04 août 2023

Budapest : l’historienne du régime se paie les Anglo-américains



Caractérisé avant 2022 par une opposition assez tiède au mondialisme occidental, et par une « ouverture à l’Est » réelle, mais grossie par sa rhétorique, le régime de Viktor Orbán semble avoir, depuis le début du chapitre « Ukraine », réellement changé de cap – comme en témoigne cet article d’il y a deux mois, signé par celle que beaucoup considèrent comme la seule idéologue réellement indépendante de la droite hongroise.
 

Nantie d’une fortune personnelle qui n’a d’égale que son impressionnant capital social (amitié personnelle avec Steve Bannon, etc.), l’érudite et batailleuse Mária Schmidt n’est pas de tous les plateaux et de toutes les chaînes YouTube. Rares, mais généralement frappantes, ses interventions n’en sont que d’autant plus précieuses pour comprendre les tendances lourdes de l’évolution idéologique de ce pays, qui semble aujourd’hui se diriger vers une rupture totale avec le mainstream progressiste d’Europe occidentale.
Cet article de Mária Schmidt paru en version hongroise sur latoszogblog.hu en date du 09 juin 2023, n’engage pas la ligne éditoriale du Courrier. 

Les États L’Empire Uni(s) d’Amérique

« La Grande-Bretagne est un cheval de Troie pour les intérêts américains en Europe. » Charles de Gaulle

Les États-Unis d’Amérique sont nés d’un soulèvement contre l’Empire britannique. Leur tradition révolutionnaire remonte à leur rébellion contre leur maître colonial. Ils ont aujourd’hui abandonné ces traditions pour devenir l’héritier de l’Empire britannique impérialiste. Ils ont adopté les méthodes, l’arrogance, la condescendance et le style donneur de leçons de l’Empire britannique. Pourtant, il fut un temps où ces colons du Nouveau Monde rompaient avec leur ancienne vie et cherchaient une nouvelle patrie, afin de pouvoir vivre par leurs propres forces et capacités, selon leurs propres lois et règles. Ils voulaient la souveraineté, la liberté et l’indépendance, afin de pouvoir développer leurs talents et faire fructifier leur diligence sans contraintes.

Les Britanniques, alors en pleine ascension, se sont facilement remis de la perte de leurs colonies américaines [1], car ils étaient occupés à étendre leur puissance à tous les continents du monde. Ils étaient loin de se douter qu’elles seraient bientôt leurs concurrents, leurs rivaux, et finalement leurs conquérants.

Les Britanniques sont restés colonialistes jusqu’à la fin du XXe siècle, et pendant ces quelque deux cents ans, ils ont acquis une grande expérience dans l’art d’exploiter, d’humilier et de priver de leur indépendance et de leur culture les pays, les nations et les peuples qu’ils avaient vaincus, conquis et subjugués. À ce jour, il existe 24 pays que les Britanniques n’ont pas envahis et qu’ils n’ont pas tenté de rendre dépendants d’une manière ou d’une autre. Qu’a dit tel éminent homme politique indien ? « Le soleil ne se couche jamais sur l’Empire britannique parce que même le soleil a peur de ce qu’il ferait dans l’obscurité. » [2]

La Grande-Bretagne s’est développée à partir de la fin du XVIIIe siècle, jusqu’à dépasser l’ancien Empire romain. Après la défaite de Napoléon [3], dans laquelle les Russes ont joué un rôle décisif – pour être précis : Koutouzov [4], bien plus que Wellington –, ils étaient convaincus qu’ils avaient non seulement le droit mais aussi la capacité de dominer le monde. Grâce à leur industrie et à leur commerce, ainsi qu’à leur flotte qui dominait les mers du monde, ils ont utilisé les trésors et les richesses de toutes les parties du monde pour construire leur empire. Ils étaient de plus en plus convaincus que l’expansion est leur vocation divine, tout comme la noble tâche de civiliser le monde.

