SPECTACULAIRE: L'ACCROISSEMENT DES COUVERTURES DE GLACE
EN TRAITS PLEINS : l'accroissement des zones de neige et glace qui atteignaient le 10 février 1972 dans l'hémisphère Nord une couverture de 66,7 x 106 km², par rapport aux " frontières " de 1970, au plus dur moment de l'hiver (en traits pointillés).
AU CENTRE (petits pointillés), de larges étendues de banquises ont été gagnées sur la mer durant l'année 1973. Ces relevés soulignent l'événement climatique primordial, à savoir que ces trois dernières années, les zones de neige et glace se sont considérablement plus étendues que durant les sept années antérieures. Et toujours plus tôt, chaque année.
Le refroidissement en cours du climat mondial alarme les experts agronomes de tous les États. Car il menace les zones tempérées d'une baisse nette des récoltes, peut-être aussi de catastrophes agricoles et donc d'une famine sans précédent. Remède possible : faire fondre l'Arctique.
Le manque d'eau en Afrique et aux Indes, le refroidissement progressif de la température depuis quelques années, l'augmentation des surfaces d'enneigement dans l'hémisphère nord, ne sont pas des coïncidences, ni des "accidents de parcours" qui interrompent de façon transitoire la stabilité du climat mondial. Les experts de la climatologie, réunis le mois derniers à San Francisco, pensent que ces phénomènes reflètent une tendance actuelle de modification fondamentale du climat.
Ces changements, comparables qui se sont produits dans le passé et qui ont eu des répercutions humaines considérables, risquent d'avoir des conséquences graves sur l'agriculture dans les régions tempérées, qui sont les sources principales d'alimentation pour le monde entier. Avec une inquiétude qui veut éviter l'alarmisme, la plupart des climatologistes participant à la réunion annuelle de l' American Association for the Advancement of Science, s'accordent pour constater que les circonstances actuelles pourraient présager une disette imminente, voire une famine, sur une vaste échelle.
Les crises des derniers mois, qui ont vu les réserves céréalières mondiales pratiquement réduites à zéro, un début de famine en Afrique, et la disette aux Indes, pourraient signifier la fin d'une sorte d'âge d'or climatique et agricole, qui a duré trois ou quatre décades, et lors desquelles une croissance démographique sans précédent a été rendue possible par des récoltes exceptionnelles.
Selon le professeur Donald Gilman, directeur du Groupe de Prédictions à Long Terme du Service National Météorologique des Etats Unis, les régions productrices de céréales de l'Amérique du Nord ont connu 15 années de chance sans précédent. " Sans même avoir de théorie en ce qui concerne l'évaluation des climats, on ne devrait pas s'attendre à ce qu'une telle chance continue encore pendant longtemps. " Or, ces régions productrices de 1'Amérique du Nord représentent environ 65% de toutes les exportations mondiales de céréales.
Quant au climat de certaines régions tropicales, soumises à des régimes de mousson, semble aussi changer, notamment en Afrique et aux Indes, où les conditions, favorables depuis une trentaine d'années, ont provoqué une croissance démographique rapide. Depuis deux ou trois ans, l'Afrique occidentale en particulier a souffert de sécheresse, qui a décimé le cheptel et provoqué la famine dans une région comprenant six pays et une population de 22 millions (Sénégal, Mauritanie, Mali, Haute-Volta, Niger et Tchad). Plus de 100000 personnes sont mortes de faim.
Selon le professeur Reid A. Bryson, directeur de l'Institut des Etudes Environnementales de L'université du Wisconsin, cette région du Sahel a souffert d'un recul progressif de la pénétration des pluies du régime de la mousson vers les régions désertiques. " Dans toute l' Afrique occidentale, ce modèle, dit-il, a été remarquablement constant. " Quant aux Indes, notamment la partie nord, on sait que les sécheresses graves ont correspondu aux périodes de refroidissement. " La reconstitution de climat dans le passé aux limites nord de la mousson, montre que pendant les périodes froides ces régions étaient de vrais déserts. "
La possibilité d'un changement climatique à long terme peut être déduite également, de l'histoire climatique du passé - science qui acquiert une certaine précision, grâce à l'étude de " carottes " glaciaires, arbres fossiles, spécimens géologiques, et sédiments marins. On connaît aujourd'hui L'évolution du climat sur terre, depuis un million d'années - évolution qui se résume en une alternance de périodes froides ( de glaciation) et chaudes (interglaciaires).
