L’appartement voisin (de 110m²) était désormais bien trop vaste pour ce vieux monsieur seul. Le remplacement obligatoire (pour mise aux normes européennes) de l’ascenseur, de la chaudière, de l’isolation de la copropriété avait eu raison de ses économies. Les nouvelles normes de chauffage (limite des températures à 15°C avec menaces de contrôles par drone) et l’augmentation des taxes d’habitation (€€ à partir de 10m² par personne) s’ajoutant à l’écotaxe supplémentaire d’électricité (€€ pour + de 3 kWh d’électricité par jour) dépassaient son maigre budget de pensionné. Le couvre-feu thermique de 20 à 07 heures restreignait l’occupation de son bien à une seule pièce où il survivait grelottant dans son fauteuil, emmitouflé sous une couverture, devant sa télé. Il ne sortait plus. Nathalie et Alex ne le connaissaient qu’indirectement via la concierge qui lui apportait ses provisions de bouche.
Un jour, les services sociaux l’ont emmené presque de force aux “Jolis Chrysanthèmes” (maison hautement recommandée sur le net) pour y finir sa vie de boomer. Son fils, tout à fait indifférent aux souvenirs familiaux, prit possession des lieux. Le vieux fauteuil, les quelques meubles, les albums photos, le grand tableau généalogique, les souvenirs de voyage, la précieuse mappemonde, son carnet de marin, ses cartes de navigation, tous les biens du vieux restèrent sur le trottoir du building sous la pluie, durant plusieurs jours en attente des vélos-cargos du service communal de recyclage… puis un matin tout fut emporté, détruit, recyclé.
Subitement, l’appartement de Nathalie et Alex, les voisins, résonna de lourds coups de masse, les murs se mirent à trembler au rythme des marteaux piqueurs. Leur cuisine mitoyenne, fut envahie d’un épais nuage de poussière qui se posa lourdement sur la vaisselle, dans les armoires, derrière les appareils ménagers, jusque dans les moindres recoins. Hurlant de rage, Alex s’en prit aux ouvriers mais rien n’y fit. Mandatés pour transformer les lieux, les travailleurs n’étaient pas responsables des plans de leur employeur et vu leur imposante carrure, Alex ne crut pas opportun de tenter de les brutaliser. Démolition et reconstruction de l’appartement durèrent trois mois durant lesquels la vie du voisinage dans le building fut mise à très rude épreuve.
Un jour enfin, les vélos-cargos d’outillage de l’entreprise dite “de rénovation” disparurent. Nathalie remarqua un défilé de visiteurs. Elle en conclut que l’appartement rénové était difficile à louer. Erreur! Quelques semaines plus tard, le couple comprit que tous les visiteurs étaient venus s’inscrire au projet de vie écolo-communautaire proposé par le fils du vieux monsieur…
Les douze candidats à la colocation, fiers de participer au projet, approuvèrent les 14m² concédés à la salle commune, à la mini salle de douche commune, aux toilettes sèches communes impliquant un rôle de vidange. Ils admirèrent les 96m² restants répartis entre les 12 “candidats” soit 8m² (2 mètres sur 4 par chambre). La colocation s’alignait ainsi aux éco-normes européennes tout en rentabilisant la propriété du fils du vieux monsieur…
Après la plupart des réassortisseuses dont Nathalie, ce fut au tour d’Alex de perdre son emploi de cyclolivreur au biomarquette. Leur détresse financière ne leur permettant désormais plus d’honorer la fiscalité immobilière appliquée au lieu de vie “exagérément vaste” de leur “trop vaste” appartement, ils furent forcés de chercher une solution d’habitat moins onéreuse. La capitale ne leur offrant plus la moindre chance de décrocher un emploi et les loyers étant prohibitifs, ils optèrent pour la campagne beaucoup moins chère au quotidien.
Parmi les alternatives de logement aux habitats conventionnels (honteux émetteurs de CO2) Une entreprise technologique de l’État, guidé par une démarche qui entendait faciliter l’adoption d’un écosystème de maison connectée, limitait désormais l’usage d’appareils domestiques connectés via le compteur dit “intelligent” (ou machiavélique, c’est selon).
L’Europe, quant à elle, favorisait le partage dans les campements de tiny houses, de yourtes, de tentes ou de caravanes. En quête d’un logement moins éco-taxé, Alex décida de se rendre dans l’un de ces camps communautaires.
Après une trentaine de kilomètres sous la pluie, Nathalie et Alex fixèrent leurs vélos à l’entrée du camp judicieusement intitulé ABC (Au Bord du Chemin).
