14 juillet 2023

Tombée du ciel : Juliane Koepcke survit à un crash en pleine jungle

Juliane Koepcke est née en 1954 à Lima, au Pérou. Elle est la fille de Hans-Wilhelm, un zoologiste allemand mondialement connu et de Maria, une ornithologue également très respectée. Adolescente, Juliane était scolarisée dans un lycée Péruvien tandis que ses parents se trouvaient à plusieurs centaines de kilomètres de là, effectuant des recherches au cœur de l'Amazonie. Juliane s’était également familiarisée avec l'environnement hostile et étouffant de l'Amazonie en étudiant le fonctionnement interne de son écosystème. À l'époque, elle ne se doutait pas que ses connaissances lui sauveraient la vie.

La nuit de Noël 1971, quelques heures seulement après sa remise de diplôme, Juliane, alors âgée de 17 ans, embarque avec sa mère dans un avion qui s'apprête à survoler la forêt péruvienne. Elles devaient rejoindre Hans pour fêter Noël tous ensemble. L'avion, pris dans un orage tropical, s'est retrouvé hors d'état de marche avant de s'écraser en quelques secondes, tuant ses 92 passagers. À l'exception de Juliane. Après avoir été portée disparue pendant 11 jours, elle a réussi à sortir de la jungle et a pu retrouver son père.

Les détails de cette histoire incroyable sont racontés dans Wings of Hope, un documentaire de Werner Herzog réalisé en 2000 pour la télévision allemande. Comme très peu de gens ont vu ce film ou entendu parler de l'histoire de Juliane, on a décidé d'aller discuter avec elle afin qu'elle nous raconte ce qui s'est passé.

VICE : Pouvez-vous nous décrire l'atmosphère dans l'aéroport avant que vous preniez l'avion ? Est-ce que tout semblait normal ?

Juliane Koepcke : Tout était parfaitement normal. Le vol avait du retard mais c'est très souvent le cas au Pérou ; personne n'était surpris. Je me souviens que l'aéroport était bondé car beaucoup de gens rentraient chez eux pour passer Noël en famille. Nous avons aperçu l'appareil dehors, c'était un Electra à turbopropulseurs. Il avait l'air en parfait état. Bien sûr, c'est difficile à dire quand vous n'êtes pas technicien, mais, pour moi, il semblait parfait. Ensuite, nous avons embarqué à bord et, pendant les 30 premières minutes, tout allait bien.

C'est vous qui avez choisi de vous asseoir à côté d'un hublot ?

Oui, parce que j'aime pouvoir regarder à l'extérieur. En revanche, ma mère s'en fichait un peu. Par chance, nous étions assises tout à l'arrière de l'appareil, à l'avant-dernier rang.

À partir de quand avez-vous senti que quelque chose n'allait pas ?

Seulement lorsque nous avons été pris dans l'orage. L'équipage s'est mis à servir des sandwiches une demie heure après le décollage alors que nous étions censés atterrir 20 minutes plus tard. Nous allions à Pucallpa et le vol devait durer entre 50 et 60 minutes.

Comment les problèmes ont-ils commencé ?

Les nuages sont devenus très épais. J'étais habituée à prendre l'avion donc je n'ai jamais fait trop attention aux conditions météorologiques. Ensuite, ma mère s'est mise à devenir nerveuse et a dit « Je n'aime pas ça ». Les nuages devenaient de plus en plus sombres et il y avait beaucoup de turbulences. Puis, en quelques instants, l'avion s'est retrouvé au beau milieu d'un énorme nuage noir, pris dans une véritable tempête – du vent partout, du tonnerre, des éclairs.

Les autres passagers étaient-ils aussi nerveux que votre mère ?

