06 juin 2023

«En France, la liberté d’expression n’est qu’un récit pré-formaté et pré-conditionné»

Interview de Oleg Nesterenko, président du Centre de commerce et d’industrie européen, accordé à la publication L’Éclaireur des Alpes.

Partie 1/3 – Sans le coup d’État de 2014, l’Ukraine vivrait en paix
Partie 2/3 – «La guerre en Ukraine, c’est la guerre du dollar»

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L’Éclaireur : Pourquoi et qui a intérêt à faire durer cette guerre ?

Oleg Nesterenko : Je voudrais d’abord revenir sur la durée de la guerre… Les annonces sur la base des plans de Poutine de commencer et terminer la guerre en deux semaines ont été faites uniquement et exclusivement par les mass-médias et la propagande «atlantiste» dans le cadre de la guerre l’information qu’ils sont en train de mener vis-à-vis de l’électorat occidental. Faire attribuer à autrui des actions ou déclarations farfelues et ensuite, les discréditer en grande pompe, c’est l’un des outils basiques de manipulation des masses.

Du côté russe, jamais, pas une seule fois, une telle stupidité n’a été annoncée par quelqu’un. Pourquoi ?

Prenons comme exemple la guerre en Tchétchénie. Cette guerre a duré pratiquement deux ans, de 1994 à 1996. Et, en 1999-2000, des opérations supplémentaires ont été menées qui ont duré sept mois de plus, afin d’éradiquer le problème. En comparaison avec l’Ukraine, la guerre de Tchétchénie était menée sur un territoire minuscule et contre des forces qui étaient incomparablement plus petites et incomparablement moins armées que celles de l’armée ukrainienne dopée par l’Occident collectif durant plus de sept ans avant même la riposte russe de février 2022. Et on trouve encore des plaisantins qui parlent du projet de guerre en deux semaines. Non, la Russie n’a jamais eu l’idée de se prendre pour Israël face à l’Égypte dans la guerre du Sinaï…

Quelques mots sur la guerre en Tchétchénie qui est également méconnue ou, plus exactement, mise sous le tapis en Occident. C’était une opération anti-terroriste, car en face c’étaient réellement des terroristes islamistes, porteurs d’idéologies qui n’ont rien à voir et qu’il ne faut pas confondre avec l’islam traditionnel qui régule d’une manière parfaitement saine la vie dans les pays musulmans de par le monde, y compris en Russie où la communauté musulmane est très importante.

Beaucoup ignorent que près d’un tiers des citoyens de la fédération de Russie sont des musulmans. Et ce sont des musulmans non pas venus d’ailleurs, mais des musulmans dont la terre de la Russie est la terre natale et historique pour leurs diverses ethnies.

En ce qui concerne les islamistes indépendantistes tchétchènes très largement influencés par des mouvances radicales de l’étranger, ils ont entamé dès 1991 la création de l’État islamique tchétchène d’Itchkéria (la République tchétchène d’Itchkéria) : avec l’instauration de la charia dès 1995, les lapidations, les décapitations publiques et autres éléments fort sympathiques d’un califat digne de ce nom. À noter que ces islamistes radicaux ont été directement et officiellement soutenus, une fois de plus, par la communauté occidentale bienveillante, dont la France, parallèlement à la reconnaissance de leur État islamique tchétchène par deux anciens grands amis sponsorisés par l’Occident : l’Afghanistan des talibans et la Géorgie de Zviad Gamsakhourdia.

En fait, non pas depuis hier, mais depuis 1944, et, surtout dans les trente dernières années, l’Occident «atlantiste» s’est montré prêt à soutenir le diable en personne, dès lors qu’il était soit russophobe et soit prêt à combattre la Russie. Le plus drôle c’est qu’en l’affirmant, je n’exagère que très légèrement.

L’Éclaireur : Revenons à la guerre en Ukraine… Cette guerre était-elle inéluctable ?

Oleg Nesterenko : La Russie ne pouvait pas ne pas entrer en guerre. Si elle ne l’avait pas fait, l’Ukraine serait devenue à moyen terme un territoire de l’OTAN. Je ne vous parle même pas des massacres vis-à-vis des populations du Donbass. Ceux qui vous diront que les ultra-nationalistes ukrainiens n’auraient pas fait un massacre de masse mille fois supérieur à celui d’Odessa en 2014, s’ils auraient pris le contrôle des villes de Donetsk et de Lougansk, n’ont pas la moindre idée de quoi ils parlent.

