Nous avons déjà abordé la situation en Asie Centrale et dans les Balkans, parce que ces zones présentent à la fois un réel potentiel conflictuel et des enjeux économiques dès lors qu’elles sont intégrées dans les schémas de transports entre l’Asie et la Baltique. Etant souvent d’anciennes républiques de l’URSS, les Etats qui composent ces régions sont particulièrement exposées aux actions de déstabilisation de l’Occident qui visent la Russie, en particulier l’ouverture d’un second front dans le Caucase du Sud. Tout cela en conformité avec les orientations du « Grand échiquier » de Zbigniew Brzeziński, avec son concept de « pivot stratégique », orientations elles-mêmes fondées sur la théorie géopolitique du « Heartland » développée par le britannique Mackinder. Il faut avoir ces notions en tête dans l’examen des situations et l’occasion nous en est donnée aujourd’hui avec l’interview de Hayk Ayvazyan, coordinateur du « Front antinazi » d’Arménie. Au passage, soulignons que la France ne sort pas grandie de cette interview …
À la demande de PolitNavigator, Hayk Ayvazyan commente ici la décision de Nikol Pashinyan de reconnaître le Haut-Karabakh comme partie intégrante de l’Azerbaïdjan. Il aborde notamment une question essentielle : comment la signature d’un « accord de paix », dont les termes sont fixés par l’Occident, menace à la fois les Arméniens et l’ensemble de la Transcaucasie.
PolitNavigator : Quel avis portez-vous sur la reconnaissance, par Nikol Pashinyan, de l’appartenance de l’Artsakh à l’Azerbaïdjan ? Si je ne me trompe pas, même avant la « Révolution de velours » de 2018, les forces libérales pensaient que la République du Haut-Karabakh était censée être un fardeau supplémentaire pour l’Arménie, l’empêchant de se développer et la maintenant isolée. Le Premier ministre n’a-t-il pas simplement rempli l’une de ses orientations de programme, profitant de la défaite lors de la guerre de 2020 ?
A.A : Pashinyan fait ce pour quoi il a été porté au pouvoir, c’est-à-dire la reddition complète du Karabakh, l’expulsion des Arméniens qui s’y trouvent, le tout pour ensuite blâmer Moscou pour la perte de l’Artsakh et, en conséquence, l’élimination de la présence militaire russe dans la région. Si nous rappelons les éléments de contexte, jusqu’en 2018, la Russie avait proposé de résoudre le problème par un compromis mutuel. L’idée était de rendre cinq régions à l’Azerbaïdjan, tandis que deux autres régions restaient sous le contrôle des Arméniens et qu’une connexion entre le Haut-Karabakh et l’Arménie était assurée. Le statut de l’Artsakh lui-même était reporté à l’avenir. Je pense que sous la pression des Américains, les autorités arméniennes n’ont pas accepté cette option, car cela résolvait en fait le conflit par un compromis mutuel. Or, l’Occident perdait ainsi une raison de provoquer une autre guerre aux frontières sud de la Russie. Aussi, en 2018, un parti appelé la « Révolution de velours » a été monté de toutes pièces, et Pashinyan a été porté au pouvoir, en étant censé résoudre ce problème en faveur des anglo-saxons. Mais il a dû le faire par la guerre, et non par des négociations pacifiques. Car c’est la guerre qui a fourni à l’Occident des outils supplémentaires pour agir dans le Caucase du Sud et déstabiliser la Russie. A un moment donné, selon moi, en 2019, Moscou a proposé à Pashinyan de résoudre le problème du Haut-Karabakh en rendant cinq districts, répétant son plan précédent. En principe, c’était une bonne option pour le Premier ministre, car il avait à l’époque une cote élevée, et le peuple aurait approuvé une telle solution au conflit, et ce sans hostilités. Cela aurait maintenu le statu quo, et le Karabakh serait resté sous notre contrôle. Or, la raison pour laquelle il ne l’a pas fait n’est pas claire. Car s’il avait mené à bien cette opération, après cela, son soutien aurait grimpé en flèche et il aurait alors assuré la préservation de son pouvoir pendant de nombreuses années. Manifestement, il n’en avait pas besoin. En réalité, il était engagé dans la mise en œuvre de l’ordre qui lui avait été donné par Washington. En résumé, les conséquences auxquelles on doit faire face aujourd’hui sont le résultat du rejet des propositions russes, exprimées avant et après 2018.
PN : Quelle est la réaction du public en Arménie même ? La majorité, même démoralisée, est-elle d’accord avec la reddition de l’Artsakh ?
AA : L’opposition dit qu’elle n’est pas d’accord avec cela. En pourcentage, je ne peux pas dire combien de citoyens approuvent ou désapprouvent. Très probablement, la majorité n’approuve pas, mais malheureusement, ce rejet de la partie principale se manifeste sous une forme passive. Autrement dit, il n’y a pas d’opposition active à ces processus, tout comme il n’y a pas de masse critique qui changerait l’agenda public ainsi que la communication vers d’autres solutions.
Existe-t-il des forces politiques prêtes à aller à l’encontre de la décision du gouvernement ?
A mon avis, les forces politiques de l’opposition ont commis une grave erreur au cours des trois dernières années. Lorsqu’une trêve a été signée le 9 novembre 2020, sous la médiation de la Russie, ils ont commencé – très probablement à la suggestion des Américains – à y coller le stigmate « acte de reddition». Malheureusement, cette étiquette était également attachée à d’autres déclarations impliquant Moscou. Bien que dans la déclaration tripartite elle-même du 9 novembre, le nom du Haut-Karabakh soit mentionné à plusieurs reprises. Ce qui en fait une zone reconnue. Certes, le statut n’est pas défini, mais une telle entité est reconnue par tout le monde, et d’ailleurs elle est indiquée à quatre reprises comme telles. De plus, si on le compare à la définition classique de ce qu’est une reddition, alors, quel que soit l’angle avec lequel on l’aborde, cet accord ne correspond pas à une reddition et ce en aucune manière. Par conséquent, en faisant de cette déclaration un symbole négatif, l’opposition a poussé Pashinyan dans les bras de Washington. A son tour, elle a, consciemment ou non, déplacé l’agenda des accords tripartites – qui tournaient autour de la délimitation, de la démarcation et de l’ouverture des voies de communication – vers la signature d’un accord de paix. Bien qu’il n’ait pas été question de médiation russe sur la conclusion d’un traité de paix à l’époque.
