11 octobre 2023

Le film interdit de Canal+

Tout commence par la découverte d’une enquête absolument remarquable d’Anne Gintzburger, Frédéric Lacroix et l’excellente Laurence Béneux qui ont su mettre en évidence avec de nombreux éléments concordants l’existence de réseaux pédocriminels tentaculaires. Seul problème, le film a été censuré comme jamais (même la journaliste s’est fait voler sa copie personnelle). Pourtant diffusé sur Canal+, mais tout a disparu. Même à l’INA. Cela n’arrive jamais. Qu’est-ce qui pouvait bien déranger à ce point le pouvoir en place pour effacer continuellement ce film. Il fallait enquêter.

Le premier problème politique majeur que pose ce film, c’est que la lumière va se poser sur l’action d’Élisabeth Guigou au ministère de la Justice, qui, avant même l’affaire Duhamel, avait interloqué les associations de défense de victimes d’incestes lors de sa nomination à la tête de la commission sur le sujet, et avait rendu amers les journalistes ayant enquêté sur l’affaire dite du « CD-ROM de Zandvoort », une retentissante affaire pédocriminelle qui avait marqué le passage d’Élisabeth Guigou place Vendôme, entre juin 1997 et octobre 2000.


Comme le publie Faits & Documents dans son dossier remarquable sur « la sexualité en Macronie » : « Tout commence à Bruxelles à la fin des années 1990. Deux courageux journalistes, Serge Garde (L’Humanité) et Laurence Beneux (Le Figaro), enquêtant sur le sort pour le moins étrange réservé à certains témoins de l’affaire Dutroux, se voient recommander par un policier belge d’entrer en contact avec les Morkhoven, une association flamande active dans la lutte contre la pédocriminalité. Une fois le contact établi, les journalistes rencontrent leur chef de file, Marcel Vervloesem en novembre 1999. Deux ans auparavant, ce dernier a averti la police néerlandaise de l’existence d’un réseau basé à Zandvoort au Pays-Bas. Il l’a mis au jour alors, qu’à la demande d’une famille, il s’était lancé à la recherche de leur fils de 12 ans disparu à Berlin en 1993.

Sa découverte a brièvement attiré l’attention des médias internationaux. En France, Le Monde a consacré deux articles au « réseau pédophile de Zandvoort » (cf. Deux affaires de pédophilie découvertes aux Pays-Bas et en Belgique, 19 juillet 1998 et Le réseau pédophile de Zandvoort a des ramifications dans toute l’Europe, 26 juillet 1998). Puis le soufflé médiatique est retombé. C’est dans l’espoir de relancer cette affaire que Marcel Vervloesem remet donc aux journalistes français une importante documentation.

Elle comprend un CD-ROM saisi à Zandvoort (Pays-Bas), chez un trafiquant, Gerrit Ulrich, dont l’appartement luxueux est apparu comme la plaque tournante du réseau. Ce CD-ROM contient plus de huit mille photos pédopornographiques. En outre, Marcel Vervloesem leur fournit le riche carnet d’adresses personnel de Gerrit Ulrich (les contacts remontent à la Banque mondiale et à la Banque européenne de reconstruction et de développement…), ainsi qu’un répertoire photographique établi à partir dudit CD-ROM par la police néerlandaise. Là, s’affichent 570 visages d’enfants cadrés serrés à partir des images pornographiques, mais aussi dix-sept portraits d’adultes étiquetés Daders (violeurs) par la police.

Une fois la correspondance entre le répertoire photographique et le CD-ROM recoupée, les journalistes sortent l’affaire, le 24 février 2000, dans L’Humanité : « La police néerlandaise a établi ce répertoire photographique à partir d’un CD-ROM appartenant à un pédophile néerlandais domicilié à Zandvoort,
Gerrit Ulrich. Lequel a été assassiné en juin 1998, près de Pise, par son ex-ami belge, Robby Van den Plancken, qui purge actuellement, pour ce crime, une peine de quinze années de réclusion criminelle en Italie. Le pédophile assassiné, l’enquête a été vite arrêtée.

Les autorités néerlandaises ont même conclu, en avril 1999, que  » la présumée filière Zandvoort était une piste vaine et qu’il n’existait aucune preuve directe de la production de pornographie enfantine à Zandvoort » […] À Zandvoort, la société informatique Cube Hardware commercialisait notamment des cassettes pédophiles.

