  de la Russie à l’ONU Vassily Nebenzia lors de la réunion d’information du Conseil de sécurité sur la question palestinienne, le 30 octobre 2023.

Monsieur le Président,

Nous soutenons pleinement l’initiative des délégations des Émirats arabes unis et de la Chine visant à convoquer une réunion d’urgence sur la situation humanitaire à Gaza. C’est avec la plus grande inquiétude que nous avons écouté les évaluations de la situation sur le terrain par le commissaire général de l’UNRWA (Office de secours des Nations Unies pour les réfugiés Palestiniens) P. Lazzarini, le directeur exécutif de l’UNICEF (Fonds des Nations unies pour l’enfance) C. Russell et le directeur d’OCHA (Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires) L. Doughten.

Collègues,

Le moment est venu d’appeler les choses par leur nom : un désastre humanitaire d’ampleur biblique se déroule dans les territoires palestiniens occupés, à savoir la Cisjordanie et la bande de Gaza. Selon les informations reçues, le bilan des morts dans l’enclave a dépassé les 8 000 personnes, dont la moitié sont des enfants, des femmes et des personnes âgées. Plus de 2 000 personnes restent sous les décombres, dont la moitié sont également des enfants. Plus de 21 000 personnes ont été blessées. Le nombre de personnes déplacées à Gaza a atteint 1,6 million. Rien que dans les camps de l’UNRWA, 640 000 Palestiniens ont trouvé refuge. En Cisjordanie, plus de 100 personnes ont été tuées et 3 000 blessées.

Ces terribles statistiques augmentent d’heure en heure. Nous exprimons notre gratitude à tous les humanitaires « sur le terrain » qui travaillent dans des conditions extrêmes face à une pénurie catastrophique de fournitures de base, y compris médicales, et avec des risques pour leur vie extrêmement élevés. L’ampleur des pertes des agences des Nations Unies est choquante : 64 membres du personnel tués, 22 blessés et 42 installations de l’UNRWA détruites. Nous rendons hommage au personnel des Nations Unies qui continue de travailler dans des conditions impensables et à ceux qui ont payé le prix ultime. Selon les médias, deux soldats de la FINUL ont été blessés lors d’un bombardement israélien sur la Ligne bleue (à la frontière libanaise). Al-Quds, le plus grand hôpital de Gaza, est menacé d’attaque par l’armée israélienne, l’aviation israélienne frappant des sites situés à seulement 50 mètres de l’hôpital, ce qui rend une évacuation immédiate absolument nécessaire. Près de 640 000 personnes déplacées ont trouvé refuge dans 150 installations de l’UNRWA à travers la bande de Gaza. À la suite des bombardements, 9 hôpitaux ont été complètement mis hors service et les autres sont confrontés à de graves pénuries de médicaments.

Le blocus de la bande de Gaza est devenu pratiquement global. L’enclave a été déconnectée du service Internet et de la téléphonie mobile et est tout simplement coupée du reste du monde. Personne ne sait avec certitude ce qui s’y passe. Un tel blocus ne sème pas seulement davantage de panique parmi les civils, il compromet directement le travail des services médicaux et de secours, ce qui entraînera de nouvelles victimes civiles. Pour la même raison, le passage d’un convoi humanitaire par le point de contrôle de Rafah le 28 octobre n’a pas pu être convenu. Nous condamnons fermement de tels actes, en particulier dans une situation où, après la rupture des communications, l’enclave a été confrontée aux frappes aériennes les plus puissantes depuis le début de l’escalade.

Face aux hostilités actives, la réponse humanitaire reste nominale. Seuls 94 camions en provenance d’Égypte sont passés par le passage de Rafah, qui est le seul, depuis le 21 octobre, et Israël aurait entravé même ces maigres livraisons. En conséquence, il y a une grave pénurie de tout – eau, carburant, nourriture, médicaments – et la population est effrayée et désespérée.

Le 28 octobre, par décision des dirigeants militaires et politiques d’Israël, les forces armées de ce pays ont lancé une opération militaire terrestre dans la bande de Gaza, ignorant la position clairement exprimée la veille par la communauté mondiale dans une résolution de l’Assemblée Générale de l’ONU. Après des frappes aériennes intensives, l’armée israélienne a commencé à pénétrer dans l’enclave par plusieurs directions : au sud, dans la zone du camp de réfugiés de Bureij et dans la ville de Khan Younis, et au nord, dans la région de Beit Hanoun.

Collègues,

Les autorités israéliennes appellent leurs actions de diverses manières : étendre leurs opérations ou préparer une base solide. Mais ce n’est pas le sujet. Le fait est que, malgré la réaction sans équivoque du monde, Jérusalem-Ouest [dénomination étrange, car la Russie reconnait Tel-Aviv comme capitale d’Israël] a commencé à mettre en œuvre ses plans visant à « nettoyer » l’enclave.

