10 juillet 2023

Heureux comme Macron en France (*)

Il est vrai que je n’ai jamais lu Douguine en aussi belle forme ! Ainsi la France existe-t-elle encore puisque c’est bien la France qui le met dans cet état. Au bout de ce texte court, enlevé, sardonique dans le bon sens, aimablement moqueur et impitoyablement ironique, il ne reste pas grand’chose de la France, dépotoir de la modernité... De même, il ne reste pas grand’chose de l’Occident-collectif Ukraine-OTAN compris, dépotoir des dépotoirs de la modernité ; et la Russie devra faire gaffe si elle veut réchapper en pas trop mauvais état au grand nettoyage cosmique du dépotoir universel de tous les dépotoirs de la modernité qui nous attend.

Donc, direz-vous, la France est en avance sur son temps ? C’est ce que je pense depuis que j’ai prêté quelque attention au “persiflage” bien-français (Voltaire, le premier, utilise le mot en 1736), précédé des “mazarinades”, les deux évolutif en un prologue psychologique radical de la Révolution Française, elle-même comme un des trois piliers du “déchaînement de la Matière” et de la modernité. (Et le pauvre Douguine devra alors s’expliquer de son tsar Pierre le Grand qui est allé pourrir la Russie en la trempant dans la potion diabolique de l’Occident-autocorrectif.)

« Deux études récentes, écrites par deux universitaires, ont été consacrées aux mystères de l'étymologie, de la sémantique et de la puissance symbolique à la fois de ce mot : Le siècle du persiflage, 1734-1789, d’Elisabeth Bourguignat (PUF, 1998), et Théorie du persiflage, de Pierre Chartier (PUF, 2005). Bourguignat écrit que les deux formes de persiflage mondain qu’elle identifie

» “ont, bien involontairement, fait le lit de la Révolution, – alors que la philosophie, pour sa part, la préparait activement. Le persiflage sera rejeté dans l’enfer de l’Ancien Régime ; Voltaire et Rousseau entreront dans le Panthéon de la Révolution”.

» En écartant résolument dans cette citation, selon notre jugement, la nuance capitale du “bien involontairement”, nous aurions tendance à ne pas séparer le persiflage des philosophes, mais au contraire à regrouper tout cela dans un parti des salons (ou, plus justement dit après tout, “parti des salonards”) mélangeant tous ces représentants de l’Ancien Régime en une révolte irresponsable, volontaire ou involontaire, contre l’Ancien Régime, – les philosophes, l’aristocratie, le clergé, la Cour, voire le Roi (Louis XVI le réformiste) à certains moments ; “les salons”, en un mot, comme phénomène principal et explosif du siècle et nullement “l’opinion publique“ comme on l’a dit, en instaurant rétroactivement la vertu démocratique, à la façon dont fait souvent la loi idéologique aujourd’hui. Tout cela révèle effectivement la psychologie épuisée d’une hiérarchie qui abandonne ses responsabilités historiques au profit de l’irresponsabilité mondaine. La Révolution va liquider le persiflage et tout ce qui va avec au profit de la “guillotine permanente”. »

C’est dire, en un mot, si, depuis ‘Les Trois Mousquetaires’ et le Grand-Cardinal baignant dans une si intense nostalgie, – mis à part l’épisode de Verdun et celui de l’Armée Française Libre de1943-1945 où les pieds-noirs composèrent plus de 40% de l’effectif, – la France n’a cessé de plonger, de creuser au fond et de plonger encore comme le constate Douguine, qui nous renvoie fort justement aux cathédrales.

Cher Douguine, comme disait l’autre je vous ai compris, – celle-là était inratable, n’est-ce pas ? Ainsi suis-je né et ai-je déroulé une longue vie absolument comme un “Français du dehors” ; cela, je crois, explique tout, sans acrimonie, sans tristesse, mais avec une nostalgie qui touche à l’éternité.