Ma mère n'était pas vraiment nerveuse. Elle semblait simplement préoccupée mais c'était un peu difficile à dire vu de l'extérieur. Les autres passagers étaient très calmes. Ils n'étaient pas non plus très rassurés mais, encore une fois, c'est difficile à dire. À l'extérieur, tout était noir et les éclairs aveuglaient ma perception. Ensuite, j'ai vu une très vive lumière sur l'aile droite de l'appareil et ma mère a dit : « Cette fois, c'est terminé ». Le moteur venait d'être frappé par un éclair et cet appareil était muni de turbines à propulseurs. Après ça, tout s'est enchaîné très rapidement. Ce qui s'est réellement passé est quelque chose que vous pouvez seulement essayer de reconstruire dans votre esprit. Nous avons découvert par la suite que ces avions Electra à turbopropulseurs n'étaient pas du tout conçus pour supporter ce genre de grosses turbulences. Leurs ailes sont trop rigides. L'éclair qui l'a frappé a probablement disloqué l'appareil en plein ciel sans le faire exploser pour autant.

Comment avez-vous réagi lorsque votre mère a dit « Cette fois, c'est terminé » ?

Je n'ai pas eu l'occasion de penser à quoi que ce soit. J'ai juste eu le temps de l'entendre puis j'ai eu un trou noir. Il y a une chose dont je me souviens : j'ai entendu un énorme bruit provenant du moteur puis les gens qui hurlaient et, ensuite, la chute. L'avion est tombé extrêmement vite. Après ça, tout était calme – incroyablement calme comparé au fracas juste avant. J'entendais seulement le bruit du vent qui soufflait dans mes oreilles. J'étais toujours attachée à mon siège. En revanche, ma mère et l'homme qui était assis du côté de l'aile avaient tous les deux été propulsés. J'étais en pleine chute libre, je m'en souviens très bien. Je voyais les arbres de la forêt en dessous qui ressemblaient à des « brocolis », comme j'ai pu le décrire plus tard. Ensuite, j'ai perdu conscience. Je suis revenu à moi bien plus tard, le lendemain.

Qu'avez-vous ressenti pendant que tout cela arrivait ? Étiez-vous terrorisée ou complètement en état de choc ?

Je n'ai pas eu le temps d'avoir peur. Même lorsque je tombais, je n'étais pas effrayée. J'ai simplement réalisé que la ceinture de sécurité me pressait l'estomac et que j'avais la tête à l'envers. Ça a peut-être duré juste une fraction de seconde ou peut-être que j'ai eu un blocage. Dans tous les cas, je ne m'en rappelle pas.

OK. Et le lendemain, vous vous êtes réveillée dans la jungle.

Le lendemain matin, exactement. Le crash a eu lieu autour de 13h30 et il était à peu près 9h lorsque j'ai regardé ma montre en me réveillant. Elle était toujours intacte mais s'est arrêtée un peu plus tard. Ensuite, j'ai réalisé que j'étais au sol et j'ai tout de suite compris ce qui s'était passé. J'étais vraiment sous le choc donc incapable de me redresser. Mes yeux étaient gonflés. Mes lunettes – j'étais myope depuis mes 14 ans – avaient disparu. J'étais étendue sous mon siège mais plus du tout attachée. Je pouvais voir un peu de forêt et un peu de ciel aussi. Je savais que j'avais survécu à un crash d'avion. Le traumatisme m'empêchait de bien réfléchir et je ne me souciais pas vraiment de mon état. Je me suis d'abord demandée où était ma mère. C'est la première chose dont je me souviens. Je me suis probablement réveillée à plusieurs reprises avant cela mais le traumatisme a dû me faire perdre connaissance. C'est ce que Werner Herzog a essayé de reconstruire plus tard. Nous savons que j'étais attachée à mon siège et ce dernier a certainement dû amortir ma chute. Je n'aurais pas survécu autrement. Je sais aussi que je me suis mise sous le siège parce qu'il pleuvait. J'avais rêvé de ça. Je rêvais que j'étais sale et je voulais juste me lever pour aller prendre une douche. Ensuite, j'ai un minuscule fragment de souvenir dans lequel je me glisse sous le siège pour me protéger de la pluie. Un peu après, je me suis dit « Il est temps de te lever » et, lorsque j'ai pu reprendre mes esprits, je me suis levée.

