Les médias diffusent les images des manifestations impressionnantes qui se déroulent en Israël. Est-ce vraiment en faveur de la démocratie ?
La situation est assurément plus compliquée. Et pour mieux la comprendre, essayons d’esquisser une analyse comparée avec la situation politique française.
Retour sur les élections de novembre 2022
Le présent gouvernement a été constitué par Benjamin Netanyahou après des élections dans un système fortement marqué par les règles de la proportionnalité. Le système politique israélien repose en effet sur la proportionnelle pour deux raisons : Israël est un pays composé de nombreuses communautés – c’est le meilleur moyen politique pour chacun de s’exprimer ;
Le système politique implique la négociation entre les différentes composantes de la société israélienne.
Autrement dit, sans négociation pas de gouvernement. Nous rappellerons que Netanyahou revient au pouvoir en 2007 alors même que son parti ne disposait pas du nombre de sièges le plus élevé à la Knesset. A l’époque, c’est le parti de Tsipi Livni, parti à l’origine du désengagement qui est majoritaire. Seul problème, en refusant de négocier, elle a ouvert la porte à Netanyahou. Depuis, cette porte a du mal à se refermer.
Le gouvernement précédent avait réussi afin de se débarrasser de Netanyahou à faire la jonction délirante entre l’extrême-gauche et l’extrême-droite. Le résultat ne s’est pas fait attendre et a permis à Netanyahou de retrouver le pouvoir.
Lors des négociations particulièrement longues qui ont précédé la constitution du gouvernement actuel, les partis de l’opposition ont refusé par principe de participer à une coalition dirigée par Netanyahou. Ils ont indirectement favorisé la participation du parti d’extrême-droite à la coalition. En même temps, nous rappellerons que parmi ces membres de ce parti, certains étaient les compagnons de route de Naftali Bennett, le Premier ministre précédent. Bref, dénoncer l’extrême-droite au pouvoir parce qu’il y Ben Gvir et Netanyahou, c’est ne rien comprendre au fait qu’un système proportionnel implique des négociations avec toutes les composantes politiques. Il est un peu facile pour l’opposition actuelle incarnée par Lapid et Gantz de jouer les vierges effarouchées alors qu’elles ont soutenu un Premier ministre – Bennett – dont l’argument de campagne principal était : il faut renverser la Cour suprême !!!
Sur les manifestations en cours
Ce qui se passe en Israël illustre parfaitement le poids que les juges suprêmes ont pris dans les démocraties contemporaines. La France n’échappe bien évidemment pas à ce mouvement. Il suffit de se souvenir des manifestations devant le Conseil constitutionnel lors de l’adoption du passe sanitaire. Une partie des critiques adressées aux juges israéliens n’est pas très différente de celles que l’on entend en France. Les juges constitueraient une caste déconnectée des préoccupations populaires. Il est facile de soutenir à distance des manifestations sous prétexte qu’elles seraient contre l’extrême-droite en Israël et ne rien faire face aux décisions attentatoires aux libertés qui constituent à présent le socle de la jurisprudence française. Heureusement, il y a des députés qui nous informent sur la difficulté de mettre un micro-cravate.
Les gens manifestent-ils pour la démocratie ? Là encore un peu de nuances. Celles et ceux qui manifestent n’ont pas bronché quand le gouvernement israélien a validé les pires mesures attentatoires aux libertés durant le Covid – utilisation de moyens militaires pour traquer les « malades » ; restrictions et contrôle des voyages à l’étranger avec demande d’autorisation par exemple.
Yuval Harrari qui se répand dans les médias pour critiquer le gouvernement actuel a soutenu toutes les restrictions antérieures.
Les médecins qui s’opposent à la réforme n’étaient pas contre le refus de soin aux personnes non-vaccinées ;
Lorsque le Premier ministre Benjamin Netanyahou a limogé le ministre de la Défense Yoav Gallant en raison de son opposition à la réforme, il y a eu une manifestation spontanée pour le soutenir. Pour l’anecdote, Yoav Gallant est l’un des ministres les plus radicaux nommés à ce poste. Il avait d’ailleurs été écarté du poste de chef d’état-major précisément en raison de ses positions radicales. Sans commentaire.
