25 octobre 2023

Manipulations et scénarios du pire


Avec son expérience personnelle des dynamiques de conflits et une vision fine des (auto-)manipulations psychologiques auxquelles donnent lieu toutes les guerres, Alexandre N nous propose une lecture originale de ce qui se joue au Proche-Orient. En fait, il nous montre comment réfléchissent les conseillers militaires des gouvernants partout où les États assument des politiques de puissance. On formule des hypothèses, au besoin “limites”, pour identifier les failles des autres puissances. Et pour se préparer au pire.

À la guerre c’est presque toujours pareil, dans la première phase :

– on se rue d’abord pour « se foutre allègrement » sur la gueule,

– puis, la fatigue aidant, on se calme un peu pour commencer seulement à … essayer de voir plus loin,

– une fois retombée la poussière de ce premier et forcément irrésistible élan s’impose un premier bilan lequel débouche – imparablement – sur l’horrible constat que la suite de la guerre pourrait consister à devoir « gérer » toutes les erreurs commises !

Un autre classique du genre est le mode de déclenchement d’une guerre, jamais le hasard mais toujours par une manipulation. Son but ? Tout d’abord masquer une intention cachée d’un coté ou de l’autre, parfaitement inavouable ainsi que son origine bien sûr, mais et dont il est estimé que seul la guerre puisse permettre de la réaliser. Pour enclencher alors le processus irréversiblement, on crée un effet de choc sensé faire sa propre population dans la guerre et de telle sorte que « l’autre » en porte la responsabilité évidente. Dernier point : il faut en préserver le secret ad æternam. Comment ? Par simple inversion accusatoire comme par exemple traiter de complotisme ce qui dénonce le vrai complot. Ce n’est plus ensuite qu’une simple question de sonorité médiatique. Pas mal, pas mal …

Exemples de ce type de manipulation :

– qui a assassiné (ou fait assassiner) l’archiduc et pourquoi ? Les services anglais, pour le reste : cherchez.

– pourquoi Yamamoto attaque-t-i Pearl Harbour sachant que c’est un piège ? Parce que « on » a tout fait pour que le Japon tombe dans le piège justement, tout en ne prévenant surtout pas les marins qui allaient prendre le coup. Pourquoi ? Pour faire sortir le peuple américain de son isolationnisme béat. Difficile en effet de faire la guerre avec … Qui ? Pas les Anglais pour une fois, mais qui pourtant s’en vantent.

Manipulation, déclenchement et enlisement des conflits

Sonorité médiatique : les médias justement, parlons-en. Ils sont la principale clé de voûte du contrôle social, ce pourquoi en cas de conflit ils basculent en mode propagande de guerre. C’est d’autant plus facile quand ils n’ont qu’un proprio comme aujourd’hui, autant dire qu’il n’y a plus qu’un seul média, mais « multifacettes » pour faire croire que …

Comme disait Talleyrand, un vrai professionnel : « quand on a besoin du peuple, simplement suffit-il de l’agiter ». Or faire la guerre on a besoin du peuple, mais le plus servile possible cependant. C’est donc à la propagande de guerre d’« agiter » en permanence le peuple, avec entre autres effets attendus qu’il n’y comprend strictement rien d’autre que ce que les médias racontent. Ce n’est plus discorde chez l’ennemi, c’est confusion chez l’ami.

L’autre nom de la propagande est aujourd’hui « l’information objective » ou « fact-chekée » dont précisément les médias établis ont le monopole. Le but est aussi de fabriquer des fanatiques avec les psychopathes de services ( 5 % de la population ), afin qu’ils « entraînent » les autres jusqu’au sacrifice si affinités. Ce mécanisme serait idéal s’il n’était lui-même entaché de sérieux défauts, dont le moindre n’est pas celui qui veut que le propagandiste finit lui-même par croire en sa propre propagande. C’est comme un virus. Un autre de ses défauts pas négligeables non plus est qu’on finit même par croire que la propagande peut gagner la guerre toute seule, comme l’armée de l’air … Allez demander aux nazis ou aux communistes si c’est vrai.

Donc le principe implicite est de tuer la vérité, non sans générer là encore pas mal de confusion. Certains s’imaginent ainsi que « la vérité est le premier mort de la guerre ». Faux : même en temps de paix elle est déjà au trois quarts moribonde. Le premier mort de la guerre c’est le plan stratégique, ce qui explique le troisième temps du mécanisme de la guerre dans sa phase initiale, la mise à jour de l’incompétence dont on a fait preuve. Dit autrement, la conscience commence à revenir quand on se rend compte que « ça n’était pas dans le plan ». C’est ça le sel de la guerre.