Le professeur John Imbrie, de Brown University (Providence), qui participe à un projet international d'études climatiques, CLIMAP, remarquait d'abord un aspect encourageant : il ne semble pas, d'après l'étude de ce passé climatologique, que la planète subisse dans les 100 000 ans à venir des variations climatiques plus importantes que celles qu'elle a connues depuis 20 000 ans. Encourageant, dit-il, " car après tout, cette période de 20000 ans n'a connu l'extinction que d'un très petit nombre d'espèces vivantes ". Il faut ajouter que de grandes migrations ont contribué à l'adaptation de ces changements climatiques, migrations qui risqueraient, de nos jours, de poser des problèmes économiques et politiques importants, ne serait-ce que du fait de la densité de la population et de l'existence de frontières.
Moins encourageant, toutefois, est le fait que les périodes interglaciaires les plus longues ne durent que 12 000 ans (les plus courtes étant de 2000 à 3000 ans, et la moyenne se situant vers 10000 ans).
Or, la période interglaciaire dans laquelle nous vivons dure déjà depuis 10 000 ans environ. Depuis quelque 6 000 ans les glaciers sont en progression, et 'le climat, à travers ses oscillations, devient graduellement plus froid.
L'étude des surfaces recouvertes de neige ou de glace, réalisée sur une base hebdomadaire à partir de prises de vue de satellites météorologiques indique, elle aussi, un refroidissement. Le professeur George L. Kukla, de l'observatoire Géologique Lamont-Doherty de l'université ,de Columbia, constate, depuis 1967, des variations importantes, avec une augmentation des surfaces enneigées atteignant 12 % en cinq ans et ne donnant pas signe de diminution.
Cette variation est d'autant plus importante qu'elle se manifeste par une diminution du montant total d'énergie solaire absorbée par la terre. En effet, alors qu'un terrain avec une végétation normale ne perd, par réflexion, que 15 à 20 % de l'énergie solaire qu'il reçoit, et absorbe le reste, un terrain couvert de neige ou une surface de glace perd par réflexion environ 80% de 1'énergie incidente. Et il y a, pour ainsi dire, un " effet boule de neige " plus il y a de neige, plus il fait froid, plus , tombe de neige.
L'hémisphère nord, où la surface des terres émergées est bien plus importante que dans l'hémisphère sud, est particulièrement sensib1e à ces variations. Dans cet hémisphère, la surface totale couverte de neige ou de glace étai de 32,9 millions de km carrés en 1968 ; elle a passé brusquement à 36,9 millions en 1971, e a oscillé depuis lors entre 36,7 et 37,5 millions de km carrés.
Les climatologistes ne peuvent encore établir avec certitude les interactions multiples qui se soldent par des changements climatiques, mais le professeur Kukla n'en pense pas moins que les extrêmes anomalies climatiques qui ont été observées depuis deux ou trois ans sont reliées à cette perte d'absorption d'énergie solaire. Ces anomalies, selon l'Organisation Météorologique Mondiale, étaient nombreuses: grande activité cyclonique sur 1'Atlantique Nord et L'Europe occidentale; basse pression atmosphérique dans les tropiques et les sub-tropique; températures anormalement basses dans certaines régions; fortes précipitations en Asie de L'Est et le long du Pacifique, et en Amérique du Nord; sécheresse ailleurs, notamment en Afrique occidentale.
La " couverture " globale de neige et de glace, dont on fait la moyenne pour L'année. est pour le professeur Kukla, un indice important. L'augmentation de cette " couverture " a été spectaculaire. En effet, les calculs réalisé, par les climatologistes montrent que lors de la dernière période glaciaire, cette couverture atteignait une surface totale entre 60 et 70 millions de km carrés, soit environ 30 millions de plus qu'aujourd'hui.
Or, remarquait le professeur Kukla, en 1971, cette surface augmentait de 4 millions de km carrés; il suffirait de sept augmentations de la même importance pour que nous nous retrouvions avec une " couverture " de neige et de glace aussi importante qu'elle l'était lors de la dernière période glaciaire.
Mais il en faut beaucoup moins pour perturber l'agriculture des zones favorisées qui représentent aujourd'hui le " grenier du monde " : Les Etats-Unis et le Canada en premier lieu, l'Australie ensuite.