Vous rappelez-vous de ce que vous ressentiez lorsque vous étiez sous le choc ?

Je ne pouvais pas ressentir grand chose ; c'était comme être enroulée dans du coton. En faisant un très grand effort, j'ai seulement pu relever mes genoux puis tout est redevenu noir, encore une fois. Je ne pouvais voir que d'un seul œil et j'ai découvert par la suite que les différences de pression à l'intérieur et à l'extérieur de l'avion avaient fait exploser mes capillaires oculaires, ce qui explique pourquoi mes yeux étaient rouges de sang. Je devais sûrement ressembler à une sorte de zombie tout droit sorti d'un film d'épouvante. Pourtant, je ne ressentais aucune douleur et je n'avais pas mal à la tête non plus. J'étais simplement étourdie et, de temps à autre, tout redevenait noir. Au début, je perdais connaissance tout le temps. Il a bien fallu une demi-journée pour que je puisse enfin me lever complètement et marcher.

Juliane Koepcke, le 4 janvier 1972, dans un avion juste après avoir été trouvée dans la jungle. Photo prise par Harold Sells Jr., avec l'aimable autorisation de Juliane Koepcke.

Naturellement, votre première préoccupation était de retrouver votre mère.

J'ai cherché pendant un jour entier avant de réaliser qu'il n'y avait personne. J'ai parcouru les environs et crié en vain. Durant l'après-midi de ce même jour j'ai trouvé un petit puits et je me suis soudain rappelée ce que mon père m'avait dit un jour : « si tu te perds dans la jungle et que tu trouves un cours d'eau, il faut que tu le suives. »

Pourquoi ?

Un petit ruisseau peut déboucher sur un plus grand qui débouche lui-même sur un plus grand ; c'est le meilleur moyen de trouver des gens. Quand j'ai trouvé de l'eau, j'avais un but et je savais ce que je devais faire pour l'atteindre. Évidemment, c'était plus simple pour moi de quitter les lieux du crash car je n'avais trouvé aucun survivant. Si j'avais trouvé un blessé, je serais probablement restée sur place avec lui et nous aurions fini par mourir tous les deux.

Avez-vous vu des cadavres ?

Oui, une fois. C'était le quatrième jour après le crash. J'ai trouvé une rangée de sièges incrustée dans le sol. L'impact avait dû être si violent qu'elle s'était enfoncée à un mètre de profondeur. Les trois personnes attachées à ces sièges avaient du être tuées sur le coup. C'était un moment affreux. C'était la deuxième fois de ma vie que je voyais un cadavre. La première fois, c'était celui d'un petit garçon que je ne connaissais pas vraiment, le jour de ses funérailles.

Comment avez-vous réagi en voyant ces corps ?

J'avais déjà senti que je m'approchais de cadavres quand j'ai entendu ce bruit ; le bruit que fait le vautour royal lorsqu'il atterrit. Le vautour royal est un très gros oiseau, le plus gros vautour d'Amérique du Sud et je peux reconnaître le bruit qu'il fait parce qu'avant l'accident, j'avais vécu en Amazonie pendant un an et demi. Lorsque j'ai entendu ce bruit, j'ai su qu'il devait y avoir un gros animal mort ou un corps humain à proximité. Je ne m'étais pas trompée. Je ne pouvais pas les voir entièrement mais j'apercevais leurs pieds. J'ai tâté leurs pieds avec un bâton, j'étais incapable de les toucher. Je ne pouvais rien sentir mais ils n'avaient pas encore été dévorés ; peut-être avaient-ils commencé à pourrir ? Je peux juste dire qu'il y avait une femme parce que les doigts de ses pieds étaient vernis. Les deux autres devaient être des hommes à en juger par leurs pantalons et leurs chaussures. Je me suis éloignée seulement quelques instants plus tard mais, juste après les avoir découverts, j'étais comme paralysée.

Par la peur ?

