18 juin 2023

Échec de la contre-attaque ukrainienne

Les 4 et 5 juin, l’armée ukrainienne lançait sa contre-offensive annoncée depuis longtemps dans le sud-est de l’Ukraine. Dix jours plus tard, aucun progrès significatif n’a été enregistré.

Ce n’est pas le résultat auquel s’attendaient les propagandistes de guerre :

Le général Petreus a parlé de la situation en Ukraine dans l’émission Today de la BBC Radio 4.

Il a déclaré à propos de la contre-offensive :

Je pense que cette contre-offensive sera très impressionnante.

J’ai l’impression qu’ils parviendront à combiner les effets des armes – en d’autres termes, ils mèneront avec succès des opérations combinées où les ingénieurs franchiront les obstacles et diffuseront les champs de mines, etc. ; les blindés les suivront de près, protégés par l’infanterie contre les missiles antichars ; la défense aérienne empêchera les avions russes de les atteindre ; la guerre électronique brouillera leurs réseaux radio ; la logistique les suivra de près ; l’artillerie et les mortiers les précéderont de près.

Et le plus important … c’est que lorsque les éléments de tête culminent inévitablement, après 72-96 heures, physiquement c’est à peu près tout ce que vous pouvez faire, et qu’ils auront subi des pertes … vous avez des unités de suivi qui vont pousser jusqu’au bout et capitaliser sur les progrès et maintenir l’élan et je pense que cela peut faire bouger toute la défense russe dans cette zone, puis je pense que vous avez d’autres opportunités qui s’ouvrent également sur les flancs.

Dans la réalité, les éléments de tête de l’attaque ukrainienne ont été massacrés. Ils ont “culminé“, c’est-à-dire qu’ils ont perdu leur capacité à mener d’autres attaques, en moins d’une journée :

Les hommes de la 37e brigade ukrainienne, fraîchement entraînés et équipés d’armes fournies par l’Occident, avaient pour mission d’effectuer une première poussée à travers le territoire occupé par la Russie, dans les premiers jours d’une contre-offensive attendue de longue date.

Ils allaient payer un lourd tribut.

Vingt minutes après leur avancée du 5 juin au sud de Velyka Novosilka, dans le sud-est de la région de Donetsk, des mortiers ont explosé tout autour d’eux, selon les soldats. Un soldat de 30 ans, connu sous le nom de Lumberjack, a vu deux des hommes dans son véhicule saigner abondamment ; l’un d’eux a perdu un bras et appelait sa famille. Lumberjack a rampé dans un cratère, mais les éclats d’un mortier ont traversé le sol et lui ont transpercé l’épaule.

“Nous avons été abandonnés sur le terrain, sans chars ni armures lourdes“, raconte Lumberjack, qui a parlé au Washington Post à la condition de n’être identifié que par son indicatif d’appel, car il n’était pas autorisé à parler de la bataille. “Nous avons été bombardés par des mortiers arrivant de trois côtés. Nous ne pouvions rien faire.”

L’unité comptait moins de 50 hommes et 30 d’entre eux ne sont pas revenus, tués, blessés ou capturés par l’ennemi. Cinq des véhicules blindés de l’unité ont été détruits au cours de la première heure.

Ceux qui ont formé ces unités ont commis de graves erreurs :

Pendant la première heure et demie de l’assaut du 37e près de Velyka Novosilka, les Russes ont sans arrêt bombardé l’unité avec des obus qui ont pénétré leurs véhicules blindés AMX-10 RC, selon Grey, un autre soldat du bataillon qui a parlé à la condition de n’être identifié que par son indicatif d’appel. Les véhicules blindés, parfois appelés “chars légers“, n’étaient pas assez épais pour protéger les soldats, a expliqué Grey, et ont dû être positionnés derrière eux plutôt que devant.

L’AMX-10 n’est pas un char et ne peut pas être utilisé comme tel. Il s’agit d’un véhicule de reconnaissance léger à roues construit par la France il y a 50 ans pour dominer les insurgés dans ses anciennes colonies africaines. L’une de ses principales caractéristiques est d’avoir une bonne vitesse en marche arrière. Cela lui permet de se dégager rapidement dès que des contre-forces sérieuses sont détectées.

La contre-attaque ukrainienne est désormais bloquée dans la zone de sécurité de la défense russe, à des kilomètres des véritables lignes de défense. Cette situation était prévisible.

Le manuel de terrain américain 100-2-1 décrit l’armée soviétique en défense (p. 93 et suivantes) :

Lorsque la défense est établie avant le contact avec l’ennemi, les Soviétiques établissent un échelon de sécurité jusqu’à 15 kilomètres en avant de la zone défensive principale. Les éléments qui composent l’échelon de sécurité proviennent du deuxième échelon de la division. Une force de sécurité pouvant atteindre la taille d’un bataillon peut être déployée devant chaque régiment du premier échelon.

Un plan de tir détaillé et coordonné est élaboré. Les armes sont positionnées de manière à ce que la quantité maximale de feu puisse être portée directement devant le [bord avant de la zone de combat]. Les pénétrations ennemies sont atténuées par le déplacement des tirs d’artillerie et par la conduite de contre-attaques.

