Certains de nos élus s’en mettraient plein le nez, dit la rumeur depuis des années. Mais est-ce vrai ? Enquête dans les arrière-cuisines, où l’on exige le off et l’anonymat.
Ce sont quatre petites photos disposées en mosaïque sur lesquelles on voit Emmanuel Macron se frotter le nez du revers de la main. Au centre, un cinquième cliché le montre les yeux mi-clos. C’est une vidéo du même Macron reçu à la Maison-Blanche, occupée alors par un Donald Trump qui lui époussette le col de sa veste. Des pellicules ? Tout autre chose, suggèrent ceux qui la relaient. C’est encore une vidéo, mais de François Asselineau, cette fois, qui affirme que personne en France n’aurait échappé à la rumeur selon laquelle « M. Macron consommerait des psychotropes ou des drogues, et notamment de la cocaïne ».
C’est enfin le tweet d’une élue versaillaise, ancienne candidate Reconquête ! aux législatives, qui explique que « l’accident de Palmade interroge sur l’état du président Macron quand il prend des décisions engageant la Nation ». Le tout suivi des mots-clés #coke, #cocaine, #drogue, au cas où on n’aurait pas saisi la subtilité du message. Le bruit court sur les réseaux sociaux – et dans le pays, donc, d’après Asselineau : pour l’actuel chef de l’État, la poudre de perlimpinpin, ça ne serait pas qu’une formule.
L’accident de #Palmade interroge sur l’état du Président #Macron quand il prend des décisions engageant la Nation. #coke #cocaine #drogue “— Céline Jullié (@CelineJullie) February 14, 2023
« Soirées orgiaques »
Tous nos présidents ont eu droit à pareil soupçon. Tous, à l’exception notable – mais est-ce vraiment à son avantage ? – de François Hollande. Sarkozy ? Cette hyperactivité politique et ces épaules qui ne cessaient de tressauter, il fallait y voir un signe. Mitterrand ? Pour pouvoir tenir avec la maladie, il fallait bien qu’il soit aidé, y compris par des substances inavouables. Quant à Chirac, il n’était pas seulement dopé à la conquête du pouvoir, aux femmes et à la tête de veau, il aurait pris de la coke au mitan des années 1980, mais se serait révélé mauvais payeur.
Du moins, c’est ce que prétend depuis quelques années un personnage fantasque et volubile, Gérard Fauré, le « dealer du Tout-Paris » selon le titre de son livre paru en 2018 (Nouveau Monde). Aujourd’hui, à 76 ans, il revendique trente-cinq années de consommation de coke derrière lui et maintient ses propos : « J’ai été traité de mythomane à tout-va. Mais tout ce que j’ai dit a été confirmé. » Même si ça ne prouve rien, de sa voix rauque et de cet accent hérité de son Maroc natal, il affirme à Marianne n’avoir eu « aucun ennui judiciaire » après parution : « Claude et Bernadette Chirac auraient pu m’attaquer. Elles n’ont pas osé, elles savaient que j’avais du biscuit… »
Dans son bouquin, Fauré, qui désormais voit des pédophiles partout, désigne comme gros client une autre personnalité politique mystérieusement baptisée « B. ». « Un homme bien sous tous rapports » écrit-il, au « physique de directeur d’agence bancaire » mais organisateur de « soirées orgiaques dédiées à son ami, complice et protecteur Jacques Chirac ». B., ce serait Jacques Barrot – Fauré livrera son nom lors de la promotion de son livre –, un aimable démocrate-chrétien décédé en 2014 et passé au Commerce, à la Santé et au Travail sous Giscard et Chirac. Il suffit en fait de lister les effets de la cocaïne pour comprendre pourquoi on en prête autant l’usage à nos responsables politiques : « C’est un psychostimulant, on dort moins, la concentration est plus importante. C’est un désinhibiteur, on a un sentiment de toute-puissance. Ce qui peut avoir un avantage, au moins au départ » explique Julien Azuar, médecin addictologue à l’hôpital parisien Fernand-Widal.
Preuves
Mais comment savoir si nos politiques en consomment vraiment et en aussi grande quantité qu’on le prétend ? Aucune étude scientifique sur le sujet. Seulement une « expérience » menée par une équipe de télé italienne fin 2006. Cinquante parlementaires se retrouvèrent invités à un entretien face caméra. Au moment du maquillage, à leur insu, une lingette fut utilisée pour prélever de la sueur et la faire analyser. Résultat : 12 se révélèrent positifs au cannabis, 4 à la cocaïne. De quoi permettre au quotidien la Repubblica de titrer, expéditif : « Un député sur trois consomme de la drogue ». Mais c’était l’Italie et c’étaient les années Berlusconi…
En France, il en est un, un sur 577 députés, qui vient de se faire pincer, rattrapé par la patrouille Mediapart : Emmanuel Pellerin, avocat de profession et successeur de Thierry Solère dans la 9e circonscription des Hauts-de-Seine. Pellerin a reconnu auprès de nos confrères avoir pris de la cocaïne et a fini par se mettre « en retrait de la vie de [son] groupe politique et du parti Renaissance ». Après une première procédure classée sans que le parlementaire soit auditionné et à la suite de l’article de Mediapart qui s’en étonnait, le parquet de Nanterre a décidé d’en ouvrir une nouvelle pour « usage de stupéfiants ». Cette fois, Pellerin a été entendu – et même ses enfants. Il doit par ailleurs répondre à une convocation de Renaissance devant une commission disciplinaire dans quelques jours. Il tient donc sa langue. Pas son entourage, qui assure à Marianne malgré les éléments avancés par le site d’investigation, que sa consommation aurait duré « à peine dix-huit mois » et serait « antérieure à sa vie politique ». « Une analyse toxicologique montre qu’en juillet 2022 il n’a pas consommé » avance un proche.