La purge totale de tout ce qui est russe ou pro-russe faisait et fait toujours parti des plans de Kiev. Et quand vous avez les trois-quarts de la population de ces régions qui ne sont pas juste des anti-nationalistes ukrainiens, mais qui ont la détestation profonde du régime de Kiev et de tout ce qu’il représente – et je sais de quoi je parle – je vous laisse imaginer l’ampleur des massacres qui se seraient produits si la Russie les avait abandonnés à leur sort.

Tous les Ukrainiens ne sont nullement des ultra-nationalistes ou des néo-nazis, mais leur part en Ukraine est assez importante et est incomparablement plus importante que celle des ultra-nationalistes ou des néo-nazis en France. Par ailleurs, il y a une énorme différence entre êtes extrémiste marginal ou extrémiste ayant accédé au pouvoir d’un pays.

Le risque de l’escalade incontrôlée est grand si l’Ukraine intègre l’OTAN. Si Kiev lançait d’une manière unilatérale les hostilités pour prendre la Crimée, sans par exemple l’aval de Paris – et Kiev a parfaitement l’intention de le faire – la Russie déclarera la guerre à l’Ukraine. Elle déclarera la guerre à un pays de l’OTAN. Et, dans le cadre de l’article 5 de l’OTAN, Paris serait obligé, à moins de quitter immédiatement l’organisation, de faire la guerre à Moscou d’une manière ouverte et non pas par procuration comme elle le fait aujourd’hui. Si cela arrivait, il serait quasiment impossible que la Russie ne procède pas par une ou plusieurs frappes ciblées avec des armes nucléaires tactiques. Ceci est clairement inscrit dans la doctrine militaire russe, il n’y a pas d’interprétation à faire. Et si à cette frappe nucléaire tactique il y a la moindre riposte de la part de l’OTAN, l’humanité connaitra l’Apocalypse.

Pour ceux qui ne comprennent pas l’évidence : si la Russie n’était pas entrée en guerre en février 2022, après la purge du Donbass par Kiev, le prochain pas serait obligatoirement et inévitablement son entrée dans l’OTAN. Et, étant très encouragé par l’inaction de Moscou qui se serait limité à des déclarations de protestation – l’invasion de la Crimée, constitutionnellement territoire de la Fédération de Russie, avec la frappe nucléaire russe qui la suivra serait des événements aussi certains que deux plus deux égale quatre.

Je suis particulièrement étonné que les prétendus experts qui polluent les plateaux télé et dont la majorité souffre d’une forme grave de myopie analytique, soient dans l’incapacité de comprendre un fait pourtant clair : en interdisant l’Ukraine d’entrer dans l’OTAN, la Fédération de Russie est en train de sauver le monde. Je vais même dire une chose qui révoltera les soupirants atlantistes : la guerre en cours EST en train de sauver le monde.

La question à poser n’est pas si la frappe nucléaire aurait lieu, mais qui sera la cible en premier pour calmer tous les autres qui se reposent sur la programmation neurolinguistique sur le bluff russe. Le «bluff» dont tout le monde en Europe a encore parlé le jour avant l’entrée de la Russie en guerre et qui, apparemment, n’a toujours rien appris à personne du côté de l’OTAN.

En ce qui concerne l’Occident collectif regroupé autour des États-Unis, aucun indice, économique ou militaire, ne montre que son implication dans cette guerre était prévue pour durer. Initialement, il était prévu de mettre la Russie en position d’agresseur puis d’y ajouter le paquet de sanctions qu’on connait. Et, à l’époque, pratiquement tous les analystes «atlantistes» ont considéré que ces sanctions seraient suffisantes pour faire écrouler l’économie russe et mettre la Russie dans l’incapacité de continuer la confrontation.