À l’aube du XXe siècle, lorsque l’anglais a succédé au français comme nouvelle langue véhiculaire, les Britanniques ont pris le contrôle de la thématisation et de l’interprétation de l’histoire et de la politique.

Ils diffusent leurs médias à travers la planète et inondent le monde entier de propagande pour justifier et promouvoir leurs guerres et leurs visées impérialistes. La BBC, la British Broadcasting Corporation, a été fondée en 1922 dans le but de diffuser la propagande du gouvernement britannique dans le monde entier. Néanmoins, jusqu’à la fin du vingtième siècle, on a fait croire, avec plus ou moins de succès, qu’elle était l’étalon de l’impartialité et de la fiabilité du service public. Aujourd’hui, cependant, il est généralement admis que les médias britanniques, y compris la BBC, sont des canaux de propagande à la fois peu sérieux, partiaux et grossiers. Je me souviens que, pendant les décennies de médias monophoniques et, bien sûr, mortellement ennuyeux de la dictature communiste, ceux qui voulaient entendre un autre son de cloche écoutaient Radio Free Europe et Voice of America, en sachant parfaitement qu’il s’agissait d’outils de la contre-propagande américaine, mais la BBC était réputée impartiale, factuelle et fiable.

Des générations ont été trompées. Car les Britanniques sont passés maîtres dans l’art de la tromperie. S’il y a une chose pour laquelle ils sont doués, c’est bien la trahison, les subterfuges, la tromperie et, bien sûr, les leçons de morale.

Les Britanniques sont très doués pour réinterpréter l’histoire. Ils ont un flair particulier pour nier, héroïser et hollywoodiser leur histoire dure et brutale, qui est, autant ou plus que d’autres, une série de meurtres, de guerres civiles et de trahisons. Leur responsabilité dans les deux guerres mondiales du vingtième siècle, et bien sûr dans la guerre froide, a été niée. Pourtant, il est de notoriété publique que, depuis l’unité allemande de 1871, ils ont délibérément entrepris de détruire l’Empire allemand en forgeant une alliance anti-allemande qui a joué un rôle décisif dans le déclenchement de la Première Guerre mondiale. De même, ils se sont taillé la part du lion dans le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Churchill, l’un des plus grands bellicistes de son temps, a été présenté comme un héros du XXe siècle [5]. On entend quotidiennement la ritournelle sur sa stature d’homme d’État, l’accent étant mis sur sa clairvoyance, illustrée par son discours de Fulton prédisant la division de l’Europe et le début de la guerre froide, lorsqu’il parle de la chute d’un rideau de fer [6]. Mais il n’avait pas besoin de voir l’avenir pour faire cette prédiction, il lui suffisait de se rappeler qu’en 1944, deux ans plus tôt, il avait convenu de tout cela, mot pour mot, avec Staline à Moscou. Lorsqu’il avait cédé l’Europe centrale et orientale aux Soviétiques sur un morceau de papier à fromage, comme si elle lui appartenait. Staline faisait semblant de croire qu’il avait besoin de l’accord des Britanniques pour que l’Armée rouge prenne possession des territoires qu’elle occupait [7]. Churchill s’était, avec ses grands airs, introduit dans le bureau du généralissime pour obtenir qu’il renonce à la Grèce. Car il se trouve que les Grecs étaient alors en train de devenir communistes, chose que les Britanniques n’avaient ni les moyens ni la capacité d’empêcher. Churchill demande donc à Staline de lui rendre un service : de trahir ses camarades grecs en échange de la liberté de notre région. Avec le cynisme invétéré qui le caractérisait, il a livré l’Europe centrale et orientale aux envahisseurs soviétiques en vertu d’un calcul de pourcentages : ce n’était pas cher payé – surtout si l’on considère que ce qu’il a livré ne lui appartenait pas. À Fulton, aux États-Unis, il s’est ensuite mis à couiner, comme un vieil histrion, que la moitié orientale de l’Europe était sous occupation soviétique !
 