Une étude des précipitations et des changements de température dans la " ceinture céréalière " des Etats-Unis montre que depuis une vingtaine d'années, les pluies sont régulières, qu'il n'y a ni déluge, ni grande pénurie d'eau : c'est un calme plat qui n'est pas du tout typique des 50 années précédentes, lors desquelles des fluctuations majeures avaient été observées. Pendant ce calme plat favorable à la production, les variétés de céréales cultivées ont été génétiquement accordées à ces conditions anormalement bonnes, que l'on ne peut pas s'attendre à voir continuer.
" Nous pouvons vraiment nous attendre à une secousse climatique importante dans ces régions dans les quelques années à venir, peut-être même dans l'année qui vient, disait le Dr Gilman. " Il me semble que si l'on voulait planifier une stratégie de production alimentaire on devrait penser à se protéger des mauvaises années que ces régions n'ont pas connues récemment. "
On se rend compte, en effet, qu'une mauvaise récolte en Amérique du Nord, source principale de céréales exportées, serait catastrophique moins peut-être pour les Etats-Unis et le Canada, que pour le reste du monde et surtout les pays qui dépendent de ces céréales pour leur subsistance. Car on sait bien, surtout depuis l'année dernière, quand des achats massifs de blé par l'Union Soviétique ont fait monter de façon spectaculaire le prix de toutes les céréales, que lors d'une disette les lois de l'offre et de la demande louent inexorablement. Et que, sur un marché libre, le pays pauvre ne pèse pas lourd en face du pays riche.
Or, il ne semble pas qu'il y ait de stratégie " protectrice ". Selon le professeur Wayne Decker, du Département des Sciences de l' Atmosphère de l'Université du Missouri, la sélection des variétés cultivées se fait progressivement d'année en année, et les spécialistes agricoles conseillent généralement l'utilisation de variétés qui sont les plus rentables dans les conditions ,de leur utilisation. Il est pratiquement impossible, remarquait-il, de tester de nouvelles variétés dans des conditions de stress, à moins que ce stress ne se produise naturellement.
L'évolution du climat depuis un million d'années
Notre génération a connu une température anormalement élevée. A long terme, le période inter-glaciaire chaude, telle que le monde l'a connue depuis une dizaine d'années, représente l'exception plutôt que la règle en ce qui concerne le dernier million d'années sur terre. C'est ce qui ressort des tableaux ci-dessus.
Fig.1) Les derniers 100 ans
Froid vers 1880 et 1900, le climat s'est progressivement réchauffé jusqu'en 1940-1950 (1), mais est entré depuis dans une phase de refroidissement.
Fig.2) Les derniers 1000 ans.
Le XIXe siècle marquait la fin d'une période de " petite glaciaton "(2) qui avait commencé vers 1400 et avait été durement ressentie vers le milieu du 17e siècle.
Fig.3) Les derniers 30 000 ans
Cette " mini-glaciaton " (2) se retrouve à la suite de beaucoup d'autres et notamment (3) dans une période interglaciaire chaude qui a déjà duré s'inscrivent en dent de scie.
Fig.4) Les derniers 150 000 ans
Condensé sur 150 000 années, le climat fait ressortir l'avant dernière période interglaciaire (5) apparue il y a environ 125 000 as et dont la température moyenne était équivalente à celle de la période inter-glaciaire actuelle (4).
Fig.5) Depuis un million d'années
Sur ce tableau qui couvre 1 million d'années, l'alternance des périodes inter-glaciaires, tous les 100 000 ans environ, apparaît encore plus nettement. (Le climat est exprimé en variations du volume global de glace qui vont de pair avec les variations de température).
De nombreuses variété de céréales cultivées aux Etats Unis précise-t-il, ont un matériau génétique très étroit: " Ils on les mêmes papas et les mêmes mamans. " Ce qui est effrayant, dit-il, c'est de penser que non seulement une variété, mais toutes ou la plupart des variétés cultivées, seraient vulnérables à un stress inattendu (comme c'était le cas aux Etats-Unis en 1970, lorsqu'une énorme partie de la récolte de maïs, d'une variété susceptible à une forme de rouille, était perdue).
Le risque est d'autant plus grave aujourd'hui que la production " mondiale ", de céréales est plus concentrée qu'elle ne l'était il y a un demi siècle. Un début de glaciation perturberait profondément la productivité de ces régions, alors que les récoltes de canne à Sucre ou de bananes dans les régions tropicales ne seraient pas affectées.
Quelles solutions proposent les climatologistes ?