Et la position de Moscou ?
Moscou a déclaré qu’il était prématuré de conclure un traité de paix, car il existe de nombreux problèmes non résolus. Et il faut d’abord tous les surmonter afin qu’un accord puisse être conclu au maximum sur la base d’un compromis mutuel et des intérêts de toutes les parties. Mais puisque « l’acte de reddition » a été fait à partir de la déclaration du 9 novembre 2020, cela a provoqué dans l’esprit des gens une perception négative, et ce de façon permanente. Et l’opposition, au lieu de maintenir Pashinyan dans le cadre du processus tripartite, l’a poussé à l’Ouest. Les Américains, pour leur part, en ont profité et ont simplement déplacé la question des discussions trilatérales vers le domaine des négociations sur la conclusion d’un accord de paix. Et en vertu de cet accord, l’Arménie reconnaît déjà le Haut-Karabakh comme faisant partie de l’Azerbaïdjan. Par conséquent, Washington a réussi à modifier l’agenda et à imposer son plan à Pashinyan. Désormais, il y a vraiment une menace que ce traité de paix soit signé prématurément. On reconnaîtra ainsi que l’Artsakh devient azerbaïdjanais, mais sans résoudre les problèmes aigus qui vont donc persister.
PN : Est-il possible de considérer que lorsque Pashinyan a accepté toutes les conditions de Bakou, au sommet de Prague en octobre de l’année dernière, c’était déjà une capitulation ?
AA : A partir de ce sommet, je note que toutes les négociations ont commencé avec la participation de l’Occident. Lorsque les négociations étaient médiatisées par la Russie, aucun traité de paix n’avait été du tout mentionné. Mais dès que les autorités sont allées discuter des problèmes à Bruxelles et à Washington, elles ont commencé à discuter d’un accord réellement inégal.
PN : Dans cette situation, pourquoi Nikol Pashinyan exige des États-Unis, de l’UE, de l’OSCE et d’autres institutions internationales, certaines garanties pour les résidents d’Artsakh ? Et ces garanties sur le papier de Washington, Bruxelles ou Paris arrêteront-elles Bakou ? En fait, qu’est-ce qui attend en réalité, selon vous, les habitants de cette république ?
A.A : Tout d’abord Pashinyan ne demande rien. Mais l’UE et les États-Unis, eux, lui ont fixé une forme d’ultimatum. Ils lui ont dit : « Reconnaissez le Karabakh comme faisant partie de l’Azerbaïdjan, et nous vous garantissons sur parole que nous parlerons avec l’Azerbaïdjan afin qu’il assure la sécurité en Artsakh ». C’est tout ce qu’ils proposent. Mais compte tenu de la politique que l’Occident mène, sur les dix dernières années pratiquement partout dans le monde, et sachant que cela a conduit à de nombreuses guerres, souffrances et morts, il est clair que toutes ces promesses sont basées sur la « parole d’honneur ». Ce qui signifie que Bakou fera le contraire. Par conséquent, cette situation menace les Arméniens du Haut-Karabakh de génocide au pire et de déportation au mieux. Et comme l’Occident mène une politique unilatérale pour ne plaire qu’à l’Azerbaïdjan, Bakou profite de la situation pour régler enfin ce dossier. La Russie, comme nous le savons, a proposé un « juste milieu » et un compromis, sur la base desquels il était possible de parvenir à un règlement pacifique et définitif. C’est là que réside la différence dans l’approche.
PN : Selon certaines déclarations, le Premier ministre de l’Arménie ne veut pas signer un accord de paix avec la médiation de la Russie, mais uniquement sur la plate-forme de l’UE et avec la participation de son principal allié, en la personne du président Macron. Est-ce vrai ? Et que signifiera cet accord pour le peuple arménien ?
AA : Soyons clairs : cet accord de paix est dirigé principalement contre la Russie. Les Arméniens du Haut-Karabakh sont sacrifiés pour retirer d’abord les casques bleus d’Artsakh, puis la base militaire russe d’Arménie. Par la suite – et d’ailleurs ces processus sont déjà en cours – Erevan améliorera ses relations avec Ankara. Ainsi, il sera déclaré qu’il n’y a aucune menace de la Turquie contre l’Arménie et, par conséquent, la base militaire russe ne sera plus nécessaire. Autrement dit, c’est le processus d’expulsion de la présence militaire russe du Caucase du Sud dont il est question. Mais si cela se produit, alors ce sera, soit le début d’un génocide direct, soit la « turquification » des Arméniens ainsi que la transformation du pays en un vilayat turc : une colonie qui finira par se vider en raison du déclin de la population. C’est exactement ce que veut l’Occident
Oui, mais pour la France ?
La France se comporte en cela comme la dernière « prostituée », poussant le peuple arménien à cette décision. A Paris, ils se font passer pour nos amis, mais en fait ils jouent un rôle d’instigateurs pour attirer les Arméniens dans un piège, afin que ceux-ci abandonnent la Russie et signent ainsi leur propre arrêt de mort. L’élite française a toujours été comme ça. Au début du XXe siècle, elle a promis d’apporter son aide, et à la fin, non seulement elle ne l’a pas fait, mais elle-même a pris part à certains processus qui ont conduit au génocide arménien et à la perte de nos terres. Certes, tous les processus, à l’époque, étaient dirigés par la Grande-Bretagne, mais la France y a participé. Maintenant, ce sont les États-Unis qui pilotent.