Quelle surprise !

Il n’est pas étonnant que sa statue à Budapest soit de temps en temps aspergée de peinture rouge par des patriotes hongrois qui ne lui pardonnent pas cela – pas plus que les bombardements terroristes qui ont frappé notre pays !

Car il faut être allemand pour passer sous silence les crimes de guerre britanniques ou les balayer généreusement d’un geste de la main. Seuls les Allemands sont capables d’oublier avec désinvolture le million d’Allemands morts de faim par la faute des Britanniques et des Américains à la fin de la Première Guerre mondiale, en partie après que les Allemands eurent déposé les armes et se furent rendus sans condition, étant donné qu’ils refusaient de lever le blocus naval qui empêchait les vivres d’atteindre l’Allemagne. De même, les 3 millions d’Indiens condamnés à la famine, à qui Churchill, pendant la Seconde Guerre mondiale, a retiré des céréales pour assurer le ravitaillement de son propre peuple, au motif qu’ils lui étaient inférieurs [8]. Et n’oublions pas les bombardements terroristes de la Seconde Guerre mondiale sur des cibles civiles en Allemagne : si ces derniers n’ont pas été considérés comme des crimes de guerre, c’est uniquement parce que leurs auteurs étaient des Britanniques et des Américains.

Le bombardement terroriste de cibles civiles était une décision politique consciente de Churchill. Son objectif était de briser le moral des Allemands. Petit aperçu du résultat :

« La Royal Air Force a largué un million de tonnes de bombes au cours de quatre cent mille sorties. Cent trente et une villes, dont certaines ont été attaquées à plusieurs reprises, ont été quasiment rasées. Six cent mille civils ont été tués, 3,5 millions de maisons ont été détruites, 7,5 millions de personnes se sont retrouvées sans abri. Pour chaque habitant de Cologne, il y avait 31,75 mètres cube de décombres, à Dresde, 42,8. Dans la nuit du 23 février 1945, près d’un tiers des soixante mille habitants de Pforzheim ont péri dans un seul raid aérien ; même après 1950, des croix faites en planches se dressaient encore sur les tas de décombres » [9].

Comment Churchill est-il devenu le plus grand héros de la Seconde Guerre mondiale, voire le plus grand homme d’État du XXe siècle ? En affirmant lui-même, dans ses écrits, qu’il l’était. [10]

Il a été le premier à écrire l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, le premier à en former le cadre historiographique, faisant de son propre rôle celui d’un héros et d’un homme d’État, tout en distribuant aux autres des rôles de nigauds et de naïfs – par exemple à Roosevelt, à qui il devait tout. Aujourd’hui encore, une grande partie du monde s’appuie sur son récit pour analyser les événements de la Seconde Guerre mondiale.

Mais la réalité était tout autre.

N’oublions pas qu’en 1947, avant de se retirer d’Inde, les Britanniques ont brûlé à New Delhi les preuves des mesures les plus embarrassantes de leur régime colonial. Cette pratique s’est ensuite généralisée entre 1950 et 1970 sous le nom de code Operation Legacy, c’est-à-dire qu’ils ont ordonné le caviardage et la destruction des archives de leurs colonies, faisant disparaître tous les documents, registres et preuves susceptibles de donner une image « défavorable » de leur domination. C’est-à-dire qu’ils ont effacé toutes les traces de leurs mauvaises actions, de leurs abus et de leurs inhumanités [11].

Leur objectif était de faciliter le travail des historiens : il ne manquait plus que ces derniers aient mauvaise conscience à l’idée de devoir falsifier le legs civilisationnel des Britanniques !

Voilà l’un des premiers joyaux britanniques de la cancel culture !
 
