23 juin 2023

Tragédie entre HIMARS et ‘Storm Shadow’


La situation reste fluctuante en Ukraine, – pas tant sur le terrain où la bataille suit le cours catastrophique prévu que dans les esprits où l’on s’interroge sur le sort de la politique extérieure des USA/UE. Qu’est-ce qui pousse les Occidentaux-compulsifs à recommencer encore et encore, les mêmes erreurs, les mêmes sottises, les mêmes folies ? Ainsi, selon Alastair Crooke, leur aventure se transforme-t-elle en tragédie au sens fondamental et grec de la chose, conduisant à un sort catastrophique comme s’il existait un destin évidemment irrésistible dans ce sens.

Les Russes ont officiellement sorti le drapeau rouge. Le ministre de la défense Choïgou a déclaré solennellement que les Ukrainiens envisagent d’utiliser des armements US (le HIMARS) et britanniques (le missile de croisière ‘Storm Shadow’) pour frapper notamment la Crimée. Le ministre russe fait référence (pour la première fois sous cette forme ?) à une “zone active des hostilités”, dont la Crimée ne fait pas partie, pour définir cette possible attaque comme un échelon de plus dans l’escalade dont il tiendrait officiellement responsables, non seulement les Ukrainiens, mais également les USA et UK, – c’est-à-dire l’OTAN, sous la forme de ces deux pays qui en font partie.

« Les dirigeants militaires ukrainiens envisagent d'utiliser des armes occidentales pour frapper des régions de la Russie qui ne font pas partie de la zone active des hostilités, notamment la Crimée, a averti le ministre russe de la défense, Sergei Choïgou.

» Les responsables de Kiev veulent notamment utiliser des lance-roquettes multiples HIMARS et des missiles de croisière aéroportés Storm Shadow. Ces systèmes d'armes ont été livrés à Kiev par les États-Unis et le Royaume-Uni respectivement et, si de telles attaques sont lancées, l'implication des pays de l'OTAN dans le conflit s'intensifiera, selon Choïgou. »

Cette déclaration est aussitôt interprétée comme un avertissement très sérieux dans le sens de l’aggravation des conditions admises de la guerre en Crimée, l'avertissement russe concenant sans aucun doute des centres de commandement où se trouvent des officiers US et UK. On cite ici la réaction immédiate (du 20 juin) du Dr. Gilbert Doctorow, qu’il nous arrive de citer comme une source indépendante à consulter du fait de sa qualité de jugement. Son texte est très court, disponible en plusieurs langues, fait pour lancer une alerte qui met l’accent sur l’urgence de la situation, – sous un titre extrêmement explicite : « Le dénouement de la guerre en Ukraine approche à la vitesse de l’éclair »... C’est “la vitesse de l’éclair” qui nous intéresse, dans cette époque d’intense et de si rapide circulation de la communication, – à la vitesse de l’éclair, et comment !

« Aujourd’hui, le ministre russe de la défense, Sergei Choïgou, a fait une annonce qui n’a pas encore été relayée par les médias occidentaux, mais qui est de la plus haute importance.

» Selon les derniers rapports des services de renseignement, la Russie pense que les forces armées ukrainiennes ont désormais l’intention de couvrir leur contre-offensive ratée dans le Donbass en utilisant l’artillerie à lancement multiple Himars fournie par les États-Unis et les missiles de croisière Storm Shadow fournis par le Royaume-Uni, éventuellement dans la version à plus longue portée, pour attaquer la Crimée.

» Si cela se produit, a déclaré Choïgou, la Russie considérera que les États-Unis et la Grande-Bretagne sont entrés de plein pied dans la guerre en tant que cobelligérants. Et la Russie répondra immédiatement à toute attaque de ce type sur son territoire en détruisant “les centres de décision” du régime de Kiev. Il s’agit d’une menace assez transparente de “neutraliser” l’appareil gouvernemental et son personnel, y compris, logiquement, le président Zelenski.

