Devant un parterre de députés européens, la présidente de la Banque centrale européenne Christine Lagarde a défendu lundi bec et ongle le projet d’euro numérique porté par l’institution monétaire, assumant au passage l’absence d’anonymat associé à cette monnaie. De quoi susciter les craintes des défenseurs des libertés individuelles, qui s’inquiètent de voir s’enchaîner ces derniers mois les propositions et les adoptions de textes de lois perçus comme liberticides.
C’est un sujet d’inquiétude pour les défenseurs du respect à la vie privée. D’ici à 2027 ou 2028, l’euro numérique, un moyen de paiement électronique destiné à être utilisé dans le commerce de détail parallèlement à l’argent liquide et géré par la Banque centrale, devrait être déployé sur l’ensemble du territoire européen. Cependant, pour l’heure, aucune date certaine ne peut être communiquée avant la réunion du Conseil des gouverneurs de la BCE en octobre prochain, a indiqué Christine Lagarde, interrogée le 25 septembre par les députés de la Commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen. Toutefois, un projet pilote de deux ans devrait voir le jour à son issue, durant l’automne.
« Comment garantir la vie privée sans garantir l’anonymat ? »
Sur l’épineux volet touchant à la confidentialité de l’e-euro, l’ancienne ministre de l’Économie ne s’est pas cachée derrière son petit doigt : « Nous travaillons à protéger la vie privée mais puisque l’argent numérique laisse une trace sur la blockchain, cela ne sera pas entièrement anonyme comme c’est le cas avec un billet de banque », a-t-elle prévenu.
Un propos qui a laissé certains députés sceptiques sur ce projet. « Faites-vous une différence entre anonymat et vie privée ? Comment garantir la vie privée sans garantir l’anonymat ? », a par exemple demandé le député européen allemand Gunnar Beck (AfD) à Christine Lagarde.
« Est-ce que la BCE verra comment les données des gens, comment les gens dépensent leur cash numérique ? Non », a assuré la cheffe de la BCE : « Le système utilisera les banques commerciales comme intermédiaires pour diffuser l’euro numérique. Les banques auront accès à des données, c’est vrai. Mais elles ont aujourd’hui déjà accès à des données. (…) C’est la banque commerciale qui analysera ces données et les partagera avec l’utilisateur ».
Pour autant, pas question de lancer un euro numérique qui autorise l’anonymat des transactions, comme le permettent les paiements en espèces : « Procurer l’anonymat que les billets de banque offrent, c’est contraire à l’objectif de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Les données ne seront pas à la disposition de la BCE, ce ne sera pas une BCE Big Brother qui va se pencher sur le détail des transactions. »
« 1984 a eu un peu de retard mais nous y voilà pour de bon »
Cette inquiétude est particulièrement présente au sein de la communauté crypto, notamment chez les utilisateurs de bitcoin qui souhaitent protéger leur vie privée, redoutant une BCE « Big Brother ». « Contrairement au cash, on pourra avec les monnaies digitales de banques centrales savoir qui utilise l’argent et pourquoi ! 1984 a eu un peu de retard mais nous y voilà pour de bon », n’avait pas hésité à tonner Gilles Cadignan, co-fondateur de la société crypto Woleet, dans une interview sur BFM Crypto en novembre dernier.
« La monnaie numérique, couplée à l’identité numérique, sont les deux jambes du crédit social. On y va tout droit », s’est alarmée de son côté sur X la chroniqueuse Béatrice Rosen devant cette annonce. » « Encore une fois, les « complotistes » avaient raison… adieu liberté ! », s’est pour sa part exclamé l’eurodéputé Gilbert Collard.
Les internautes n’ont d’ailleurs pas manqué de rappeler que cette annonce est intervenue au même moment où le gouvernement français a, de son côté, finalement fait savoir qu’il envisageait de prolonger la vidéosurveillance algorithmique au-delà de sa phase expérimentale.
Les libertés en danger
« À titre expérimental et jusqu’au 31 mars 2025 […] les images collectées au moyen de systèmes de vidéoprotection […] peuvent faire l’objet de traitements algorithmiques », précise la loi du 19 mai 2023 relative aux jeux Olympiques de 2024. Pour autant, la ministre des Sport Amélie Oudéa-Castéra a annoncé le 24 septembre sur France 3 que ce dispositif pourrait, finalement, être exploité de façon pérenne s’il « fait ses preuves ».
Un projet qui, par son caractère vague, suscite critiques quant à d’éventuels abus et inquiétudes sur les libertés individuelles. « Dans notre pays, la liberté de circuler devrait être la norme. À présent, suivre un opposant politique devient aisé. […] Il y a fort à parier qu’un tel système ne pourra que conduire à l’arrestation systématique d’un grand nombre de personnes faisant malheureusement partie de la “mauvaise base de données“ », alertait à ce sujet le juriste Marc Gotti auprès d’Epoch Times.
L’annonce de l’euro numérique et de la pérennisation de la vidéosurveillance algorithmique ne sont pas les seuls projets étatiques au cours des derniers mois qui ont soulevé des préoccupations. Digital Services Act, projet de loi contre le « climatoscepticisme » dans les médias, article 3 de la loi « Orientation et programmation du ministère de la Justice 2023-2027 » qui habilite la police à pirater les smartphones en vue de les espionner, ou encore projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique (SREN) : autant de textes législatifs jugés liberticides qui ne manqueront pas d’alimenter les inquiétudes à propos des dangers pesant sur les libertés publiques.
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