LE SYNDROME DE STOCKHOLM DES AMÉRICAINS

« Il est facile de garder la conscience tranquille, quand on ne l’utilise jamais. » Robert C. Castel

Les Britanniques auraient fait les frais de la Première Guerre mondiale, qu’ils avaient déclenchée, si les États-Unis ne les avaient pas aidés. La coalition qu’ils dirigeaient n’a pas pu l’emporter sur les Puissances centrales, alors même que l’Empire russe à l’Est et l’Empire britannique et la France à l’Ouest les combattaient simultanément sur deux fronts. Si les États-Unis n’étaient pas entrés en guerre, les puissances européennes auraient conclu une paix à l’amiable et se seraient réconciliées. L’intervention des États-Unis aux côtés de leur ancien maître colonial les en a empêchées. Les Américains, qui souffrent encore aujourd’hui du syndrome de Stockholm, ont offert une bouée de sauvetage à leur ancien maître colonial parce qu’ils avaient bien évalué que son dynamisme et sa capacité économique et militaire ne constituaient plus un défi pour eux. En revanche, ils craignaient les Allemands. Jusqu’en 1922, les Britanniques restent la seule puissance dominante dans un seul domaine : les mers – situation à laquelle le traité de paix de Washington a mis fin.

Après la Première Guerre mondiale, l’Empire britannique est en déclin, chose qu’il refuse de reconnaître. Il agit comme s’il n’avait pas perdu militairement, économiquement et idéologiquement. Les Britanniques n’ont rien à dire sur l’avenir, parce qu’ils se bercent de l’idée qu’ils peuvent continuer comme avant et s’attendre à ce que leur gloire de jadis, tôt ou tard, leur soit resservie sur un plateau d’argent. 

Losers, les Britanniques se comportent jusqu’à nos jours comme des vainqueurs.

Après la Première Guerre mondiale, ils songeaient non seulement à restaurer leur empire mondial, mais même à l’étendre, ignorant le fait que le monde cherchait un nouveau départ après plus de cinq années de tueries. Un nouveau monde dont Lénine et Wilson avaient posé les bases. Tous deux promettaient un monde nouveau, fondé sur l’autodétermination des nations. Cette vision marquait la fin de l’empire colonial britannique, même si Londres refusait de le reconnaître. Londres pensait avoir ses colonies bien en main, et même qu’il serait sage d’en annexer d’autres. En 1916, alors que rien n’est encore joué sur les fronts, le Moyen-Orient est redessiné et partagé avec les Français [12]. Les frontières sont tracées à la mode britannique, coupant en deux communautés tribales, religieuses, linguistiques et culturelles. De façon à ne laisser aucune chance à la coexistence pacifique.

C’est pourquoi, cent ans plus tard, en 2014, le ministre turc des Affaires étrangères a déclaré que, pour lui, la Première Guerre mondiale n’était pas terminée.

Wilson a engagé les États-Unis dans la Première Guerre mondiale parce qu’il estimait que le moment était venu de faire de l’Amérique un acteur politique mondial. Après avoir soumis l’Amérique centrale et l’Amérique du Sud à la domination américaine, il a annoncé la sécurisation du monde pour les démocraties, c’est-à-dire pour les États-Unis. C’était déjà la manifestation d’intérêts contraires aux intérêts britanniques, et le signe d’une volonté de mettre fin à l’hégémonie britannique. Au cœur de l’ambition de Wilson se trouve l’Amérique révolutionnaire née de la révolte contre les colonialistes britanniques [13]. Son contenu reste l’autodétermination nationale, la démocratie, la méritocratie, l’entreprise et la liberté individuelle. Même à l’époque, cela contrastait fortement avec la structure féodale, les politiques coloniales et la société de castes de l’Empire britannique.
 
