09 septembre 2023

La CIA fait renaître le nazisme ukrainien

Drapeau néo-nazi utilisé par divers soldats ukrainiens
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Il n’est pas étonnant que la CIA structure des organisations anti-Russes. Il est par contre surprenant qu’elle n’hésite pas à choisir des nazis et des nationalistes intégraux prétendument pour défendre la liberté et la démocratie.

Au XIX° siècle, les Empires allemand et austro-hongrois projetaient de détruire leur rival, l’Empire russe. Pour cela, les ministères des Affaires étrangères allemand et austro-hongrois lancèrent une opération secrète commune : la création de la Ligue des peuples allogènes de Russie (Liga der Fremdvölker Rußlands – LFR) [1].

Proclamation de l’Ukraine indépendante avec les dignitaires nazis. Derrière les orateurs, les trois portraits affichés sont ceux de Stepan Bandera, d’Adolf Hitler et de Yevhen Konovalets.

En 1943, le III° Reich créa le Bloc anti-bolchévique des nations (ABN) pour disloquer l’Union soviétique. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Royaume-Uni et les États-Unis récupèrent les nazis et leurs collaborateurs et entretinrent l’ABN [2]. Cependant, compte tenu des millions de morts dont il s’était rendu coupable, Frank Wisner, le numéro 2 de la CIA, réécrivit son histoire. Il fit imprimer quantité de livrets prétendant que l’ABN avait été créé à la Libération. Il prétendit que les peuples d’Europe centrale et de la Baltique avaient tous, collectivement, lutté à la fois contre les nazis et contre les Soviétiques. C’est un énorme mensonge. En réalité, de nombreux partis politiques d’Europe centrale ont pris le parti des nazis contre les Soviétiques, constituant des divisions SS et fournissant la presque totalité des gardiens des camps d’extermination nazis.

John Loftus, le procureur spécial de l’Office of Special Investigations, unité du secrétariat états-unien à la Justice, a témoigné qu’il avait trouvé, en 1980, une petite ville dans le New Jersey, South River, abritant une colonie d’anciens SS Biélorusses. À l’entrée de la ville, un monument aux morts, orné des symboles SS, célébrait leurs camarades tombés au combat, tandis qu’à l’écart, un cimetière abritait la tombe du Premier ministre nazi biélorusse, Radoslav Ostrovski [3].

On croit souvent que les États-Unis ont combattu les nazis et les ont jugés à Nuremberg et à Tokyo. Mais c’est faux. Si le président Roosevelt était un libéral convaincu, il a cru possible de recruter des traitres et de les mettre à son service. Cependant comme il est mort avant la fin du conflit, les criminels dont il s’était entourés sont parvenus aux plus hautes fonctions. Ils ont détourné certaines administrations pour poursuivre leurs objectifs. C’est ce qui s’est passé avec la CIA.

Les efforts du Congrès avec la commission Church qui révéla les crimes de la CIA dans les années 50 et 60 n’ont pas servi à grand-chose. Tout ce monde opaque est retourné à la clandestinité, mais n’a pas cessé ses activités.

Les « nationalistes intégraux » ukrainiens de Dmytro Dontsov et ses hommes de main Stepan Bandera et Iaroslav Stetsko ont suivi cette filière. Le premier, qui était déjà un agent secret du kaiser Wilhelm II, puis du führer Adolf Hitler, fut récupéré par la CIA, vécu au Canada et mourut en 1973 dans le New Jersey, à South River, contrairement à ce que prétend sa notice Wikipedia. C’était un des pires criminels de masse du Reich. Il avait disparu d’Ukraine pendant le Guerre et était devenu administrateur de l’Institut Reinard Heydrich à Prague. Il fut un des concepteurs de la solution finale des questions tsiganes et juives [4].

Ses hommes de main, Stepan Bandera et Iaroslav Stetsko, ont été engagés par la CIA à Munich. Ils ont assuré les émissions en langue ukrainienne de Radio Free Europe et organisé des opérations de sabotage en Union soviétique. Stepan Bandera avait perpétré quantité de massacres et proclamé l’indépendance de l’Ukraine avec les nazis. Cependant, lui aussi, avait disparu d’Ukraine pendant la Guerre. Il assura avoir été emprisonné en « honorable captivité » dans un camp d’extermination. C’est peu probable puisqu’il ressurgit en 1944 et se vit confier par le Reich de gouverner l’Ukraine et de combattre les Soviétiques. Il est possible qu’il ait habité au siège de l’administration des camps, à Oranienbourg-Sachsenhausen, et qu’il y ait travaillé au projet nazi d’extermination des « races » sensées corrompre les Aryens. Durant la Guerre froide, il se promena dans le « monde libre » et vint au Canada proposer à Dmytro Dontsov de devenir le chef de son organisation [5].