Hypocrisie
Mais il est un volet de l’affaire bien plus ennuyeux que la « simple » prise de drogue, puisqu’il serait question d’un début d’intervention au sommet de l’État dans ce dossier. Emmanuel Pellerin a en effet affirmé avoir été alerté de la première procédure judiciaire le visant par Thierry Solère, ce dernier ayant été informé par « la chancellerie ». Ce que nient à la fois Solère et Dupond-Moretti. Reste que l’entourage de notre député Renaissance veille sur lui et menace à mots couverts ceux qui, dans son propre parti, seraient tentés de le mettre définitivement au ban : « Le traitement qui lui est réservé est hypocrite. On voit des gens prendre des postures qu’ils pourraient regretter à l’avenir. » En clair : il n’est pas seul à pouvoir être pris le nez dans la poudre…
Des mots en l’air ? Pas sûr. Au Palais-Bourbon, Pellerin n’est ni le premier ni le dernier à se faire un trait. Stéphane* peut en témoigner. Il a été collaborateur d’un député élu sous l’étiquette En Marche ! lors de la précédente mandature. Il raconte avoir vécu avec son patron une sorte de vaudeville permanent sous stupéfiants : « Beaucoup de collabs prennent de la cocaïne. Des députés aussi. Mon député, lui, en faisait un usage quotidien. Il en proposait à son équipe. On pouvait bosser sur un amendement dans le bureau, il sortait un pochon, se faisait un rail et on poursuivait comme si de rien n’était. » Et la discrétion ne semblait pas être sa préoccupation première, « vu le nombre de pailles laissées dans les poubelles du bureau… ».
Avec de l’argent public
Notre élu n’allait pas jusqu’à se fournir lui-même : « C’était un autre collaborateur qui était chargé de commander reprend Stéphane, pour que le dealer ne fasse pas chanter mon député – la coke, ça rend parano… Les transactions se déroulaient à proximité de l’Assemblée, aussi simplement qu’on se procurerait un paquet de clopes. » Sauf que les achats se faisaient parfois avec de l’argent public, via l’AFM du parlementaire, son enveloppe de frais de mandat, puisqu’une petite part des dépenses peut être réglée en espèces sans qu’il y ait à présenter de justificatifs (à hauteur de 150 € par semaine)…
Est-ce à dire que la coke est présente en masse dans le monde politique ? Il y en a, oui. Et de façon plus importante chez la jeune génération. Cependant, Philippe*, ex-collaborateur d’un élu socialiste, en relativise l’usage : « C’est plutôt le fait de personnes à la marge du milieu politique : les intellos, les conseillers, les plumes, les éditeurs, les journalistes. Dans ce milieu parapolitique, les gens sortent des toilettes sans tirer la chasse. Ou ce sont de gros dégueulasses, ou voilà, quoi… » Lui-même dit avoir vraiment plongé après une défaite électorale : « Quand tu as fait de la politique ta vie et que subitement plus personne ne t’appelle, c’est dur. » Mais ça n’est encore rien par rapport à ce qu’il connaîtra après : « Un dealer, c’est d’abord un commerçant, puis un geôlier, ensuite ça devient un bourreau. C’est le système concentrationnaire à l’échelle de votre salon. » À se demander si un personnage politique de tout premier plan pourrait être un consommateur régulier sans exploser en vol ? « Nous sommes tous différents face à une substance explique le Dr Azuar. Et consommation ne dit pas forcément maladie. Surtout, personne ne peut déterminer d’un simple regard si quelqu’un a consommé. »
Débauche en macronie ?
En tout cas, un nom revient souvent dans les conversations, celui d’un ministre actuel haut placé. Sans que l’on sache si cela est avéré ou si les bruits de couloirs nourrissent les bruits de couloirs au point de faire grossir le vacarme de la rumeur. Une source évoque les fêtes dantesques de son cabinet pendant le confinement. Une autre s’étonne de l’« agressivité » de l’intéressé qui n’aurait rien de « naturelle ». La plupart des gens confirment non pas les faits mais que le nom tourne dans les dîners en ville et à la machine à café. En somme, rien qui ne permette d’écrire quoi que ce soit sans risquer une condamnation salée en diffamation.