La vieille grille de fer qui grinça comme celles des plus ridicules films d’horreur, s’ouvrit sur une zone boueuse qui eût du être une verte prairie. Nathalie et Alex, les chaussures collantes de boue, se dirigèrent entre deux vieilles lessiveuses et une carcasse d’automobile électrique pourrie, vers une caravane dont l’auvent déchiré, flottant au gré du vent, ne protégeait plus un vieux divan de tissu détrempé.
A proximité d’un potager, une femme s’employait à gratter la merde des couches de bébé pour le précieux compost. D’autres lessivaient les mêmes couches dans une vieille bassine de zinc dont l’eau était recyclée à l’arrosage “enrichi” des légumes.
Nathalie et Alex furent invités à visiter une tiny house (petite baraque claustrophobique) puis une yourte qui ressemblait à un gigantesque sac poubelle et ils furent enfin accueillis par l’écolo-gourou du camp dans la vieille caravane pourrie. Ils furent invités à “sentir le sol sous leurs pieds” afin de se connecter aux ondes bénéfiques de l’énergie de la terre et furent instruits de l’éventail des possibles de la communauté en pleine conscience du vide. Subjuguée par les vérités du gourou, Nathalie décida de s’installer parmi les éco-barakis.
Furieux, Alex la quitta et, dégoûté de ce camp s’en alla s’installer dans un appartement communautaire de la capitale de la Flandre.
Il nous raconte: J’avais été accueilli par le responsable de la colocation, un certain Ahmed Gourbi, la quarantaine, complètement chauve, très petit, malingre, regard fuyant. Dès mon arrivée dans le hall de l’immeuble, il s’était planté devant moi. Aussi tendu qu’un petit coq monté sur ses ergots. D’une voix mielleuse il m’avait longuement interrogé quant à mon mode de vie, mon travail, mes amis. Las de n’avoir obtenu que des réponses évasives, il m’avait enfin laissé pénétrer dans le bâtiment, non sans surveiller le déchargement de mes bagages livrés en vélos-cargos.
Les pédalo-déménageurs, chargés de mes quelques biens lancèrent un regard ulcéré vers l’ascenseur, mis hors-service par la directive écologique européenne de l’an dernier et grimpèrent l’étroit escalier jusqu’au sixième étage. L’éclairage automatique des paliers ne durant que quelques secondes, j’entendis plus d’une fois jurer mes pédalo-déménageurs trébuchants.
L'”appartagement” que j’allais occuper était séparé en quatre unités de 9m² (3 mètres sur 3). La salle de bains commune se limitait à un réduit contenant un évier et une toilette sèche (impliquant une corvée partagée de vidange). La cuisine communautaire était munie d’un grand frigo pour les sept cohabitants. Ahmed Gourbi n’habitait heureusement pas là. En tant qu’éco-responsable, il disposait d’une double unité à l’étage inférieur…
Quant au vieux Marcel, il avait quitté “Les Jolis Chrysanthèmes” les pieds en avant… pour se faire composter au profit de la planète.
Un texte de Marcel M.
Source
Un jour, les services sociaux l’ont emmené presque de force aux “Jolis Chrysanthèmes” (maison hautement recommandée sur le net) pour y finir sa vie de boomer. Son fils, tout à fait indifférent aux souvenirs familiaux, prit possession des lieux. Le vieux fauteuil, les quelques meubles, les albums photos, le grand tableau généalogique, les souvenirs de voyage, la précieuse mappemonde, son carnet de marin, ses cartes de navigation, tous les biens du vieux restèrent sur le trottoir du building sous la pluie, durant plusieurs jours en attente des vélos-cargos du service communal de recyclage… puis un matin tout fut emporté, détruit, recyclé.
Subitement, l’appartement de Nathalie et Alex, les voisins, résonna de lourds coups de masse, les murs se mirent à trembler au rythme des marteaux piqueurs. Leur cuisine mitoyenne, fut envahie d’un épais nuage de poussière qui se posa lourdement sur la vaisselle, dans les armoires, derrière les appareils ménagers, jusque dans les moindres recoins. Hurlant de rage, Alex s’en prit aux ouvriers mais rien n’y fit. Mandatés pour transformer les lieux, les travailleurs n’étaient pas responsables des plans de leur employeur et vu leur imposante carrure, Alex ne crut pas opportun de tenter de les brutaliser. Démolition et reconstruction de l’appartement durèrent trois mois durant lesquels la vie du voisinage dans le building fut mise à très rude épreuve.