PN : Un point important de l’accord sera également le libre passage pour l’Azerbaïdjan le long du corridor de Zangezur. Est-ce que cela ne signifiera pas le rejet d’une partie du territoire du sud de l’Arménie ?
AA : Premièrement, l’Azerbaïdjan a toujours déclaré qu’il voulait ouvrir le corridor de Zangezur, bien qu’il n’y ait pas un tel concept dans les accords trilatéraux négociés par la Russie. Au contraire, la partie russe a déclaré à plusieurs reprises que nous parlons d’ouvrir des communications qui fonctionneront selon les lois de la partie où elles passent. C’est-à-dire qu’on ne parle d’aucun corridor extraterritorial, et cette question n’est même pas discutée. Mais ce qu’Ilham Aliyev appelle le couloir de Zangezur est plutôt destiné à un usage interne. Même si une petite route s’ouvre à travers le territoire arménien sous le contrôle et les lois de la république, l’Azerbaïdjan l’appellera toujours le « couloir de Zangezur ». Parce qu’ils ont initialement placé la barre très haut et se considèrent comme les vainqueurs de la guerre. En fait, un tel couloir n’est pas prévu. L’ouverture des communications est en cours de discussion, et cela fonctionnera dans le cadre de la législation arménienne. Tout cela a été confirmé lors de la dernière réunion à Moscou. Naturellement, l’UE et les États-Unis souhaitent disposer d’un tel corridor extraterritorial, qui devrait relier l’Asie centrale à la Turquie. Ainsi, les Américains et l’OTAN auraient la possibilité d’entrer sans entrave dans la région d’Asie centrale, d’étendre leur influence, de rapprocher leurs infrastructures de la Chine, tout en augmentant simultanément la pression des républiques d’Asie centrale sur la Russie. Par conséquent, dans une déclaration du 9 novembre 2020, il est dit que si les communications s’ouvrent, le FSB de Russie les contrôlera. Par conséquent, l’Occident n’est pas satisfait de cet état de fait et rêve d’un corridor libre afin d’interférer avec d’autres projets de transport importants pour la Russie. Par exemple, le Corridor Nord-Sud. Bien sûr, si la base militaire russe est retirée, l’Arménie se transformera en une colonie américaine, puis les autorités d’Erevan accepteront n’importe quoi.
PN : Quel est le rôle, l’objectif de l’UE et de l’Occident dans ce lancement du corridor ?
AA : Il y a 103 ans, la Grande-Bretagne prévoyait de créer une confédération des trois républiques du Caucase du Sud, qui, au moment opportun, pourrait être utilisée pour une guerre contre la Russie. Un siècle plus tard, ces plans n’ont pas changé. Autrement dit, l’objectif de l’Occident, en plus de reconnaître le Haut-Karabakh comme faisant partie de l’Azerbaïdjan, est de retirer la présence militaire russe de la région. Mais, bien sûr, cela ne s’arrêtera pas là. Car ensuite, l’Occident passera alors à la phase suivante : préparer le Caucase du Sud à une guerre contre la Russie. En fait, cela suit l’exemple de l’Ukraine qui était également préparée au conflit. Le même scénario sera mis en œuvre ici. C’est très probablement pour cela qu’ils essaieront de changer la direction actuelle de la Géorgie. Les forces radicales pro-occidentales de Tbilissi deviendront les chefs d’un tel conflit armé. Autrement dit, dès que la présence militaire russe sera éliminée et que les Américains résoudront le problème avec l’Iran afin qu’il n’interfère pas avec cela, l’Occident créera un poing du Caucase du Sud et frappera la Fédération de Russie. Il faut donc comprendre que selon les plans de l’Occident, les Arméniens, les Géorgiens et les Azerbaïdjanais devront se battre contre les Russes dans une seule formation. Bien sûr, je ne prétends pas que ces plans sont mis en œuvre, mais des travaux dans ce sens sont en cours. Soit dit en passant, pendant de nombreux mois, des généraux américains se sont rendus à la fois en Arménie et en Azerbaïdjan, essayant de pousser Erevan vers un tel choix. De plus, nos fonctionnaires du ministère de la Défense voyagent tout le temps en Europe, notamment au siège de l’OTAN, dans les bureaux de la CIA, du MI6, etc. Cela suggère que le problème est en train d’être résolu. D’un autre côté, je n’exclus pas que Pashinyan lui-même comprenne qu’après avoir signé le traité de paix, personne n’aura besoin de lui. En conséquence, l’Occident peut le sacrifier et le remplacer par un autre, qui achèvera déjà tout le processus. Aujourd’hui, Pashinyan n’est nécessaire que pour effectuer ce sale boulot. A cet égard, il pourrait bien commencer à manœuvrer et retarder la signature de l’accord.
PN : Quelle sera la réaction de l’Iran à une telle capitulation d’Erevan et à l’arrivée de l’OTAN à ses frontières nord ? Y a-t-il une menace pour les routes de transport iraniennes, et même pour la route logistique nord-sud russe ?