Débauche en Macronie, penseront certains. Ce que doivent se dire aussi les lecteurs du livre de Marc Endeweld le Grand Manipulateur (Stock). Paru en 2019, il revenait sur la campagne de 2017 et l’ambiance qui régnait alors au siège de campagne : « Pour se détendre relate le journaliste, les helpers [les militants] multiplient les beuveries, comme lors des fêtes des écoles de commerce. Beaucoup tiennent à la cocaïne. Les excès sont tellement nombreux que l’intendance finit par interdire alcool et autres drogues dans les locaux. » En réalité, la « c » n’a pas seulement cours en Macronie.
D’ailleurs, beaucoup de ceux qui ont servi La République en marche relativisent le côté « loups de Wall Street » des membres des cabinets ministériels : « Le pire qu’Emmanuel Macron ait fait à la politique, c’est d’amener des gens tellement sérieux qu’ils en sont chiants, des gens pros pour qui tout ça n’est qu’un boulot » explique l’un d’entre eux, qui nous les ferait presque passer pour de doux agneaux. Un autre, qui a travaillé comme conseiller sous Hollande et Macron, estime que se droguer en cabinet ne doit pas être chose aisée, d’autant qu’il y a toujours à proximité des agents de police du SDLP, l’ex-Service de protection des hautes personnalités.
« Saladiers de coke »
Certes, mais bénéficier des moyens techniques de l’État peut aussi avoir du bon pour qui voudrait se procurer discrètement des produits. Thierry* a œuvré dans un cabinet ministériel sous Hollande. Il se souvient, amusé, des téléphones sécurisés qui ont été remis à l’équipe à son arrivée. Et du message reçu par un collègue venant d’un dealer relançant le détenteur précédent du téléphone… Thierry n’est pas du genre à trouver ce type d’anecdote follement rocambolesque. Il a fait la fête. Beaucoup. Et tôt. Il se souvient de soirées du Mouvement des jeunes socialistes (MJS), avant ça de l’Unef et plus particulièrement de la Mutuelle des étudiants (LMDE). Il se rappelle avoir vu là des « saladiers – petits, mais des saladiers quand même – de coke » : « Tout ça grâce à l’argent de la protection sociale des étudiants ! »
Lui-même a servi dans une collectivité locale PS. Après une « soirée qui n’aurait pas dû avoir lieu » au cours de laquelle il prend cocaïne et MDMA, il ne se couche pas et file directement au boulot. Erreur : à 11 heures, il a ce qu’il appelle une « crise d’apoplexie » perd connaissance et atterrit en slip, histoire d’être ranimé, dans la baignoire des appartements privés du président de la collectivité. Qui ne le virera pas : « Il était assez détendu avec la drogue… » Apparemment.
Tous les partis
Tous les politiques ne sont pas aussi « détendus ». Cependant, aucun camp n’échappe au phénomène. Même si, chez Europe Écologie-Les Verts, selon un vieux de la vieille, l’ambiance a viré au « camp de remise en forme » : « C’est devenu un peu straight : on boit peu, on fume peu, même si le cannabis est largement banalisé. Et puis la coke est un peu trop “tape-à-l’œil” pour nous. » Et à l’extrême droite, alors ? Un de ceux qui ont travaillé sur la campagne Le Pen se moque allégrement des petits jeunes qui gravitaient dans l’entourage de l’équipe Zemmour : « Je les connais tous. Des bourgeois oisifs, des petits aventuriers en politique. Ils ont passé des mois à faire la fête et à tenir salon. Ils ont participé au foirage de sa campagne. » Et notre interlocuteur de passer en revue les noms de ces cocos champions supposés de la coco dont l’un aurait, dit-il pour se marrer, « un maximum de miles sur le vol Paris-Bogotá » !
Le même interlocuteur se souvient d’un épisode délicat. 2016 : il assiste à l’anniversaire d’une personnalité importante de ce qui s’appelle alors encore le FN et pour laquelle il travaille. Au détour d’une conversation, il apprend qu’un petit malin propose de la coke à l’assistance. Redoutant une fâcheuse publicité, il part en chasse de ce si « généreux » invité. En vain. Il ne lui serait pas venu à l’idée que le scandale aurait pu arriver par un autre biais, plus classique celui-là : l’alcool. Certes, l’époque n’est plus aux repas rabelaisiens et au tour de taille des sénateurs d’antan. Désormais, il faut se tenir si l’on prétend un jour tenir la France. Mais tout de même, l’alcool est encore présent en politique. Et pas qu’un peu. Un ancien député de gauche confie avoir atteint à l’époque de son mandat les « dix verres d’apéro par jour, sans compter le vin et la bière au repas ». Il siégeait alors au sein de la stratégique commission de la Défense nationale.
* Les prénoms ont été modifiés.
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