Un jour enfin, les vélos-cargos d’outillage de l’entreprise dite “de rénovation” disparurent. Nathalie remarqua un défilé de visiteurs. Elle en conclut que l’appartement rénové était difficile à louer. Erreur! Quelques semaines plus tard, le couple comprit que tous les visiteurs étaient venus s’inscrire au projet de vie écolo-communautaire proposé par le fils du vieux monsieur…
Les douze candidats à la colocation, fiers de participer au projet, approuvèrent les 14m² concédés à la salle commune, à la mini salle de douche commune, aux toilettes sèches communes impliquant un rôle de vidange. Ils admirèrent les 96m² restants répartis entre les 12 “candidats” soit 8m² (2 mètres sur 4 par chambre). La colocation s’alignait ainsi aux éco-normes européennes tout en rentabilisant la propriété du fils du vieux monsieur…
Après la plupart des réassortisseuses dont Nathalie, ce fut au tour d’Alex de perdre son emploi de cyclolivreur au biomarquette. Leur détresse financière ne leur permettant désormais plus d’honorer la fiscalité immobilière appliquée au lieu de vie “exagérément vaste” de leur “trop vaste” appartement, ils furent forcés de chercher une solution d’habitat moins onéreuse. La capitale ne leur offrant plus la moindre chance de décrocher un emploi et les loyers étant prohibitifs, ils optèrent pour la campagne beaucoup moins chère au quotidien.
Parmi les alternatives de logement aux habitats conventionnels (honteux émetteurs de CO2) Une entreprise technologique de l’État, guidé par une démarche qui entendait faciliter l’adoption d’un écosystème de maison connectée, limitait désormais l’usage d’appareils domestiques connectés via le compteur dit “intelligent” (ou machiavélique, c’est selon).
L’Europe, quant à elle, favorisait le partage dans les campements de tiny houses, de yourtes, de tentes ou de caravanes. En quête d’un logement moins éco-taxé, Alex décida de se rendre dans l’un de ces camps communautaires.
Après une trentaine de kilomètres sous la pluie, Nathalie et Alex fixèrent leurs vélos à l’entrée du camp judicieusement intitulé ABC (Au Bord du Chemin).
La vieille grille de fer qui grinça comme celles des plus ridicules films d’horreur, s’ouvrit sur une zone boueuse qui eût du être une verte prairie. Nathalie et Alex, les chaussures collantes de boue, se dirigèrent entre deux vieilles lessiveuses et une carcasse d’automobile électrique pourrie, vers une caravane dont l’auvent déchiré, flottant au gré du vent, ne protégeait plus un vieux divan de tissu détrempé.
A proximité d’un potager, une femme s’employait à gratter la merde des couches de bébé pour le précieux compost. D’autres lessivaient les mêmes couches dans une vieille bassine de zinc dont l’eau était recyclée à l’arrosage “enrichi” des légumes.
Nathalie et Alex furent invités à visiter une tiny house (petite baraque claustrophobique) puis une yourte qui ressemblait à un gigantesque sac poubelle et ils furent enfin accueillis par l’écolo-gourou du camp dans la vieille caravane pourrie. Ils furent invités à “sentir le sol sous leurs pieds” afin de se connecter aux ondes bénéfiques de l’énergie de la terre et furent instruits de l’éventail des possibles de la communauté en pleine conscience du vide. Subjuguée par les vérités du gourou, Nathalie décida de s’installer parmi les éco-barakis.
Furieux, Alex la quitta et, dégoûté de ce camp s’en alla s’installer dans un appartement communautaire de la capitale de la Flandre.
Il nous raconte: J’avais été accueilli par le responsable de la colocation, un certain Ahmed Gourbi, la quarantaine, complètement chauve, très petit, malingre, regard fuyant. Dès mon arrivée dans le hall de l’immeuble, il s’était planté devant moi. Aussi tendu qu’un petit coq monté sur ses ergots. D’une voix mielleuse il m’avait longuement interrogé quant à mon mode de vie, mon travail, mes amis. Las de n’avoir obtenu que des réponses évasives, il m’avait enfin laissé pénétrer dans le bâtiment, non sans surveiller le déchargement de mes bagages livrés en vélos-cargos.
Les pédalo-déménageurs, chargés de mes quelques biens lancèrent un regard ulcéré vers l’ascenseur, mis hors-service par la directive écologique européenne de l’an dernier et grimpèrent l’étroit escalier jusqu’au sixième étage. L’éclairage automatique des paliers ne durant que quelques secondes, j’entendis plus d’une fois jurer mes pédalo-déménageurs trébuchants.
L'”appartagement” que j’allais occuper était séparé en quatre unités de 9m² (3 mètres sur 3). La salle de bains commune se limitait à un réduit contenant un évier et une toilette sèche (impliquant une corvée partagée de vidange). La cuisine communautaire était munie d’un grand frigo pour les sept cohabitants. Ahmed Gourbi n’habitait heureusement pas là. En tant qu’éco-responsable, il disposait d’une double unité à l’étage inférieur…
Quant au vieux Marcel, il avait quitté “Les Jolis Chrysanthèmes” les pieds en avant… pour se faire composter au profit de la planète.
Un texte de Marcel M.
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