Sur la réforme
A partir du moment où les juges prennent un poids considérable dans la vie politique, il est logique que des changements de règles soient débattus politiquement et puissent donner lieu à des manifestations. Mais là encore, plutôt que d’approuver les manifestations en Israël, nous préférerions que les politiques en France organisent des manifestations quand, par exemple, sont nommés au Conseil constitutionnel de véritables pantins.
Dans le cas israélien, le gouvernement est issu d’un vote massif à la proportionnelle. La question de sa légitimité, contrairement au gouvernement actuel en France, ne se pose pas.
Est-ce pour autant qu’il est en droit de modifier un équilibre institutionnel ? La réponse est loin d’être évidente pour les raisons suivantes : Il n’y a pas de Constitution en Israël – difficile de reprocher aux juges d’avoir outrepassé leurs prérogatives à partir du moment où les conflits d’interprétation sur un texte impliquent une réponse.
Il est reproché aux juges d’imposer une idéologie qui contredit ce que souhaite le peuple notamment sur les questions religieuses, mais pas uniquement – il est symptomatique des démocraties que les textes qui portent sur la politique migratoire focalisent bien souvent les tensions politiques qui traversent la société.
Comme toute Cour suprême, il est possible d’argumenter dans un sens comme dans l’autre : Aharon Barack, juge qui fait l’objet de toutes les attaques et qui pourrait toutes choses étant égales par ailleurs être comparé à Robert Badinter, est malheureusement resté bien silencieux pendant la période Covid. Sans compter que l’existence de nombreuses voies de recours n’ont ni empêché que les constructions dénoncées par certains comme illégales se poursuivent ni facilité les recours contre les policiers ou militaires accusés de violences.
Mais la France pourrait connaître rapidement le même type de discussions et de manifestations si, comme l’avait annoncé le président du Conseil constitutionnel actuel, il s’opposerait à certaines propositions de référendum dans l’hypothèse d’une victoire en France de la droite nationale.
Risque de mesures d’extrême-droite en Israël ?
Là encore, un peu de nuances. Pour l’heure, Aucun texte attentatoire aux libertés n’a été voté et la réforme n’est pas encore passée ;
Le représentant du parti Noam foncièrement anti LGBT, – parti classé à l’extrême-droite membre de la coalition, avait été nommé pour rééquilibrer les programmes scolaires afin qu’ils accordent davantage de place à l’héritage religieux. Il a démissionné quand il s’est rendu compte qu’il ne disposait d’aucune marge de manœuvre pour agir ;
L’épouvantail Ben Gvir a été tenu à l’écart de toutes les décisions politiques importantes en matière sécuritaire. Il peut toujours menacer de démissionner ; les derniers sondages montrent que son parti n’obtiendrait que 5 sièges sur les 14 dont il dispose actuellement. Son acolyte Smotrich, ex-associé de l’ancien premier ministre Bennett, cherche par tous les moyens à éviter le retour aux urnes et préfère un peu comme le R.N. en France gérer son fonds de commerce.
Un retour aux urnes ou l’émergence d’une nouvelle majorité permettrait-elle de revenir sur la réforme actuelle ? Ce n’est pas si simple que cela. Le Likoud, le parti de Netanyahou, pourrait remporter une nouvelle fois les élections ;
Au sein des autres partis d’opposition, un certain nombre approuvent sans le dire la réforme actuelle – c’est le cas de Gideon Saar, ancien du Likoud, d’Avigdor Lieberman autre parti d’extrême droite, mais membre de l’ancienne coalition, voire de Yair Lapid qui tenaient les mêmes propos que le ministre de la justice actuel sur le poids trop important des juges dans la vie politique israélienne ;
Benny Gantz qui contrairement à ses collègues militaires joue le jeu de la démocratie a annoncé qu’il reviendrait sur la réforme si son parti obtenait la majorité – mais là encore, il ne pourrait gouverner qu’en créant une coalition notamment avec les partis religieux qui eux s’opposeront à ce projet.