Ses responsables étaient en relation avec les organisateurs de croisières de luxe, tarifs tout compris, jusqu’à la fourniture d’enfants, à bord du yacht Apollo. Il arrivait que ce voilier embarque des clients à Bordeaux. Direction les Pays-Bas, via l’Angleterre…Sur le carnet d’adresses de Gerrit Ulrich, nous avons relevé des contacts aux Pays-Bas, bien sûr. Mais aussi en France, en Grande-Bretagne, en Espagne, en Suède, aux USA, en Bulgarie, en Ukraine, en Pologne, en Lettonie. Et des références bancaires à l’Europabank for Reconstruction and Development, au Crédit agricole, au Crédit lyonnais, à la banque espagnole Banesto. Le fait de figurer sur le carnet d’adresses d’un criminel ne fait pas de vous un complice. Mais celui de Gerrit Ulrich révèle un vaste champ de relations. »

Avant la parution de l’enquête, les journalistes ont demandé au ministère de l’Intérieur et à la chancellerie s’ils avaient connaissance de l’existence du fichier et du CD-ROM. Ils n’ont reçu aucune réponse. L’enquête de L’Humanité étant citée dans toutes les revues de presse, le standard du quotidien croule très vite sous les appels d’individus affirmant avoir été victimes des réseaux pédocriminels ou signalant que leur enfant est en danger. Beaucoup demandent par conséquent à consulter la documentation ayant sous-tendu la rédaction de l’enquête.

Si le quotidien communiste refuse l’accès au CD-ROM, il accepte d’ouvrir le répertoire photographique de la police néerlandaise à ceux qui le souhaitent. Peu à peu, certains de ces visages d’enfants anonymes sont identifiés par leurs proches. Ces reconnaissances constatées sont relatées dans L’Humanité (13 et 14 mars 2000), sans susciter la moindre réaction des pouvoirs publics.

Quand Le Figaro prolonge l’enquête et titre successivement Le scandale des pédophiles impunis et La justice est incapable (6 et 7 avril 2000), Élisabeth Guigou, la ministre de la Justice, est contrainte de sortir du silence et de s’exprimer publiquement.

« Je ne veux pas que rien ne soit laissé au hasard »

Quand, le 12 avril 2000, dans le 19/20 de France 3, Élise Lucet l’interroge sur le fichier de Zandvoort et sur l’attentisme dont fait preuve la justice française, malgré les plaintes déposées par des familles françaises, la ministre de la Justice, visiblement très mal à l’aise, bredouille : « – Élise Lucet : Nous parlions dans ce journal d’un fichier international de 10 000 photos pédophiles qui ont été découvertes par la police néerlandaise.

Des familles françaises y auraient reconnu les photos de leurs propres enfants. Elles ont affirmé la semaine dernière que la justice française tardait à réagir… ; – Élisabeth Guigou : Il y a deux choses si vous voulez. Il y a… Il existe, semble-t-il, au Pays-Bas, un CD-ROM de… avec dix mille noms d’enfants qui… mais c’est un CD-ROM pornographique. Et ont été extraites semble-t-il de ce CD-ROM, 470 photos en France, 840, semble-t-il, en Suisse où à Interpol, des photos d’enfants mais ce sont des photos de visages. Et donc c’est ça qui est en possession de certains journalistes. Donc ce qu’il faut faire, et que j’ai demandé que l’on fasse, et ce que fait la justice… Le 14 mars, déjà, la police a demandé à Interpol communication de ce fichier. Ensuite, par toutes les voies et moyens, la justice française a demandé à Interpol, a demandé aux autorités néerlandaises, communication de ce CD-ROM. ;

– Élise Lucet :
Mais pourquoi si tard, puisque certaines familles françaises disent vous avoir… avoir prévenu la justice française il y a près d’un an ou un an et demi, alors pourquoi le faire seulement maintenant ? ;

– Élisabeth Guigou : Pas à ma connaissance sur ces photos dont on parle maintenant… ;

– Élise Lucet : Si, si, sur ces photos certaines familles ont prévenu la justice, il y a plus d’un an maintenant. ;

– Élisabeth Guigou : À ma connaissance… Enfin, moi je n’ai pas cette information en tout cas donc elle est à vérifier. De toute façon, sur ces photos, on ne peut, on ne peut… La police et la justice ne peuvent rien faire, puisque ce sont des photos de visages. Ce qu’il faut c’est faire un travail très minutieux pour les confronter aux images pornographiques qui sont sur le CD-ROM dont ne nous disposons pas. La justice a demandé, y compris aux journalistes qui ont des informations, qui peuvent posséder ce CD-ROM, qui peuvent posséder d’autres fichiers de photos de les communiquer à la justice pour que nous puissions faire ces recoupements – nous, les juges, c’est pas moi qui fais à leur place – puissent faire ces recoupements le plus rapidement possible. Je ne veux pas que rien soit laissé au hasard [sic] là-dedans. Le procureur de Paris et le procureur général que j’ai reçus là-dessus lundi matin m’ont rendu compte de toutes les diligences qui avaient été faites et bien entendu aucun retard ne sera apporté aux investigations mais évidemment, on est dans un domaine de recherche international et souvent certains renseignements tardent à revenir. C’est pour ça que si des journalistes ou des journaux ont des informations, vraiment il faut qu’ils les communiquent à la justice. »