L’armée ukrainienne a utilisé au moins quatre brigades pour son attaque. Au moins deux d’entre elles provenaient de la réserve de 12 brigades qui avait été constituée pour la contre-attaque. Avec des pertes de l’ordre de 30 %, les forces en présence ont été sérieusement malmenées pour un gain minime, voire nul :

Les Russes tentent d’infliger le plus de pertes et de détruire le plus de véhicules possibles dans une zone de combat située en avant de la ligne de défense principale, épuisant ainsi les forces ukrainiennes avant qu’elles ne l’atteignent. En fait, ils transforment la zone située devant la ligne de défense principale en une zone d’abattage.

Si la stratégie russe s’avère efficace, l’Ukraine pourrait perdre trop de ses troupes nouvellement formées – qui se comptent par dizaines de milliers – et trop de chars et de véhicules de combat d’infanterie pour pouvoir ensuite franchir la ligne principale.

Même si elles parviennent jusque-là, les forces pourraient être trop affaiblies pour se diriger vers le sud et contribuer à la réalisation d’un objectif majeur : couper le “pont terrestre” qui relie la Russie à la péninsule de Crimée occupée. Pour ce faire, elles devraient atteindre la mer d’Azov, située à environ 60 miles [200 km, NdT] de là.

Les forces ukrainiennes n’étaient manifestement pas entraînées pour cela. Elles ont également attaqué à trop d’endroits. La carte du haut montre des flèches d’attaque à sept endroits et dans quatre directions principales. Une ou deux directions d’attaque, avec des forces plus concentrées, auraient pu donner de meilleurs résultats.

Le président russe Poutine a récemment décrit les pertes ukrainiennes :

Je ne donnerai pas le nombre de pertes en personnel. Je laisserai le ministère de la défense le faire après avoir calculé les chiffres, mais la structure des pertes leur est également défavorable. Ce que je veux dire, c’est que sur l’ensemble des pertes en personnel – et elles approchent d’un nombre que l’on peut qualifier de catastrophique – la structure de ces pertes leur est défavorable. Car, comme nous le savons, les pertes peuvent être sanitaires ou irrémédiables. Habituellement, je crains de me tromper un peu, mais les pertes irrécupérables sont de l’ordre de 25 pour cent, maximum 30 pour cent, alors que leurs pertes sont presque de 50/50. C’est mon premier point.

Deuxièmement, si nous examinons les pertes irrécupérables, il est clair que la partie en position de défense subit moins de pertes, mais ce rapport de 1 à 10 est en notre faveur. Nos pertes représentent un dixième des pertes des forces ukrainiennes.

Le rapport quotidien russe fait état d’un total de quelque 10 500 victimes ukrainiennes, depuis le début de la contre-attaque.

On s’attend à une deuxième tentative d’envergure pour traverser la lisière avant de la zone de combat (FEBA) avec les forces ukrainiennes restantes, mais il est peu probable qu’elle ait un meilleur résultat. La contre-attaque ukrainienne, annoncée de longue date, se terminera probablement par de lourdes pertes ukrainiennes et aucun gain.

Cette situation ne tardera pas à devenir un énorme problème politique :

Alors qu’il s’apprête à entamer sa campagne de réélection l’année prochaine, Joe Biden a besoin d’une victoire majeure sur le champ de bataille pour montrer que son soutien inconditionnel à l’Ukraine a renforcé le leadership mondial des États-Unis, revigoré une politique étrangère forte bénéficiant d’un soutien bipartisan et démontré l’utilisation prudente de la puissance militaire américaine à l’étranger.

Un résultat confus de gains limités en Ukraine fournirait du grain à moudre à toutes les critiques et brouillerait davantage les eaux déjà troubles du débat de l’OTAN et de l’Union européenne sur la future position à adopter à l’égard de l’Ukraine et de la Russie. Un succès moins qu’écrasant augmenterait probablement aussi la pression de l’Occident pour pousser Kiev à négocier un règlement territorial qui pourrait ne pas être à son goût.

L’administration Biden ne peut pas faire grand-chose pour changer ce sombre tableau. Le Congrès l’empêchera probablement d’utiliser ouvertement l’armée américaine en Ukraine. Les alliés européens de l’OTAN ont maintenant vu ce que l’armée russe peut faire à ses ennemis. Ils ne seront pas enthousiastes à l’idée de voir leurs propres troupes subir le même sort.

Les négociations restent donc la seule issue possible.

La question pour la Russie est de savoir quand et avec qui. Des pourparlers avec la seule Ukraine, simple mandataire des États-Unis n’ayant pas vraiment voix au chapitre, seraient insuffisants. C’est le gouvernement américain qui doit accepter une nouvelle architecture de sécurité en Europe. Les conditions de paix posées par la Russie seront sévères et il faudra encore beaucoup de temps, et de nombreux Ukrainiens morts, avant que les États-Unis ne les acceptent.

Moon of Alabama

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone

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