Voici le texte de Douguine, à partir de son original et de sa restitution en français

PhG – Semper Phi

 

(*) Note de PhG-Bis : « Au départ, le titre était “Enfin un pour comprendre la France moderne”. PhG, le lisant à l’instant (13H25 ce 9 juillet), remarque : “Il est pas terrible, ce titre ? Qui c’est qui l’a fai ?” PhG répond : “Toi”. PhG : “Moi ?” PhG : “Oui, moi et toi, moi c’est toi”. PhG, comme agacé par PhG et brisant là : “Eh bien, j’en ai un meilleur”.

» Le nouveau titre est inspiré d’une phrase fameuse mais à l’origine contestée, qui a pris forme de proverbe, “Heureux comme Dieu en France”. Un monsieur nous explique combien c’était le bon temps :

» “Traduction de l’expression yiddish ‘men ist azoy wie Gott in Frankreich' ; à une époque où, en Europe, seule la France avait émancipé les juifs et les avait mis au rang de citoyens de plein droit. L’expression fut reprise ensuite par les Allemands : ‘glücklich wie Gott in Frankreich’.” [D’où le titre du livre de Friedrich Sieburg en 1930 : ‘Dieu est-il français ?’]. »

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Macron, la descente aux enfers

En regardant le comportement violent des Français en colère dans les rues, surtout quand on le voit pour la première fois, on pense immédiatement: voici la révolution ! Le régime ne tiendra pas le coup ! La France est finie. Le gouvernement va tomber. Peu importe que ce soit des adolescents arabes ou africains des banlieues, des gilets jaunes populistes, des agriculteurs mécontents, des partisans des minorités sexuelles, des opposants aux minorités sexuelles ou, au contraire, des partisans des valeurs familiales et traditionnelles, des nationalistes, des antifascistes, des anarchistes, des étudiants, des retraités, des cyclistes, des protecteurs des animaux, des syndicalistes (CGT), des écologistes ou des retraités. Ils sont nombreux, des milliers, des dizaines, des centaines de milliers, parfois des millions. Ils remplissent les rues des villes françaises, arrêtent la circulation, bloquent les gares et les aéroports, déclarent l'autonomie de certains établissements et écoles, brûlent de l'essence, renversent des voitures, crient sauvagement, brandissent des banderoles et mordent la police. Et puis... ils se calment, reprennent leurs esprits, prennent des calmants et retournent au travail, discutent des prix, de la vie, des voisins et de la politique à l'heure du déjeuner dans de petits restaurants, où ils crient à nouveau, mais beaucoup plus calmement, puis rentrent chez eux.

Après 1968, même les plus grandes manifestations de masse rassemblant des millions de personnes n'ont eu aucun effet. Le résultat a été nul. Toujours et en toutes circonstances. Si vous connaissez mieux la France, vous vous rendez compte qu'il s'agit tout simplement d'une nation de psychopathes. Et il ne s'agit pas du tout des migrants. Les autorités françaises se fichent éperdument des migrants, comme elles se fichent éperdument des Français de souche. Et c'est dans cette indifférence glaciale que les migrants deviennent à leur tour des psychopathes. C'est la nouvelle forme d'intégration sociale : on arrive dans une civilisation de psychopathes et on en devient un.

Jean Baudrillard pensait que les Français étaient une nation de parfaits crétins. Selon lui, ils sont incapables de comprendre quoi que ce soit à l'art et s'entassent par milliers au musée Beaubourg au risque qu'il s'effondre un jour sous le poids de ces idiots. Les engelures intérieures et les crises d'hystérie régulières remplacent la culture et la politique pour les Français. Si le général De Gaulle avait mieux connu son peuple, il n'aurait pas prêté attention, en 1968, à l'indignation des gauchistes dans les rues. Au bout d'un certain temps, ils auraient tout simplement disparu. Mais il les a pris au sérieux. Après lui, aucun autre président n'a commis la même erreur. Quoi qu'il se passe dans la rue, mais aussi dans l'économie, la politique, la société et les finances, le gouvernement français a toujours gardé son calme. Et un contrôle total de la presse. Régis Debray, conseiller de Mitterrand, a avoué que pendant toute la durée de sa présidence prétendument de gauche, lui et son patron n'ont rien pu faire, parce que leurs initiatives se heurtaient à chaque fois à une résistance invisible. Et comme ils étaient au sommet du pouvoir, ni Debray ni Mitterrand ne comprenaient d'où venait cette opposition. Ce n'est que plus tard que Debray a compris qu'il s'agissait de la presse. La presse est tout pour la France. Et les psychopathes de la rue, c'est-à-dire la population, ne sont rien. 