Ce que nous avons entendu en réponse, ce sont les évaluations du ministre israélien des Affaires étrangères, qui a déclaré : « Nous rejetons catégoriquement l’appel méprisable de l’Assemblée générale des Nations Unies en faveur d’un cessez-le-feu ». Les commentaires du Représentant permanent d’Israël selon lesquels l’ONU a perdu sa légitimité ne sont pas non plus passés inaperçus. Les déclarations (qui ont été largement diffusées dans les médias) d’un certain nombre de représentants à la Knesset, qui ont déclaré qu’il n’y avait « aucune symétrie » dans la réponse d’Israël et que « les enfants de Gaza étaient responsables de cela », sont vraiment choquantes.

Malheureusement, ce qui ressort clairement de cela, c’est qu’Israël ignore de manière flagrante les opinions de la grande majorité des membres de l’ONU, y compris de nombreux pays occidentaux, sur la nécessité de mettre fin à la violence.

Cette situation désastreuse est due au fait qu’en raison de la position des États-Unis, le Conseil de sécurité a été pratiquement paralysé et n’a pas encore été en mesure d’adopter une résolution exigeant un cessez-le-feu urgent. Nous avons lancé de telles initiatives à deux reprises, mais Washington et Jérusalem-Ouest ont des plans très différents : exterminer la population de Gaza ou « l’évincer » de la bande, et assimiler le reste de la population palestinienne en Israël afin de résoudre le problème palestinien.

Dans le contexte d’une escalade sans précédent du conflit palestino-israélien, nous ne pouvons manquer de noter l’actuelle montée des tensions à la frontière syro-israélienne, associée à une ingérence extérieure active combinée à la présence militaire illégale des États-Unis dans le nord et le nord-est de la République arabe syrienne.

Le 26 octobre, les forces américaines, sous les ordres du président Biden, ont frappé deux sites près de la ville d’Abou Kemal, dans l’est de la Syrie. Washington a déclaré que l’attaque avait été menée dans le cadre de l’exercice du soi-disant droit de « légitime défense », à la manière américaine bien sûr, à des milliers de kilomètres du territoire américain. De telles actions illégitimes et injustifiées de la part de Washington ne sont rien d’autre qu’une violation flagrante de la souveraineté de la Syrie et des normes du droit international. Aujourd’hui, de telles actions violentes illégitimes sont lourdes de conséquences extrêmement dangereuses, car elles peuvent provoquer une escalade armée à l’échelle régionale.

Collègues,

Le temps des demi-mesures et des appels elliptiques « sans enthousiasme » est révolu. Aucune pause humanitaire n’aidera. On ne peut pas fournir d’aide humanitaire en pleine guerre sur le terrain. J’espère que tout le monde ici comprend cela. Les victimes parmi les travailleurs humanitaires se comptent déjà par dizaines, des ambulances ont été détruites par les bombes et les autres ne peuvent pas fonctionner faute de carburant. Les passages humanitaires bien intentionnés sont certes importants, mais ils ne suffiront pas à arrêter la guerre.

La tâche prioritaire de la communauté internationale aujourd’hui est de mettre un terme à l’effusion de sang, de minimiser les dégâts causés à la population civile et de faire évoluer la situation vers une voie politique et diplomatique. Il est nécessaire de consolider les mesures collectives visant à relancer un processus de négociation à part entière entre Israéliens et Palestiniens afin de mettre en œuvre la formule à deux États approuvée par l’ONU. Cette solution devrait servir de base à l’établissement d’un État palestinien indépendant dans les frontières de 1967, avec Jérusalem-Est pour capitale, coexistant en paix et en sécurité avec Israël.

Monsieur le Président,

Il y a une question que je voudrais poser au représentant américain. Pourquoi êtes-vous contre un cessez-le-feu ? Cela signifie-t-il que les États-Unis, membre permanent du Conseil de sécurité, soutiennent la doctrine de la « puissante vengeance » à Gaza ? Où est votre sympathie pour les civils, que vous exprimez avec tant d’éloquence à chaque réunion du Conseil sur l’Ukraine ? Et cela malgré le fait que la vie des civils en Ukraine est loin d’être aussi risquée que celle des Palestiniens à Gaza. Ou bien pensez-vous uniquement aux victimes du continent européen, sans vous soucier de la vie des Palestiniens ?

Même question pour les autres délégations occidentales au Conseil qui se sont honteusement abstenues lors du vote sur les projets de résolution proposés par la Russie et appelant à un cessez-le-feu. Chers collègues, votre double standard est plus qu’évident. Les peuples de vos propres pays, où se déroulent des manifestations massives de soutien aux Palestiniens, exigent déjà des comptes pour ce double jeu.

Dans cette situation, la Russie déploie des efforts intensifs de désescalade sur le terrain, visant à résoudre la crise le plus rapidement possible. Nous avons envoyé un message sans équivoque à toutes les parties concernées : il doit y avoir un cessez-le-feu immédiat et les couloirs humanitaires doivent être sécurisés afin de fournir une aide urgente à tous ceux qui en ont besoin.

