31 mai 2023

Retraites : “Vas-y Yaël, montre-nous que tu es la cheffe !”


Pour ceux qui ne le savent pas, il existe, en France, une Présidente de l’Assemblée Nationale appelée Yaël Braun-Pivet, à l’incompétence de qui Macron doit une bonne partie de ses défaites politiques depuis mai 2022. Mal assurée, manquant de charisme et d’autorité naturelle, l’impétrante est, en quelques mois, devenue l’une des (voire la) Présidente(s) les plus répressives dans l’histoire de l’Assemblée. Elle a sanctionné à tour de bras des députés de l’opposition sous des prétextes tous les plus affligeants les uns que les autres (derniers en date : les députés LFI qui avaient chanté la Marseillaise après le déclenchement du 49-3 dans l’affaire des retraites), en garantissant une impunité certaine aux députés de la majorité. Face au président (LFI !) de la commission des Finances, Eric Coquerel, qui décide de ne pas déclarer irrecevable la proposition de loi LIOT abrogeant la réforme des retraites, la Présidente menace de prendre sa grosse voix et de faire le boulot elle-même. On demande à voir… et on s’amuse par avance du résultat.

On devrait beaucoup s’amuser dans les jours à venir, après la décision que Yaël Braun-Pivet devrait prendre, pour plaire à son maître Emmanuel Macron, de déclarer irrecevable la proposition de loi LIOT, probablement soutenue par une majorité de députés décidés à infliger une défaite au Président, abrogeant la réforme des retraites. Nous vous évoquons régulièrement cette question depuis plusieurs semaines, en vous annonçant que les macronards devraient, après avoir beaucoup hésité et après s’être activement lancé la patate chaude, empêcher coûte-que-coûte le vote. C’est bien connu, la démocratie consiste à empêcher de voter ! Et comme Emmanuel Macron a consacré de nombreux discours destinés à nous élever dans la compréhension de ce qu’est la vie démocratique, nous avons fini par bien comprendre que la dictature, c’est la liberté, et que la liberté, c’est la dictature !

Pour ceux qui auraient besoin d’une nouvelle explications, Yaël Braun-Pivet devrait s’y consacrer. 

Une proposition de loi irrecevable, vraiment ?

L’argument officiel de la majorité macronarde pour déclarer la proposition LIOT irrecevable tient tout entier à l’article 40 de la Constitution : le Parlement ne peut proposer un texte qui plombe les comptes publics. Et, sans aucune étude d’impact, sans aucune documentation rationnelle, les macronards affirment que la proposition de loi coûtera 18 milliards € aux comptes publics…

Bienheureux hommes, bienheureuses femmes, qui savent compter si vite, quand le Conseil d’Orientation des Retraites, entouré d’experts, de spécialistes, d’actuaires, compte beaucoup plus lentement qu’eux.

On comprend ici la supériorité intellectuelle du macronisme : là où des gens de l’art sont prudents et mettent de nombreux mois à compter, les Aurore Bergé, les Benjamin Haddad, les Olivier Dussopt, sortent des chiffres de leur chapeau avec une célérité impressionnante. On se souvient tout de même des affirmations mordicus d’Olivier Dussopt selon qui la réforme des retraites allait mettre tous les “petits” à 1.200€ par mois, pour finalement avouer qu’ils seraient à peine quelques milliers. Mais on n’est pas à ça près ! ces gens méritent une confiance absolue et aveugle lorsque, sans aucune expertise, ils décrètent que la proposition LIOT coûtera 18 milliards par an, donc qu’elle doit être déclarée irrecevable… 

Eric Coquerel fait de la résistance…

Face à cette avalanche d’expertise, Eric Coquerel, président de la Commission des Finances, accessoirement membre de la France Insoumise, se rebiffe comme un vieux cave. On se croirait revenu au temps du bon vieux cinéma français. L’intéressé a même produit une tribune dans le Monde, ce qui prouve à la fois que cet ancien quotidien de référence n’est plus ce qu’il était, et qu’on peut être un godillot de Mélenchon en sachant aligner plus de dix mots de suite. Alexis Corbière et Raquel Garrido feraient bien d’en prendre de la graine.

Avec une certaine astuce, Coquerel plaide pour une interprétation libérale de la Constitution, permettant à l’opposition d’exercer réellement ses prérogatives. On n’en est pas encore à la distinction marxiste entre droit réel et droit formel, mais il y a de ça.

Je rappelle qu’aucune démocratie ne fonctionne sans pluralisme politique. Ce principe de pluralisme politique existe depuis 1848. La conséquence directe de ce principe, et qui devrait tous nous engager, est la garantie de l’effectivité des droits de l’opposition. Eric Coquerel

En réalité, le Président de la Commission aurait mieux convaincu s’il avait montré le manque de sérieux sur lesquels les arguments de la majorité se fondent (ces fameux 18 milliards sortis du chapeau ne sont guère crédibles, que diable !). Il n’en demeure pas moins qu’il tient la ligne, et c’est déjà pas si mal. 

Les risques d’une irrecevabilité

En attendant, il devient compliqué pour le gouvernement, qui a fait adopter la réforme des retraites sans aucun vote de l’Assemblée, d’interdire désormais à celle-ci de voter sur le sujet, simplement parce que le résultat du vote ne lui convient pas. La démocratie ne peut pas se borner à dire au pouvoir ce qu’il a envie d’entendre !

A l’heure où nous écrivons ces lignes, Yaël Braun-Pivet n’a en tout cas délivré sa promesse de “prendre ses responsabilités” face à la fronde parlementaire qui couve. Elle n’a pris sur elle de fragiliser sa présidence (déjà très fragile) en déclarant irrecevable un texte qui ne l’est pas forcément. Mais tout le monde a compris que le gouvernement serait très heureux qu’elle grille sa crédibilité pour exécuter les basses oeuvres qu’on attend d’elle.

Sauf que cette décision d’interdire une nouvelle fois un débat ouvert sur une réforme imposée au forceps pourrait avoir l’effet d’un bâton de dynamite qu’on allume. C’est sans doute pour cette raison que, à ce stade, Yaël Braun-Pivet recule : veut-elle ou non servir de fusible pour expliquer qu’elle est la cause de la contestation qui ruine la crédibilité du gouvernement ?

Donc, l’horloge tourne. Le 1er juin, la proposition de loi sur l’abrogation de la réforme doit être discutée en commission, et elle doit faire l’objet d’une discussion dans l’hémicycle le 8 juin. D’ici là, le gouvernement renoncera-t-il à demander à Braun-Pivet l’application de l’article 40, pour privilégier l’article 44 qui limite le débat aux seuls amendements portés par le gouvernement ? Nous allons le voir. Ce qui est sûr, c’est qu’on le sent bien, la moindre étincelle peut provoquer l’incendie final dans le pays. Et, dans la macronie, les pyromanes incompétents ne manquent guère. 


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