La farce de l’insurrection de Prigozhin est terminée. J’avais prédit qu’elle ne tarderait pas à se terminer :
Dans une douzaine d’heures, les choses devraient s’être calmées...
Environ huit heures après ma publication, Prigozhin avait renoncé et quitté les lieux.
Prigozhin avait lancé sa mutinerie sans espoir après que le ministère de la défense eut exigé que tous ses hommes signent des contrats avec l’armée russe.
Cela aurait supprimé l’autonomie de sa compagnie de mercenaires et, par conséquent, une grande partie de ses bénéfices. La course de ses troupes vers Moscou fut une tentative désespérée d’attirer l’attention de Poutine et de pousser le ministère à revoir ses plans.Pour justifier son action, Prigozhin a prétendu que les forces militaires russes avaient attaqué un camp Wagner et tué un certain nombre de ses troupes. Pour le prouver, il a publié une vidéo montrant des déchets dans les bois, mais aucun soldat mort. Il s’agissait d’un faux évident.
Poutine avait déjà accepté publiquement les plans du ministère et il n’est pas homme à revenir sur ses décisions sur un coup de tête ou sous la pression. Après le discours télévisé de Poutine du samedi matin, au cours duquel il a accusé Prigozhin de trahison sans le nommer, il était clair que la mutinerie n’avait aucune chance d’aboutir. De nombreux gouverneurs et militaires de haut rang ont rapidement assuré publiquement Poutine de leur loyauté.
Pour autant que l’on sache, aucun des commandants militaires de Wagner et seulement quelques milliers de ses 25.000 soldats avaient rejoint Prigozhin dans sa course folle. Personne en Russie n’a changé de camp ou ne l’a soutenu. Lorsque les troupes de Wagner sont entrées à Rostov sur le Don, les personnes qui ont parlé avec ses soldats ont critiqué leur présence. Lorsque Wagner est parti sans autre effusion de sang, les gens ont applaudi. Il est faux d’interpréter cela comme un soutien à Prigozhin, comme l’ont fait certains analystes “occidentaux“. Les gens étaient simplement heureux que ce coup d’éclat soit terminé.
Finalement, le président du Belarus, Alexandre Loukachenko, probablement à la demande de Poutine, a appelé Prigozhin au téléphone, a utilisé des mots très forts et a négocié un accord. Si Prigozhin s’exile au Belarus, il ne sera plus inquiété. Mais les procureurs russes ne classeront pas encore l’affaire de trahison dont il fait l’objet. S’il fait à nouveau des siennes, il finira probablement en prison.
Prigozhin sera peut-être autorisé à emmener une partie de ses troupes en Biélorussie. Mais la grande majorité d’entre elles seront placées sous le commandement de l’armée russe et transformées en unités spéciales. La légion étrangère française pourrait être un bon exemple d’une telle force et de son utilisation potentielle.
Au cours des années précédentes, les entreprises de Prigozhin ont réalisé d’importants bénéfices en répondant aux besoins de l’armée russe. Les contrats qu’elles ont conclus vont probablement prendre fin et sa fortune personnelle va en souffrir. Les beaux jours sont terminés pour lui.
L’administration Biden prétend que toute cette affaire a affaibli Poutine :
QUESTION : Mais pour en rester à Vladimir Poutine, pensez-vous que c’est le début de la fin pour Vladimir Poutine ?
SECRÉTAIRE BLINKEN : Je ne veux pas spéculer là-dessus. Il s’agit avant tout d’une affaire interne à la Russie. Mais ce que nous avons vu, c’est ceci. Cette agression contre l’Ukraine s’est transformée en un échec stratégique général. La Russie est plus faible économiquement et militairement. Sa position dans le monde s’est effondrée. Elle a réussi à détourner les Européens de l’énergie russe. Elle a réussi à unir et à renforcer l’OTAN avec de nouveaux membres et une Alliance plus forte. Elle a réussi à ce qu’on s’éloigne de la Russie et à unir l’Ukraine comme elle ne l’avait jamais fait auparavant. Ce n’est qu’un chapitre supplémentaire d’un très, très mauvais livre que Poutine a écrit pour la Russie. Mais ce qui est le plus frappant, c’est qu’il s’agit d’un phénomène interne. Le fait que vous ayez, de l’intérieur, quelqu’un qui remet directement en question l’autorité de Poutine, qui remet directement en question les prémisses sur lesquelles il a lancé cette agression contre l’Ukraine, est en soi quelque chose de très puissant. Cela ajoute des fissures. Il est trop tôt pour dire où elles iront, quand elles arriveront. Mais cela soulève clairement de nouvelles questions auxquelles Poutine doit faire face.
