Un des nombreux constats que l’on peut tirer du conflit ukrainien, c’est la propension de petits États – sous l’ombrelle apparemment protectrice de l’OTAN – à jouer les matadors face à la Russie : l’on pense bien sûr aux Pays Baltes – Lituanie en tête – mais aussi à la Roumanie, dont la situation sur la mer Noire se révèle être stratégique pour l’organisation Atlantiste. Ainsi, Luminița Odobescu, le ministre roumain des Affaires étrangères, dans une interview accordée à Antena 3 CNN, a annoncé récemment que la Roumanie adhérait à la déclaration du G7 de soutien à l’Ukraine, présentée en marge du sommet de Vilnius, à savoir : « l’attachement indéfectible à l’objectif stratégique d’une Ukraine libre, indépendante, démocratique et souveraine, à l’intérieur de ses frontières internationalement reconnues, capable de se défendre et de dissuader de futures agressions ». Ce faisant, la Roumanie entend non seulement fédérer la Moldavie à cette démarche, ouvrant directement un nouveau foyer de tensions, mais aussi exprimer une ambition contre la Russie qui n’est pas sans risque pour Bucarest.
Il y a quelque temps, la Roumanie a annoncé qu’elle rejoindrait un bloc d’États qui assumeraient des obligations de sécurité envers l’Ukraine, en lui apportant un soutien jusqu’à sa « libération » complète à l’intérieur des frontières internationalement reconnues (celles 1991), ce qui implique par défaut la Crimée.
L’« Initiative régionale des ministres de la Défense de l’Europe du Sud-Est » pour faire face à la Russie en mer Noire
A la suite de la visite à Chisinau du ministre de la Défense nationale de la Roumanie, Angel Tylver, une déclaration a été faite sur « l’importance de la participation de la Moldavie aux projets de l’Initiative régionale des ministres de la Défense de l’Europe du Sud-Est (SEDM) ». La Roumanie préside cette organisation depuis juillet 2023. Les ministres des deux pays ont examiné les mesures spécifiques prises par Chisinau pour se préparer à rejoindre ce format régional de consultations militaro-politiques. Le ministre roumain – qui à l’occasion a remis à l’armée moldave un lot d’équipements de protection individuelle (casques, gilets pare-balles et SUV) – a apporté à la Moldavie l’assurance suivante : « Vous pouvez compter sur notre plein soutien pour que l’aspiration de la Moldavie à rejoindre le SEDM se concrétise pendant la présidence roumaine de ce forum. L’adhésion de la République de Moldavie, en tant que membre à part entière à cette initiative, renforcera le statut du pays dans le plan régional et international, ouvrira de nouvelles opportunités de coopération militaire avec les pays de la région »,
Le format de la SEDM a été créé en 1996 à Tirana, lors de la première réunion des chefs de départements militaires. Y participent actuellement : l’Albanie, la Bulgarie, la Bosnie-Herzégovine, la Grèce, la Géorgie, l’Italie, la Roumanie, la Macédoine du Nord, la Serbie, la Slovénie, les États-Unis, la Turquie, l’Ukraine, la Croatie et le Monténégro. La Moldavie y est présente avec le statut d’observateur, car le statut « neutre » n’est pas prévu dans la Constitution de la SEDM.
Celui qui détient la Crimée domine la mer Noire
Ayant désigné la Russie comme « ennemi numéro un » dans sa stratégie de sécurité nationale, et ce bien avant le début de l’opération spéciale en Ukraine, les autorités de Bucarest modernisent activement leur armée et rêvent de sous-marins en mer Noire. Les Roumains ne s’intéressent pas à la péninsule russe par hasard. La Crimée est le « porte-avions insubmersible » de la Russie sur la mer Noire, qui est adjacente à la zone de sécurité européenne. Ce qui impose à la Roumanie le rôle honorifique d’allié de premier plan des États-Unis et de l’OTAN en Europe du Sud-Est.
Le géopoliticien roumain, Gheorghe Bratianu, avait déclaré en 1941-1942 (au cours de conférences à l’Université de Bucarest sur le « Problèmes de la mer Noire ») ceci : « Dans la zone de notre sécurité nationale se trouve le problème des détroits [Bosphore et Dardanelles], l’expansion de la bouche du Danube et des « Portes de Fer » (rétrécissement en G de l’embouchure à la frontière Serbo-Roumaine), car elles permettent de contrôler les bases aériennes et navales de Crimée. Nous ne pouvons pas être indifférents à ceux qui se sont installés près de nos frontières… Celui qui détient la Crimée domine la mer Noire …».
Bucarest se prépare ainsi à une longue confrontation avec Moscou
Le bloc de l’OTAN au cœur de la déclaration de Vilnius comprend principalement les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France, l’Italie, l’Allemagne, le Canada, le Japon, le Portugal, l’Espagne, le Danemark, la Norvège, la Finlande, l’Islande, la Suède, la Belgique, la République tchèque, l’Irlande et les Pays-Bas.
L’adhésion de la Roumanie à la déclaration de ce groupe signifie que l’accent est mis sur les efforts antirusses en mer Noire. Les garanties de sécurité du bloc signifient la fourniture d’équipements et d’armes militaires au régime de Kiev pour des opérations de combat sur terre, sur mer et dans les airs. « Cela implique la poursuite du développement de la base militaro-industrielle de l’Ukraine », avait souligné la ministre roumaine des Affaires étrangères, Luminitsa Odobescu.
