Jamais, bien entendu, jamais offensive (surnommée “contre-offensive”) n’aura été annoncée, commentée avant qu’elle n’ait lieu, attendue comme une surprise à découvert, commentée dans tous les sens, etc., comme l’est celle “du printemps” (ou “de l’été”), – laquelle, par ailleurs, n’est pas assurée d’avoir vraiment commencé... Balayées, l’offensive de Moltke (la Marne), celle des Ardennes, celle de Koursk ! Celle d’Ukraine, “l’offensive du-printemps-en-été” restera un modèle du “simulacre comme l’un des beaux-arts”, comme la maîtrise de l’art-opératoire de l’ère de la postvérité.
Pour en faire une appréciation, un point de vue convenable, il convient de fixer les bornes de la conversation, comme l’on faut d’une hypothèse de travail. “Disons que la ‘contre-offensive’ a commencé le 4 juin” et voyons quelques éléments qui la caractérisent, disons quelques aspects dont on peut penser qu’ils nous assurent de la capacité d’une observation féconde. Il nous semble que pour cela, il nous faut tenir compte d’un phénomène essentiel. Nous nous trouvons dans un univers où le “brouillard de la guerre” est complètement bouleversé, bousculé, – on dirait “complètement pollué” par d’énormes fumigènes déversés par la succession des narratives produites par un impressionnant arsenal de simulacres mis en place tout le long du front immense de la guerre de la communication livrée par l’OTAN. Ce qui fait la puissance de ce simulacre, c’est la puissance sans égale du système de la communication qui lui sert de support et d’aliment.
Un autre aspect important de ce conflit a été l’espèce de “renversement des valeurs” entre la Russie et son adversaire occidental, – ‘Occident-collectif’ que l’on peut en fait affubler de tant les qualificatifs en ‘ifs’, – ‘Occident-diffractif’, ‘Occident-discriminatif’, ‘Occident-discursif’, ‘Occident-invasif’, ‘Occident-inquisitif’, ‘Occident-maniacodépressif’, etc. Par contre, selon certains observateurs que nous tenons en bonne estime, les Russes nous ont surpris par un aspect inhabituel, ce qui fait qu’on en sait un peu plus par leur canal, – comme ceci, de Mercouris hier soir, parlant de trois petits villages sans véritable importance bien entendu, mais salués par le Camp du Bien fort exalté comme une victoire majeure de l’Ukraine :
« Vous savez tout ce qui se passe dans ces trois villages bien plus que sur tous les kilomètres d’un front qui en fait plus d’un millier... Et, d’une façon incroyable, il semble qu’il n’y ait aucune tentative de censure du côté russe, ce que je trouve remarquable... A nouveau, je le dis, c’est une des choses les plus étranges de ce conflit, que les Russes qui sont historiquement si secrets et surveillent tout minutieusement– nous laissent dans ce cas [de la guerre d’Ukraine]... nous laissent sans entrave chercher tout ce qu’on veut savoir à propos de tout, y compris à propos de leurs retraites [Kiev, Kharkov ; Kherson], ce qui explique qu’il peut y avoir une certaine surestimation à propos de cet événement de la capture de trois petits villages [dans la “zone grise”, – sorte de ‘no man’s land’ plus structuré] »
Tout cela fait que, parfois, comme par inadvertance, apparaît une affirmation qui semblerait, dans notre univers en ‘ifs’, complètement “inversif” ; – comme ceci :
« Les Russes se battent mieux qu’on ne croyait »
... Il s’agit d’un titre du ‘Bild Zeitung’, l’énorme quotidien allemand, sur son site du 12 juin à 11H30 (voir à 32’10” sur la vidéo Mercouris déjà citée).
Une référence féline
Ainsi allons-nous nous replier, disons tactiquement et pour cette première semaine contre-offensive, sur l’affaire des ‘Léopard’. Le fameux char allemand constitue, on le sait, – ou constituait, peut-être faut-il parler au passé et parer au plus pressé, – la colonne vertébrale à la fois de l’affirmation morale, du renforcement matériel décisif, de la supériorité technologique d’essence divine de l’Occident-transgressif sur la Russie archaïque et barbare. Par conséquent, la perte spectaculaire d’un certain nombre de ‘Léo’ (accompagnée et renforcée par la destruction assez significative d’une autre merveille occidentale, l’‘Infantry Fighting Vehicle’ M2 ‘Bradley’) faisait étrangement désordre, en plus avec une facilité déconcertante qui inspira Elon Musk lui-même.
Donc, la liquidation d’un certain nombre de ‘Léopard’, illustrée par une iconographie abondante diffusée par le ministère russe de la défense, constitua une affaire importante, du point de vue symbolique, de la séquence. Nous aimons beaucoup, dans ces paysages de “fog of war” affreusement pollué par les attaques de la communication, l’apparition d’un fait devenant un symbole. Le symbole, en effet, dissipe les brouillards intempestifs pour les âmes nobles. Le choix du malheureux ‘Léopard’ s’imposa donc. Le 11 juin, Andrew Korybko en fit son miel.
