Aux considérations théologiques et métaphysiques de Douguine et du sionisme, – qui sont moins ‘sexy’ que les nouvelles des ‘fronts’ et les annonces des voyants complotistes et des complotistes voyants, mais qui sont ô combien plus importantes, – on passera à des considérations tactiques générales sans chercher de cimier stratégique convenable comme intermédiaire pourtant essentiel et nécessaire. C’est simplement et tristement parce qu’il n’y a pas de cimier stratégique, convenable ou pas, et l’on résume assez bien le caractère extrêmement déséquilibré et instable de la situation militaire où aucune structure stratégique n’est en place par manque de stratèges et absence complète de structures disponibles. La guerre y est vraiment comme un sans-abri puant dans les rues de San Francisco.
On attend depuis dix-huit mois l’effondrement russe en Ukraine et l’on obtient l’inverse ; le 7 octobre en Israël a éclaté un événement dans des conditions de surprise bien pires, bien plus catastrophiques, bien plus infâmes qu’à Pearl-Harbor. En décembre 1941 à Pearl Harbor, – on vous laisse de côté les écrasantes hypothèses des épuisants complots sur les coups fourrés de Roosevelt, – au pire on ignorait ce qu’il allait arriver mais l’on savait qu’il allait arriver quelque chose. Ici, rien de semblable ! Quelques jours avant le 7 octobre, Jack Sullivan écrivait « Le Moyen-Orient n’a jamais été aussi calme depuis plusieurs décennies », – et il y croyait.
Donc, directement passer à la tactique, – sans savoir ni pourquoi, ni comment, ni dans quel but, – toutes questions stratégiques essentielles et essentiellement stratégiques impossibles à poser. (Nous sommes dans une époque métahistorique sans stratégie.)
Les USA, guerre secrète et interne
D’abord, le fait nouveau est le développement de troubles, d’affrontements semble-t-il très sérieux entre des troupes et bases US installées en Syrie (illégalement) et en Irak, de la part de milices à prédominance et forte influence syrienne et iranienne. On se répète avec insistance : les affrontement semblent très sérieux, mais ils sont dissimulés, gardés secret, pour veiller à la côte électorale du président, chose si importante.
Alexandre Mercouris en faisait état avec insistance avant-hier dans son programme, en citant exclusivement un texte de Larry S. Johnson du 8 novembre, auquel il accordait le plus grand crédit comme il l’expliqua pendant près de cinq minutes. Si l’on tient compte du décalage (Johnson le 8 novembre, Mercouris le 10 novembre) et des liens noués de confiance entre ces commentateurs, avec un Johnson dans le circuit des VIPS notamment (ex-professionnels du renseignement), on peut être sûr que Mercouris a contacté Johnson et recueilli suffisamment de confirmation auprès de lui, de la validité de ses sources, pour confirmer l’importance extrême de ces informations, et des combats où se trouvent engagés les forces US. Voici le passage du texte de Johnson cité par Mercouris :
« Alors que l'attention du monde entier est focalisée sur la guerre qui fait rage entre Israël et le Hamas, la confrontation militaire entre les États-Unis et le Hezbollah s'intensifie. Depuis les attaques du Hamas le 7 octobre et les représailles israéliennes qui ont suivi, les bases militaires et les avant-postes américains en Syrie et en Irak font face à des attaques quotidiennes à la roquette, au missile et au mortier. J'ai appris aujourd'hui par quelqu'un qui visite régulièrement le centre médical Walter Reed à Bethesda, dans le Maryland, que les services s’accueil reçoit en nombre important des militaires américains blessés lors des récentes attaques contre ces bases. La Maison-Blanche et le ministère de la Défense s'emploient activement à étouffer cette information, apparemment par crainte que l'opinion publique américaine ne réagisse à la nouvelle des pertes subies et n'accentue la pression pour que les États-Unis se retirent d'Irak et de Syrie. »
Cette grave dérive sur le terrain fait se renforcer une pression catastrophique pouvant conduire à un affrontement direct entre les USA et l’Iran, et pas dans les meilleures conditions pour les USA puisque ne profitant pas d’un engagement surprise et massif de leurs forces aériennes. La retenue iranienne, comme celle du Hezbollah est considérée par les pays arabes comme un ultime geste de bonne volonté, au milieu d’une fureur antiaméricaniste grandissante dans toutes les grandes diplomaties arabes, – cette fois directement justifiée par le refus US de tenter sérieusement de bloquer l’action israélienne à Gaza.
Ce point nourrit une attitude totalement inédite dans la bureaucratie de sécurité nationale US, jusqu’aux plus hauts niveaux, notamment des ambassades US dans les pays arabes. ‘SputnikNews’ cite notamment un article sensationnel de CNN détaillant des dépêches diplomatiques relayant la colère arabe dans les pays d’où elles proviennent, et les justifiant eux-mêmes par une critique sévère de cette politique.