Le président Poutine a été très clair : nous rejetons et condamnons résolument tout acte terroriste. Nous présentons nos condoléances à tous ceux qui ont perdu leurs proches en Israël, en Palestine et dans d’autres pays. Mais même si nous condamnons le terrorisme et les prises d’otages et exigeons la libération inconditionnelle des otages, nous sommes fermement en désaccord avec l’idée qu’une réponse au terrorisme puisse violer les normes du droit international humanitaire, notamment celles du droit international humanitaire en ce qui concerne le recours aveugle à la force contre des infrastructures civiles où la présence de civils est connue.

Outre la tâche urgente consistant à mettre fin à cette spirale de violence, nous devons également convenir immédiatement d’une stratégie d’action collective en vue d’un règlement politique du conflit. Le Quatuor de médiateurs internationaux avait pour mission de promouvoir un règlement politique. Toutefois, les États-Unis ont tout fait pour affaiblir cet instrument efficace.

Ce qui est désormais à l’ordre du jour, c’est la formation d’un mécanisme de médiation collective dans lequel les États régionaux se verraient attribuer un rôle significatif. Les tendances positives apparues au Moyen-Orient avant la récente aggravation de la situation à Gaza en témoignent de manière éloquente. Je parle de la normalisation saoudienne-iranienne, de la réintégration de la Syrie dans la Ligue des États arabes et de l’amélioration progressive des relations syro-turques. Tout cela prouve que lorsque les pays de la région prennent la situation en main et ne sont pas soumis aux pressions des acteurs extra-régionaux, ils font de solides progrès vers la stabilisation au Moyen-Orient.

Compte tenu de l’escalade croissante dans l’enclave palestinienne et des conséquences impensables pour la population civile qui a été coupée de l’approvisionnement extérieur, nous pensons qu’il est important d’organiser régulièrement des séances d’information ouvertes sur la question, comme celle d’aujourd’hui. La situation humanitaire dans la bande de Gaza doit rester au centre de notre attention particulière, sans discrimination, comme c’est le cas pour d’autres crises.

Monsieur le Président,

Certains collègues, dans une tentative de détourner l’attention des événements dramatiques autour du conflit israélo-palestinien, ont évoqué l’incident du 29 octobre à l’aéroport de Makhachkala, dans la République du Daghestan, en Russie.

Les dirigeants russes, les représentants des autorités régionales et le clergé musulman ont déjà fourni des commentaires exhaustifs sur la question. La commission d’enquête de la Fédération de Russie, qui a ouvert une procédure pénale concernant les rassemblements, donnera une évaluation juridique des actions des manifestants. Des dizaines d’émeutiers ont été arrêtés et interrogés, et des poursuites sont en cours.

Toute action illégale est inacceptable. Cependant, la tentative de présenter un rassemblement non autorisé à l’aéroport comme une « explosion » d’une sorte de sentiment antisémite dans la société russe, en particulier dans le Caucase du Nord, est inacceptable. Cette région est depuis longtemps un exemple de coexistence pacifique et amicale entre les représentants de nombreuses ethnies. La société russe, contrairement à la société occidentale, est étrangère aux manifestations d’hostilité et d’intolérance ethnique, raciale ou religieuse. Les représentants de toutes les confessions majeures que sont le christianisme, l’islam, le judaïsme et le bouddhisme coexistent pacifiquement dans notre pays depuis longtemps.

Comme le confirment les rapports des forces de l’ordre russes, les événements survenus hier à Makhachkala montrent clairement des traces d’ingérences extérieures, notamment une influence massive de l’extérieur à travers les réseaux sociaux. Ne soyez pas surpris, mais les traces mènent à l’Ukraine. Ceux qui souhaitent du mal à la Russie cherchent à profiter de la situation et à jouer sur les sentiments des musulmans russes sur fond d’images choquantes de Gaza qui montrent l’horreur de ce qui s’y passe, à savoir la mort de femmes, d’enfants, de personnes âgées et de personnel médical.

Nous recommandons à certains de nos collègues occidentaux de ne pas chercher à détourner l’attention mais de prêter attention à la situation dans leurs capitales, où de nombreuses manifestations musulmanes font rage et sont violemment réprimées par la police. Et ce malgré l’engagement déclaré des autorités des pays occidentaux en faveur du multiculturalisme et de la liberté d’expression. Merci.

***

Droit de réponse

Monsieur le Président,

Je serai bref. Je considère le dernier commentaire de mon collègue américain comme un aveu. Nous n’avons pas entendu de réponse à la question que nous avons posée. Aux nombreuses questions, je dirais.

Je voudrais lui poser une question rhétorique à laquelle je n’exige pas de réponse (puisque la question est rhétorique, la réponse est évidente). Combien de fois les États-Unis ont-ils initié une réunion sur la situation humanitaire à Gaza au cours de la récente crise ? Et avant ça ?

Merci.

Source : Mission permanente de la Russie à l’ONU

Traduction : lecridespeuples.fr

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