L’idée était donc de lui imposer des conditions économiques insupportables, de faire se soulever les populations russes contre le pouvoir et ainsi faire effondrer la Russie. Résultat ? Les relations entre la Russie et l’Union européenne, dont l’industrie était viable et parfaitement concurrentielle vis-à-vis des États-Unis en grande partie grâce aux livraisons de l’énergie russe à de très bons prix, négociés et assurés par des contrats à long terme, ont été détruites. Et détruites à très long terme. Là, après tant d’années du travail de sabotage des relations Russo-européens, c’est une très grande victoire pour les États-Unis.

L’idée était également de mettre la Russie à genoux pour que, lors de la future guerre qui aura inévitablement lieu entre les États Unis et la Chine, la Russie ne puisse se permettre le soutien considérable de la Chine sur les plans énergétique et alimentaire notamment.

Cela n’a pas fonctionné. La Russie s’est montrée beaucoup plus résistante, économiquement parlant, ce qui personnellement ne m’étonne pas, connaissant un peu le système monétaire, les actions régulatrices de la banque centrale russe et les réserves dont la Russie dispose.

Ce projet de «blitzkrieg» contre Moscou est devenu une guerre d’usure. Moscou a obligé les États-Unis et l’Occident collectif à faire une chose qui n’était pas prévue. Tous les problèmes qu’on constate aujourd’hui aux États-Unis et dans l’Union européenne liés à la guerre en Ukraine (les livraisons d’armes, les complications économiques, etc.) n’étaient pas prévus. Ils pensaient se serrer la ceinture pour quelques mois. Cela s’est passé autrement. Et ce sont les populations qui payent et qui vont payer encore très longtemps la facture.

L’Éclaireur : Reste-t-il une place pour la médiation après l’échec d’Israël et de la Turquie ? La Chine ?

Oleg Nesterenko : Quand on parle de médiation, Chine ou qui que ce soit, il n’y a aucun poids réel derrière. C’est juste un rempart entre deux parties, entre la Russie et l’Ukraine, mais un rempart qui n’est pas capable d’influencer qui que ce soit. Et même l’Ukraine n’a rien à faire dans de telles négociations. Une réelle négociation de paix n’est possible qu’entre la Russie et les États-Unis. Toutes les autres parties qui ont joué et qui joueront le rôle de médiateur ou de participants ne sont que des figurants.

Quand Emmanuel Macron, celui qui livre les armes et munitions qui tuent les Russes, parle de l’idée de se mettre en position de médiateur, j’ai du mal à comprendre ce qui se passe dans sa tête pour imaginer que Moscou acceptera ne serait-ce qu’un instant la folle idée de lui donner le moindre rôle dans les futurs pourparlers à ce personnage.

En disant qu’une réelle négociation de paix n’est possible qu’entre la Russie et les États-Unis, il faut souligner que si par le passé, par exemple lors de la crise cubaine, de la guerre en Corée, de la guerre au Vietnam, les États-Unis ont toujours eu une volonté de trouver des accords ou des consensus, l’administration à Washington a ces dernières années connu une certaine forme de dégénérescence politique. On constate qu’elle n’essaie même pas d’arriver au début d’un moindre accord. Et c’est une tendance très dangereuse. Si ceux qui ont fait installer Joe Biden au pouvoir et qui tirent les ficelles restent au pouvoir après novembre 2024, le futur du monde à moyen terme, je le vois très en noir.

C’est donc une question de volonté, pas de médiation. Pour Moscou, il y a une volonté, même si au début du conflit la Russie avait l’intention de changer le régime Ukrainien. Mais, en constatant qu’une certaine partie des Ukrainiens veulent rester sous le régime actuel, qu’ils y restent…

Par contre, les territoires qui ont été toujours profondément pro-russes et dont la majorité des habitants ne veulent pas et n’ont jamais voulu vivre sous le nouveau régime ultranationaliste russophobe de Kiev – malgré les arguties proférées par les médias mainstream – ces territoires ne seront jamais laissés à l’Ukraine. De même, aucun arrêt des opérations militaires n’aura lieu du côté russe sans un engagement officiel de l’Ukraine de ne jamais entrer dans l’OTAN, car une telle action signifiera une future guerre nucléaire quasi inévitable pour des raisons que j’ai déjà évoquées.

L’Éclaireur : Cette guerre est aussi une guerre de l’information, ce qui est somme toute normale de la part des États, pas des médias dont le rôle serait, si ce n’est de faire la part des choses, de présenter les deux faces… Or on voit que l’information, si elle n’est pas fausse, est très sélectionnée dans les mass médias en France … Même chose en Russie ?