Exemple archétypique : le plan de l’inénarrable général allemand Schlieffen avant 1914 – qu’il a mis des années à concocter et qui se relevait même la nuit pour le peaufiner. Imparable pour les Allemands, sauf qu’ils cherchent toujours là où il a manqué l’objectif. On connaît la suite : von Kluge désobéit, déclenchant le miracle de Marne – dont on ne sait toujours pas qui a gagné cette bataille -, puis c’est la course éperdue jusqu’à la mer … et après ? Après on s’enterre de part et d’autre d’une ligne appelée « front ». Elle fait 1000 km de long, mais ne bougera quasiment pas pendant 4 ans malgré pas mal de millions de morts … Pourquoi cela ? Parce que dans ces cas là c’est toujours l’erreur qui a tort. On a donc fait passer l’incompétence pour de l’intelligence en inventant la merveilleuse formule de « guerre d’usure » : « Je vais les saigner » affirme Falkenhayn, « Je les grignote », rétorque Joffre ». Et ça dure quatre ans comme ça, jusqu’à ce que le peuple allemand meure de faim et lèvent les pouces … à cause du blocus maritime !

Plus drôle encore – si on ose le dire ainsi – de retournement après la “mort du plan” fut le désespoir des Américains en 2006-2007 de se voir « grignotés » et « saignés » par un terrorisme islamiste qu’ils avaient créé eux-mêmes en mettant l’armée de Saddam au chômage. Touchés par la peur comme d’autre par la grâce, Bush junior et le général Petraeus, décident de négocier pour éviter la défaite infâme. Ce que les autres s’empressèrent d’accepter quand on leur promit … un califat en Syrie. Mais ça bien sûr, c’est interdit de le dire. Ce n’est pas beau la stratégie appliquée ! 

Application de l’analyse à la guerre de Gaza ; quelques conjectures pour “tester” le réel

Tout ça en fait pour dire que c’est à peu près ce qu’il s’est passé jusqu’à maintenant dans cette guerre israélo-gazaoui,

Voyons donc cela sans parti pris, en picorant quelques aspects illustratifs et pas significatifs du tout , et dans but de souligner cette confusion, et sachant que ce qui suit ne saurait relever que de la conjecture et non de l’affirmation. 

Le Hamas créature de Netanyahu?

S’agissant d’abord de la provocation du conflit, le Hamas – sans conteste désigné pour cette tâche – ne semble pourtant pas en avoir le profil idéal complet. Il est à l’origine donné comme une créature d’Israël dans le but de détruire politiquement la résistance historique incarnée par l’OLP, celle-ci devenant par trop dangereuse en défendant la solution d’un même État pour les deux populations palestiniennes concernées. Et pour parfaire le rôle du Hamas, lui est aussi confiée la tâche de détruire l’autre solution: un État différentpour chaquebout de Palestine..

Et c’est bien l’actuel Premier ministre israélien qui nous le confirme quand il déclare aux Likoudniks, en mars 2019 : « Quiconque veut contrecarrer la création d’un État palestinien doit soutenir le renforcement du Hamas et le transfert d’argent au Hamas. Cela fait partie de notre stratégie ». Et comme dit l’autre : « quand il y a doute, il n’y a plus de doute ». Incidemment, ceci informe sur le point de vue d’une majorité d’Israéliens ( non palestiniens ) qui est celle d’un seul État sans Palestiniens , mais pas non plus d’État pour eux ailleurs, car alors ils auraient une armée. 

Cinq heures pour réagir : pourquoi?

Un autre élément largement étalé dans les médias fut la surprise d’Israël. On ne saurait mieux d’ailleurs l’illustrer tout en la contestant par le fait – passé sous silence – qu’il a fallu 5 heures à l’armée de l’air israélienne – la crème de la crème – pour réagir. Pas vraiment crédible quand on sait que, même en France, il ne faut que 7 min pour faire décoller un chasseur en alerte.

On a aussi incriminé le renseignement qui n’aurait encore une fois rien vu. Encore moins crédible s’agissant de la zone la plus surveillée du monde. Un dysfonctionnement – intentionnel ou pas – est hautement plus probable.