« Pire encore, la Russie ne s'est pas contentée de détruire une grande partie de ses soi-disant “wunderwaffen” au cours des derniers jours, elle a même publié des vidéos prouvant ses réalisations, humiliant ainsi totalement l'OTAN. Les décideurs les plus faucons de l'Union étaient si impatients de recevoir des données à grande échelle sur le champ de bataille, provenant de l'utilisation par leurs mandataires ukrainiens d'équipements de l'OTAN contre le concurrent russe de l'Occident, qu'ils ont négligé avec arrogance tous les signes indiquant que cela risquait de se retourner contre eux de façon spectaculaire.
» Après les reculs de la Russie dans les régions de Kharkov et de Kherson à la fin de l'année dernière, on a pensé à tort que l'ensemble du front s'effondrerait s'il était poussé suffisamment fort par des Ukrainiens entraînés par l'OTAN et dotés de certains des équipements les plus célèbres de ce bloc lors de la contre-offensive prévue plus d'un semestre plus tard. Cette évaluation ne tenait pas compte des particularités de ces deux situations et supposait que la Russie était incapable de tirer des leçons de ses faiblesses antérieures, ce qui a directement conduit au désastre de l'Occident au cours des derniers jours.
» Cela ne veut pas dire que la contre-offensive de l'Ukraine ne pourrait pas être couronnée de succès malgré les coûts physiques énormes qu'elle entraînerait certainement, mais simplement que les perceptions mondiales de la puissance occidentale viennent d'être brisées après que la Russie a partagé des vidéos d'elle détruisant leurs “wunderwaffen”. Si des décideurs plus sereins avaient eu le dernier mot sur l'opportunité de la contre-offensive, ils auraient peut-être calculé qu'il vaut mieux préserver l'illusion de la domination plutôt que de risquer de la voir s'évanouir. »
Un ‘Leopard’ en or
La démonstration ayant été faite de l’exceptionnelle capacité du ‘Leopard’, les dirigeants ukrainiens se précipitèrent avec une exceptionnelle vélocité pour en avoir d’autres. C’est Melnik, ancien ambassadeur ukrainien à Berlin qui a passé ses 18 mois à son poste à insulter l’Allemagne, – laquelle, avec Scholz, a accueilli la chose avec une humble bonhomie aujourd’hui si coutumière chez nos excellences, – c’est donc Melnik qui se fit, auprès de la publication allemande ‘Tagesspiegel’, habile avocat de la quincaillerie blindée et teutonne pour réclamer davantage de ‘Leopard’. (Entretemps, et pour le récompenser de son séjour berlinois, Melnik a été fait vice-ministre des affaires étrangères et c’est ès qualité qu’il parla.)
En effet, on admirera le savoir-faire de Melnik, – “qui aime bien insulte bien”, mais compris à l’envers : il n’oublie absolument pas, à la grande joie teutonne, de nous aviser que ces magnifiques machines qui ont participé au tir aux pigeons de la contre-offensive, « valent littéralement leur pesant d’or ». Ainsi, les wunderbar & kolossal machines nommées ‘Leopard’, ayant fait leurs preuves ces derniers jours dans des conditions vivifiantes, vont-elles terrasser l’immonde Russe, puis redresser l’économie ukrainienne par un formidable apport d’un métal d’autant plus précieux que les imprimeries de le la ‘Fed’ font actuellement preuve d’un tirage suspect portant sur une devise qui l’est encore plus.
« “L'armée ukrainienne a besoin de toute urgence de beaucoup plus de chars de combat occidentaux, de véhicules de combat d'infanterie et d'autres blindés”, [a déclaré Melnik], ajoutant que “chaque Leopard 2 vaut littéralement son pesant d'or pour l'offensive décisive”.
» Il a suggéré que l'armée allemande pourrait fournir bien plus que les 18 véhicules Leopard 2 qu'elle aurait livrés à l'Ukraine, notant que » Berlin possède plus de 300 véhicules de ce type dans son arsenal. Le nombre de Léopards fournis pourrait être “triplé sans mettre en danger la capacité de l'Allemagne à se défendre”, a affirmé le vice-ministre des affaires étrangères.
» En plus des chars, Berlin pourrait également fournir à Kiev "60 autres véhicules de combat d'infanterie (VCI) Marder", selon M. Melnik. Au total, l'Allemagne a envoyé 40 VCI de ce type à l'Ukraine et promet d'en fournir 20 autres dans un avenir proche.
» Cette demande a été accueillie favorablement par plusieurs hommes politiques allemands, dont les députés Roderich Kiesewetter et Marcus Faber, qui ont suggéré que ces livraisons pourraient aider l'Ukraine à couvrir ses pertes. »
La victoire en r(o)ugissant
Nous comprenons donc bien clairement que l’Ukraine est sur les chenilles démocratiques de la victoire. Pour cette raison, les excellences réfléchissent plus que jamais aux conditions que l’Ukraine devraient imposer, – puisque c’est elle qui mènera la danse, on le sait de source ‘fact-checkée’, – à une Russie agonisante et suppliant qu’il y ait un peu plus d’humaine et démocratique attitude que le terrible ‘Vae Victis’ du barbare gaulois Brennos.