Oleg Nesterenko : Ici, on parle beaucoup de la liberté de parole. Je l’observe depuis vingt-cinq ans et je peux vous affirmer que la liberté de parole en France n’existe pas. Enfin, tout le monde a la possibilité de dire vraiment tout et n’importe quoi. Mais ce n’est pas cela la véritable liberté de parole. Il y a une vraie liberté de parole que si elle est fondée sur une vraie liberté de pensée.

La différence entre la Russie et la France c’est qu’en France les «victimes» ne savent pas qu’elles sont des victimes. Elles pensent qu’elles bénéficient de la liberté de parole, qu’elles sont au courant de tout puisque tout le monde parle plutôt librement de tout. C’est complètement faux. Le danger existentiel à la liberté de pensée et à la liberté de parole qui en découle est, justement, dans la croyance ancrée du sujet en sa liberté.

Le système de la gouvernance occidentale est passé maître dans le domaine de la chirurgie esthétique profonde sur l’esprit des masses sans laisser la moindre cicatrice qui puisse trahir le laborieux travail du conditionnement informationnel réalisé au quotidien sur les cerveaux des victimes. La «libre» expression des sujets opérés qui en découle n’est que le récit préformaté et préconditionné, le comportement individuel et collectif étant aligné sur les besoins des gouvernants.

Il ne faut pas oublier que les médias français sont grandement financés par l’appareil d’État. J’ai rencontré des responsables de médias en tête-à-tête qui m’ont dit ne pouvoir en aucun cas se permettre de dire tout ce qu’ils veulent, surtout en matière de politique étrangère gouvernementale, sans risquer de perdre les subventions qu’ils reçoivent de l’État. C’est aussi simple que cela.

Sans parler que la majorité écrasante des médias qui parlent des sujets internationaux n’ont strictement aucune réelle idée de ce dont ils parlent, car ils n’ont aucun de leurs correspondants sur place. Et ceux qui vont parler savent déjà ce qu’ils vont raconter avant même d’y aller.

Pour remplir leurs pages, les autres ne font qu’acheter les informations à des structures comme l’Agence France Presse, un organisme financé par l’État à hauteur de plus de 100 millions d’euros par an, soit un tiers de son chiffre d’affaires. L’AFP qui n’est qu’un centre de relais de la propagande étatique. À combien s’élèvera sa dotation d’État s’ils osent un jour ignorer la volonté de l’Elysée sur des informations traitant de politique étrangère ?

Joseph Goebbels, le patron de la propagande du 3e Reich, disait : «le mensonge dit une fois reste un mensonge ; le mensonge dit dix fois reste un mensonge ; le mensonge dit mille fois devient une vérité».

Comme je l’ai toujours dit à mes étudiants par le passé : pour avoir ne serait-ce que le début de l’aperçu de la vérité, vous devez consulter, au moins, trois sources d’information «amies», trois sources «ennemies» et trois sources neutres.

La liberté de pensée n’existe pas en Occident, car les mêmes informations répétées en écho sont prises pour de la vérité. Si l’oppression dans les dictatures se fait «à la hache», et c’est donc visible, gros comme une maison, en Occident, elle se fait «au scalpel», car il est important de faire croire aux électeurs à l’illusion qu’ils disposent de la liberté de parole basée sur la liberté de pensée. Les médias occidentaux font un excellent travail d’illusionniste. Moi qui aime le cirque, je ne peux que les applaudir.

Quand, dans quelques mois ou quelques années, il s’avèrera que les informations diffusées par les médias ont été de purs mensonges, cela n’aura plus aucune importance : le projet sera déjà réalisé et classé.

En Russie, du fait que du temps de l’Union soviétique un seul organe décidait qui va dire quoi, les Russes sont naturellement méfiants vis-à-vis des flux d’informations. Ils savent très bien que ce qu’ils entendent sur les chaines ou ce qu’ils lisent dans les journaux subventionnés par l’État n’est que la version officielle et qu’elle est toujours à nuancer. Et, surtout, les Russes ont une véritable alternative dans leurs sources. Concernant la guerre en Ukraine, les Russes, par exemple, ont une parfaite liberté et possibilité de consulter les informations ukrainiennes, car une partie relativement importante de leurs médias sont en langue russe. Les Russes ont donc accès aux informations des deux côtés des barricades.