Le lendemain, répondant à l’appel d’Élisabeth Guigou, les journalistes remettent le CD-ROM à Alexandre Benmakhlouf, procureur général près la cour d’appel de Paris. Ils fournissent également à la justice le carnet d’adresses de Gerrit Ulrich qui, bien qu’en lien avec la France, ne sera jamais pris en considération par les enquêteurs, ni même envoyé à Interpol.

Quant au CD-ROM, aucune copie n’est envoyée aux procureurs de province par la chancellerie, comme le vérifieront Serge Garde et Laurence Beneux. Et le 16 mai 2000, sur France 2, Yvon Tallec, le substitut du procureur de Paris pour les affaires de mineurs, déclare : « Les mineurs ont été photographiés, la plupart du temps, avec leur accord ou l’accord de leurs parents [sic] […]. Il faut aussi minimiser, en tout cas en France, la portée de cette affaire, dans la mesure où de nombreux enfants présentés ici ne sont pas des enfants français ». Bien qu’ayant évoqué un « accord des enfants » relativement à des fichiers pédopornographiques, Yvon Tallec ne sera jamais visé par une quelconque procédure disciplinaire…

« Un document que ses services possédaient
depuis un an »

C’est alors que survient un coup de théâtre : les journalistes qui couvrent l’affaire apprennent par une source à l’Élysée que la présidence de la République a reçu des Pays-Bas le fameux CD-ROM… un an avant la médiatisation de l’affaire par L’Humanité. Placée devant les faits, Élisabeth Guigou dément : « Vous traitez l’Élysée de menteurs, je vais leur en faire part ! » rétorquent les journalistes. « Non, attendez, on vérifie… ».

Dans la foulée, le service de presse du ministère de la Justice les rappelle et reconnaît avoir reçu le CD-ROM en 1999. Et il s’avère qu’un classement sans suite a été décidé à l’époque « faute d’incrimination pénale », comme le raconteront désabusés Laurence Beneux et Serge Garde dans Le Livre de la honte (Le Cherche Midi, 2001) qui retrace les coulisses de cette enquête impossible : « Quand nous sommes entrés en possession du CD-ROM d’Ulrich et du fichier élaboré par la police néerlandaise, ces documents avaient déjà été transmis par Interpol à Lyon. Nous nous sommes donc demandé pourquoi ces documents n’étaient pas exploités dans notre pays.

Cette question est revenue avec acuité quand nous avons appris avec stupeur que Morkhoven avait envoyé le CD-ROM plus des copies papier d’autres documents trouvés à Zandvoort (notamment, des images atroces de tortures et de viols d’enfants), avec une note expliquant son origine, à tous les chefs d’États ou de gouvernements européens, ainsi qu’au président du Parlement européen.

En avril 1999, l’Élysée avait reçu ces documents et en avait accusé réception. Très logiquement, un conseiller à la Présidence avait rapidement transmis ce document à la chancellerie et, compte tenu de la gravité des faits, avait demandé à être tenu au courant de la suite du dossier. Ce qui ne sera pas fait.

Pourquoi la garde des Sceaux, Élisabeth Guigou, avait-elle lancé un appel sur une chaîne de télévision, nous interpellant, nous les journalistes, pour demander un document… que ses services possédaient depuis un an ? Nous nous sommes surtout demandé comment la justice de ce pays avait traité un CD-ROM révélant des crimes aussi odieux perpétrés sur des enfants, comment les petites victimes étaient recherchées…

Bref, nous avons tenté de comprendre ce qui s’était passé. Et nous avons posé la question. La réponse est incroyable. Après avoir reçu le CD-ROM de l’Élysée, la chancellerie le transmet au parquet général de Paris, le 14 mai 1999 afin qu’une enquête soit diligentée par le procureur de Paris. La Brigade des mineurs de Paris est saisie et informe le parquet du résultat des investigations le 17 juin 1999.

Une enquête éclair qui n’aura pas excédé un mois ! Le 7 juillet 1999, enfin, le parquet procédait au classement de la procédure « en l’absence d’infraction pénale » ! Une partie du fax explicatif que nous a transmis la chancellerie mérite d’être reproduite :  » Le 17 juin 1999, la Brigade des mineurs de Paris informait le parquet des résultats des investigations entreprises.