Domaine sensible, on ne s’appesantira pas sur les exactions prêtées au Hamas non qu’elles n’aient pas eu lieu, mais elles apparaissent en fait beaucoup trop opportunes pour créer ce choc psychologique faisant basculer la population dans la guerre. Comme de plus ce sont les médias qui en parlent, évoquant même « 40 nouveaux-nés décapités », quand c’est trop c’est trop.

Le manque de crédibilité n’exclut cependant pas l’explicabilité des phénomènes, au contraire il la souligne.

Netanyahu a-t-il été mis en difficulté avant de prendre la main ?

Dans le jeu par exemple de la manipulation « probable » du Hamas, un archi-classique des services, rien de plus simple pour en inverser le sens que de se « vendre » à un troisième larron.

Si la surprise n’a pas vraiment eu lieu, c’est par conséquent qu’on l’a « fabriquée » pour faire plus vrai : on a bien remarqué depuis un certain temps que la guerre ressemblait de plus en plus à un plateau de cinéma pour les médias occidentaux.

Conséquemment, la forgerie provocatrice du conflit – qui par principe ne fait ici pas de doute – pourrait alors avoir une double origine : le premier ministre israélien parce qu’il joue actuellement sa survie politique et judiciaire – tout comme son homologue américain d’ailleurs -, ou possiblement son opposition, dont la virulence à son égard n’est plus à démontrer. Or là où la boucle paraît se boucler, c’est quand des sources américaines ont accusé le Mossad d’avoir pris parti contre le Premier ministre – donc son chef – pendant les violentes manifestations de rue déclenchées par la volonté de réformer la Cour Suprême, et aussi quand des Israéliens évoquent eux-mêmes une trahison de ce même service. Auquel cas, le véritable animal politique qu’est le Premier ministre en question pouvait largement retourner la situation, ce qui pourrait même expliquer la durée fameuse surprise, c’est-à-dire le temps de reprendre la main. Saura-t-on jamais ?

Le but de guerre : faire partir les Gazaouis ?

Si on a bien compris le sens de la réaction israélienne face au Hamas, il s’agirait de « vider » Gaza de sa population – ce qui en droit international s’appelle une « épuration ethnique » – mais cependant de manière parfaitement « légitime » du fait même des exactions du Hamas. Les médias en ont déjà fait ainsi une « opération humanitaire ». L’idée est de plus de « pousser » cette population en Égypte, mais comme on a pas cru devoir le lui demander ça bloque de ce côté-là. Enfin comme quoi le culot permet tout, on culpabilise les pays arabes qui refusent de financer cette salutaire « réinstallation ».

Précédemment il s’agissait du « quoi », voyons maintenant le « comment ». Il s’agit dans un 1° temps d’assiéger Gaza et de la couper de tout ( eau, électricité, séries américaines … ), tout en la bombardant simultanément afin de forcer la population paniquée à fuir. Le 2° temps est alors celui de la résolution au moyen d’une opération terrestre, ce qui suppose un combat urbain dans une zone qui compte 2,3 millions d’habitants sur 365 km2 .

Un tel plan n’a encore ni réussi ni échoué, ce qui entretient l’espoir à Tel-Aviv, qu’il puisse aboutir. Et c’est précisément l’impression qui remonte du terrain, et même par-devers les médias. 

Les failles de la coalition pro-israélienne

Un premier constat est que la « légitimité » de l’opération n’est pas vraiment acquise. Peut-être – certainement – a-t-on mal anticipé les réactions du monde arabe en général, de l’opinion internationale hors Occident, mais de l’Occidental aussi. Or sans elle, il n’est vraiment plus d’opération possible sans provoquer des conséquences potentiellement incontrôlables – surtout à long terme, et possiblement suite à maladresse un embrasement général à court terme. Sous ce simple aspect, les deux flottes américaines en Méditerranée sont un gage de dérapage certain, ce pourquoi le président russe a rappelé aux amiraux américains parfois étourdis que des Mig 31 équipés de Kinzhal patrouillaient au-dessus de la mer Noire. Le vrai message est en fait que Kinzhal vole à Mach 9 jusqu’à plus de mille kilomètres et qu’il est très précis, que les Américains n’ont pas la parade contre et qu’il peut allègrement casser en deux n’importe quel porte-avions, dont l’équipage est de plusieurs milliers de marins.