A.A : Si vous regardez les faits d’un point de vue économique, alors cette guerre de 2020 était dirigée, entre autres, contre les corridors de transport qui profitent à la Russie, c’est-à-dire le Nord-Sud. En fait, aujourd’hui, lorsque l’Azerbaïdjan a envahi l’Arménie dans certaines régions, il a ainsi fermé la possibilité que ces voies de transport traversent le territoire de la république. Mais d’un autre côté, nous voyons qu’il y a eu récemment un accord entre Téhéran et Moscou sur la construction de la section manquante des voies ferrées, qui sont situées sur le territoire de l’Iran et traversent les terres de l’Azerbaïdjan et vont en Russie. Naturellement, l’Occident essaie d’empêcher ce projet. Et les autorités iraniennes ont déclaré à plusieurs reprises qu’elles étaient contre l’ingérence occidentale dans les affaires du Caucase du Sud et que les discussions sur la situation dans la région devraient avoir lieu au format 3 + 3, c’est-à-dire, d’une part l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Géorgie, et d’autre part, la Russie, l’Iran, la Turquie. C’est-à-dire sans la participation des États-Unis, de l’UE et des autres membres de l’OTAN. Mais comment l’Occident peut-il concrètement s’immiscer dans la mise en œuvre du projet Nord-Sud? Tout d’abord, ils peuvent provoquer un nouveau conflit arméno-azerbaïdjanais. C’est pourquoi Pashinyan n’est pas autorisé à signer un paquet de premiers secours de l’OTSC, qui vise à empêcher une escalade. Les Anglo-Saxons ne sont pas intéressés par cette organisation militaire venue résoudre des problèmes de controverses. Par conséquent, en raison de l’absence d’une mission de surveillance de l’OTSC, nous avons été témoins des derniers affrontements à la frontière entre les militaires arméniens et azerbaïdjanais et il y a eu des victimes. Et la deuxième façon que l’Occident peut utiliser est de provoquer un conflit entre l’Azerbaïdjan et l’Iran. Cela peut également interférer avec la route nord-sud. D’ailleurs, les Anglo-Saxons font maintenant pression sur Bakou pour que l’Azerbaïdjan rejoigne l’opération anti-iranienne. Il s’avère qu’une lutte acharnée se déroule actuellement et que l’Occident exerce simultanément une pression sur Bakou et sur Erevan afin de faire sauter cette région. En réponse, Moscou a récemment annoncé l’ouverture de son consulat à Syunik, dans le sud de l’Arménie. Un consulat iranien y a été ouvert, et maintenant Moscou et Téhéran tentent conjointement de contrecarrer ces plans afin que Washington ne puisse pas mettre le feu à la Transcaucasie.
PN : Pouvons-nous hypothétiquement supposer que des bases de l’OTAN apparaîtront si l’armée russe quitte Gyumri ?
AA : Naturellement, cela arrivera, puisque l’Occident, comme je l’ai déjà dit, préparera les républiques de Transcaucasie à une guerre contre la Russie. L’Arménie deviendra en ce sens un tremplin pour des frappes contre l’Iran et la Russie et pour la conduite de ses opérations militaires dans la région.
PN : Les idées de retour à l’état des frontières de 1991 deviennent populaires, y compris dans les négociations sur la délimitation des frontières de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan. Mais en même temps, ces idées ne mentionnent pas le statut du Nagorno – la République socialiste soviétique autonome du Karabakh -. Or, en cas de « traité de paix », la situation des Arméniens ne fera qu’empirer, car ils perdront leur république sur le territoire de l’Artsakh. Comment commenteriez-vous cela ?
AA : Aujourd’hui, ils essaient de résoudre l’intégrité territoriale de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan sur la base de ces cartes qui ont été compilées pendant l’Union soviétique, avec une précision qui détermine les frontières administratives de ces républiques soviétiques. La question de nos frontières dans le traité de paix lui-même est traitée sur cette base, approuvée par le gouvernement et conformément aux lois de l’URSS. Ce qui me suggère une question : pourquoi, alors, faut-il décider du statut du Haut-Karabakh dans le cadre du droit international, et non selon les lois de l’Union soviétique ? Après tout, en 1990, il y avait une loi sur la procédure de sécession d’une république de l’URSS. Il y était clairement indiqué que si une république décide de se séparer de l’Union, les entités autonomes en son sein ont également le droit d’organiser des référendums sur la sécession ou sur l’intégration dans l’Union. Il s’avère que nous définissons nos territoires selon les lois de l’URSS, mais pour une raison quelconque, le statut du Karabakh est décidé par certaines plateformes internationales. Il serait alors juste que tout soit réglé conformément aux lois de l’URSS. Revenons simplement au moment de 1991 et résolvons toutes les questions controversées conformément à la législation de l’époque, afin que personne ne se considère comme un perdant. Et pour la Russie, il serait également plus rentable de résoudre le problème par un compromis mutuel. Toutefois, un compromis ne peut survenir actuellement sur la base des propositions de l’Arménie moderne et de l’Azerbaïdjan actuel : aucune des deux parties n’accepte les demandes de la partie adverse. Il n’y a qu’une seule issue : appliquer les normes législatives de l’Union soviétique à l’ASSR du Haut-Karabakh, ce qui serait raisonnable.
PN : qu’en pense l’opposition en Arménie ?
AA : L’opposition arménienne n’adhère pas à cette position. Ses représentants délèguent la solution de cette question à certains organismes internationaux, alors que ces derniers n’agissent pas dans leur sens car ils reconnaissent l’Artsakh comme appartenant à l’Azerbaïdjan. Cependant, nous pouvons nous tourner vers la Russie pour qu’elle joue un rôle de médiateur, et ce en tant que successeur légal de l’URSS, et sur la base de ces lois et de cette justice, ce qui permettrait de parvenir à un accord final. Par conséquent, mon mouvement – le Front Antinazi d’Arménie – et moi-même faisons actuellement la promotion de cette solution, de telle sorte qu’en Arménie, l’on parle également du statut du Haut-Karabakh dans le cadre des lois soviétiques, et non dans le contexte du droit international, dont les institutions sont dans les mains de l’Occident et sont manipulées par lui. Dans le même temps, il est intéressant de noter que l’Azerbaïdjan moderne aujourd’hui, dans sa Constitution, ne se reconnaît pas comme le successeur légal de l’Azerbaïdjan soviétique, mais cherche à résoudre les problèmes de ses frontières selon les cartes de l’URSS sur la base de 1991. Mais pour le Karabakh, une sorte d’exception est faite. C’est là que réside la principale contradiction juridique du moment. Ceci dit, ni Bakou ni Erevan ne veulent en parler, car le fait que les lois de l’URSS aient été violées lors de sa dissolution est un tabou complet.
