Un autre coup d’État en Afrique, un mois après le renversement du président Mohamed Bazoum au Niger. Des militaires au Gabon ont annoncé hier mercredi 30 août 2023 avoir déchu Ali Bongo Ondimba suite à sa réélection à un troisième mandat. Les putschistes ont annoncé l’annulation du scrutin et la "fin du régime Bongo", président depuis 2009 après avoir succédé à son père, Omar Bongo, qui a gouverné le pays durant plus de 40 ans. Très présente dans ce pays riche en pétrole, la France dit suivre la situation avec "la plus grande attention" et "condamne" cette tentative de renversement du pouvoir. Le putsch menace-t-il, comme celui du Niger, la présence française dans le pays et la relation très privilégiée entre Paris et Libreville ?
Les résultats officiels de l’élection présidentielle qui s’est tenue samedi dernier sous un black-out d’internet ont été dévoilés très tôt le matin de ce mercredi 30 août. Le président Ali Bongo Odimba, à la tête du Gabon depuis 14 ans après deux mandats de 7 ans, a été réélu avec 64,27% des voix.
S’il a réussi jusque-là à se maintenir au pouvoir malgré une élection très controversée en 2016, un accident cardiovasculaire (AVC) en 2018 et une tentative de coup d’État avortée en 2019, Ali Bongo semble cette fois-ci dépassé par les événements.
Ce sont une douzaine de militaires et de policiers gabonais, dont des membres de la garde prétorienne de la présidence, qui ont annoncé, dans un communiqué lu sur la chaîne de télévision Gabon 24, la "fin du régime en place".
Se présentant comme le "Comité de transition et de restauration des institutions" (CTRI), ces militaires ont justifié le coup d’état par la "gouvernance irresponsable et imprévisible" du président Bongo, "qui se traduit par une dégradation continue de la cohésion sociale risquant de conduire le pays au chaos". "Nous avons décidé de défendre la paix en mettant fin au régime en place", a déclaré l’un d’eux.
Les élections, qui ne se sont pas tenues dans "les conditions d'un scrutin transparent, crédible et inclusif tant espéré par les Gabonaises et les Gabonais", sont "annulées". De ce fait, "toutes les institutions de la république sont dissoutes, à savoir le gouvernement, le Sénat, l'Assemblée nationale et la Cour constitutionnelle", ont encore annoncé les militaires.
Scènes de liesse à Libreville, condamnation de la France
Les membres du CTRI ont appelé "la population au calme et à la sérénité" et annoncé "la fermeture des frontières jusqu'à nouvel ordre". Les militaires ont par la même occasion exprimé leur "attachement au respect des engagements du Gabon à l'égard de la communauté internationale".
Ali Bongo Ondimba a été assigné "à résidence surveillée" avec sa famille et ses médecins. L’un de ses fils, pressenti pour lui succéder, a été arrêté pour "haute trahison". Dans une vidéo diffusée depuis sa résidence, le président a appelé "tous ses amis à travers le monde à faire du bruit" pour le soutenir.
Dans certains quartiers de la capitale Libreville, la nouvelle du coup d’État a été accueillie chez des Gabonais par des scènes de liesse. Des images diffusées sur les réseaux sociaux montrent des personnes applaudir des militaires à bord de leur pick-up. La télévision d’État retransmettait en boucle les images du général Brice Oligui Nguema, chef de la garde républicaine (GR), porté en triomphe par des militaires.
Les réactions internationales s’enchaînent. Josep Borrell, chef de la diplomatie européenne, estime que "ce coup d'État va accroitre l'instabilité dans toute la région". La Chine, qui "suit de près l'évolution de la situation au Gabon", a appelé "au retour immédiat à l'ordre normal et à garantir la sécurité personnelle d'Ali Bongo". La Russie se dit "profondément préoccupée".
La France, qui suivait jusque-là la situation au Gabon avec "la plus grande attention" selon les propos de la Première Ministre Élisabeth Borne, a condamné le coup d’État par la voix d’Olivier Véran, porte-parole du gouvernement. "La France condamne le coup d'État militaire qui est en cours au Gabon" et Paris "surveille avec beaucoup d'attention l'évolution de la situation".
La diplomatie française "réaffirme son souhait que le résultat de l'élection, lorsqu'il sera connu, puisse être respecté", a ajouté Véran lors d'une conférence de presse à l'issue du Conseil des ministres. Dans une déclaration à l’AFP, il a rappelé "l’attachement de la France à des processus électoraux libres et transparents".
La présence française menacée ?
Très présente au Gabon avec plus de 80 entreprises, la France importe essentiellement des matières premières comme le pétrole, les minerais et le bois depuis ce pays d’Afrique centrale. Selon l’ambassade de France à Libreville, les entreprises françaises implantées au Gabon représentent 3,2 milliards d'euros de chiffre d'affaires.
Ce coup d’État menace-t-il cette relation privilégiée ? À l’opposé des putschistes au Niger, les militaires qui ont déchu Ali Bongo n’ont jusque-là fait aucune déclaration hostile à la France et ses intérêts. Mais les Gabonais expriment régulièrement leur rejet de la présence française, exigeant "la fin de la Françafrique" et l’abolition de l’usage du Franc CFA, monnaies héritées de la colonisation française.
À l’annonce du coup d’État, le groupe minier français Eramet, qui emploie quelque 8.000 personnes majoritairement gabonaises, a annoncé l’arrêt de ses activités sur place. "Suite aux derniers événements en cours", le groupe a "mis à l’arrêt" ses activités au Gabon et “suit” la situation pour "protéger la sécurité de son personnel et l’intégrité de ses installations".
Cette société française est présente au Gabon à travers deux filiales. La première est Comilog, spécialisée dans l’extraction de manganèse, minerai dont Eramet est le deuxième producteur à l’échelle internationale et détenteur de 25% des réserves mondiales, estimées à 7 gigatonnes.
La part du Gabon dans l’approvisionnement de la France en manganèse est ainsi plus importante que la part du Niger dans l’approvisionnement de la France en uranium, estimée à 19% entre 2005 et 2020. Quant à la seconde filiale d’Eramet, Setrag, celle-ci assure l'exploitation ferroviaire de la ligne qui relie la côte atlantique au sud-est du pays.
De son côté, TotalEnergies a indiqué dans un communiqué que sa priorité principale est d'"assurer la sécurité de ses employés et de ses opérations", sans donner plus de détails.
Présente au Gabon depuis plus de 90 ans, la compagnie pétrolière y mène des activités d’exploration et de production d’hydrocarbures. En 2022, la production de pétrole brut des champs s’est établie à 5,8 millions de barils. La production de TotalEnergies est loin derrière celle d’un autre groupe français, Maurel & Prom, dont la production a atteint 9,3 millions de barils durant l’année écoulée.
Conséquence de ce coup d'État au Gabon, les actions de ces trois groupes français ont chuté de 15 à 20% à la Bourse de Paris.
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