Depuis 40 ans, la multinationale Areva puise abondamment dans les ressources d’un des pays les plus pauvres de la planète. Le Niger pourrait demain devenir le deuxième producteur mondial d’uranium. Pourtant, le pays figure à la dernière place de l’indicateur de développement humain. C’est dans cette absence de partage des richesses et sur fond de crise institutionnelle, que se profile une catastrophe sociale, environnementale et économique. Produire ici de l’électricité d’origine nucléaire a pour corollaire, là-bas, contaminations radioactives et désertification.
Areva, champion français de l’industrie nucléaire, le clame fièrement : sa nouvelle mine d’uranium d’Imouraren, au Niger, sera la plus importante d’Afrique et la deuxième au monde. Areva répète avoir « fait du développement durable la clé de voûte de sa stratégie industrielle avec la triple ambition d’une croissance rentable, socialement responsable et respectueuse de l’environnement ».
Dans le cadre de cette stratégie, Areva a organisé le 16 mai dernier à Agadez, dans le nord du Niger, « une audience publique et un atelier de validation de l’étude d’impact environnemental d’Imouraren ». La multinationale de l’atome se serait-elle reconvertie à un soudain souci de transparence ? « Un écran de fumée », selon le collectif Areva ne fera pas la loi au Niger, au moment où - coïncidence ? - l’état d’exception est décrété sur la région d’Agadez. Dénonçant l’impossibilité de consulter le rapport provisoire, la mise à l’écart du comité Ad-hoc, la réduction du temps imparti à la consultation, le collectif associatif demande de disposer de cette étude d’impact et d’une contre-expertise scientifique indépendante. Il attend toujours.
Areva, responsable ?
Derrière les grands discours socialement responsables et respectueux de l’environnement se cache une toute autre réalité. Des études indépendantes ont d’ores et déjà été menées. La Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (CRIIRAD) révèle que les eaux distribuées dans la ville minière d’Arlit, où opère Areva, ne sont pas aux normes de potabilité : d’après les prélèvements de 2004 et 2005, le taux de contamination de ces eaux dépasse de 7 à 110 fois les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé ! Toujours selon la Criirad, des boues radioactives et d’énormes masses de déchets radioactifs, les « stériles », sont stockées à l’air libre. La société civile nigérienne, via l’association Aghir In Man ou le réseau Rotab, ont tenté d’alarmer Areva et les responsables politiques nigériens sur la question. En vain. A ce jour, rien n’a été fait pour revoir la gestion de ces sites uranifères, selon le collectif Areva ne fera pas la loi au Niger.
Il n’y a pas que la contamination radioactive qui pose problème. Areva, et d’autres industries minières, contribuent à la désertification du pays. « L’économie pastorale est en train de disparaître dans le Nord du Niger, région où s’installent les miniers du monde entier. On va vers une catastrophe environnementale et économique », prévient l’hydrogéologue Alain Joseph. L’élevage extensif - principale source de revenus d’un des Etats les plus pauvres de la planète - mené par les Touaregs, les Peulhs et les tribus arabes Kounta dans l’immense plaine de l’Irhazer est fortement remis en cause par l’assèchement des nappes phréatiques d’Agadez (nord du Niger), seule ressource en eau de la région. La cause de leur épuisement ? L’octroi de concessions minières : 139 permis de recherche et d’exploitation ont été vendus en moins d’un an. L’eau des nappes est acheminée vers des mines de charbon qui alimente en électricité les installations d’Areva à Arlit.
Un comportement prédateur
A Akokan et Arlit, les sociétés Cominak et Somaïr, dont Areva est l’opérateur, ont déjà épuisé à 70% l’aquifère carbonifère au nord du Tarat, à raison de 22 000 m3/j depuis 38 ans. Ces deux sociétés envisagent d’utiliser un pipeline de 30 km et de déplacer leurs pompages vers l’ouest, dans la nappe des grès d’Agadez. « C’est significatif du comportement prédateur minier : on s’installe, on prend le maximum et après moi, le désert, s’insurge Alain Joseph. Non content d’avoir vidé l’aquifère du Tarat, Areva s’installe maintenant à Imouraren. Bien d’autres pays, la Chine, le Canada, l’Inde, l’Australie, se ruent sur les ressources du sous-sol nigérien. Nous allons assisté à un assèchement rapide de cette nappe. Comment vont vivre les pasteurs si les sources sont épuisées ? Comment vont-ils se déplacer dans un univers qui va être maintenant essentiellement minier ? »
Côté face : L’uranium nigérien sert à alimenter les centrales nucléaires françaises
Côté pile : Désertification et absence de partage des richesses au Niger
(Crédit : Areva ne fera pas la loi au Niger)
« Ce que nous voulons c’est l’arrêt de l’exploitation des mines d’uranium. Seul le régime en profite, le peuple nigérien lui ne profite que de la misère et des radiations ». Pour Aghali Mahiya, Touareg du Niger et ancien salarié de la Somaïr, filiale nigérienne d’Areva, la population ne bénéficie d’aucune retombée économique. Bien que l’exploitation d’Imouraren fasse du Niger le deuxième producteur mondial d’uranium, le pays est encore classé parmi les trois plus pauvres de la planète et figure à la dernière place de l’Indicateur de développement humain. De son côté, Areva a tiré du Niger près de 40 % de sa production d’uranium depuis 40 ans. Sans ce précieux combustible, jamais la multinationale n’aurait pu se développer ni le nucléaire français fonctionner. Pas question, pour autant, de favoriser le développement du pays.