Certaines “sources“ bien sponsorisées sont d’accord avec cette position :
Les sources de Meduza ajoutent que la rébellion affaiblit la position de Poutine : « Il n’a pas pu se mettre au niveau de Prigozhin, mais il était introuvable après le discours national d’hier. Il est le premier à commander et prend le contrôle quand c’est nécessaire. Il ne devrait pas faire de Loukachenko le visage public et permettre aux responsables russes de la sécurité (siloviki) de mener les négociations. »
Tout comme le Washington Post :
Samedi matin, face à l’avancée de Prigozhin, Poutine a mis en garde contre la réponse “brutale” à apporter à ce qu’il a décrit comme une “rébellion” lancée par des “traîtres“. Dans la soirée, son principal porte-parole a annoncé que les charges qui pesaient sur Prigozhin seraient abandonnées et que les combattants de Wagner qui n’avaient pas participé à la mutinerie se verraient proposer des contrats par le ministère russe de la défense.
Cette escalade a révélé une fragilité et une instabilité au cœur du pouvoir russe.
Il y a aussi toutes sortes de théories du complot. Will Schryer pense que toute l’affaire était une opération psychologique visant à éliminer les traîtres potentiels. Agit Papadakis affirme qu’il s’agit d’un conflit interne :
Avec l’accord Poutine-Prigo, les siloviki ont fait d’une pierre trois coups : Prigo est exclu à jamais, exilé en Biélorussie avec Lukashenko comme agent de probation, les criminels de Wagner proches et chers à Prigo seront expédiés en Afrique, et Poutine est déshonoré à jamais, ayant perdu le respect à la fois du Kremlin et du peuple russe. Il ne sera plus qu’une figure de proue impuissante, comme son ennemi Biden en état de mort cérébrale, qui reçoit des ordres au lieu d’en donner.
Je ne suis pas d’accord avec ces opinions, car je ne vois aucun signe que Poutine en soit sorti autrement que vainqueur.
Je suis rejoint en cela par Larry Johnson qui écrit :
L’Occident veut croire que Poutine est faible et impopulaire – je voudrais faire remarquer que pas un seul critique respecté de Poutine n’a approuvé la mutinerie de Prigozhin et que tous les dirigeants politiques de toute la Russie se sont rangés derrière Poutine alors que le reste du monde célébrait (prématurément) la disparition du dirigeant russe.
En regardant les talk-shows russes, Gilbert Doctorow a un point de vue similaire :
Sans aucune aide de ma part, les consommateurs des grands médias occidentaux connaissent très bien l’interprétation officielle qui, comme toujours, est transmise par Washington et reprise par nos journalistes comme s’il s’agissait de leur propre reportage original : comment l’affaire Prigozhin démontre la fragilité des dictatures, comment elle montre la véritable faiblesse du régime de Poutine, et ainsi de suite, et ainsi de suite.
Je propose ici un aperçu de ce qui se dit aujourd’hui dans l’espace public russe. Je dis “un aperçu“, car la diversité des points de vue en Russie est presque aussi vaste que le pays lui-même, et seuls nos faiseurs d’opinion ignorants et bigots de l’Ouest ne s’en rendent pas compte.
…
Le troisième intervenant de l’émission de Solovyov que je citerai très brièvement était Alexander Babakov, vice-président de la Douma d’État et parlementaire du parti Russie Unie. Selon lui, la mutinerie armée a échoué parce qu’elle a été rejetée par l’armée régulière, par le gouvernement russe à tous les niveaux et par le peuple dans son ensemble. La Russie a ainsi démontré au monde son unité en temps de guerre, sa volonté de s’opposer à l’Occident collectif. La leçon pour l’Occident fut précisément la force du pays et de son commandant en chef.
Mais quelqu’un écoute-t-il à Washington ?
L’ancien ambassadeur indien M.K. Bhadrakumar est du même avis :
Blinken s’est toujours trompé dans ses évaluations sur la Russie, qu’il s’agisse du coup mortel que les “sanctions infernales” devaient porter à l’économie russe, de l’emprise de Poutine sur le pouvoir, de la défaite catastrophique de la Russie en Ukraine, des déficiences de l’armée russe, de l’inexorable victoire militaire de Kiev, et ainsi de suite.
Dans le cas présent, il a des raisons de se sentir aigri, notamment en raison de l’unité spectaculaire de l’État russe, de l’élite politique, des médias, de la bureaucratie régionale et fédérale, ainsi que de l’establishment militaire et sécuritaire, qui se sont ralliés à Poutine. On peut dire que la stature politique de Poutine est désormais incontestable et inattaquable en Russie et que les Américains devront vivre avec cette réalité longtemps après le départ de Joe Biden.
Aujourd’hui, Prigozhin a de nouveau tenté de justifier sa “marche pour la justice“, comme il l’appelle, et répète encore, sans preuve, que son groupe a été attaqué. Il affirme également que son opération a démontré les problèmes de l’armée russe et la qualité de Wagner.
En réalité, la Russie n’a jamais été en danger. L’armée de l’air russe aurait pu détruire les convois de Wagner en route vers Moscou avec un préavis de quelques minutes. Ses troupes à Rostov-sur-le-Don étaient encerclées par les troupes tchétchènes de Ramzan Kadyrov qui s’étaient précipitées dans la ville et étaient prêtes à abattre Wagner.
Je ne pense pas qu’il y ait la moindre chance que Prigozhin revienne un jour. Il est fini et il ne peut s’en prendre qu’à lui-même.
Moon of Alabama
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone
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