C’est en cela que la situation actuelle marque un choix de société, car une fois le texte adopté, il sera difficile de revenir dessus. Il est en outre critiquable de modifier les règles de fonctionnement de la Cour suprême pour se donner la possibilité de nommer des personnes accusées et condamnées pour corruption. C’est sûr que ce point peut paraître anecdotique en France quand on voit le nombre de personnes mises en examen, voire condamnées qui tournent dans le gouvernement actuel. Si seulement celles et ceux qui soutiennent les manifestations en Israël pouvaient créer de tels rassemblements en France pour dénoncer les pratiques politiques françaises !!!
Voir en prime l’Union européenne donner des leçons de démocratie avec un Parlement marqué par des affaires de corruption et un fonctionnement opaque, c’est quand même un summum de la bêtise de l’alignement sur les positions américaines.
Comment analyser les manifestations actuelles
Nous avons montré d’une part qu’il y a un vrai problème démocratique, mais que d’autre part, il est extrêmement difficile d’accorder du crédit à l’argument que celles et ceux qui manifestent le font au nom de la défense de la démocratie et des droits fondamentaux. Nous ne doutons pas que certaines et certains soient de bonne foi. Mais là encore, ne soyons pas naïfs.
Ces manifestations coûtent extrêmement cher à organiser. Quand les partis de droite ont essayé d’organiser une contre-manifestation, le coût s’est élevé à 6 millions de shekels, soit 1,5 million d’euros. Ils n’ont pas réitéré l’opération. Or, dans le cas actuel, ce sont plusieurs dizaines de millions qui ont été dépensés depuis maintenant près de 6 mois !
A été évoquée la piste d’un financement américain. Une vidéo a fuité sur les réseaux sociaux dans laquelle l’ancien premier ministre Ehud Barak parle clairement de manœuvres de prise de pouvoir.
Il suffit d’assister aux campagnes de publicité, mais également de regarder les affiches écrites en …anglais pour constater de nombreuses ressemblances avec la révolution Orange en Ukraine. Pourquoi les Américains financeraient une telle campagne ? Tout simplement parce qu’Israël ne s’est pas aligné sur la politique américaine contre la Russie ? L’hypothèse n’est pas très différente de celle formulée par Eric Verhaeghe sur les émeutes en France par rapport aux velléités de Macron d’exprimer une opinion différente.
Pour l’heure se répand l’idée que l’ensemble est financé par des sociétés high tech israéliennes. Petit problème : au nom de quoi ces dépenses seraient-elles conformes à l’intérêt de l’entreprise ? Imaginons que des sociétés préfèrent dépenser leur argent et réduire leurs charges en fonction de leurs choix politiques. Ce serait la fin de l’impôt et du financement des services publics. Difficile de croire que ces sociétés échapperont à une rectification fiscale. La difficulté de tracer l’origine du financement devrait soulever de nombreuses questions.
Des militaires appellent expressément à l’insubordination. Nous rappellerons que lors de l’avant-dernière campagne électorale, le parti de Yair Lapid avait parmi ses membres 4 anciens chefs d’état-major dont Benny Gantz. Ce dernier a préféré s’écarter de Lapid ; ses anciens associés se répandent à diffuser des appels à l’insubordination. De là à dire que nous serions en présence d’un coup d’État, il n’y a qu’un pas. Benny Gantz est également le ministre qui a refusé que la politique israélienne s’aligne sur celle des Américains en Ukraine, contrairement à ce que souhaitait Lapid, homme politique dont les positions s’alignent sur celle de Yuval Harrari. En somme, ceux qui soutiennent de l’étranger ces manifestations seraient ainsi les soutiens d’un coup d’Etat militaire. C’est magnifique ce que recouvre à notre époque la lutte contre l’extrême-droite.
Il est difficile de prédire comment cela peut se terminer. Le cas israélien illustre peut-être ce qui se passe quand une démocratie s’éloigne des positions américaines.
Pendant ce temps, la Banque centrale israélienne annonce la future monnaie digitale et indique bien que l’enjeu est de contrôler les micro-paiements. Israël aimerait bien comme pour le Covid faire office de test grandeur nature. Ce n’est pas Yuval Harrari qui dira le contraire.
Source : https://lecourrierdesstrateges.fr/2023/07/25/que-se-passe-t-il-en-israel/
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