» La déclaration de Choïgou ne laisse guère de doute sur le fait que nous entrons dans la phase finale de la guerre en Ukraine, une guerre limitée à la géographie de l’Ukraine, et que nous nous dirigeons peut-être vers une guerre plus large aux conséquences imprévisibles à la fois pour les Européens et (in fine) pour les Américains.

» La balle est dans le camp de Washington et de Londres. »

Il est possible qu’un esprit raisonnable aurait l’étrange et téméraire idée de se plonger dans l’imbroglio-labyrinthico--capharnaüm de ce qui sert de politique US pour tenter de comprendre et d’expliquer cette politique, et de remarquer que ce projet ukrainien mis à jour par les Russes suit de tout près le dernier tournant en date de Biden, refusant une facilité d’accès de l’Ukraine à l’OTAN, décision-surprise qui avait surpris tout le monde dans le sens inattendu, du type, – “Tiens, les USA prennent leurs distances de l’Ukraine après l’évidence de l’échec catastrophique de la contre-offensive et dans la perspective des élections présidentielles de 2024”.

Mais il ne nous intéresse, ni de comprendre ni d’expliquer cette “politique” des USA. Nous nous intéressons aux mécanismes métahistoriques en cours, dont nous estimons depuis quelques années qu’ils sont en corrélation quasiment directe avec les événements bassement humains pour en faire leurs jouets. Dans ce cas, l’apparente contradiction prend tout son sens et revient en fait à l’incapacité de “faire autrement” que ce qu’on fait, même s’il apparaît évident que ce qu’on fait est absurde

Notre “tragédie-grecque”

Alastair Crooke nous offre une explication de ce comportement qui consiste, pour le cas de l’Ukraine comme dans tous autres domaines de la GrandeCrise (domaine financier, sociétal, psychologique, etc.) issue justement de ce travers mortel, de continuer à procéder de la sorte que l’enseignement évident de sa répétition nous a montré l’aspect vicieux, fallacieux et catastrophique. Il écrit ainsi (le 19 juin, traduction française dans ‘Réseau International’) :

« La tragédie qui frappe l’Occident aujourd’hui consiste, d’une part, en l’impossibilité pure et simple pour lui de continuer à faire ce qu’il a fait – ce qui n’a d’égal que son impossibilité à faire autre chose. [...]

» En clair, c’est ce qui constitue le paradoxe : il est déjà évident que continuer à faire ce que les élites occidentales font en Ukraine touche à la définition de la folie (continuer à répéter la même chose, avec la seule conviction que “la prochaine fois”, le résultat sera différent). La question qui se pose est celle de l’impossibilité de “faire autre chose”. »

Crooke poursuit alors en en venant au « paradoxe occidental », qui n’est finalement qu’une transcription à la situation actuelle de la tragédie en son sens le plus fort et le plus vrai, qui est la tragédie grecque. C’est-à-dire quelque chose où le hasard (la “malchance”) n’a rien à faire, mais quelque chose qui répond à une nécessité, avec une dynamique impossible à arrêter ou à détourner, comme si elle était dotée de sa propre destinée. L’Ukraine est effectivement un excellent exemple, celui où tout le monde observe la tragédie en train de se faire, où les Occidentaux-poussifs s’en désolent tout en bourrant de charbon la chaudière et en dénonçant le feu qui brûle. Les Occidentaux-tardifs ne sont ni stupides ni aveugles, ils sont totalement inexistants et leur “nature” (celle dont parle Crooke) implique leur propre anéantissement, – comme une sorte d’“antinature” si l’on veut.

« Tel est le paradoxe occidental. Une tragédie grecque est une tragédie dans laquelle la crise – au cœur de toute “tragédie” – ne survient pas par pure malchance, pour laquelle personne n’est vraiment à blâmer ou n’aurait pu prévoir. Selon le sens grec, la tragédie est le lieu où quelque chose se produit, parce que cela doit se produire, en raison de la nature des participants, parce que les acteurs impliqués font en sorte que cela se produise. Et ils n’ont pas d’autre choix que de faire en sorte que cela se produise, parce que c’est leur nature.