En Russie, peu de monde consulte la presse occidentale à cause de la barrière de la langue, mais le choix entre les médias d’État, les médias alternatifs, les médias de l’opposition et les médias ukrainiens est très important. Ainsi, le Russe moyen dispose d’un choix d’information plus important que le Français moyen. Et quand les Russes prennent des positions arrêtées, c’est bien en parfaite connaissance de cause.

L’Éclaireur : Parce qu’il n’y aurait pas de lavage de cerveau en Russie ?

Oleg Nesterenko : En e qui concerne la Russie – on vient de faire le tour de la réalité. Sans reparler du lavage de cerveaux institutionalisé en France, dont l’unique information relayée par les mass-médias est celle imposée par le camp «macroniste», si vous voulez parler du lavage de cerveau – il faut se tourner vers l’Ukraine. Je vous donne un exemple tangible sur l’Ukraine. Quand j’ai parlé des réfugiés de l’est de l’Ukraine, âgés de plus de 45 ans et qui sont en grande partie pro-russes, il faut bien dire que c’est tout à fait différent pour les moins de 30 ans.

Depuis la disparition de l’Union soviétique, il y a un gigantesque lavage de cerveau institutionnalisé de la part de l’État ukrainien. Et ce lavage de cerveau s’est accéléré d’une manière exponentielle dès 2014. À l’école ukrainienne, tous les manuels ne sont pas juste patriotiques, mais bien ultra-nationalistes. Comme le disait bien Romain Gary : «le patriotisme, c’est l’amour des siens ; le nationalisme, c’est la haine des autres». Si vous prenez un manuel de l’histoire ukrainienne, je vous assure que vous allez avoir les cheveux qui se dressent sur la tête – si vous êtes une personne raisonnable – car vous allez y trouver, par exemple, que les légions de la Waffen-SS sont des héros et que les Français sont, en fait, les descendants des Ukrainiens. Que si les Français de l’Antiquité s’appelaient les Gallois, c’est parce qu’ils sont originaires de la région de l’ouest de l’Ukraine qui s’appelle la Galicie. Non, ce n’est pas le délire d’un malade mental échappé d’un asile. C’est l’extrait d’un manuel officiel de l’histoire de l’Ukraine imprimé par le ministère de l’Éducation nationale de l’Ukraine. C’est exactement cela l’éducation nationale ukrainienne, surtout depuis 2014.

Je vous donne également l’exemple d’une famille de réfugiés d’Odessa, dont la mère âgée de moins de 50 ans est une amie et que je fais loger dans un de mes appartements près de Paris. Si elle et son mari, qui est resté bloqué en Ukraine, sont foncièrement pro-russes et haïssent le régime criminel de Kiev, leurs deux enfants âgés de 18 et 23 ans sont des russophobes et admirateurs des mouvances ultra-nationalistes ukrainiens. Et ils vivent dans la même pièce. Ayant des rapports tout à fait sains au sein de leur famille, les enfants sont, néanmoins, en totale opposition politique avec leurs parents. Et ces derniers me disent qu’il n’y a strictement rien à faire : l’école ukro-nationaliste a lavé les cerveaux de leurs enfants du matin au soir durant leurs dix années d’études. C’est devenu une maladie incurable.

L’Éclaireur : Va-t-on vers une recomposition de l’ordre mondial que l’on voyait jusque-là dominé par les États-Unis ? De nouveaux équilibres sont-ils en train de se mettre en place ?

Oleg Nesterenko : Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les tentatives de résolution des conflits majeurs passent toujours par les Nations unies, par le Conseil de sécurité. Jusqu’à présent, cela a plutôt marché. Mais aujourd’hui, il y a une très profonde recomposition de l’échiquier politique international et les institutions internationales qui ont été viables et fiables ne le sont plus.