On constate également un vrai flottement dans les pays européens au-delà de leur soutien obligé. Peut-être ont-ils enfin compris l’importance géostratégique des fortes communautés musulmanes, présentes sur leur sol, qu’ils ne peuvent plus ignorer depuis les récentes émeutes en France. Pour rappel, celles-ci n’étaient qu’un « simple » exercice piloté de l’extérieur, et surtout il en ressort une sorte de lâcheté en réaction, des pouvoirs incapables de faire face à cet évènement. L’exercice pourrait n’être alors qu’une répétition ou un exemple … 

Réactions incontrôlables du monde musulman ?

Dans la même veine, les mouvements de résistance arabo-musulmane à Israël, jusqu’ici désunis, pourraient cette fois entrer dans la danse de manière plus coordonnée à partir du Liban Sud, de Syrie, d’Irak en Syrie et du Yémen … avec l’extrême désagrément de s’en prendre aussi à la présence américaine au Moyen-Orient. C’est d’autant moins bon pour la campagne électorale américaine qui arrive qu’elle risque de se dérouler sur fond d’un conflit régional pas gagnable du tout. On constate donc que les « perspectives d’ouverture » du conflit ne manquent pas.

Bien plus grave pourraient être dans l’avenir les conséquences de l’humiliation ressentie dans le monde musulman, qui déjà forcent certains pays à envisager de s’armer, y compris nucléairement, pour obtenir l’indispensable supériorité militaire contre Israël, laquelle combinée à son écrasante supériorité numérique ( on parle tout de même d’un monde de 2 milliards d’individus ) constituerait alors une menace « ingérable ». Ce qui signifie que même une victoire à court terme d’Israël ne pourra pas prévenir une telle menace.

Au plan de l’efficacité militaire commence à remonter le fait que les bombardements n’ont pas vraiment produit la fuite panique au niveau espéré, et qu’en même temps les ruines provoquées ne font que renforcer le potentiel défensif de Gaza. 
 
Israël n’a jamais gagné que des guerres courtes

Ce qui amène à notre au dernier point qui est celui que l’offensive terrestre tant annoncée, mais qui – pour l’instant – n’a toujours pas débuté. Or l’un des gages les plus importants de la réussite effective des guerres d’Israël est qu’elles soient d’une durée limitée – capacités limitées et viabilité économique obligent. Comparé aux 16 précédentes depuis 1947, on tangente cette limite.

Si on ignore les raisons d’un tel report, l’une cependant est évidente : le conscrit israélien n’a forcément pas le niveau d’aguerrissement requis pour un tel combat urbain, sans même parler du moral, car forcément les pertes seront très élevées. Comparaison n’est pas raison, mais vaut ici indication : les pertes de Wagner auraient été de l’ordre de 40.000 pendant les combats de Bakhmout – dernier exemple en date – ce qui représente presque 10% du potentiel mobilisable d’Israël.

Ceci ne signifie pas qu’une telle opération ne doit pas avoir lieu – on signale en ce moment même les premiers clashs – , mais seulement sur le principe a priori que le Hamas et consort ( parce qu’il n’est pas seul ) y sont parfaitement préparés.

Ce qui alors pourrait signifier des combats durables, lesquels à leur tour et par simple effet médiatique alimenteront toutes les possibilités de dérapage telles qu’évoquées plus haut.

Pour résumer, Israël est confronté à deux questions complexes :

– la première, facile à comprendre, est de strictement limiter le conflit, c’est-à-dire d’empêcher l’irruption dans le conflit d’acteurs extérieurs,

– la seconde – bien plus difficile à appréhender – est de ne pas dépasser le point culminant de son offensive – un concept clausewitzien qui signifie le moment où celle-ci commence à produire plus d’effets indésirables que ceux recherchés.

Si une telle occurrence venait à se produire, alors on entendra parler « nucléaire », en parfaite cohérence d’ailleurs avec cette « stratégie du chien enragé » conçue en son temps par le général Dayan. S’imposerait alors à l’esprit cette réflexion – qui vaut pour toutes les puissances nucléaires – qui veut que celui qui utilise ce type d’armes ait plutôt intérêt à éliminer tous ses ennemis d’un coup, y compris potentiels, car une réaction au moins symétrique inéluctablement viendra, tôt ou tard.

Source : https://lecourrierdesstrateges.fr/2023/10/24/gaza-manipulations-et-scenarios-du-pire-par-alexandre-n/

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