L’expertise du CD-ROM faisait apparaître qu’il rassemblait en plusieurs répertoires non pas les soixante-dix mille images annoncées mais environ dix mille images fixes et près de cent photographies animées. Celles-ci avaient pour point commun un caractère strictement homosexuel masculin, quel que soit l’âge des participants. Il convient de préciser qu’aucune des photographies de mineurs torturés et victimes d’actes pédophiles figurant sur les photographies jointes au courrier ne se retrouvait sur le CD-ROM. Il était retrouvé sur le CD-ROM aussi bien des images à caractère pornographique mettant en scène des mineurs de quinze ans, des images dites « naturistes », des images de « nus artistiques » des images « volées »

En outre, près de vingt pour cent des images représentaient des majeurs. Il convient de souligner que la plupart des images pédophiles stricto sensu du CD-ROM étaient déjà connues du service de la Brigade des mineurs de Paris, dont certaines étaient très anciennes et provenaient de la numérisation d’ouvrages papier, de films super 8 ou de vidéos, ou de serveurs informatiques connus et pour la plupart inactifs depuis plusieurs années, ainsi que l’attestait la dénomination de certains répertoires (GB pour Golden-Boys, Pojk pour Pojkart, etc.).

Le plus grand nombre de ces fichiers avait été créé dans le courant de l’année 1996. La consultation de différents moteurs de recherche sur Internet n’a pas permis de découvrir d’élément relatif à un quelconque réseau international. En conclusion, il apparaissait que cet envoi était un assemblage hétéroclite du genre d’images que son auteur dit dénoncer avec d’autres photographies qui ne sont pas illégales en France bien que destinées un public averti (gay) . En conséquence, le parquet de Paris a procédé au classement de cette procédure, en l’absence d’infraction pénale, le 7 juillet 1999. »

La lecture de ce document nous a laissés sans voix. Nous avons bien noté que 20 % des documents représentaient des majeurs. Ce qui nous a donné à penser que 80 % figuraient des mineurs. Les services de police avaient bien noté la même chose que nous : des images à caractère pornographique mettant en scène des mineurs. Soyons clairs. Il s’agit de bébés victimes de sodomies, d’enfants très jeunes contraints d’effectuer des fellations, et de toutes autres sortes d’actes sexuels qui écartent définitivement l’évocation de la moindre notion de consentement, compte tenu de l’âge des victimes.

Que ces photos soient accompagnées d’images plus soft n’y changent rien, et, d’ailleurs, il y aurait beaucoup à dire sur l’utilisation d’enfants nus dans des postures plus ou moins évocatrices pour des œuvres « artistiques » reproduites dans des revues destinées à l’usage des pédophiles. De même, que signifie l’argument des « photos volées » : que des pervers peuvent prendre en douce des photos d’enfants nus sur une plage, dans une douche, et les diffuser sans que ça émeuve les pouvoirs publics ? Les stars, les top-models et autres princesses seraient-elles les seules à pouvoir se plaindre de la diffusion d’images de leur intimité, sans leur consentement ?

Mais des gosses, pris en photo sans qu’ils le sachent et à l’insu de leur famille, à des fins de diffusion auprès de pervers, cela ne pose pas de problèmes aux autorités judiciaires. Comment a-t-il été possible de classer pour « absence d’infraction pénale » des documents à  » caractère pornographique » mettant en scène des mineurs ou des images d’enfant torturés ? Qui sont les enfants martyrisés ? Où sont-ils ? Qui sont les violeurs et les tortionnaires ? Force nous a été de constater qu’ils n’avaient pas fait le moins du monde l’objet de recherches. Nous ne pouvons pas nous l’expliquer à ce jour. […] Quand on découvre la position exprimée en catimini en 1999, on comprend mieux les raisons du malaise dans la haute hiérarchie judicaire, un an plus tard, lorsque resurgit le CD-ROM si promptement jeté aux oubliettes ».

Sans surprise, l’enquête promise par Élisabeth Guigou au 19/20 de France 3 n’ira pas plus loin et s’achèvera, en 2003, par un non-lieu. Comme on ne se refait pas, Libération titrera « Le fichier douteux finit en non-lieu » (4 avril 2003).

Pourtant, au total, ce ne sont pas moins de 81 parents français qui auront identifié leur enfant dans la documentation de Zandvoort, établissant parfois des connexions avec d’autres affaires comme celle des disparues de l’Yonne ou du Coral. Mais dans les 81 cas, les autorités judiciaires et policières rétorqueront que l’identification est erronée, qu’il s’agit  d’une erreur et que l’enfant que des proches ont reconnu n’est qu’un… « sosie ».