Deux câbles diplomatiques récemment divulgués aux médias américains avertissent que le soutien américain à la campagne militaire sanglante d’Israël à Gaza cause des dommages à l’image du pays qui pourraient ne jamais être réparés.
« “Nous perdons beaucoup dans le champ de bataille de la communication”, indique mercredi un câble émanant de l’ambassade américaine à Oman. Il prévient que le fort soutien américain à Israël est considéré “comme une culpabilité matérielle et morale dans ce qu’ils considèrent comme de possibles crimes de guerre”.
» Le câble était adressé à plusieurs responsables du Conseil de sécurité nationale de la Maison Blanche, de la CIA et du FBI.
» Un autre câble divulgué de l’ambassade américaine en Égypte citait un éditorial d’un journal local affirmant que “la cruauté et le mépris du président Biden envers les Palestiniens dépassaient ceux de tous les présidents américains précédents”. Ces câbles reflètent une opposition mondiale croissante aux actions d’Israël, alors que le pays a récemment été la cible de vives critiques de la part des gouvernements du monde entier.
» Mais la correspondance diplomatique divulguée souligne que les critiques du monde arabe s’étendent également aux États-Unis, le président américain Joe Biden ayant exprimé son soutien indéfectible à l’allié du pays au Moyen-Orient. Le président américain a récemment affirmé qu’il n’y avait “aucune possibilité” d’un cessez-le-feu israélien à Gaza, interrogé sur le sujet lors d’une conférence de presse jeudi. »
A propos de cet article de CNN et des cables qu’il cite, avec notamment le détail des critiques antiaméricanistes qui sont considérées dans les comportements diplomatiques US comme une façon de prendre indirectement à son compte ces critiques, Mercouris le qualifie d’« événement exceptionnel de la part d’un média toujours aligné scrupuleusement sur l’administration... L’empilement de ces dépêches, la coordination de leur envoi à Washington font songer à une telle coordination que l’on peut quasiment parler d’une mutinerie au sein du corps diplomatique US.. »
Tout cela ne permet guère de peindre un tableau qui serait tout sauf noir de la situation des USA, alors que les pays arabes et musulmans se tiennent en réunion d’urgence à Ryad, dans une ambiance dominée par la réconciliation entre l’Iran et l’Arabie et selon une couleur de la musique renvoyant à un discours général extrêmement dur de l’Iran (« Le temps n’est plus aux paroles mais aux actes »).
Israël à double tour
Le côté israélien, gouvernement et Netanyahou en tête, ne faiblit pas d’un pouce. Sa position est toujours aussi dure, aussi ferme, voire de plus en plus pour certains, – et l’on peut imaginer lesquels. Le journaliste Uri Misgav écrit dans ‘Haaretz’, – montrant par là et par ailleurs que les très fortes divisions à l’intérieur d’Israël existent toujours, mais avec les extrémistes, ultranationalistes apocalyptiques juifs, qui le sont de plus en plus conformément au plan divin...
« Leurs yeux brillent. Ils sont en extase. De leur point de vue, ce sont les jours du Messie. La grande opportunité. Cela fait partie intégrante des opinions fondamentalistes, dans toutes les religions. La croyance en une apocalypse, en Armageddon, en Gog et Magog, comme seul moyen de rédemption.
» Dans le cas des sionistes ‘haredim’, il s'agit d'un double fantasme : la domination juive totale sur toute la zone allant de la mer Méditerranée au Jourdain, en conjonction avec l'effacement de l'existence des Arabes, et l'émergence d'un État halakhique sur les cendres de l'Israël libéral-démocratique d'aujourd'hui [...] Cela explique le discours sur une ‘seconde Nakba’ et d'autres dérives du même genre.
» De nombreux sionistes ‘haredim’, dont certains sont des administrateurs publics, considèrent cette terrible crise comme une opportunité et même comme un plan divin. Cette extase sévit dans la société, dans la politique, mais aussi parmi les militaires, car au sein de l'armée, il existe un courant sioniste ‘haredim’ bien implanté.. ».
#GideonLevy, éditorialiste fameux, également à #Haaretz, est moins optimiste quant à la société israélienne où il trouve moins de nuances qu’un consentement unanime et sans nuances à un regard fermé sur les évènements. Son analyse est expéditive et évoque une fermeture à double tour de l’esprit et son rejet de tout jugement critique ; ainsi le confort courant est-il assuré sans véritable effort, avec en plus des applaudissement voire des ‘bis’ à l’armée israélienne et à son héroïsme :
« La société israélienne s'est enfermée derrière des boucliers, des murs, non seulement physiques mais aussi mentaux. Je vais simplement énoncer les trois principes qui nous permettent, à nous Israéliens, de vivre avec cette réalité brutale :
1) la plupart, sinon tous les Israéliens, croient profondément que nous sommes le peuple élu. Et si nous sommes le peuple élu, nous avons le droit de faire ce que nous voulons !
2) il n'y a jamais eu dans l'Histoire une occupation où l'occupant se présentait comme la victime. Non seulement la victime, mais la seule victime ! Cela permet également à tout Israélien de vivre en paix parce que nous sommes les victimes !