» Telle est l’implication profonde qui découle du dilemme tragique d’aujourd’hui, qui pourrait bien déboucher sur un déroulement complet de la tragédie dans ce que l’on pourrait définir à juste titre comme une “guerre de choix” occidentale. »

C’est effectivement cette chose qui, selon nous, doit être mise en évidence : la “nature profonde” [‘antinature profonde’, disons] des Occidentaux-autodestructifs, qui comporte en bon ordre néantissement et par conséquent dynamique d’autodestruction, par conséquent suivant et adorant cette dynamique de la tragédie grecque qui s’impose effectivement comme un destin exemplaire d’annihilation, de “cancellation” comme ils disent. Tout ce que nous faisons, – nous, Occidentaux-nihilistifs, – va dans ce sens, et tout notre brio se trouve dans la capacité de nous fabriquer nous-mêmes nos arguments moraux, de subvertir notre système de la communication, d’encenser les serviteurs de ce système, les communicants et les gens de la presseSystème qui construisent et entretiennent un simulacre pour nous complaire, comme l’on fait du feu de la chaudière en pleine marche. Ce cas, ce que nous décrivons en matière de perception et de connaissance, marquera un des sommets de la honte de cette civilisation aux abois.

« Je ne connais pas de conflit où les gens ont été aussi catastrophiquement mésinformés... Je n’ai jamais connu un temps où une guerre a été aussi catastrophiquement rapportée que celle-ci... Franchement, je commence à devenir vraiment furieux de ce que je lis...

– ... Vraiment, je partage votre colère et votre dégoût... »

(Alexander Mercouris et Larry S. Johnson, le 20 juin 2023)  

Terminus de la civilisation

Bien entendu, l’Ukraine n’est qu’un des champs d’une bataille d’une guerre qui en entretient de multiples et marque l’apogée de notre GrandeCrise. Mais ce conflit a, sinon l’avantage au moins la particularité de nous montrer l’extraordinaire, la paradoxale proximité existant entre la brutalité terrible d’une guerre d’où les diverses variations de la crise  sembleraient devoir être complètement absentes, et les aspects de domaines si différents, sociologiques et sociétaux, qui ont pourtant, malgré ces différences, complètement leur place dans l’affrontement. Ceux qui ne l’ont pas compris, comme divers nationalistes ou des traditionnalistes tels que les gens du parti au pouvoir en Pologne qui soutiennent l’Ukraine postmoderne, doivent se préparer à des déchirements et à des révisions terribles, – ou bien à perdre des élections (cet automne en Pologne), ce qui est une sorte de parodie moderniste de la tragédie, quelque chose comme notre chère tragédie-bouffe.

C’est ce que nous dit fort justement Crooke. Cette guerre est une “guerre de civilisation”, qui n’a rien à voir, ni avec les religions, ni avec les races, ni avec les cultures, – donc, rien à voir avec ‘Le choc des civilisations’ qui date un peu, – parce qu’il s’agit de deux conceptions-perceptions du monde et de la vie qui s’affrontent, – deux caractères si l’on veut, celui qui dénonce l’hubris et celui qui n’est qu’hubris. Chacune de ces conceptions-perceptions contient tous les composants principiels ou non-principiels, – c’est le choix essentiel, – qui font un monde et son univers. C’est à cette hauteur qu’il faut faire ce choix, sans craindre l’ivresse et le vertige des cimes.

« ...[L]e sentiment que la survie de la civilisation occidentale est en jeu. Le processus est susceptible de remodeler la politique occidentale le long d’une nouvelle ligne de fracture, qui trouve son expression dans la confrontation entre ceux qui souhaitent un bouleversement “vert” de la société humaine, un monde “trans” pour les enfants, une immigration facile, une réorganisation radicale du pouvoir entre les groupes «identitaires» de la société, un changement de la nature même de la culture occidentale – et ceux qui sont viscéralement opposés à tout ce qui précède. »

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