C’est ainsi que, pour justifier son non-lieu, la juge Danielle Ringot évoque, entre autres, la prétendue erreur d’une mère qui avait cru reconnaître son fils. Cette dernière s’est vu signifier qu’il s’agissait de Bjorn Nijkamp, un jeune Néerlandais dont les violeurs avaient été arrêtés. Or Laurence Beneux assure
que « le patron de l’enquête hollandaise m’a confirmé dans son bureau qu’il ne s’agissait pas de Bjorn. Quand je l’ai relaté aux policiers français, ils n’ont pu me présenter une seule preuve écrite. Selon eux, leurs homologues hollandais leur auraient fait cet aveu dans un couloir… » (entretien à MK-Polis, 23 janvier 2020).

Cerise sur le gâteau, Marcel Vervloesem, la source de Serge Garde et de Laurence Beneux, sera poursuivi en Belgique par le parquet de Turnhout en octobre 2000 pour « recel de matériel pédophile », le « matériel pédophile » en question n’étant autre que… le CD-ROM de Zandvoort.

En fait, Marcel Vervloesem a fait l’objet d’attaques dès le début de l’affaire. The Independent (13 septembre 1998) a rapporté qu’il avait été condamné à de multiples reprises, notamment en 1979 pour agression sexuelle sur mineur. En février 2008, il sera de nouveau condamné à quatre ans de prison pour abus sexuels sur mineurs, diffusion de matériel pédopornographique et escroquerie. Libéré en 2010, de nouveau incarcéré en 2012 pour agression sexuelle sur son neveu, acquitté en décembre 2014, il décédera en janvier 2018 à l’âge de 65 ans. Quelle que soit la probité de cette source (on consultera le droit de réponse publié par les Morkhoven dans l’onglet « Discussion » de la page Wikipédia de Marcel Vervloesem), l’authenticité de sa documentation dans l’affaire de Zandvoort n’a jamais été contestée… Et, poussés dans leurs retranchements, les Morkhoven fourniront à la presse la documentation qu’ils avaient gardé sous le coude, soit 19 autres CD-ROM du même type, qui permettront à Laurence Beneux et à Serge Garde de poursuivre cette enquête mise en image en 2010 dans le documentaire Le Fichier de la honte (Troisième Œil Productions).

Un passage place Vendôme marqué par les affaires pédocriminelles

C’est à une période qui voit la multiplication des coups de filets chez les trafiquants de pédopornographie qu’Élisabeth Guigou est nommée, le 4 juin 1997, ministre de la Justice à la faveur de la cohabitation et du retour des socialistes aux affaires. À l’époque, la police vient de procéder à des dizaines d’arrestations en démantelant, coup sur coup, les réseaux Toro Bravo et Ado-71.

Invitée à réagir au suicide de quatre individus visés par l’enquête, la nouvelle garde des Sceaux annonce la couleur en se demandant « si on avait besoin de ces arrestations spectaculaires et de toute cette médiatisation » (Europe 1, 23 juin 1997).

L’affaire Dutroux ayant placé la pédocriminalité au centre de l’attention médiatique, Élisabeth Guigou choisit d’aborder cette épineuse question sous un angle surprenant, celui du suivi socio-judiciaire des auteurs d’agressions sexuelles obligeant ces derniers à se soigner après leur libération (loi Guigou du 17 juin 1998). Mais son attitude dans l’affaire du « CD-ROM de Zandvoort » suscite l’interrogation sur l’ordre des priorités : que signifie l’obligation de soigner des délinquants sexuels après leur libération, si les autorités ne font rien ou presque en amont pour les arrêter ? En marge de cette affaire dans laquelle elle se distingue par le lapsus (« je ne veux pas que rien ne soit laissé au hasard ») révélateur du malaise de la ministre qui laisse présager de la suite, Élisabeth Guigou profite de son intervention sur France 3, le 12 avril 2000, pour annoncer la création d’un « fichier d’empreintes génétiques », la lutte contre la pédocriminalité étant un prétexte tout trouvé pour avancer sur l’agenda de la société du traçage généralisé.