Le temps a passé, ces criminels de masse sont morts sans jamais avoir eu à rendre de compte. Leurs organisations l’OUN et l’ABN auraient dû disparaître aussi. Il n’en est rien. L’OUN s’est reconstituée à la faveur de la guerre en Ukraine. L’ABN aussi. Il dispose désormais d’un site internet. On peut y lire les livrets de propagande d’après-guerre selon lesquels l’organisation n’a jamais existé avant la chute du Reich. L’ABN se prolonge aujourd’hui avec le « Free Nations PostRussia Forum » (Forum des nations libres de la Post-Russie) qui se tiendra les 26-27-28 septembre à Londres, à Paris, et possiblement à Strasbourg. Son objectif est toujours le même : disloquer la Fédération de Russie en 41 États distincts. Aucun doute n’est possible sur la filiation de ce forum : alors qu’il prétend s’exprimer pour les peuples de Russie, il ne se contente pas d’accuser Moscou, mais s’en prend aussi à la Chine populaire, à la Corée du Nord et à l’Iran. Dans ses documents il aborde aussi la question du Venezuela, de la Biélorussie et de la Syrie. Or l’ABN a participé à la création et à l’animation de la Ligue anti-communiste mondiale [6], où se réunissaient la plupart des dictateurs de la planète, désormais élégamment dénommée : Ligue mondiale pour la liberté et la démocratie.

Ce Forum des nations libres de la Post-Russie a été créé par la CIA en réaction à l’intervention militaire russe en Ukraine. En un an et demi, il s’est déjà réuni 7 fois, en Pologne, en Tchéquie, aux États-Unis, en Suède et aux Parlements européen et japonais. Simultanément la CIA a créé des gouvernements en exil pour la Biélorussie et pour le Tatarstan, comme il l’avait fait pour l’Iraq et la Syrie. Personne ne les a encore reconnus, mais l’Union européenne les a déjà reçus avec déférence. Ces gouvernements en exil s’ajoutent à celui d’Itchkérie (comprendre Tchétchénie) déjà ancien.

Le dispositif actuel n’est pas conçu pour achever son but proclamé. Les États-Unis n’ont pas l’intention de disloquer la Fédération de Russie, puissance nucléaire. La plupart de leurs dirigeants ont conscience qu’un tel événement déstabiliserait complétement les relations internationales et pourrait déclencher une Guerre nucléaire. Non, il s’agit plutôt de mobiliser au service des États-Unis les gens qui espèrent parvenir à cet objectif improbable de disséquer la Russie.

Quelques personnalités politiques se prêtent à ce jeu. C’est le cas de l’ancienne ministre polonaise des Affaires étrangères, Anna Fotyga. C’est elle qui, en 2016 avait présenté au Parlement européen une résolution sur les communications stratégiques de l’Union européenne. Elle avait imaginé un système d’influence sur l’ensemble des grands médias de l’Union qui s’est avéré efficace. Ou encore, un député centriste français, Frederick Petit. Déjà, en 2014, les têtes d’affiche de son parti (François Bayrou et Mireille de Sarnez) s’étaient rendues place Maïdan à Kiev se faire photographier aux côtés des « nationalistes intégraux ». Je ne parlerai pas ici de l’ancien député russe Ilya Ponomarev.

Des think-tanks aussi, comme la Jamestown Foundation. Elle fut fondée avec l’aide de William J. Casey, directeur de la CIA, à l’occasion d’un transfuge de marque de l’URSS. Elle a été interdite en Russie, en 2020 (c’est-à-dire avant la guerre d’Ukraine), parce qu’elle imprimait déjà des documents sur l’éclatement de la Russie. Enfin, le Hudson Institute, quant à lui, est financé par Taïwan grâce à son agence la Ligue mondiale pour la liberté et la démocratie (ex-Ligue anti-communiste mondiale). Ainsi a-t-il pu héberger une session du Forum des nations libres de la Post-Russie.

[1] Liga der Fremdvölker Russlands 1916–1918. Ein Beitrag zu Deutschlands antirussischem Propagandakrieg unter den Fremdvölkern Russlands im Ersten Weltkrieg, Seppo Zetterberg, Akateeminen Kirjakauppa (1978).

[2] MI6, Inside the Covert World of Her Majesty’s Secret Intelligence Service, Stephen Dorril, The Free Press (2000).

[3] L’affreux secret : Quand les Américains recrutaient des espions nazis, John Loftus, Plon (1985)

[4] Ukrainian Nationalism in the Age of Extremes. An Intellectual Biography of Dmytro Dontsov, Trevor Erlacher, Harvard University Press (2021).

[5] Stepan Bandera : The Life and Afterlife of a Ukrainian Nationalist : Facism, Genocide, and Cult, Grzegorz Rossoliński-Liebe, Ibidem Press (2015).

[6] « La Ligue anti-communiste mondiale, une internationale du crime », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 12 mai 2004.

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