Ainsi Vaticine-t-on sans crainte de bousculer la réalité puisque c’est dit à la fin ! C’est nous qui la faisons, la réalité. D’ailleurs...
« Nous sommes un empire maintenant et quand nous agissons nous créons notre propre réalité. Et alors que vous étudierez cette réalité, – judicieusement, si vous voulez, – nous agirons de nouveau, créant d’autres nouvelles réalités, que vous pourrez à nouveau étudier, et c’est ainsi que continuerons les choses. Nous sommes [les créateurs] de l’histoire... Et vous, vous tous, il ne vous restera qu’à étudier ce que nous avons [créé]. »
Heureusement, nous avons le new York ‘Times’ pour nous instruire de la marche des choses. Un article, publié dimanche, nous informait donc sur les conditions que l’on se trouvait en train d’envisager pour la “victoire” ukrainienne. C’est RT.com qui en fait rapport, avec l’humilité qu’on imagine :
« L'Occident considérerait la contre-offensive ukrainienne comme un succès si Kiev reprenait les zones clés perdues par Moscou ou portait un coup “débilitant” aux forces russes, a rapporté le New York Times, citant des responsables américains et européens.
» “Beaucoup de choses dépendent de l'issue de la contre-offensive, car elle aura probablement un impact sur le soutien militaire occidental à l'Ukraine et sur les discussions futures concernant les garanties de sécurité pour le pays, a déclaré le journal américain dans un article publié samedi.
» Publiquement, les responsables américains et européens affirment que c'est au président ukrainien Vladimir Zelenski de décider ce qu'il faut considérer comme un succès dans l'opération tant attendue, note le NYT. »
Tout cela est extrêmement sérieux. La preuve en est administrée par une réunion à l’Élysée, ce temple de la République au perron honoré de tant de glorieuses rencontres, où le président accueillait le président polonais Duda et le chancelier allemand Scholz.
On y parla contre-offensive et contre-offensive victorieuse puisqu’il y eut le souhait de ce que nous désignerions comme une “victoire la plus victorieuse possible” de la susdite, – tandis qu’on prierait les Russes d’attendre, poliment et discrètement s’il vous plaît, le moment où l’on déciderait du moment où les négociations de paix commenceraient. Voici un extrait de ce qu’en dit le même, et mêmement infâme, RT.com :
« “La contre-offensive a commencé. Elle va se déployer pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Nous la soutenons dans les limites que nous nous sommes fixées”, a déclaré Macron.
» Le président français a déclaré que lui et ses homologues souhaitaient que l'opération de Kiev soit “la plus victorieuse possible pour que nous puissions ensuite entamer une période de négociations dans de bonnes conditions”.
» D'autres livraisons d'armes, notamment de véhicules blindés, et de munitions à l'Ukraine auront lieu “dans les jours et les semaines qui viennent”, a promis Macron. »
On a bien compris l’équivalence entre le « c'est au président ukrainien Vladimir Zelenski de décider ce qu'il faut considérer comme un succès » de Washington et le “victoire la plus victorieuse possible de la contre-offensive” du perron de l’Élysée. Nous sommes dans le même monde.
Bon vent pour les négociations
Dans un autre monde, expliqua Mercouris, on réfléchit différemment. Le commentateur gréco-britannique discutait avec son complice habituel, l’autre Alex (Christoforou). Le second demanda au premier si la persistante considération par l’Occident-hyperaffectif de l’armée russe comme un immense bordel corrompu et totalement inefficace, propre à être balayée plus vite que son (n)ombre par une victoire minutieusement “victorieuse”, n’était finalement pas un avantage pour la Russie.
« Oui, je pense que, d’une certaine façon, c’est un avantage, je pense que ça l’est d’un point de vue militaire... mais...
[...] Mais si vous parlez de l’Ouest-collectif, je pense que Poutine et tous les dirigeants autour de lui n’ont plus rien à faire de ce que l’Ouest pense d’eux... Je pense qu’ils ont définitivement décidé de ne plus perdre leur temps [à prêter attention à ce que dit l’Ouest]... »
Ainsi est-il montré que le monde n’est nullement coupé en deux, par exemple comme au temps de la Guerre Froide, mais bien que nos en sommes au point où il existe deux mondes différents. Ce monde où un soi-disant président français se permet de dire « pour que nous puissions ensuite entamer une période de négociations dans de bonnes conditions », sans savoir rien des Russes, de leur volonté, sinon de leur intérêt de négocier, les Russes après s’être gracieusement exécutés pour que la contre-offensive ukrainienne soit, selon cette belle et très-parisienne formule, “la victoire la plus victorieuse possible”, – ce monde-là est-il simplement une des deux parties d’un même monde coupé en deux ?
Pas du tout, évidemment... C’est un monde en soi, Occident-obsessif jusqu’à l’Occident-narratif, qui n’a plus rien à voir avec le monde où se trouvent les Russes, un monde dont les Russes se fichent du tiers comme du quart, sinon pour l’écarter définitivement. Ce n’est pas une nouvelle Guerre Froide, c’est une ‘Guerre des mondes’.
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