Ce jour-là, la garde des Sceaux est surtout venue démentir l’existence d’une enquête en cours quant à la découverte d’un charnier d’enfants évoquée face à Élise Lucet, deux semaines plus tôt, par Martine Bouillon, substitut du procureur de Bobigny, au cours du débat qui a suivi l’enquête de Pascale Justice, Stéphane Taponier et Cécile Toulec, Viols d’enfants : la fin du silence, diffusée dans Paroles d’enfants sur France 3, le 27 mars 2000. La magistrate avait alors déclaré : « Je peux vous dire qu’en région parisienne, j’ai effectivement eu connaissance de charniers d’enfants. Je pèse mes mots. Je n’en dirai pas plus parce qu’il y a une instruction en cours. »

Bien davantage que les révélations de L’Humanité, c’est bien l’incendie provoqué par la sortie de Martine Bouillon qui préoccupe en réalité la ministre de la Justice. Elle saisira en effet le Conseil supérieur de la magistrature qui sanctionnera la magistrate (déplacement d’office). Notons que le CSM comptait alors parmi ses membres Michel Joubrel, substitut du procureur général près la cour d’appel de Versailles et ancien président de l’Union syndicale des magistrats.

Ce dernier, qui a contribué à sanctionner Martine Bouillon, sera arrêté en 2003 pour téléchargement et détention de plus de cinq mille photos et vidéos pédopornographiques lors de perquisitions à son domicile, dans son bureau à la cour d’appel de Versailles mais encore dans sa résidence secondaire en Bretagne. Mis à la retraite d’office en 2004, radié en 2005,il sera condamné à Tours en 2006 à… 1 000 euros d’amende et huit mois de prison avec sursis.

Martine Bouillon,dont la sanction s’était tout de même accompagnée de la reconnaissance d’un « dossier professionnel dans l’ensemble assez favorable » et d’un « engagement manifeste en faveur de l’enfance en détresse », sera finalement amnistiée en mars2001 par Marylise Lebranchu qui, entre-temps, a remplacé Élisabeth Guigou place Vendôme.Quant au reportage Viols d’enfants : la fin du silence, il n’a pas été mis en ligne sur le site tout public de l’INA. On ne peut y accéder sans les codes INA Media pro (journalistes) ouInathèque (bibliothèques de recherche). Ce qui n’empêche pas des copies de circuler sur Internet et d’offrir une deuxième vie à ce courageux reportage. D’où un intérêt du public jamais démenti et un succès tel qu’Élise Lucet a été sommée de se justifier, plus de vingt ans après, par Patrick Cohen dans l’émission C à vous (France 5, 16 mars 2023) :

– PatrickCohen : Si vous regardez les réseaux sociaux, […] vous êtes cités comme caution par ceux qui prétendent qu’aujourd’hui des pédosatanistes utilisent le sang des enfants, je m’arrête là. ;

– Élise Lucet : Pas du tout, très franchement on n’était pas du tout dans des réseaux satanistes. C’était pas ça du tout l’histoire. C’était des réseaux de prostitution d’enfants par leurs parents. On était très loin de tout ça et loin de moi l’idée de vouloir porter caution à quoi que ce soit de ce style, mais pas du tout. Je ne serais pas capable de retracer le documentaire vingt-cinq ans après à la minute près, maison est à des milliers de kilomètres de ce qu’on raconte. Donc je rétablis la vérité. Non. Et je pense qu’il ne faut pas utiliser ce documentaire pour justifier les propos qui sont tenus aujourd’hui. »

S’il s’agit de « rétablir la vérité », rappelons que le reportage Viols d’enfants : la fin du silence couvrait une affaire judiciaire, au départ assez classique, prenant racine dans un divorce survenu en août 1994 qui avait vu les deux enfants du couple, un garçon de 5 ans et une fille de 8 ans, confiés à la mère. Le père en avait la garde un week-end sur deux.Jusque-là, rien de plus classique. Sauf qu’en janvier 1996,la mère fait constater par un médecin des hématomes sur les corps des enfants dont l’état psychique semble se détériorer. Elle constate également des troubles du comportement se manifestant par une régression dans le développement.

Trois mois plus tard, la fille qui refuse désormais de se rendre chez son père, avertit sa mère que son frère est en danger.Emmenés chez un pédopsychiatre, les enfants, terrorisés, vont alors, durant trois ans, avec l’aide de dessins, se livrer progressivement. Dans un langage maladroit et enfantin, ils parlent d’abord de coups, d’attouchements, puis de viols en réunion et enfin de meurtres d’enfants (« un peu arabes ou des choses comme ça » explique la fille) par décapitation au cours de cérémonies rituelles. Mêlant sacrifices d’enfants et cannibalisme, ces cérémonies sont, selon les enfants, menées par un mage que ses adeptes appellent « Boucnoubour ».