Il est peu probable que, dans les années à venir, ces institutions auront leur mot à dire, surtout d’une manière décisive. Quant à la recomposition de blocs, elle est assez relative. Le bloc occidental restera le bloc occidental. Personne ne va y rentrer et je ne vois pas, à moyen terme au moins, quelqu’un en sortir. Les pays non occidentaux qui sont aujourd’hui sollicités par l’Occident collectif pour qu’ils prennent des positions hostiles à la Russie et, parallèlement, contre la Chine, comprennent parfaitement qu’ils ne font pas partie du camp occidental et ne sont que des outils.

Au début du conflit, face à la pression, le président pakistanais a répondu plus que clairement : «Nous ne sommes pas vos esclaves !». Il a dit à vive voix ce que les autres pensent, mais ne disent pas.

Les pays non occidentaux qui signent le projet américain ne le font que sous pression, parce qu’il y a toujours des intérêts derrière. Il y a notamment les prêts étatiques des institutions financières internationales contrôlées par l’Occident. Beaucoup de pays en voie de développement ne peuvent pas se permettre le luxe d’aller à contre-courant de la volonté des puissances occidentales.

Depuis février 2022 et la levée des masques des acteurs majeurs sur la scène politique internationale, le processus de recomposition de l’ordre mondial s’accélère. Ce processus ne date nullement d’hier. Néanmoins, il y a une nette accélération avant tout non pas culturelle ou religieuse, mais idéologique, du monde occidental vis-à-vis du monde non-occidental.

La Russie a proposé une réelle alternative aux représentants du monde non-occidental et cette alternative n’est pas basée sur l’entrée dans un nouveau bloc, mais sur les relations bilatérales, multilatérales et sur le principe de la non-ingérence. Si les experts occidentaux ont envie de me contredire, je les invite d’abord à fermer leurs bouches et ouvrir leurs oreilles – ce qu’ils ont souvent du mal à faire – et écouter attentivement les réactions du monde non-occidental. Ecouter, même si, traditionnellement, ils considèrent les habitants de ce qu’ils appellent avec mépris le «tiers monde», comme plus bêtes qu’eux. Ainsi, ils apprendront beaucoup de choses sur le sujet.

L’Éclaireur : La Russie au Soudan fait partie de cette stratégie de consolidation de ce camp non-occidental ?

Oleg Nesterenko : Le Soudan est une question à part. Dans ce pays, la Russie a le projet d’une nouvelle base navale militaire russe qui sera la première, en dehors de la Russie, à ouvrir depuis la disparition de l’Union soviétique.

Les négociations entre Moscou et Khartoum ne datent pas d’hier. En 2017, l’ancien président soudanais, Omar el-Bechir, avait demandé la protection de la Russie contre les États-Unis. Il avait également demandé un partenariat militaire qui incluait la création d’une base navale.

On parle beaucoup du bellicisme du Kremlin, le méchant face aux gentils. J’aimerais un peu éclairer avec des faits ceux qui sont endoctrinés par la propagande atlantiste, même si je reste néanmoins très sceptique quant au résultat, car je dois reconnaitre l’efficacité du lavage de cerveaux par les mass médias occidentaux qui sont passés maîtres dans ce domaine.

Avant le déclenchement de la phase active des hostilités américaines contre la Russie qui dure depuis plus de dix ans, Moscou avait une politique plus que pacifiste. En 2002, la Russie a fermé sa base militaire à Cuba. La même année, elle a fermé sa base navale au Vietnam. Les bases militaires russes en Géorgie ont été fermées. La présence militaire au Kosovo, comme en Azerbaïdjan, a été supprimée. Jusqu’au déclenchement des hostilités par les Occidentaux contre la Syrie, la présence russe sur la base navale syrienne de Tartous, qui existe depuis les années 70, était vraiment symbolique.

Le traité sur les forces armées conventionnelles en Europe (FCE), signé en 1990 à Paris, a été respecté par la Russie malgré les graves violations par l’OTAN. Et ce n’est qu’en 2007, quand il n’a été plus possible de tolérer les agissements illégaux de l’OTAN que la Russie a gelé sa participation, sans pour autant le quitter. Drôle de stratégie pour quelqu’un qui ne rêve que d’envahir les autres.

À souligner que ce n’est pas une Russie abstraite qui a supprimé toute cette présence militaire en dehors de ses frontières, mais vous savez qui ? Le grand méchant Poutine en personne.

