25 août 2023

Comme une lettre à la poste

... Ou “comme un suppositoire” diraient les esprits malins et malingres, – il y en a toujours,  à la Maison-Blanche où l’on somnole et dans les salons cradingues de la Ville-Lumière transformée en tout-à-l’égout. Toutes les belles plaidoiries, analyses et réflexions que nous avons consacrées ces derniers jours, notamment ici sur ce site héroïque, aux divers courants s’affrontant au sein des BRICS, entre “durs” (plutôt la Russie et la Chine) et “modérés” (plutôt l’Inde et le Brésil), – tout cela n’avait pas lieu d’être.

Le Temps s’est accéléré. L’affaire a été expédiée vite fait, effectivement comme si l’‘Évènement’ en avait décidé bien avant qu’il n’en fût question, seul point sur lequel je me sens après tout à l’aise avec moi-même, hors de toute comptabilité grossière et vulgaire, – et alors, de répéter cette formule, qui peut paraître abstraite ou dépourvue de véracité réaliste, et qui me paraît au contraire convenir parfaitement à l’élan spirituel dont l’absence, depuis deux ou trois siècles, assèche nos âmes :

« La puissance métahistorique et métapolitique de l’Évènement est dans ceci que l’inéluctabilité objective précède l’insupportabilité subjective jusqu’ici vécue dans un silence aveuglé. »

Alors, je me fais une joie et un plaisir d’emprunter une partie de son texte furieux et excédé à l’irascible Andrei Martyanov, – on le verrait bien en “Signé Furax”, non ? Martyanov expédie le destin supposé de Prigojine (le “minable criminel”) avec son cortège de néo-Bismarck et de Souvorov-hypermodernistes qui échafaudent des théories à son propos et à la noix, – pour en venir à l’essentiel qui ne fait pas dans la dentelle !

« Et maintenant, les vraies nouvelles...

» ... au lieu de discuter de la disparition d'un minable criminel et de ses complices qui se prennent pour de nouveaux Bismarck et de nouveaux Souvorov :

» “JOHANNESBOURG (Reuters) - Le groupe des BRICS a décidé d'inviter six pays, – l’Argentine, l'Égypte, l'Iran, l'Éthiopie, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, – à devenir de nouveaux membres du bloc, a déclaré jeudi le président sud-africain Cyril Ramaphosa. Le débat sur l'élargissement du bloc des BRICS, qui comprend le Brésil, la Russie, l'Inde, la Chine et l'Afrique du Sud, a été au cœur de l'ordre du jour d'un sommet de trois jours qui s'est achevé jeudi à Johannesburg. Si tous les membres des BRICS ont publiquement exprimé leur soutien à l'expansion du bloc, les dirigeants se sont montrés divisés quant à l'ampleur et à la rapidité de cette expansion.”

» Voilà pour la nouvelle, qui est de taille. Non, il ne s'agit pas du “défi“ lancé au G7, qui est en train de décliner et de se dissoudre, il s’agit du proverbial nouvel ordre mondial, qui est d’une manière tout à fait différente de celle qui a été conçue à Davos. De nouvelles institutions internationales, ainsi que la résurrection de la Charte de l'ONU sans l'ONU corrompue, suivront. L’ajout de l’Iran et de l’Arabie saoudite est une bonne chose et renforce l’emprise des BRICS sur l’énergie. »

Les BRICS ont donc fait un bras d’honneur à la dernière manœuvre des gangsters de Washington qui, selon le Wall Street ‘Journal’, consistait à “offrir” à l’Arabie l’“autorisation” de fabriquer une arme nucléaire si ce pays écartait l’entrée dans les BRICS pour rejoindre le Camp du Bien. Mercouris en avait fait un de ses programmes de débat avec Christoforou, entrecoupé de gloussements d’aise à la pensée, ou à la pesée de l’enjeu, pour caractériser l’aspect grotesque et vulgaire des marchands de souple washingtonien. Les deux commentateurs mettaient cette proposition complètement croquignolesque sur le compte d’une panique à l’approche du sommet de Johannesbourg (« Ils sont en train de s’apercevoir de ce qui se passe » [Mercouris]). On a la réponse.