HIPPOLYTE, LE VALET

« On fait la guerre quand on veut se débarrasser des problèmes de la paix. » Thomas Mann


Tout au long du XXe siècle, les États-Unis se sont attachés à remplacer l’Empire britannique et à assumer son rôle hégémonique. C’est pourquoi, pendant la Seconde Guerre mondiale, ils ont mené simultanément trois guerres parallèles. L’une contre les Britanniques, faibles et vulnérables, à qui, en échange d’une « aide », ils ont progressivement pris leurs bases et qu’ils ont endettés pour plus d’un demi-siècle. L’objectif américain était de vider l’Empire britannique, comme des pêcheurs de perles raclent les coquilles, pour citer le secrétaire à la Guerre Stimson [14]. Le président Roosevelt ne cachait pas sa volonté de forcer les Britanniques à quitter leurs colonies. Il ne manquait jamais une occasion de demander à Churchill : « Quand allez-vous quitter l’Inde ? »

Bien entendu, les États-Unis combattaient également le Troisième Reich nazi, pour la même raison que lors de la Première Guerre mondiale, à savoir : empêcher l’unification de l’Europe sous le contrôle de l’Allemagne. Et pour prendre pied en Europe. Enfin, en Extrême-Orient, ils ont mené une bataille sanglante contre le Japon. Ils ont laissé cela pour la fin, bien que ce soit l’attaque japonaise sur Pearl Harbour, le 7 décembre 1941, qui ait conduit à leur entrée officielle dans la Seconde Guerre mondiale. Le calendrier n’a bien sûr rien à voir avec les priorités. S’ils ont laissé l’Extrême-Orient pour la fin, c’est parce que, de même qu’ils avaient fait porter aux Russes la plus grande partie du fardeau de la défaite des Nazis, ils attendaient des Chinois qu’ils vainquent les Japonais – Japonais qu’ils ont finalement achevés avec les bombes atomiques larguées sur Hiroshima et Nagasaki.

A l’époque, les Américains ne pouvaient pas se douter que la Chine serait unifiée après la guerre par les communistes soutenus par l’Union soviétique, et non par le Guomindang financé par les États-Unis, ni qu’elle deviendrait, au lieu d’une république, une république populaire.

La Seconde Guerre mondiale a été la première aventure internationale dans laquelle les Américains, qui étaient pourtant également en guerre contre les Britanniques, ont été utilisés par ces derniers comme proxy. Malgré le fait qu’ils étaient en guerre contre les Nazis depuis 1939, sans véritables alliés jusqu’à l’été 1941, les Britanniques se sont sortis de la guerre avec moins de morts que les Américains. Les Britanniques s’étaient vidés de leur sang lors de la Première Guerre mondiale et ont donc combattu la seconde « intelligemment », ce qui signifie qu’ils constituaient plutôt un centre de commandement, se chargeant d’amener la propagande de guerre à son maximum, excellant dans la collecte de renseignements, la reconnaissance, la conception et l’exécution d’opérations de désinformation. 

Ah, j’oubliais : excellant aussi dans le contrôle des esprits.

Et c’est encore le cas aujourd’hui. Les États-Unis sont heureux de travailler avec ces Britanniques si bien informés – quoique aussi (pour le dire très gentiment) bien effrontés –, qui, forts de leur expérience coloniale, sont capables de s’orienter dans le monde. Les self made men américains sont flattés de travailler avec des aristocrates, des barons et des lords. Ils ont leur fauteuil dans leurs clubs, prennent le thé avec eux. Ils sont honorés par leurs manières de gentlemen, leur accent pur et dur de la classe supérieure. Les Britanniques sont donc, encore aujourd’hui, convaincus que les Américains ne peuvent pas se passer de leurs conseils, et les Américains les emploient comme une sorte de domestique qui, alors même qu’il est là pour les aider à enfiler leur manteau, jouit d’une certaine considération. Nous connaissons bien ce schéma depuis ce classique de la cinématographie qu’est le film Hippolyte, le valet [comédie hongroise de 1931 – n.d.t.]. Les Britanniques sont donc réduits au rôle de majordome en chef cherchant à dominer ses maîtres, parce que c’est tout ce qu’ils peuvent encore faire de leur pouvoir et de leurs compétences. Leur ridicule échec d’amateurs à Suez l’a prouvé. Le numéro de gaucherie qu’ils ont produit du 29 octobre au 7 novembre 1956 nous a causé [à nous Hongrois – n.d.t.] un grave préjudice, en détournant l’attention de notre lutte à mort contre les envahisseurs soviétiques et en forgeant une alliance d’intérêts entre les Soviétiques et les Américains. A eux deux, ils ont empêché ces Britanniques surestimant leur propres forces d’unir ces dernières à celles des Français et des Israéliens de façon à se rendre capable d’interférer dans le jeu des grandes puissances.