Lorsque Macron a été élu pour la première fois et que la candidate de droite - et beaucoup plus rationnelle - Marine Le Pen avait de bonnes chances de l'emporter, l'influent journal Libération a titré : "Faites ce que vous voulez, mais votez pour Macron !". Très français. Droite, gauche, pro-immigration, anti-immigration, pro-augmentation des impôts, anti-augmentation des impôts, peu importe. Votez, et c'est tout. Pour Macron. C'est un ordre qui ne se discute pas. Et aucune responsabilité après l'acte de vote n'est encourue par l'électeur. Par Macron non plus, et pourquoi serait-il responsable?

Macron était déjà détesté lors de son premier mandat. Je ne sais plus pourquoi. Apparemment à cause de tout. Mais il fut élu à nouveau. Par les mêmes Français. Les Russes sont censés être imprévisibles - et c'est fou. Les Français sont prévisibles, mais c'est fou aussi. Choisir un perdant total une deuxième fois... Qui, dans son esprit, ferait cela ? Mais il a été réélu, et ils ont recommencé à protester, à renverser des voitures et à briser des vitrines. On pourrait rappeler Baudrillard : les Français sont des idiots, mais Macron est aussi français. Un équilibre a donc été trouvé.

L'ampleur des émeutes actuelles, l'exaspération des hordes d'adolescents immigrés (Macron a suggéré qu'ils ne faisaient que jouer démesurément aux jeux vidéo), l'effondrement de l'économie, l'augmentation des taux d'intérêt des obligations d'État, la récession, la perturbation des fêtes de fin d'année, les pertes énormes dues au vandalisme ne doivent pas nous tromper : les Français ont une paroisse.

Macron ne fera rien. Mais il n'a jamais rien fait. Il parlera de l'environnement, rencontrera Greta Thunberg au cas où, enverra une ou deux cargaisons d'armes en Ukraine, paiera une somme fabuleuse à un groupe de relations publiques américain de réputation internationale mais totalement inefficace, affilié à la CIA, aura une conversation téléphonique avec Scholz, ira dans une discothèque gay, se regardera dans la glace. Puis il se regardera à nouveau dans le miroir. Et puis tout s'arrangera. C'est comme ça que ça s'est toujours passé. Ce n'est pas l'apocalypse, ce n'est pas la fin du monde. C'est juste la France.

Une chose reste à supposer : l'apocalypse a déjà eu lieu dans ce pays autrefois très attrayant et élégant. Et maintenant, ses rues, inondées d'on ne sait quoi, témoignent d'une hallucination collective.

Y a-t-il quelqu'un qui veuille ou puisse changer la situation ? Si l'on examine attentivement la culture française des 19ème et 20ème siècles, la conclusion est sans équivoque : l'esprit français, tel Orphée (avec Cocteau ou Blanchot, par exemple), ne voulait qu'une chose : descendre le plus bas possible aux enfers. Eh bien, il a réussi. Et c'est irréversible. Et combien de temps cela peut-il durer ? Nul ne le sait. La belle France, fille aînée de l'Église, comme l'appelaient les catholiques du brillant Moyen Âge, s'est irrémédiablement transformée en dépotoir, de l'âme aux rues et aux banlieues. Notre-Dame a brûlé. Tous les tableaux et sculptures susceptibles d'être abîmés par les immigrés et les féministes ont été retirés du Louvre.

Il n'y a plus que Macron et son miroir. Comme dans la pièce Orphée de Jean Cocteau avec les décors de Jean Hugo et les costumes de Coco Chanel.

Alexandre Douguine

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