Je ne sais pas exactement. Peut-être que c'était par respect pour la mort ou par la pensée qu'ils n'avaient pu s'en sortir…

Peu de temps après ça, vous avez commencé à entendre et à voir les avions de détresse au loin.

Oui, mais je ne pouvais pas attirer leur attention et, au bout d'un moment, je ne les voyais plus du tout. Je me suis dit qu'ils avaient dû arrêter les recherches. Évidemment, mes pensées étaient partagées : d'un côté, je me disais qu'ils avait trouvé l'appareil et, d'un autre, qu'ils avaient dû abandonner. Dans les deux cas, je savais que j'étais complètement seule et qu'ils n'essaieraient pas de me trouver.

Que ressentiez-vous à ce moment-là ?

Je n'avais plus d'espoir. Ce n'était pas de la tristesse ou de la panique mais je savais que j'allais devoir me débrouiller seule pour sortir de là. Je ne savais pas qu'il n'y avait aucune habitation près de la rivière que je suivais et j'espérais toujours trouver de l'aide. Alors que je continuais à la suivre, j'ai trouvé étrange de tomber sur autant d'animaux sauvages : des singes, des martres, des daguets – vous ne pouvez jamais les voir, habituellement. De plus, le nombre d'arbres couchés dans l'eau indiquait que personne ne naviguait sur cette rivière. Ça m'a fait réfléchir mais j'ai essayé de ne pas trop y penser – à cette possibilité qu'il n'y ait personne pour m'aider.

Vous n'étiez pas sortie du crash totalement indemne.

J'avais une grosse coupure au mollet gauche mais elle ne saignait pas beaucoup. C'est souvent le cas lorsque les gens sont en état de choc : ça ne saigne pas beaucoup même si la plaie est profonde. J'ai appliqué pas mal de mouchoirs dessus après être allée dans l'eau pour nager ou pour simplement me laisser porter par le courant. Ma clavicule droite était cassée. Je sentais que l'os était brisé et déboîté mais il n'avait pas transpercé la peau. Ce n'était pas une blessure ouverte.

Vous aviez juste un os cassé après être tombé du ciel ?

D'autres blessures ont été découvertes un peu plus tard quand j'ai pu voir un médecin. J'avais des problèmes aux vertèbres et mon tibia était en partie fracturé mais c'était juste une fissure, rien de très grave. Ma rotule aussi était retournée mais ce n'était pas le pire ; en fait, je ne m'étais aperçu de rien avant d'être sur un lit d'hôpital c'est-à-dire lorsque les cloques et la fièvre sont apparues.

En fait, vous n'avez pas seulement fui vos pensées dans la jungle, mais aussi vos douleurs physiques.

La seule chose qui me rendait nerveuse ou, plutôt, qui me préoccupait, c'était cette petite tâche sur mon bras. Ce n'était pas une blessure grave ou quoi que ce soit mais c'était une plaie ouverte et des  insectes avaient commencé à pondre leurs œufs à l'intérieur. Ces derniers avaient commencé à éclore sous ma peau et de petits vers grignotaient l'intérieur de mon bras.

Quelle horreur.

J'avais peur qu'on m'ampute le bras. Il était arrivé la même chose à notre chien – je pense que c'était le même type d'insectes. J'étais préoccupée et je me suis dit « Je dois faire quelque chose. Je dois faire sortir ces vers de mon bras. » Mais ce n'était pas si simple. J'avais cette bague qui pouvait s'ouvrir et dont je me servais comme d'une pince mais ça ne fonctionnait pas : la plaie était trop profonde. J'ai donc essayé avec un bâton mais ça ne marchait pas non plus. Après dix jours d'errance, j'ai trouvé un bateau, un moteur et un bidon d'essence. Je pouvais enfin faire ce que nous avions fait pour notre chien : verser de l'essence sur la plaie. Ça a fait sortir les vers de sous ma peau – pas tous, mais la majorité d'entre eux. Plus tard, les médecins ont pu extraire le reste.