Pendant les cérémonies, les adultes sont revêtus de capes blanches et rouges, portent d’étranges croix sur leurs épaules, tandis que les enfants ont préalablement été hypnotisés. Le pédopsychiatre Pierre Sabourin écarte la thèse du délire et de l’affabulation des enfants et prend leur parole au sérieux.
Inimaginable (au sens propre du terme), le récit dont les deux enfants accouchent lentement au fil des séances comprend de éléments de descriptions précis et concordants. Parallèlement, en octobre 1996, à la suite d’une plainte déposée par la mère, l’enquête est confiée à la commissaire divisionnaire Nicole Tricard de la Brigade de protection des mineurs (BPM).

Si le témoignage des enfants a été pris au sérieux par le pédopsychiatre, ces derniers sont incapables, étant donné leur âge, de donner des lieux ou des identités d’individus, excepté leur père. Ils décrivent et dessinent toutefois avec force détails un hôtel particulier situé dans les beaux quartiers de l’ouest parisien dont les sous-sols ont été aménagés pour accueillir les cérémonies. L’ancrage social du groupe dans la bonne bourgeoisie sera confirmé pendant l’enquête au cours de laquelle seront interrogés le père, ostéopathe de profession, ainsi que huit personnes de son entourage, parmi lesquels un journaliste, une décoratrice de cinéma, un pilote de ligne, une conseillère en communication, etc.

Mais rapidement, l’enquête s’enraye. Malgré la gravité des crimes potentiellement commis, la juge d’instruction chargée de l’affaire, explique à France 3 que « la Brigade de protection des mineurs qui par ailleurs a fait une grosse enquête n’a ni le temps, ni les moyens de faire des filatures. Les filatures, c’est réservé aux gros trafiquants. »

Si le père a été placé sur écoutes, ses conversations téléphoniques font ressortir, dès le début de l’enquête, qu’il a, selon ses dires, « des renseignements de ce qui se passe en fait chez le juge de temps en temps ». Sur le PV du 1er janvier 1997, on lit : « Mentionnons qu’il apparaît que Monsieur X [le père] a su par des indiscrétions dans le cabinet du juge pour enfants que sa fille a parlé de la secte ».

La « taupe » n’est autre que la tante du père, greffière dans un tribunal. Trois mois plus tard, le père est mis en examen pour viols sur mineurs de (moins de) 15 ans, agressions sexuelles sur mineurs, corruption de mineurs, fixation, enregistrements de l’image à caractère pornographique de mineurs. Ce qui n’empêche pas la justice de l’autoriser, le mois suivant, à revoir ses enfants…

Il faut dire que, de toute évidence, la juge d’instruction n’a pas cru les enfants. Quand elle les auditionne, début 1998, l’avocate de la mère, Me Catherine Lardon-Galéote, n’a pas été conviée. À sa place, est entrée en scène une avocate choisie par la justice, Me Patricia Guertzon-Blimbaum.

Le 28 mai 1998, la juge d’instruction refuse le complément d’enquête demandé par l’avocate de la mère, arguant qu’« attendu en effet que si on ne peut nier l’existence des sectes en France ni leur emprise grandissante, il apparaît en revanche inimaginable que dans le cadre de ces groupements, il puisse y avoir, ainsi que le déclare Marie [la fille] « des têtes d’enfants au bout de pics » qui brûlent, « une tête et des mains d’enfants coupées et des bocaux sur une table contenant des mains d’enfants ».

Attendu d’autre part, bien que Pierre [le fils] ait déclaré au cours de la confrontation que des femmes mettaient aussi leur zizi dans sa bouche et dans ses fesses, cela est à l’évidence, matériellement impossible [NDA : les « études de genre » ne sont pas encore à la mode et, ce n’est que quinze ans plus tard que les « femmes à zizi » deviendront le nec plus ultra du « progressisme « …]. Par ces motifs, rejetons les demandes d’investigations supplémentaires sollicitées par Me Lardon-Galéote. »

Ainsi, la juge d’instruction semble-t-elle s’asseoir sur l’expertise psychiatrique qu’elle a elle-même demandée, une expertise décrivant certes un « témoignage [qui] mérite d’être reçu avec prudence », mais concluant à une « crédibilité globale des propos des enfants ». En outre, le Pr Philippe Mazet, chef du service de psychiatrie de l’enfant à la Pitié-Salpêtrière rejette catégoriquement l’hypothèse des fausses allégations d’enfants qui peuvent intervenir dans un contexte de règlement de compte entre parents à l’occasion d’un divorce.