La guerre par procuration qu’ils menaient à Suez était déjà une routine pour Les Britanniques. C’étaient les Israéliens qu’ils envoyaient se battre, en leur donnant discrètement à entendre qu’ils les soutenaient, tout en prétendant être intéressés par une solution pacifique, pour mieux tromper leur monde. Déclenchée avec l’objectif de bloquer la tentative de nationalisation du canal du même nom par le président égyptien Nasser, la guerre de Suez a clairement démontré l’incapacité des Britanniques à guérir de l’illusion selon laquelle le Moyen-Orient serait leur terrain de jeu privatif. Leur humiliante défaite leur a appris une fois pour toutes qu’ils ne peuvent plus se lancer dans des aventures guerrières sans l’autorisation des États-Unis. Ainsi, lorsqu’ils sont entrés en guerre en 1982 pour sécuriser leur colonie des îles Malouines, ils ont préalablement obtenu l’autorisation – et même le soutien actif – des États-Unis. Rien ne justifiait ou n’expliquait cette guerre, si ce n’est leur obsession du colonialisme. Un esprit de la fin du XXe siècle ne pouvait plus comprendre ce qu’ils faisaient encore sur une île située à 13 000 km de l’Angleterre, qu’ils avaient certes occupée en 1833, mais qui se trouve à proximité des côtes argentines. Au cours des 74 jours de cette guerre, 1 000 personnes sont mortes pour que les Britanniques puissent continuer à revendiquer le contrôle de cet archipel de l’Atlantique Sud. Il est incompréhensible que l’opinion publique mondiale ait toléré ce flagrant délit d’agression impérialiste de la part des Britanniques, et même fêté le triomphe du Premier ministre britannique Margaret Thatcher. Pourquoi était-il acceptable de piétiner les aspirations nationales de l’Argentine ?
Depuis lors, les Britanniques ont mené une série de guerres par procuration, en Irak, en Afghanistan, lors des « printemps arabes », dans les Balkans, et aujourd’hui en Ukraine.

Dans la guerre d’agression contre l’Irak de 2003, ils ont été non seulement les instigateurs, mais aussi ceux dont le renseignement a fourni aux Américains les preuves de l’existence prétendue d’armes de destruction massive dans les arsenaux de Saddam Hussein. Fausses, bien entendu. Ce sont aussi eux qui ont équipé le clan Clinton et les groupes d’intérêts anti-Trump du parti démocrate américain de « preuves » controuvées d’une ingérence russe et d’une collaboration de Trump avec les Russes.

Dans la guerre Russie-Ukraine, depuis le 24 février 2022, les hippolytes britanniques sont également en première ligne de l’incitation au conflit, des campagnes de désinformation et de la fourniture de munitions. Dans leur russophobie, ils déjouent tous les pronostics. Il n’y a pas si longtemps, ils se vantaient de leurs amitiés russes. Ils ne se lassaient plus d’attirer des oligarques russes prêts à acheter et à investir chez eux. Après tout, c’est grâce à ces derniers que leur secteur financier et leur marché immobilier ont survécu, et que Londres est resté un centre de consommation de luxe malgré le Brexit de 2016. Jusqu’en février 2022, ces oligarques n’ont pas été le moins du monde inquiétés. Et là, en un rien de temps, d’une manière qui rappelle les périodes communistes les plus sombres, les citoyens russes ont été dépouillés de leurs actifs anglais, leurs biens confisqués et leurs comptes bancaires gelés. Ils sont devenus indésirables.