Revenons un peu au bateau. Ça fait dix jours que vous êtes dans la jungle, et là, vous tombez dessus par hasard.

C'était bizarre. Au départ, je n'arrivais pas à y croire. J'étais extrêmement faible. C'était en début d'après-midi, le dixième jour. Je ne pouvais plus marcher donc je me suis assoupie sur la berge. Je me suis dit que j'avais besoin de dormir quelque part car le soleil se couchait. Entre-temps, ma montre s'était arrêtée ; je me repérais grâce au soleil. Pour dormir, je cherchais toujours un endroit où personne ne pourrait me surprendre par derrière, comme un petit monticule ou un tronc d'arbre incliné. Quand je me suis redressée et que j'ai aperçu ce bateau juste là, j'ai d'abord pensé à une hallucination – j'ai commencé à perdre la tête. J'observais le bateau et avançais vers lui, très lentement. Je ne pouvais pas aller vite, j'étais beaucoup trop faible. Ensuite, je l'ai touché. C'était un vrai bateau à moteur, pas juste une barque avec des pagaies ou je ne sais quoi. J'ai alors vu un petit sentier qui menait à la forêt. Je l'ai suivi en essayant de ramper dans la montée. C'était très dur. Ça m'a pris un temps fou pour arriver en haut de cette colline.

Et là, qu'avez-vous trouvé ?

Une petite cabane. Enfin, juste une hutte sans mur mais avec un toit et un sol en écorce de palmier. C'est là que j'ai trouvé le moteur et le baril d'essence sous une bâche en plastique. J'ai donc tenté de me soigner toute seule. J'ai trouvé un petit tuyau pour siphonner l'essence afin d'en verser sur mes blessures. La douleur était insoutenable. Ensuite, le soleil s'est couché et j'ai dormi sous la bâche. Le sol était trop dur, c'est pourquoi je suis redescendu près de l'eau et me suis allongée dans le sable. Le lendemain, je suis remontée dans la hutte parce qu'il pleuvait à torrents. J'ai passé la matinée là. Il y avait des grenouilles partout et j'ai pensé que je devais absolument manger quelque chose si je ne voulais pas mourir.

Vous dites ça comme si c'était naturel.

J'ai toujours pensé que ce serait terrible de mourir de faim mais ça ne me faisait pas spécialement souffrir. J'étais si faible et apathique que je ne me souciais plus de rien. Néanmoins, j'ai essayé d'attraper quelques unes de ces grenouilles.

Pour les manger ?

Oui, mais ça n'aurait pas été une très bonne idée. C'étaient des grenouilles venimeuses, pleines de poison mortel. Je n'étais pas assez rapide pour en attraper une de toute façon. Ensuite, la pluie s'est arrêtée et j'aurais dû partir mais je n'avais plus aucune volonté. J'ai pensé « Bon, je reste encore une nuit et je m'en vais demain ». Au moment où je prenais la décision de rester une nuit de plus après avoir réalisé que ça ne servait à rien de partir, j'ai soudain entendu des voix. Au début, je n'y croyais pas. Comme l'a décrit Herzog, c'était comme des voix d'anges. Trois personnes ont surgi de la forêt. Quand ils m'ont vu, ils ont été effrayés. Mes yeux étaient encore pleins de sang et encore plus rouges après dix jours. Je ne devais pas être belle à voir. Comme je parlais parfaitement espagnol, je leur ai racontés ce qui s'était passé et qui j'étais. Ils avaient entendu parler du crash à la radio. Ils m'ont donné à manger et ont commencé à soigner mes blessures puis j'ai passé la nuit dans leur hutte.

À votre avis, qu’ont-il pensé en vous trouvant là ?

