Députés et sénateurs sont parvenus, lundi 10 juillet, à faire converger les différentes versions du projet de loi de programmation militaire 2024-30 avant son adoption définitive jeudi 13 juillet. Pourtant, certains aspects contestables de cette nouvelle loi semblent avoir échappé à la sagacité de nombreux parlementaires. En particulier l’article 23 de cette loi qui « modernise et adapte le régime des réquisitions du code de la défense ». De quoi s’agit-il ?
Arguant, à raison, que les dispositions existantes pour réquisitionner les biens des Français en cas de conflit sont « largement obsolètes, complexes à mettre en œuvre et fondées sur des critères dont la portée est parfois incertaine », le gouvernement en profite pour s’attribuer des outils afin d’élargir ses capacités d’action et de recourir aux réquisitions plus facilement. Prenant prétexte d’un « retour des tensions sur le continent européen » – que ce gouvernement n’a d’ailleurs pas contribué à apaiser en attisant les braises du conflit russo-ukrainien[1] – le texte procède à une rénovation complète de ce régime. En effet, il ne s’agit plus de mettre en place des réquisitions pour les seules menaces pesant sur la vie de la nation comme c’était le cas jusqu’à maintenant. Il s’agit désormais de pouvoir réquisitionner les biens des Français, notamment pour les « menaces justifiant la mise en œuvre des engagements internationaux de la France en matière de défense », engagements internationaux dont la légitimité et le contour restent parfois floues. La portée de cette nouvelle loi est d’autant plus inquiétante qu’elle peut être mise en place par décret par le président de la République, président qui se laisse bien souvent aller à défendre des intérêts particuliers ou des intérêts de puissances extérieures[2] plutôt que le Bien commun de la nation.
Le texte stipule d’ailleurs qu’il pourra le faire « alors même que la menace ne serait pas immédiate, mais seulement prévisible, afin de garantir une préparation plus précoce de la Nation face à la montée des périls pouvant l’affecter ». Mesure-t-on les problèmes d’interprétation que pose une telle formulation et les menaces autoritaires qu’une telle loi pourrait faire peser sur notre nation ? Les récentes crises ont prouvé qu’il était aisé pour nos gouvernants français ou européens d’utiliser des périls intérieurs ou extérieurs à leurs propres fins : gilets jaunes, covid, émeutes urbaines[3]… Les dérives liberticides ont été nombreuses. Dès le début de la crise ukrainienne, également, certains nous expliquaient sérieusement que Vladimir Poutine avait comme but « d’étendre ses conquêtes à toute l’Europe »[4]. Ce faisant, ils faisaient fi à la fois de l’histoire compliquée des relations entre l’Ukraine et la Russie qui expliquent les tensions entre les deux pays, et des véritables ambitions géopolitiques du Kremlin qui ne sont pas hégémoniques car elles tendent vers la création d’un monde multipolaire[5]. À l’avenir, ce type de discours dans un contexte où le nouveau régime de réquisitions sera mis en place, n’ouvre-t-il pas la porte à des abus de la part de nos gouvernants, abus pouvant même aller vers une expropriation des Français propriétaires de leurs logements ? En cas de mise en application de ce régime, les propriétés réquisitionnées seront certes indemnisées au prix de leur valeur sur le marché. Mais ce marché peut en revanche varier et faire l’objet de spéculations de la part du gouvernement. Et aucune disposition ne prévoit de fin à ces mesures de réquisitions si ce n’est qu’ « il y est mis fin sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires », ce qui reste suffisamment vague…
Nous espérons nous tromper. Mais la situation économique est dégradée à tel point que l’idée même d’expropriation n’est pas à exclure. Pour rappel, France Stratégie, service rattaché au Premier ministre, avait publié une note d’analyse en 2017 intitulée : « Comment assurer la résorption des dettes publiques en zone euro ?[6] ». Elle évoquait notamment l’idée de permettre à un État excessivement endetté de « décréter qu’il devient copropriétaire de tous les terrains construits résidentiels à hauteur d’une fraction limitée de leur valeur. » Bien que le motif soit différent, le nouveau régime de la loi de programmation militaire s’inscrit dans le même état d’esprit que France Stratégie, et l’on peut craindre que les réquisitions soient pratiquées abusivement pour camoufler l’échec économique du gouvernement Macron au nom de l’effort de guerre… L’article 23 de cette loi précise d’ailleurs que ces saisies seront vraiment utiles si les personnes, biens et services sont « identifiés en amont des périodes de crise ou des situations d’urgence ». Dans le but d’identifier ces éléments, la loi prévoit donc « des dispositions de recensement des biens et personnes susceptibles de faire l’objet d’une réquisition. » Rappelons enfin que le refus de déférer à de telles dispositions est passible de cinq ans d’emprisonnement et de 500.000 euros d’amende au titre du régime des réquisitions de biens et services spatiaux introduit par l’ordonnance du 23 février 2022[7].
In fine, bien que les « décrypteurs », spécialistes autoproclamés de la « désinformation » et autres « Fact checker » tentent de nous rassurer, voire de jeter l’opprobre sur ceux qui osent remettre en question cet aspect de la loi de programmation militaire, la prudence nous impose de nous interroger sur la potentielle portée de cette loi. Certes, la réquisition a toujours existé, ce n’est pas nouveau. En revanche, il y a une réelle inquiétude à voir Emmanuel Macron « moderniser » ce régime-là en élargissant son champ de compétence. D’abord parce qu’il s’agit d’Emmanuel Macron et qu’une grande partie des Français n’a plus aucune confiance en lui, pour ceux qui n’étaient pas déjà convaincus dès 2017 de sa toxicité. Ensuite, parce que cette modernisation intervient dans le cadre d’une guerre par procuration avec la Russie, guerre où il ne s’agit pas de défendre les intérêts de la Nation, mais surtout des intérêts idéologiques contestables, et même peut-être des intérêts géopolitiques et économiques étrangers. Quoi qu’il en soit, nous devons rester vigilants à toutes les potentielles atteintes contre nos libertés dans un contexte où ces dernières sont attaquées sur tous les fronts.
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[1] « Emmanuel Macron : « Nous ne sommes pas en guerre avec la Russie » », Le Point, le 03/03/2022.
[2] « Ça chauffe pour Macron : l’enquête sur l’affaire Alstom-General Electric passe au PNF », Marianne, le 19/07/2019.
[3] « Réseaux sociaux : les «contenus qui appellent à la révolte» supprimés à partir de fin août, selon Thierry Breton », Libération, le 10/07/2023.
[4] « Poutine veut devenir le nouveau maître de l’Europe », Les échos, le 04/03/2022.
[5] « Guerre en Ukraine : « Le nouveau monde multipolaire voulu par la Russie s’annonce d’une brutalité extrême » », Le Monde, le 02/07/2022.
[6] « Comment assurer la résorption des dettes publiques en zone euro ? », strétégie.gouv.fr, le 10/2017.
[7] « Décret n° 2022-235 du 24 février 2022 relatif aux réquisitions de biens et services spatiaux », Affaires publiques.org, le 25/02/2022.
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