L’ont-ils fait de leur propre initiative, ou sur ordre de leurs maîtres américains ? Après tout, qu’importe.
NOUS VOULONS RETROUVER LE RÊVE AMÉRICAIN !

« L’empire américain cessera d’exister vers 2050. » Emmanuel Todd

Depuis que les États-Unis ont remplacé l’Empire britannique, ils ressemblent de plus en plus à leur prédécesseur. Ils ont renoncé à leur mythe d’origine, révolutionnaire et plébéien. Ils sont devenus une république aristocratique, où les nouveaux présidents sont de plus en plus issus de dynasties présidentielles, tandis que les membres de leur famille deviennent des célébrités et des figures politiques, à la manière de la monarchie britannique. Les élus du peuple transmettent leurs mandats à leurs enfants de génération en génération et s’enfoncent de plus en plus dans une dynamique de caste. Le principe méritocratique qui garantissait la force et la performance des États-Unis a été remplacé par la discrimination positive, qui désactive constamment l’assurance qualité, en favorisant des groupes « victimaires » sans cesse renouvelés. La nature pragmatique, orientée vers les affaires et l’économie, des États-Unis s’estompe aujourd’hui, remplacée par l’approche idéologique familière au communisme. Le progressisme est devenu l’impératif primordial et l’endoctrinement idéologique rappelle la période « enthousiaste » du camp socialiste dans les années 1950.

Les États-Unis, comme l’ancien empire britannique, mènent en permanence des guerres dans le monde entier. Pour n’en citer que quelques-unes : au Vietnam, en Afghanistan, en Irak, dans les Balkans, en Ukraine. Ils interviennent partout, ils sont partout. Ils exportent la démocratie, créent le chaos, mettent en scène des révolutions de couleur et s’efforcent d’américaniser le monde. Autrefois, la promesse dont ils se faisaient le héraut dans le monde entier était une promesse de liberté, d’opportunités, la promesse d’une société prospère composée de personnes libérées des privilèges de naissance.
C’est ce que nous appelions le rêve américain.

Aujourd’hui, nous voyons des États-Unis drogués au fentanyl et aux tranquillisants, terrorisés par les toxicomanes et les criminels, avec une infrastructure délabrée ; des États-Unis en proie à des processus de division choquants. Ils ne parviennent pas à sécuriser leurs frontières, ni à faire la police dans leurs villes, ils ne peuvent pas ou ne veulent pas contrôler la criminalité. Leurs élites ne s’en préoccupent absolument pas, car toute leur énergie est occupée par la haine et la destruction mutuelle. Les États-Unis ont été entraînés dans cette fange par l’État profond qui les gouverne. Ils ne peuvent survivre qu’en menant de plus en plus de guerres. Sans ennemi extérieur, ils se seraient effondrés depuis longtemps. Ces nouveaux ennemis sont fournis par leurs experts britanniques. Car cela fait cent ans que ces derniers sont passés maîtres dans l’art d’utiliser le sang des autres – y compris celui des Américains – pour maintenir à flot l’illusion selon laquelle la Grande Bretagne compterait encore.
Or elle ne compte plus.

La Grande-Bretagne est une insignifiante petite nation insulaire au bord de la désintégration, sans industrie, sans manufacture, sans innovation, sans agriculture autosuffisante.

Ce qui n’a pas changé, c’est uniquement son arrogance et son effronterie.
Et c’est vraiment agaçant.

Les États-Unis font tout ce qu’ils peuvent pour maintenir leur hégémonie. Mais ils ne peuvent pas revenir en arrière. Un ordre mondial multipolaire est déjà en cours d’élaboration. Nous devrions le reconnaître, commencer à nous adapter aux nouvelles conditions et en tirer le meilleur parti.