Les gens croient aux fantômes là-bas. Au départ, ils ont dû penser que j'étais l'un de ces esprits des rivières, les « Yemanjà », parce qu’ils sont censés être blonds. Ils m'ont confié plus tard que c'était la première chose qui leur était venue à l'esprit. Ils m'ont fait descendre la rivière en bateau le lendemain. L'après-midi, nous sommes arrivés dans un village et ils m'ont conduite à l'hôpital local. C'est là qu'ils ont commencé à réellement soigner mes blessures. Il y avait une pilote d'avion qui appartenait à un petit groupe de missionnaires basé dans un petit village près de Pucallpa. Elle m'a amenée là, avec son petit avion. Même si le vol a duré très peu de temps, je n'en garde pas un bon souvenir. Ça a pris 15 minutes pour arriver au camp de missionnaires. Ils se sont alors occupés de moi jusqu'à ce que je sois remise sur pied.

Comment se sont passées les retrouvailles avec votre père ?

Nous n'avons pas beaucoup parlé. Évidemment, nous pensions tous les deux à ce qui était arrivé à ma mère. Ils ont finalement trouvé l'avion avec l'aide des mes indications ; ça a pris des jours pour identifier tous les cadavres. Quand ils ont reconnu ma mère, nous… j'ai réalisé que j'étais la seule survivante et qu'elle était morte. Je n'ai pu faire mon deuil que bien plus tard car, au début, j'étais constamment interviewée et interrogée par les forces de l'air et la police. Mon père a très vite vendu les droits exclusifs de mon histoire au magazine allemand Stern. Ils sont venus tout de suite et j'ai dû leur donner des interviews. C'était assez dérangeant pour moi. Je ne savais pas trop comment me faire à cette soudaine notoriété. J'étais devenue célèbre du jour au lendemain. Tout le monde connaissait mon histoire. Je recevais des lettres très touchantes du monde entier. Au début, je ne comprenais pas pourquoi les gens m'écrivaient.

Qu'avez-vous éprouvé en revenant sur les lieux du crash avec Werner Herzog ?

C'était très étrange. Ils avaient dû chercher l'endroit du crash. Tout était envahi par les plantes. Ils avaient bâti des chemins pour atteindre chaque partie de l'épave, qui étaient toujours là, à l'endroit même où elles étaient tombées. Il y avait un espace aménagé pour l’hélicoptère. Une fois sur place, j'étais assez détachée. Enfin, pas vraiment « détachée » mais pas bouleversée non plus.

Avez-vous tiré quelque chose de bénéfique de cette expérience ?

J'ai beaucoup appris. Ces choses m'ont aidé à me remémorer certains souvenirs et à enrichir mon expérience. Ça a été presque thérapeutique. Ça m'a aidé psychologiquement. C'est pour ça que j'ai raconté toute l'histoire à Herzog. J'étais très concentrée, je voulais bien faire. Cela explique pourquoi je n'ai pas vraiment eu le temps d'être bouleversée. Ce qui m'a le plus stupéfiée, c'est lorsque nous sommes tombés sur les roues de l’appareil – une partie de l'avion était à l'envers et les roues tournées vers le ciel. C'était comme une impression de finitude absolue, comme un animal mort. Ça voulait dire que tout était terminé.

Dans le film, vous parlez directement à la caméra. C'est impressionnant et très courageux.

C'était l'idée de Herzog. Il était très gentil lorsqu'il me dirigeait. Il voulait me faire dire les choses comme si je me les racontais à moi-même, de manière introspective, sans trop d'émotion ni de mouvement. Il ne voulait pas quelque chose de trop spontané.

Je trouve incroyable la manière dont vous avez accepté ce traumatisme, cette chose horrible qui vous est arrivée.

Oui, et je n'ai bénéficié d'aucune aide psychologique. De nos jours, vous pouvez obtenir ce genre d'aide tout de suite mais, au début des années 1970, les choses étaient bien différentes. Les gens n'y auraient même jamais songé. Si je n'avais pas pu l'accepter, ç'aurait été mon problème. Bien sûr, j'ai fait des cauchemars pendant des années et j'ai toujours beaucoup de peine pour la mort de ma mère et des autres passagers. Pourquoi ai-je été la seule à survivre ? Cette question me hante. Elle me hantera toujours.

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