Pour beaucoup, l'idéal serait de maintenir un statu-quo climatique optimal, mais un tel projet relève encore d'une science-fiction qui risque d'être dangereuse, car les relations multiples qui déterminent le climat ne sont pas suffisamment connues, non seulement en vue d'entreprendre des modifications massives, mais même de pouvoir faire des prédictions valables à long terme.
Une possibilité, suggérée il y a quelques années, est de faire fondre une partie de la couche de glace, épaisse de 2 à 3 m, sur l'océan Arctique. Un océan " Ouvert " tempérerait le climat arctique, provoquant dans ces régions une augmentation de température de 10 à 15 °c. L'un des moyens suggérés pour faire fondre cette masse de glace est ,de répandre à sa surface des particules sombres (de la suie, par exemple) pour augmenter ;l'absorption de la radiation solaire. On pourrait envisager également une série d'explosions thermonucléaires" propres " pour rompre la glace et faire remonter vers la surface des eaux plus chaudes. Mais les conséquences d'un tel projet sont encore imprévisibles l'une d'elles pourrait être d'accélérer la glaciation de l'hémisphère Nord, car l'accroissement de l'humidité atmosphérique risquerait d'augmenter considérablement l'enneigement.
A l'heure actuelle, remarquait le Dr William W. Ke1log, du Centre National de la Recherche Atmosphérique (Colorado), même l'action très limitée d'ensemencer des nuages peut avoir des conséquences imprévisibles. Selon certains experts, les inondations récentes dans le Dakota du Sud auraient pu être provoquées par de tels ensemencements, réalisés dans la région quelques jours auparavant.
Pour le moment donc, on peut continuer à parler du temps, sans pouvoir faire grand-chose pour le changer. Il faut donc tenter de préparer l'agriculture à la possibilité de conditions climatiques nouvelles, et de décentraliser, afin d'éviter que tous les reufs se trouvent dans le même panier.
A moins d'un ralentissement net de la croissance démographique, l'agriculture moderne et l'utilisation d'engrais chimiques seules, semble t-il, permettraient de surmonter cet obstacle pour sortir de ce que le Dr L. George Harrar, président honoraire de la Fondation Rockefeller, définit comme " une situation dangereuse de dépendance et qui pourrait se solder par une famine massive s'il y avait un ou deux échecs agricoles en Amérique du Nord... Nous ne pouvons pas nous permettre qu'un pays produise, 5 à 10 boisseaux de blé par acre alors qu'un autre en produit 40 à 50 quand tous les deux pourraient avoir la même production ".
Ce n'est pas facile. On peut envisager d'accroître la production céréalière dans les régions tropicales, qui ne souffriraient pas d'un début de glaciation. " Mais la plupart de ces régions n'ont pas les ressources pour ce genre d'agriculture. Même aux Etats-Unis, remarquait . le professeur Decker, il serait difficile de déplacer la " ceinture du blé vers le sud. " Le sol dans les tropiques est là depuis longtemps ; presque tout ce qu'il contenait de soluble a été délavé, et la plupart des substances nutritives se trouvent dans la végétation naturelle du système. Le problème c'est que lorsque vous supprimez la végétation naturelle, pour planter autre chose, vous enlevez également les réserves d'éléments nutritifs.
Il y a 25 ans, remarquait-il, la plupart des régions du monde se trouvaient en position d'exportateurs. " Aujourd'hui, l'avenir ne semble pas encourageant.
Une augmentation annuelle d'au moins 4% de la production alimentaire est nécessaire pour nourrir la population actuelle, avec les quelque 75 millions d'individus qui s'y ajoutent chaque année (soit 200000 par jour) et pour pouvoir établir des réserves...
Nous n'avons pas atteint ce chiffre de 4%, et en conséquence les nations pauvres sont devenues encore plus dépendantes de L'Amérique du Nord et de L'Australie. " (Trois pays exportent chaque année quelque 90 millions de tonnes de céréales - les Etats-Unis, environ 65 millions; le Canada, 17 000 et L'Australie, 8000.).
Dans cet état des choses, une série de mauvaises années en Amérique du Nord, comparables aux mauvaises années dont ont souffert les pays du Sahel, auraient des conséquences difficilement imaginables. Une véritable révolution verte, à l'échelle mondiale, semble être la seule solution pour éviter la famine lors d'un retour inévitable du prochain cycle de glaciation, ou même d'un refroidissement transitoire caractéristique d'une " petite glaciation ".
Alexandre DOROZYNSKI
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