« Le peuple nigérien ne profite que de la misère et des radiations »
Pour Myrtho, président d’une association au Nord-Niger, le partage des richesses n’existe pas. « J’ai rencontré Issouf ag Maha, le maire de Tchirozerine au Niger. Areva lui a demandé une liste de gens intéressés pour travailler pour Areva. M. le Maire a fait une liste de 800 personnes avec leur nom, leur adresse... mais à ce jour aucune de ces personnes n’a été embauchée par Areva. » La multinationale pèse plus de 13 milliards d’euros de chiffre d’affaire en 2008. L’Etat nigérien, lui, voit son produit intérieur brut plafonner à 2,7 milliards d’euros en 2007. Soit cinq fois moins que le groupe dirigé par Anne Lauvergeon (en photo). Comment rivaliser ? Surtout quand, derrière Areva, on trouve l’Etat français.
La poursuite de l’exploitation d’uranium au Niger s’établit sur le fond d’ « une très grave crise institutionnelle », rappelle Olivier Thimonnier de l’association Survie. En mai dernier, le président Tandja annonce l’organisation d’un référendum en vue d’un changement constitutionnel afin de prolonger son mandat. S’ensuit la dissolution de la cour constitutionnelle et de l’Assemblée nationale qui jugent le projet de référendum inconstitutionnel. En juin, alors que Tandja s’arroge les pleins pouvoirs, le Quai d’Orsay se contente de rappeler « [l’importance que la France attache au cadre constitutionnel du Niger, à la préservation de l’acquis démocratique de ce pays et à sa stabilité. » Le référendum est organisé le 4 août, et malgré la forte opposition des syndicats, des partis et d’une partie de la société civile, le Niger finit par adopter une 6e Constitution. Dans l’indifférence presque totale des médias français [1].
Areva, outil de la Françafrique ?
Le 20 octobre, Tandja organise des élections législatives. Il est isolé sur la scène politique intérieure : l’ensemble de la société civile, des centrales syndicales et son propre parti, divisé, s’y sont opposés. Il est la cible de critiques internationales : gel partiel de la coopération de l’UE avec le Niger, suspension du Niger par la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest, mesures à venir de l’Union africaine. Seule la France reste silencieuse. « Le 10 août, le ministère des affaires étrangères déclare que la France est attentive à l’élection, qu’elle doit être transparente et démocratique. Ceci valide la réforme de la Constitution par le président Tandja, analyse Olivier Thimonnier. Cette position française est le résultat de la défense d’intérêts économiques clairement liés aux intérêts d’Areva au Niger. Elle s’inscrit dans le prolongement de la politique d’indépendance énergétique de la France lancée par le Général de Gaulle dans les années 60. »
Une indépendance énergétique qualifiée de « parfaitement virtuelle » par Johnny Da Silva du Réseau Sortir du Nucléaire. « La France importe 100 % de son uranium pour 80 % de son électricité. C’est sans compter les transports de matières radioactives sur des milliers de kilomètres. » « Quand on nous explique que le nucléaire est une énergie propre, c’est un mensonge à plusieurs niveaux, poursuit le Député Vert Noël Mamère. Ce n’est ni une énergie renouvelable, ni une énergie propre mais bien une énergie sale dans sa contribution à soutenir les réseaux de la Françafrique et les régimes dictatoriaux. » Le Collectif Areva ne fera pas la loi au Niger demande à toutes les parties impliquées un moratoire sur l’extraction minière. En attendant l’hypothétique appui de ce moratoire par le gouvernement français, les choix énergétiques de ce dernier continuent d’avoir de désastreuses conséquences… loin de nos vertes campagnes.
Sophie Chapelle -
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