Toutes les velléités et les circonvolutions raisonnables que nous examinions selon une approche rationnelle dont on trouvait partout les traces, – rien de plus normal, travail de commentateur, –  ont disparu pour laisser place à des prises de position extrêmement fermes et résolues, appuyées sur des notions d’une simplicité extrême dont le principal (à peine) non-dit est la liquidation de la dynamique déconstructrice des USA et des américanistes-occidentalistes. Pendant ce temps, les symboles et les projets fleurissent autour d’une dynamique d’une puissance à couper le souffle, jusqu’à l’idée d’une sorte de “Jeux des BRICS” qui constitueraient un concurrent mortel des Jeux Olympiques dont le matérialisme, la vénalité et le fric de nos conceptions catastrophiques ont totalement perverti l’esprit qu’avait voulu lui insuffler Coubertin.

Le prochain sommet des BRICS -NG (Nouvelle Génération ?) est fixé à 2024, dans la ville à l’histoire et au symbolisme extraordinaires de Kazan, deuxième rendez-vous russe après le sommet fondateur de 2009 à Ekaterinbourg. La Russie est aux deux bouts de la chaîne, entre la fondation et l’avènement, par la grâce de ces deux sommets voulus comme tels par les BRICS. Je ne peux une seconde imaginer que ces choix soient la révérence des BRICS, – les fondateurs et les nouveaux-venus, – à l’intention du pays qui a engendré cette extraordinaire dynamique à laquelle personne ne croyait sérieusement, à la Russie catastrophique devenue la Russie-renée.

Bien entendu, la Chine est toujours à ses côtés. Elle l’est beaucoup plus aujourd’hui qu’elle ne l’était en 2009. Finalement ce “couple” parvient à établir son équilibre : l’énorme masse chinoise, qui a toujours tendu à se suffire à elle-même, c’est-à-dire à refuser la politique de l’expansion qui engendre la politiqueSystème, voit son poids colossal compensé par la capacité historique et technologique de la puissance militaire russe, bien établie dans l’histoire et confirmée en Ukraine comme étant désormais sans rivale. En un sens, on peut avancer l’hypothèse que ces deux sortes de puissances tendent à créer un équilibre inhabituel, qui est déjà un pas significatif en-dehors du ‘règne de la quantité’.

Là-dessus, je ne vous promets rien, oh loin de là ... Je ne veux en aucune façon, ni d’aucune façon, esquisser un schéma qui serait celui de notre avenir, et ce d’autant plus qu’avec cette affaire des BRICS qui nourrit pourtant notre ardeur, rien n’est fait complètement ni proche du moindre achèvement. Ce qui s’est passé, c’est une sorte de basculement, peut-être en esquisse, peut-être déjà composé d’un trait ferme, mais tout cela dans la même direction. Le monstre est vulnérable, la Bête est blessée, sa surpuissance est devenue l’aliment même de sa bêtise et de son aveuglement (surpuissance = autodestruction) ; son autodestruction l’attend mais il lui reste sa surpuissance.

Nous nous défiions de trop espérer de Johannesbourg ; moi-même, je parvenais à m’en agacer, me faisant la leçon ; et puis, tout cela a disparu, en un coup de vent, comme une porte qui claque, comme une tempête qui lève ! Les BRICS se sont constitués partie prenante, décidant qu’ils allaient se précipiter pour combler le vide que les déconstructeurs américanistes-occidentalistes creusent désespérément depuis des décennies. Ils sont en marche. Bien entendu, c’est cette vieille canaille de Churchill qui le disait : ce n’est pas la fin, « c’est la fin du commencement ».

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