Car nous avons besoin des États-Unis. Nous avons besoin qu’ils restent la première puissance du monde occidental. Mais pour cela, ils doivent se remettre sur les rails, revenir aux valeurs pour lesquelles nous les admirons et les envions. Et surtout, il faudrait qu’ils se débarrassent de la singerie de l’impérialisme britannique.

Qu’ils redeviennent le continent de la liberté, de la méritocratie, du pragmatisme, du culte de la réussite, de l’équité, et qu’ils abandonnent le projet de transformer le monde entier en institut de rééducation. Personne n’a besoin de cela.

Cela, oui, ce serait le rêve américain.

Notes :


[1] La guerre d’indépendance a duré de 1775 à 1783, et la Déclaration d’indépendance a été adoptée le 4 juillet 1776.

[2] Shashi Tharoor, diplomate et homme politique indien : « Le soleil ne s’est jamais couché sur l’Empire britannique, parce que même Dieu ne pouvait pas faire confiance à l’Anglais dans l’obscurité ».

[3] Arthur Wellesley, duc de Wellington (1769-1852), vainqueur de Napoléon à Waterloo en 1815.

[4] Les Russes, menés par le prince Mikhaïl Illarionovitch Golenichtchev-Koutouzov, détruisent la Grande Armada de Napoléon en 1812.

[5] Il échoue dans ses deux opérations les plus importantes. La bataille de Gallipoli, qui a duré du 19 février 1915 au 9 janvier 1916, a fait un demi-million de victimes et s’est soldée par une grande victoire turque. Elle entraîne la démission de Churchill, ministre britannique de la marine. Le 9 avril 1940, les nazis envahissent la Norvège, empêchant l’invasion prévue par Churchill.

[6] Le 5 mars 1946, il prononce ce célèbre discours en présence du président Truman au Westminster College de Fulton, dans le Missouri.

[7] 9 octobre 1944, Moscou. Pendant qu’il négocie notre sort, une délégation hongroise chargée de l’armistice se trouve dans une autre pièce. Le cynisme de Churchill est démontré par le fait qu’il a remis la note aux archives, car il ne trouvait pas honteux ce qu’il avait fait.

[8] Khan, Yasmin : The Raj at war, A People’s History of India Second World War. The Bodley Head, Penguin, Random House, Londres, 2015. Les Indiens ne le lui ont pas pardonné, et n’ont pas oublié non plus.

[9] Seebald, W.G. : De la destruction comme élément de l’histoire naturelle.

[10] Ce qui confirme l’adage de mon ami Tamás Deutsch selon lequel l’autocongratulation est trop importante pour être laissée à d’autres.

[11] Entre 1950 et 1960, 8 800 documents provenant de 23 pays ont été broyés ou expédiés en Angleterre. Il s’agit principalement de documents relatifs aux atrocités, aux préjugés raciaux, à la torture, etc. : https://www.warhistoryonline.com/war-articles/operation-legacy-britain

[12] Plus tard, ils ont aussi obtenu l’assentiment des Russes.

[13] Johnson, Paul : The History of the American People. Bien sûr, il ne faut pas oublier non plus que les Américains, qui luttaient pour leur indépendance, se plaignaient aussi de ce que la couronne britannique leur demandait de faire preuve d’égards et de retenue envers les Indiens, qu’ils considéraient comme un obstacle à leur expansion, et donc à leur développement.

[14] Henry Lewis Stimson (1867-1950), secrétaire américain à la guerre de 1911 à 1913 et de 1940 à 1945. Secrétaire d’État de 1929 à 1933. Source des images : The Times, AP, Royal British Legion, Unsplash / Miltiadis Fragkidis

Source : https://lecourrierdesstrateges.fr/2023/08/03/budapest-lhistorienne-du-regime-se-paie-les-anglo-americains/

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