Les prétendus experts du camp «atlantiste» peuvent raconter autant de balivernes qu’ils veulent à leur public naïf et crédule, les faits sont têtus. Jusqu’au moment où Poutine a compris que l’Occident américano-centrique n’a strictement aucune autre intention vis-à-vis de la Russie que de l’affaiblir au maximum, il était très ouvert et plus qu’amical envers ce dernier.

Ce n’est qu’en constatant que malgré ses efforts tout au long des années pour développer des liens de bonne entente et de collaboration constructive, que l’Occident devenait de plus en plus agressif – une désillusion suivie d’une profonde réévaluation des rapports a eu lieu chez le chef de l’état russe.

La base navale au Vietnam a été rouverte. La base navale délabrée en Syrie a été élargie, renforcée et modernisée avec plus de 500 millions de dollars d’investissement. Très récemment, le 10 mai dernier, la Russie a quitté le FCE, dont elle avait gelé sa participation depuis 2007. Cette fois, elle le quitte définitivement, car le bénéfice du doute n’est plus possible quant à l’arrêt de sa violation par l’OTAN, violation qui perdure depuis plus de vingt ans.

Et le projet de la nouvelle base des forces navales russes à Khartoum au Soudan a vu le jour.

L’Éclaireur : Comme la base navale de Sébastopol, le Soudan est un point stratégique ?

Oleg Nesterenko : Il ne faut pas oublier que la mer Rouge est déjà contrôlée par l’Occident. Il y a les États-Unis, la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Italie. Ainsi que le Japon et la Chine a également depuis 2017 une base militaire navale à Djibouti. Cette présence occidentale est logique au titre de la sécurisation de la zone de la mer Rouge, du Golfe d’Aden et du contrôle d’accès à l’océan Indien, vu les flux commerciaux et militaires qui y transitent.

Les intérêts économiques de la Russie dans la région sont importants. Les Russes n’oublient pas non plus que les Américains ont également une base militaire à Diego Garcia dans l’océan Indien. Alors, l’intérêt stratégique de leur présence militaire au Soudan est parfaitement légitime.

Le projet au Soudan fait partie de la nouvelle doctrine militaire qui élargit la présence navale russe de par le monde depuis le début de la guerre en Ukraine.

Comme je le disais, les premiers accords russo-soudanais datent de 2017. Ensuite, avec le renversement en 2019 d’Omar el Bachir, avec l’aide bienveillante de nos amis américains, ils risquaient d’être annulés. Depuis, un nouveau gouvernement a été nommé, et, malgré les pressions très importantes des États-Unis, l’accord russo-soudanais a été reconfirmé. Ce gouvernement provisoire a été renversé à son tour. Mais cela n’a pas changé grand-chose. L’accord n’a non seulement pas été annulé mais, après une renégociation, définitivement confirmé et officialisé.

Au Soudan, la Russie a toujours eu pour principe d’une part, de construire des relations positives et constructives avec tous les acteurs majeurs de la politique soudanaise et non seulement avec la personne du chef de l’État et, d’autre part, de ne pas s’ingérer dans la politique intérieure du pays. Aujourd’hui, nous avons deux acteurs majeurs de la politique soudanaise qui sont en confrontation : le général Fattah al-Burhan face au général Hamdan Dogolo. Mais, malgré tout ce qui se passe sur le terrain, je ne considère pas que le projet de base navale russe soit en grand danger. Car il est trop bénéfique pour le Soudan, peu importe qui sera au gouvernail du pays demain.

Un tel projet ne pourrait être annulé que par une meilleure et sérieuse contre-proposition. Or, les Américains n’ont jamais rien proposé à Khartoum hormis leurs menaces traditionnelles de punir le pays pour leur partenariat avec les Russes.

Dans tous les cas de figure, selon le droit international, un accord doit être ratifié pour entrer en vigueur. Si l’accord sur la base navale a été officialisé en janvier 2023 après des années de négociations, la ratification ne peut avoir lieu qu’à l’installation d’un gouvernement civil et d’un organe législatif, ce qui n’est pas envisageable à court terme. Néanmoins, selon les informations dont je dispose, le projet n’est nullement caduc et verra le jour quand la situation politique soudanaise se stabilisera.

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