3) le troisième ensemble de valeurs est le plus dangereux. C'est la déshumanisation systémique des Palestiniens, qui nous permet à nous, Israéliens, de vivre en paix avec tout, car s'ils ne sont pas des êtres humains comme nous, alors il n'est nullement question de droits de l'homme ! »
2) il n'y a jamais eu dans l'Histoire une occupation où l'occupant se présentait comme la victime. Non seulement la victime, mais la seule victime ! Cela permet également à tout Israélien de vivre en paix parce que nous sommes les victimes !
3) le troisième ensemble de valeurs est le plus dangereux. C'est la déshumanisation systémique des Palestiniens, qui nous permet à nous, Israéliens, de vivre en paix avec tout, car s'ils ne sont pas des êtres humains comme nous, alors il n'est nullement question de droits de l'homme ! »
La détermination destructrice de l’armée israélienne et des ultra-extrémistes est bien symbolisée par la réponse du ministre de la défense Yoav Gallant, un ultra-orthodoxe sioniste qui nous a déjà expliqué que les Palestiniens sont des “animaux”. Interrogé sur les dernières interventions de communication du Hezbollah parlant de la menace d’une intervention possible, Gallant, le visage glacé et la parole coupante, a répondu ceci qui permet de comprendre qu’il n’est absolument pas dans les plans de ‘Tsahal’ d’envisager quoi que ce soit qui ressemblât à une “pause humanitaire”, – sans parler, bien entendu, d’un mythique cessez-le-feu, curieuse idée probablement pour lui, qui rejoint les rêveries des pouponnières des gentilles démocraties occidentalistes.
« Ce que nous avons fait à Gaza, nous pouvons le faire à Beyrouth... »
Plan de bataille
On s’arrête aux paroles menaçantes et au bombardement totalitaire ? En fait, il existe d’autres possibilités que celles qui nous font rester dans le périmètre des villes dévastées où les Israéliens avancent beaucoup, beaucoup moins aisément qu’ils n’avaient prévu. Ces possibilités supposent un élargissement de la guerre, comme par exemple des menaces contre le passage du détroit d’Ormouz pour geler les ravitaillement américaniste... C’est en effet se tourner vers l’ennemi américaniste d’une façon qui l’oblige à intervenir plus avant.
En général, les commentateurs, – c’est le cas de Mercouris, par exemple, – jugent qu’un énorme déploiement de forces Us vient d’être réalisé, qui fait craindre le pire, y compris une attaque de l’Iran. Cela nous semble très exagéré.
Comme d’habitude, ce système de concentration des forces dans la région concerne d’abord l’Iran et se fait autour de groupes de porte-avions d’attaque. Mais cette fois, il y a deux points de fusion, le Hezbollah et l’Iran, ce qui a obligé à scinder la force des porte-avions en deux (le ‘Eisenhower’ passant le Canal de Suez pour être déployé face à l’Iran et à proximité du détroit d’Ormouz). Un seul groupe de porte-avions face à l’Iran, c’est vraiment très peu, – trop peu. On se rappelle qu’en 2006-2007 lorsque l’attaque de l’Iran était au menu, c’était en fait trois groupes de porte-avions qui étaient nécessaires... Et encore ceci :
• Aujourd’hui, l’Iran est bien, plus puissante et les USA bien plus faibles.
• Tenter quelque chose contre l’Iran aujourd’hui, avec un seul groupe de porte-avions (l’autre étant décidément immobilisé par les possibilités d’action du Hezbollah), c’est même très dangereux. L’Iran a des armes antinavires, – voire des missiles hypersoniques, qui sait ? Qui sait ce qu’il pourrait arriver.
• Enfin, si la Navy devient menaçante, les pressions d’attaques terrestres locales contre des bases US s’intensifieront. Ce problème des bases isolées est qu’elles deviennent vite des otages menacées par des unités hybrides de “la Résistance” en général. Cela éparpille les possibilités de guerre, rend moins possible une attaque massive contre des objectifs fuyant ; par contre, la Navy offre aux Iraniens de superbes cibles, bien grosses et bien visibles... C'est par là, dans des des affrontements hybrides, que les engagements vont dégénérer inévitabvlement en conflit ouvert entre les USA et l'Iran.
• Tant que la tuerie durera autour d’Israël et du fait d’Israël, l’Iran sera comme un nid de moustiques prêts à larguer l’un ou l’autre essaime pour piquer méchamment tel ou tel point de forces US dans la région. Cela, d’autant plus que l’environnement est extraordinairement hostile avec l’humeur des pays musulmans. Cette protection américaniste d’Israël est aussi bien un piège où les forces s’offrent éventuellement à devenir des otages.
La partie qui se joue est serrée, de plus en plus serrée, et il nous paraît bien difficile que les USA (et l’Iran bien entendu) n’y soient pas impliqués, à un moment ou l’autre, d’une façon ou l’autre.
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