À la demande de PolitNavigator, Hayk Ayvazyan commente ici la décision de Nikol Pashinyan de reconnaître le Haut-Karabakh comme partie intégrante de l’Azerbaïdjan. Il aborde notamment une question essentielle : comment la signature d’un « accord de paix », dont les termes sont fixés par l’Occident, menace à la fois les Arméniens et l’ensemble de la Transcaucasie.
PolitNavigator : Quel avis portez-vous sur la reconnaissance, par Nikol Pashinyan, de l’appartenance de l’Artsakh à l’Azerbaïdjan ? Si je ne me trompe pas, même avant la « Révolution de velours » de 2018, les forces libérales pensaient que la République du Haut-Karabakh était censée être un fardeau supplémentaire pour l’Arménie, l’empêchant de se développer et la maintenant isolée. Le Premier ministre n’a-t-il pas simplement rempli l’une de ses orientations de programme, profitant de la défaite lors de la guerre de 2020 ?
A.A : Pashinyan fait ce pour quoi il a été porté au pouvoir, c’est-à-dire la reddition complète du Karabakh, l’expulsion des Arméniens qui s’y trouvent, le tout pour ensuite blâmer Moscou pour la perte de l’Artsakh et, en conséquence, l’élimination de la présence militaire russe dans la région. Si nous rappelons les éléments de contexte, jusqu’en 2018, la Russie avait proposé de résoudre le problème par un compromis mutuel. L’idée était de rendre cinq régions à l’Azerbaïdjan, tandis que deux autres régions restaient sous le contrôle des Arméniens et qu’une connexion entre le Haut-Karabakh et l’Arménie était assurée. Le statut de l’Artsakh lui-même était reporté à l’avenir. Je pense que sous la pression des Américains, les autorités arméniennes n’ont pas accepté cette option, car cela résolvait en fait le conflit par un compromis mutuel. Or, l’Occident perdait ainsi une raison de provoquer une autre guerre aux frontières sud de la Russie. Aussi, en 2018, un parti appelé la « Révolution de velours » a été monté de toutes pièces, et Pashinyan a été porté au pouvoir, en étant censé résoudre ce problème en faveur des anglo-saxons. Mais il a dû le faire par la guerre, et non par des négociations pacifiques. Car c’est la guerre qui a fourni à l’Occident des outils supplémentaires pour agir dans le Caucase du Sud et déstabiliser la Russie. A un moment donné, selon moi, en 2019, Moscou a proposé à Pashinyan de résoudre le problème du Haut-Karabakh en rendant cinq districts, répétant son plan précédent. En principe, c’était une bonne option pour le Premier ministre, car il avait à l’époque une cote élevée, et le peuple aurait approuvé une telle solution au conflit, et ce sans hostilités. Cela aurait maintenu le statu quo, et le Karabakh serait resté sous notre contrôle. Or, la raison pour laquelle il ne l’a pas fait n’est pas claire. Car s’il avait mené à bien cette opération, après cela, son soutien aurait grimpé en flèche et il aurait alors assuré la préservation de son pouvoir pendant de nombreuses années. Manifestement, il n’en avait pas besoin. En réalité, il était engagé dans la mise en œuvre de l’ordre qui lui avait été donné par Washington. En résumé, les conséquences auxquelles on doit faire face aujourd’hui sont le résultat du rejet des propositions russes, exprimées avant et après 2018.
PN : Quelle est la réaction du public en Arménie même ? La majorité, même démoralisée, est-elle d’accord avec la reddition de l’Artsakh ?
AA : L’opposition dit qu’elle n’est pas d’accord avec cela. En pourcentage, je ne peux pas dire combien de citoyens approuvent ou désapprouvent. Très probablement, la majorité n’approuve pas, mais malheureusement, ce rejet de la partie principale se manifeste sous une forme passive. Autrement dit, il n’y a pas d’opposition active à ces processus, tout comme il n’y a pas de masse critique qui changerait l’agenda public ainsi que la communication vers d’autres solutions.
Existe-t-il des forces politiques prêtes à aller à l’encontre de la décision du gouvernement ?
A mon avis, les forces politiques de l’opposition ont commis une grave erreur au cours des trois dernières années. Lorsqu’une trêve a été signée le 9 novembre 2020, sous la médiation de la Russie, ils ont commencé – très probablement à la suggestion des Américains – à y coller le stigmate « acte de reddition». Malheureusement, cette étiquette était également attachée à d’autres déclarations impliquant Moscou. Bien que dans la déclaration tripartite elle-même du 9 novembre, le nom du Haut-Karabakh soit mentionné à plusieurs reprises. Ce qui en fait une zone reconnue. Certes, le statut n’est pas défini, mais une telle entité est reconnue par tout le monde, et d’ailleurs elle est indiquée à quatre reprises comme telles. De plus, si on le compare à la définition classique de ce qu’est une reddition, alors, quel que soit l’angle avec lequel on l’aborde, cet accord ne correspond pas à une reddition et ce en aucune manière. Par conséquent, en faisant de cette déclaration un symbole négatif, l’opposition a poussé Pashinyan dans les bras de Washington. A son tour, elle a, consciemment ou non, déplacé l’agenda des accords tripartites – qui tournaient autour de la délimitation, de la démarcation et de l’ouverture des voies de communication – vers la signature d’un accord de paix. Bien qu’il n’ait pas été question de médiation russe sur la conclusion d’un traité de paix à l’époque.