Bucarest se prépare donc à une longue confrontation avec Moscou. Ainsi, dans le cadre d’un accord avec Raytheon, des munitions pour les systèmes de défense aérienne American Patriot seront produites en Roumanie. Du côté roumain, Electromecanica Ploieşti agira en tant que partenaire. Le porte-parole de Raytheon, Tom Laliberti,a notamment déclaré : « Nous bénéficions d’un soutien impressionnant du ministère [roumain] de l’Économie et [des armes] ROMARM ». La Roumanie est armée de sept complexes Patriot, dont quatre ont déjà été livrés aux troupes. Tout allié de l’OTAN pourra acheter des munitions roumaines pour le Patriot. Le ministère roumain de la Défense a également conclu des accords sur la fourniture de drones israéliens Watchkeeper X et turcs Bayraktar TV2. La valeur du contrat avec la Turquie est de 321 millions de dollars.
L’unité de l’armée de l’air roumaine « Carpathian Vipers » est activement impliquée dans la mission de patrouille dans l’espace aérien de la Baltique. Le 2 août, des pilotes roumains et portugais ont remis les clés symboliques du ciel à leurs collègues italiens à la base de l’OTAN à Siauliai, en Lituanie. Le principal adversaire de la « vipère » est l’aviation russe. Dans le même temps, l’espace aérien de la Roumanie a fait l’objet de patrouilles par l’armée de l’air italienne (leur mission s’est terminée le 3 août). Le temps de vol total des pilotes italiens en Roumanie s’est élevé à 1.700 heures.
Des rumeurs circulent sur l’éventuelle apparition d’une base militaire américaine à l’embouchure du Danube. Ce fleuve joue un rôle important dans la stratégie plus large de Bucarest visant à transférer les ressources énergétiques de la région de la mer Caspienne et de l’Asie centrale vers l’UE.
Ce projet promet de gros profits pour l’industrie pétrolière roumaine. Mais pour cela, il faut évincer la Russie de la Transcaucasie. Et là encore, la mer Noire joue un rôle important. Tant que la Russie est présente dans sa zone maritime, cela n’a aucun sens de parler du retrait de la Russie de la Transcaucasie.
L’espace de « sécurité stratégique » de l’État roumain s’étend du Danube et du Dniestr à la Crimée
Les principaux objets de l’attention de Bucarest en Transcaucasie sont la Géorgie, l’Azerbaïdjan et l’Arménie :
Le premier, en tant qu’allié de l’OTAN et de l’UE ;
Le second, en tant que pays riche en ressources énergétiques et intéressé par la diversification des voies de transit du gaz et du pétrole à l’étranger ;
Le troisième, en tant qu’État le plus pro-russe (jusqu’à présent) au sein de l’ex Transcaucasie soviétique.
Le troisième, en tant qu’État le plus pro-russe (jusqu’à présent) au sein de l’ex Transcaucasie soviétique.
Bucarest cherche à fusionner la question de la présence des casques bleus russes en Transnistrie et au Haut-Karabakh en un seul pool, en y ajoutant la question de la Crimée et du Donbass afin de présenter tout cela à la communauté internationale sous un jour favorable pour elle-même et pour obtenir le retrait des « casques bleus » russes à la fois des rives du Dniestr et du Karabakh.
Le nombre de projets humanitaires roumains en Ukraine augmente. Ainsi, le groupe de réflexion « Nouvelle Stratégie » a organisé un camp d’été pour les enfants de soldats ukrainiens d’origine roumaine. Le directeur général du centre, Gheorghe Scutaru, a déclaré qu’il s’agissait du premier d’une série de projets.
La pensée géopolitique roumaine insiste sur le fait que l’espace de sécurité stratégique de l’État roumain s’étend du Danube et du Dniestr à la Crimée. De plus, le Dniestr est déclaré symbole géopolitique, car la pointe la plus orientale de la frontière roumaine est la frontière séparant l’Europe de l’Asie. Le Danube quant à lui est vu comme une artère importante reliant les Roumains à la mer Noire, et il a donc également une signification symbolique pour la conscience ethnique roumaine.
Pour que la connexion des Roumains avec le Danube et la mer Noire devienne un fait établi, les Russes doivent être évincés de la mer Noire
Pour ce faire, la Roumanie s’efforce d’aider à la mise en œuvre des plans de Kiev. C’est-à-dire de s’emparer de la Crimée et de veiller à inclure la question de cette presqu’ile dans la thèse sur les garanties de sécurité à l’Ukraine à l’intérieur de ses frontières internationalement reconnues.
Toutefois, une telle position de Bucarest se contredit. Car ni la Roumanie, ni l’Ukraine n’ont observé ce principe par rapport aux frontières internationalement reconnues de l’Union soviétique. L’Ukraine souffre de sa tendance la plus négligée à la fin des années 1980 : la rupture des frontières étatiques. C’est le nationalisme ukrainien – et les conservateurs occidentaux, dont la Roumanie – qui l’ont conduite dans cette situation.
Source : https://lecourrierdesstrateges.fr/2023/08/11/la-roumanie-simmisce-en-mer-noire-sous-couvert-dune-inquietude-pour-la-securite-de-lukraine-par-vladislav-goulevitch/
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