Aussi, interrogés par les journalistes de France 3, Paul Ariès (peu suspect de « conspirationnisme ») accrédite le témoignage du fils, celui qui a justifié le refus d’un complément d’enquête par la juge d’instruction Danielle Ringot (« des femmes mettaient aussi leur zizi dans sa bouche et dans ses fesses »), en expliquant que les adeptes de ce type de secte se présentent « fréquemment » comme des hommes qui sont des « pures femmes » dans le sens de la fécondation d’un « surhomme » et que la barbarie ritualisée renvoie à une « augmentation de sa propre puissance » par la souffrance subie ou infligée.

Ajoutons qu’en marge d’un entretien téléphonique avec les journalistes de France 3 organisé sous le contrôle de son avocate Monique Smadja-Epstein, le père des enfants a tout de même parlé ouvertement de « la pulsion de l’inceste qui remue chacun de nous-même. »

En outre, les écoutes ont fait ressortir une conversation du père avec une de ses relations pendant laquelle sont abordées explicitement des sectes « très connues qui préconisent justement des choses où les limites deviennent un peu floues au niveau de ce qu’il est possible de faire avec son enfant. »

Des éléments dont fera fi Danielle Ringot, la juge d’instruction, déjà à l’œuvre dans l’affaire de Zandvoort, qui prononcera une ordonnance de non-lieu. Élise Lucet, qui avait introduit son reportage sous l’angle du « déni de justice », de la parole des enfants « pas entendue » et de la « loi du silence », explique
donc aujourd’hui qu’« on n’était pas du tout dans des réseaux satanistes », alors que même Libération (11 mai 2000) avait parlé, au sujet de ce reportage, de « véritables cérémonies sataniques ».

Si ces réseaux sont mal connus et leur existence parfois contée, des confessions très similaires ont été recueillies en France et en Suisse romande par Didier Cazet, Ralf Hermersdorfer et Tanya Schmidt dans Spezial : Die unangenehme Wahrheit – Missbrauchte Kinder, gequälte Seelen (La désagréable vérité : des enfants maltraités, des âmes torturées) diffusé sur la chaîne allemande N24 le 2 décembre 2002 (des copies circulent sur Internet sous le titre Snuff-Movies et Messes Noires en France) qui met en lumière que ce type de pratique se déroule dans un cadre familial, souvent de génération en génération.

Certains des témoignages du reportage semblent renvoyer à l’affaire Dutroux et des photos d’un des enfants interrogés ont été retrouvées sur les CD-ROM de Zandvoort mais ces pistes n’ont manifestement jamais été prises en compte dans le cadre des enquêtes menées sur ces affaires. Par ailleurs, Charles-Louis et Diane Roche, les enfants du juge Pierre Roche, président de chambre à la cour d’appel de Montpellier, ont décrit en décembre 2005, face caméra, des pratiques rituelles similaires dans les réseaux de pouvoir que fréquentait leur père, établissant un lien entre la disparition de ce dernier, le 22 février 2003 et l’affaire Patrice Alègre qui éclata deux mois plus tard.

Ce témoignage, qui selon ses auteurs constitue « le volet secret de l’affaire Alègre » circule sur Internet sous le titre Témoignage des enfants du magistrat Pierre Roche. Dans la même veine, on consultera L’Enfant sacrifié à Satan de Bruno Fouchereau (Filipacchi, 1997) qui a recueilli le témoignage de Samir Aouchiche, survivant d’un groupe analogue répondant au nom d’Alliance Kripten. Une épaisse bibliographie sur ce sujet trop méconnu a été publiée dans MK. Abus rituels et contrôle mental sous-titré Outils de domination de la « Religion sans nom » (Omnia Veritas, 2016) dont l’auteur, Alexandre Lebreton, explore en particulier le processus de « dissociation » (le terme est employé par Camille Kouchner) qui s’opère chez les individus ayant grandi dans ces réseaux.

Très rarement traité en France, ce thème a été abordé en 2011 dans l’émission Sur les docks de France Culture par le père Georges Morand qui, confronté à ces sociétés secrètes dans le cadre de ses activités au diocèse de Paris, explique avoir rencontré « des personnes qui ont été la proie de groupuscules satanistes extrêmement redoutables pratiquant ce que l’on appelle les messes noires liées à des rites de sorcellerie et de magie, avec des meurtres rituels […] sous le double couvert, et je pèse mes mots, d’une part de la mafia, tous les réseaux mondiaux de la prostitution de bas et de haut étage, du trafic de drogues et d’autre part de personnalités que l’on pourrait dire au-delà de tout soupçon qui tiennent des postes clés dans notre civilisation, que ce soit dans le monde de la politique, toutes tendances politiques confondues […], dans le monde de la magistrature, dans le monde scientifique, dans le monde de la finance, dans le monde intellectuel […] et je dirais même hélas, trois fois hélas, dans le monde ecclésiastique »

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