Et la position de Moscou ?
Moscou a déclaré qu’il était prématuré de conclure un traité de paix, car il existe de nombreux problèmes non résolus. Et il faut d’abord tous les surmonter afin qu’un accord puisse être conclu au maximum sur la base d’un compromis mutuel et des intérêts de toutes les parties. Mais puisque « l’acte de reddition » a été fait à partir de la déclaration du 9 novembre 2020, cela a provoqué dans l’esprit des gens une perception négative, et ce de façon permanente. Et l’opposition, au lieu de maintenir Pashinyan dans le cadre du processus tripartite, l’a poussé à l’Ouest. Les Américains, pour leur part, en ont profité et ont simplement déplacé la question des discussions trilatérales vers le domaine des négociations sur la conclusion d’un accord de paix. Et en vertu de cet accord, l’Arménie reconnaît déjà le Haut-Karabakh comme faisant partie de l’Azerbaïdjan. Par conséquent, Washington a réussi à modifier l’agenda et à imposer son plan à Pashinyan. Désormais, il y a vraiment une menace que ce traité de paix soit signé prématurément. On reconnaîtra ainsi que l’Artsakh devient azerbaïdjanais, mais sans résoudre les problèmes aigus qui vont donc persister.
PN : Est-il possible de considérer que lorsque Pashinyan a accepté toutes les conditions de Bakou, au sommet de Prague en octobre de l’année dernière, c’était déjà une capitulation ?
AA : A partir de ce sommet, je note que toutes les négociations ont commencé avec la participation de l’Occident. Lorsque les négociations étaient médiatisées par la Russie, aucun traité de paix n’avait été du tout mentionné. Mais dès que les autorités sont allées discuter des problèmes à Bruxelles et à Washington, elles ont commencé à discuter d’un accord réellement inégal.
PN : Dans cette situation, pourquoi Nikol Pashinyan exige des États-Unis, de l’UE, de l’OSCE et d’autres institutions internationales, certaines garanties pour les résidents d’Artsakh ? Et ces garanties sur le papier de Washington, Bruxelles ou Paris arrêteront-elles Bakou ? En fait, qu’est-ce qui attend en réalité, selon vous, les habitants de cette république ?
A.A : Tout d’abord Pashinyan ne demande rien. Mais l’UE et les États-Unis, eux, lui ont fixé une forme d’ultimatum. Ils lui ont dit : « Reconnaissez le Karabakh comme faisant partie de l’Azerbaïdjan, et nous vous garantissons sur parole que nous parlerons avec l’Azerbaïdjan afin qu’il assure la sécurité en Artsakh ». C’est tout ce qu’ils proposent. Mais compte tenu de la politique que l’Occident mène, sur les dix dernières années pratiquement partout dans le monde, et sachant que cela a conduit à de nombreuses guerres, souffrances et morts, il est clair que toutes ces promesses sont basées sur la « parole d’honneur ». Ce qui signifie que Bakou fera le contraire. Par conséquent, cette situation menace les Arméniens du Haut-Karabakh de génocide au pire et de déportation au mieux. Et comme l’Occident mène une politique unilatérale pour ne plaire qu’à l’Azerbaïdjan, Bakou profite de la situation pour régler enfin ce dossier. La Russie, comme nous le savons, a proposé un « juste milieu » et un compromis, sur la base desquels il était possible de parvenir à un règlement pacifique et définitif. C’est là que réside la différence dans l’approche.
PN : Selon certaines déclarations, le Premier ministre de l’Arménie ne veut pas signer un accord de paix avec la médiation de la Russie, mais uniquement sur la plate-forme de l’UE et avec la participation de son principal allié, en la personne du président Macron. Est-ce vrai ? Et que signifiera cet accord pour le peuple arménien ?
AA : Soyons clairs : cet accord de paix est dirigé principalement contre la Russie. Les Arméniens du Haut-Karabakh sont sacrifiés pour retirer d’abord les casques bleus d’Artsakh, puis la base militaire russe d’Arménie. Par la suite – et d’ailleurs ces processus sont déjà en cours – Erevan améliorera ses relations avec Ankara. Ainsi, il sera déclaré qu’il n’y a aucune menace de la Turquie contre l’Arménie et, par conséquent, la base militaire russe ne sera plus nécessaire. Autrement dit, c’est le processus d’expulsion de la présence militaire russe du Caucase du Sud dont il est question. Mais si cela se produit, alors ce sera, soit le début d’un génocide direct, soit la « turquification » des Arméniens ainsi que la transformation du pays en un vilayat turc : une colonie qui finira par se vider en raison du déclin de la population. C’est exactement ce que veut l’Occident
Oui, mais pour la France ?
La France se comporte en cela comme la dernière « prostituée », poussant le peuple arménien à cette décision. A Paris, ils se font passer pour nos amis, mais en fait ils jouent un rôle d’instigateurs pour attirer les Arméniens dans un piège, afin que ceux-ci abandonnent la Russie et signent ainsi leur propre arrêt de mort. L’élite française a toujours été comme ça. Au début du XXe siècle, elle a promis d’apporter son aide, et à la fin, non seulement elle ne l’a pas fait, mais elle-même a pris part à certains processus qui ont conduit au génocide arménien et à la perte de nos terres. Certes, tous les processus, à l’époque, étaient dirigés par la Grande-Bretagne, mais la France y a participé. Maintenant, ce sont les États-Unis qui pilotent.
PN : Un point important de l’accord sera également le libre passage pour l’Azerbaïdjan le long du corridor de Zangezur. Est-ce que cela ne signifiera pas le rejet d’une partie du territoire du sud de l’Arménie ?
