Les 11 BRICS représentent aujourd’hui 37 % du PIB mondial (en matière de PPA) et 46 % de la population mondiale. À titre de comparaison, le PIB du G7 est de 29,9 % (en matière de PPA).
Le groupe hétérogène des BRICS a réussi – il s’est rassemblé, malgré de multiples tentatives pour “écarter” certains États clés. Il s’agit d’une réussite diplomatique et géostratégique remarquable, née du désir largement partagé de trouver une solution de contournement à l’excès américain et son “exceptionnalisme” en matière de dollars après la Seconde Guerre mondiale – les accords de Bretton Woods et le “mandat” du pétrodollar, en vertu duquel tous les échanges d’énergie et de matières premières doivent être fixés en dollars et effectués en dollars (rendant ainsi tous les États vulnérables aux sanctions de l’Occident).
C’est ce point commun capital qui est à l’origine de l’élargissement des BRICS. La guerre financière a peut-être commencé dans les années 1980 avec l’accord du Plaza qui a volontairement fait stagner la croissance du Japon pendant des décennies. Depuis février 2022, les États-Unis et l’Europe se sont concentrés sur l’effondrement de l’économie russe. Aujourd’hui, les États-Unis et l’Union européenne se préparent à appliquer le “traitement japonais” à la Chine, par le biais de réglementations, de droits de douane et d’un resserrement de la ceinture de “sécurité nationale” des échanges commerciaux interdits.
Un premier travail de réflexion ad hoc était indispensable. Et c’est ce qui s’est passé : négocier dans ses propres monnaies et compenser les transactions dans ses propres monnaies par le biais d’un système de monnaies numériques nationales de banque centrale, qui serait “compensé” en temps réel entre les banques centrales, sans toucher au dollar. Le système a déjà fait ses preuves dans le cadre d’un projet pilote appelé “m-CBDC Bridge” . L’idée est que chaque État des BRICS conserve ses propres monnaies pour l’usage quotidien, les monnaies numériques étant limitées aux transactions numériques de change entre les banques centrales.
La perspective d’une monnaie commune des BRICS a fait couler beaucoup d’encre dans la presse occidentale. Mais ce sera pour plus tard. (La création d’une monnaie de réserve a toujours été un faux-fuyant occidental ; le statut de réserve n’est pas recherché par la Russie ou la Chine, et ce n’est pas non plus une aspiration).
Mais peut-être que l’absence d’une “nouvelle monnaie” qui aurait fait grand bruit dans les médias a conduit les observateurs à sous-estimer l’impact de ce qui a été réalisé lors de ce sommet. L’élargissement (d’autres États suivront l’année prochaine) donne à la Chine l’espace stratégique dans lequel elle peut situer sa restructuration de l’économie chinoise. Il donne à la Russie et à la Chine la possibilité de développer et d’étendre pleinement le corridor Nord-Sud (INSTC) dans les deux sens. Les BRICS ont intégré deux économies potentiellement florissantes en Afrique et deux en Amérique latine.
Les 11 BRICS représentent aujourd’hui 37 % du PIB mondial (en matière de PPA) et 46 % de la population mondiale. À titre de comparaison, le PIB du G7 est de 29,9 % (en matière de PPA).
Il ne faut pas s’attendre à ce qu’il se passe quelque chose de spectaculaire dans l’immédiat. Toutefois, la diminution progressive de l’utilisation du dollar dans une si grande partie de l’économie mondiale transformera le système monétaire mondial de plusieurs façons : la demande de dollars diminuant (alors que Washington continue d’en imprimer), la valeur des dollars fiduciaires baissera, ce qui signifie que pour financer de nouvelles dettes, les États-Unis devront payer à leurs créanciers des intérêts plus élevés (pour compenser la baisse concomitante de la valeur des obligations).
La “cerise” la moins remarquée sur le gâteau, bien sûr, est qu’avec l’ajout de l’Iran, des Émirats arabes unis et de l’Arabie saoudite, les BRICS contrôlent désormais ~54 % de la production mondiale de pétrole – et comprennent certains des plus grands consommateurs du monde.
En bref, les BRICS, avec leurs ressources en énergie et en matières premières, sont devenus centraux dans le domaine des matières premières.
Ce qui nous amène aux deux points communs suivants au sein d’un groupe apparemment disparate : premièrement, lorsque ces États échangent des monnaies telles que le rouble, le rial ou le renminbi, ils le font dans une monnaie qui a une valeur inhérente, basée sur une matière première, telle que le pétrole ou l’or.
En d’autres termes, les BRICS s’alignent sur des monnaies fondées sur la valeur d’un produit de base plutôt que sur des instruments monétaires fiduciaires qui se dévalueront au fur et à mesure que l’inflation rongera leur valeur relative.
Le deuxième grand point commun est le passage de l’emprise du modèle occidental néolibéral hyperfinanciarisé à un modèle qui prévoit une plus grande autosuffisance nationale. Par conséquent, la simple remise en question des fondements philosophiques du système politique et économique anglo-saxon – qui sous-tend l’“ordre fondé sur des règles” – est aussi importante, à sa manière, que la simple dédollarisation.
Les États non occidentaux affirment depuis un certain temps que le modèle néolibéral est en contradiction avec les besoins mondiaux. Le président Xi l’a dit sans détour : “Le droit des peuples à choisir de manière indépendante leurs voies de développement doit être respecté… Seul celui qui porte les chaussures sait si elles lui vont ou non” .
Le problème est qu’avec une consommation basée sur l’endettement – comme dans le modèle hyper-financiarisé occidental – le système s’éloigne de la création de richesse, ce qui rend finalement impossible de consommer autant ou d’employer autant de personnes.
Cette atténuation de l’économie réelle, par le biais de la financiarisation et de l’accent mis sur les “produits” financiers dérivés, asphyxie la production réelle. L’autosuffisance s’érode et une base de création de richesses réelles de plus en plus réduite soutient un nombre de plus en plus restreint d’emplois correctement rémunérés.
Une fois de plus, le changement conceptuel qui consiste à construire la souveraineté par le biais d’une approche de l’économie réelle, par opposition au financiarisme, aura de profondes implications pour Wall Street – à plus long terme. La dédollarisation, combinée au paradigme de l’économie réelle, est donc susceptible de bouleverser le monde.
Alastair Crooke
Traduit par Zineb, relu par Wayan, pour le Saker Francophone
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