AA : Premièrement, l’Azerbaïdjan a toujours déclaré qu’il voulait ouvrir le corridor de Zangezur, bien qu’il n’y ait pas un tel concept dans les accords trilatéraux négociés par la Russie. Au contraire, la partie russe a déclaré à plusieurs reprises que nous parlons d’ouvrir des communications qui fonctionneront selon les lois de la partie où elles passent. C’est-à-dire qu’on ne parle d’aucun corridor extraterritorial, et cette question n’est même pas discutée. Mais ce qu’Ilham Aliyev appelle le couloir de Zangezur est plutôt destiné à un usage interne. Même si une petite route s’ouvre à travers le territoire arménien sous le contrôle et les lois de la république, l’Azerbaïdjan l’appellera toujours le « couloir de Zangezur ». Parce qu’ils ont initialement placé la barre très haut et se considèrent comme les vainqueurs de la guerre. En fait, un tel couloir n’est pas prévu. L’ouverture des communications est en cours de discussion, et cela fonctionnera dans le cadre de la législation arménienne. Tout cela a été confirmé lors de la dernière réunion à Moscou. Naturellement, l’UE et les États-Unis souhaitent disposer d’un tel corridor extraterritorial, qui devrait relier l’Asie centrale à la Turquie. Ainsi, les Américains et l’OTAN auraient la possibilité d’entrer sans entrave dans la région d’Asie centrale, d’étendre leur influence, de rapprocher leurs infrastructures de la Chine, tout en augmentant simultanément la pression des républiques d’Asie centrale sur la Russie. Par conséquent, dans une déclaration du 9 novembre 2020, il est dit que si les communications s’ouvrent, le FSB de Russie les contrôlera. Par conséquent, l’Occident n’est pas satisfait de cet état de fait et rêve d’un corridor libre afin d’interférer avec d’autres projets de transport importants pour la Russie. Par exemple, le Corridor Nord-Sud. Bien sûr, si la base militaire russe est retirée, l’Arménie se transformera en une colonie américaine, puis les autorités d’Erevan accepteront n’importe quoi.
PN : Quel est le rôle, l’objectif de l’UE et de l’Occident dans ce lancement du corridor ?
AA : Il y a 103 ans, la Grande-Bretagne prévoyait de créer une confédération des trois républiques du Caucase du Sud, qui, au moment opportun, pourrait être utilisée pour une guerre contre la Russie. Un siècle plus tard, ces plans n’ont pas changé. Autrement dit, l’objectif de l’Occident, en plus de reconnaître le Haut-Karabakh comme faisant partie de l’Azerbaïdjan, est de retirer la présence militaire russe de la région. Mais, bien sûr, cela ne s’arrêtera pas là. Car ensuite, l’Occident passera alors à la phase suivante : préparer le Caucase du Sud à une guerre contre la Russie. En fait, cela suit l’exemple de l’Ukraine qui était également préparée au conflit. Le même scénario sera mis en œuvre ici. C’est très probablement pour cela qu’ils essaieront de changer la direction actuelle de la Géorgie. Les forces radicales pro-occidentales de Tbilissi deviendront les chefs d’un tel conflit armé. Autrement dit, dès que la présence militaire russe sera éliminée et que les Américains résoudront le problème avec l’Iran afin qu’il n’interfère pas avec cela, l’Occident créera un poing du Caucase du Sud et frappera la Fédération de Russie. Il faut donc comprendre que selon les plans de l’Occident, les Arméniens, les Géorgiens et les Azerbaïdjanais devront se battre contre les Russes dans une seule formation. Bien sûr, je ne prétends pas que ces plans sont mis en œuvre, mais des travaux dans ce sens sont en cours. Soit dit en passant, pendant de nombreux mois, des généraux américains se sont rendus à la fois en Arménie et en Azerbaïdjan, essayant de pousser Erevan vers un tel choix. De plus, nos fonctionnaires du ministère de la Défense voyagent tout le temps en Europe, notamment au siège de l’OTAN, dans les bureaux de la CIA, du MI6, etc. Cela suggère que le problème est en train d’être résolu. D’un autre côté, je n’exclus pas que Pashinyan lui-même comprenne qu’après avoir signé le traité de paix, personne n’aura besoin de lui. En conséquence, l’Occident peut le sacrifier et le remplacer par un autre, qui achèvera déjà tout le processus. Aujourd’hui, Pashinyan n’est nécessaire que pour effectuer ce sale boulot. A cet égard, il pourrait bien commencer à manœuvrer et retarder la signature de l’accord.
PN : Quelle sera la réaction de l’Iran à une telle capitulation d’Erevan et à l’arrivée de l’OTAN à ses frontières nord ? Y a-t-il une menace pour les routes de transport iraniennes, et même pour la route logistique nord-sud russe ?
A.A : Si vous regardez les faits d’un point de vue économique, alors cette guerre de 2020 était dirigée, entre autres, contre les corridors de transport qui profitent à la Russie, c’est-à-dire le Nord-Sud. En fait, aujourd’hui, lorsque l’Azerbaïdjan a envahi l’Arménie dans certaines régions, il a ainsi fermé la possibilité que ces voies de transport traversent le territoire de la république. Mais d’un autre côté, nous voyons qu’il y a eu récemment un accord entre Téhéran et Moscou sur la construction de la section manquante des voies ferrées, qui sont situées sur le territoire de l’Iran et traversent les terres de l’Azerbaïdjan et vont en Russie. Naturellement, l’Occident essaie d’empêcher ce projet. Et les autorités iraniennes ont déclaré à plusieurs reprises qu’elles étaient contre l’ingérence occidentale dans les affaires du Caucase du Sud et que les discussions sur la situation dans la région devraient avoir lieu au format 3 + 3, c’est-à-dire, d’une part l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Géorgie, et d’autre part, la Russie, l’Iran, la Turquie. C’est-à-dire sans la participation des États-Unis, de l’UE et des autres membres de l’OTAN. Mais comment l’Occident peut-il concrètement s’immiscer dans la mise en œuvre du projet Nord-Sud? Tout d’abord, ils peuvent provoquer un nouveau conflit arméno-azerbaïdjanais. C’est pourquoi Pashinyan n’est pas autorisé à signer un paquet de premiers secours de l’OTSC, qui vise à empêcher une escalade. Les Anglo-Saxons ne sont pas intéressés par cette organisation militaire venue résoudre des problèmes de controverses. Par conséquent, en raison de l’absence d’une mission de surveillance de l’OTSC, nous avons été témoins des derniers affrontements à la frontière entre les militaires arméniens et azerbaïdjanais et il y a eu des victimes. Et la deuxième façon que l’Occident peut utiliser est de provoquer un conflit entre l’Azerbaïdjan et l’Iran. Cela peut également interférer avec la route nord-sud. D’ailleurs, les Anglo-Saxons font maintenant pression sur Bakou pour que l’Azerbaïdjan rejoigne l’opération anti-iranienne. Il s’avère qu’une lutte acharnée se déroule actuellement et que l’Occident exerce simultanément une pression sur Bakou et sur Erevan afin de faire sauter cette région. En réponse, Moscou a récemment annoncé l’ouverture de son consulat à Syunik, dans le sud de l’Arménie. Un consulat iranien y a été ouvert, et maintenant Moscou et Téhéran tentent conjointement de contrecarrer ces plans afin que Washington ne puisse pas mettre le feu à la Transcaucasie.
PN : Pouvons-nous hypothétiquement supposer que des bases de l’OTAN apparaîtront si l’armée russe quitte Gyumri ?
AA : Naturellement, cela arrivera, puisque l’Occident, comme je l’ai déjà dit, préparera les républiques de Transcaucasie à une guerre contre la Russie. L’Arménie deviendra en ce sens un tremplin pour des frappes contre l’Iran et la Russie et pour la conduite de ses opérations militaires dans la région.
PN : Les idées de retour à l’état des frontières de 1991 deviennent populaires, y compris dans les négociations sur la délimitation des frontières de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan. Mais en même temps, ces idées ne mentionnent pas le statut du Nagorno – la République socialiste soviétique autonome du Karabakh -. Or, en cas de « traité de paix », la situation des Arméniens ne fera qu’empirer, car ils perdront leur république sur le territoire de l’Artsakh. Comment commenteriez-vous cela ?
AA : Aujourd’hui, ils essaient de résoudre l’intégrité territoriale de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan sur la base de ces cartes qui ont été compilées pendant l’Union soviétique, avec une précision qui détermine les frontières administratives de ces républiques soviétiques. La question de nos frontières dans le traité de paix lui-même est traitée sur cette base, approuvée par le gouvernement et conformément aux lois de l’URSS. Ce qui me suggère une question : pourquoi, alors, faut-il décider du statut du Haut-Karabakh dans le cadre du droit international, et non selon les lois de l’Union soviétique ? Après tout, en 1990, il y avait une loi sur la procédure de sécession d’une république de l’URSS. Il y était clairement indiqué que si une république décide de se séparer de l’Union, les entités autonomes en son sein ont également le droit d’organiser des référendums sur la sécession ou sur l’intégration dans l’Union. Il s’avère que nous définissons nos territoires selon les lois de l’URSS, mais pour une raison quelconque, le statut du Karabakh est décidé par certaines plateformes internationales. Il serait alors juste que tout soit réglé conformément aux lois de l’URSS. Revenons simplement au moment de 1991 et résolvons toutes les questions controversées conformément à la législation de l’époque, afin que personne ne se considère comme un perdant. Et pour la Russie, il serait également plus rentable de résoudre le problème par un compromis mutuel. Toutefois, un compromis ne peut survenir actuellement sur la base des propositions de l’Arménie moderne et de l’Azerbaïdjan actuel : aucune des deux parties n’accepte les demandes de la partie adverse. Il n’y a qu’une seule issue : appliquer les normes législatives de l’Union soviétique à l’ASSR du Haut-Karabakh, ce qui serait raisonnable.
PN : qu’en pense l’opposition en Arménie ?
AA : L’opposition arménienne n’adhère pas à cette position. Ses représentants délèguent la solution de cette question à certains organismes internationaux, alors que ces derniers n’agissent pas dans leur sens car ils reconnaissent l’Artsakh comme appartenant à l’Azerbaïdjan. Cependant, nous pouvons nous tourner vers la Russie pour qu’elle joue un rôle de médiateur, et ce en tant que successeur légal de l’URSS, et sur la base de ces lois et de cette justice, ce qui permettrait de parvenir à un accord final. Par conséquent, mon mouvement – le Front Antinazi d’Arménie – et moi-même faisons actuellement la promotion de cette solution, de telle sorte qu’en Arménie, l’on parle également du statut du Haut-Karabakh dans le cadre des lois soviétiques, et non dans le contexte du droit international, dont les institutions sont dans les mains de l’Occident et sont manipulées par lui. Dans le même temps, il est intéressant de noter que l’Azerbaïdjan moderne aujourd’hui, dans sa Constitution, ne se reconnaît pas comme le successeur légal de l’Azerbaïdjan soviétique, mais cherche à résoudre les problèmes de ses frontières selon les cartes de l’URSS sur la base de 1991. Mais pour le Karabakh, une sorte d’exception est faite. C’est là que réside la principale contradiction juridique du moment. Ceci dit, ni Bakou ni Erevan ne veulent en parler, car le fait que les lois de l’URSS aient été violées lors de sa dissolution est un tabou complet.
Source : https://lecourrierdesstrateges.fr/2023/06/15/comment-loccident-prepare-les-republiques-du-caucase-du-sud-a-la-guerre-contre-la-russie-par-politnavigator/
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