02 mai 2023

Mais qui sème le chaos en France ?

 
Hier, le défilé du 1er mai a donné lieu à des affrontements extrêmement violents à Paris et dans plusieurs villes de France. On parle de plus d’une centaines de policiers blessés, dont un brûlé, à Paris, par un cocktail Molotov. Dans le même temps, Marine Le Pen, au Havre, appelait à ne pas basculer dans un chaos qu’Emmanuel Macron lui-même et les siens épinglent pour tenter une réaction bourgeoise face aux difficultés dans lesquelles le pouvoir s’est enfoncé tout seul. Nous commençons ici à toucher du doigt le problème fondamental : qui crée et instrumente le chaos ? Car de la répulsion pour celui-ci peuvent naître beaucoup de tentations très diverses…
  Les réactions à la manifestation du 1er mai risquent d’être longues et profondes. La presse subventionnée continue ses calculs d’apothicaire sur la hausse ou la baisse de la participation. Beaucoup, dans la macronie, attendent que le mouvement se tasse, et comptabilisent frénétiquement le moindre indice qui permet d’annoncer ce tassement. Tiens ! moins de manifestants hier qu’au mois de mars, c’est bon signe… 

Une évidente radicalisation

Ceux qui, comme moi, ont assisté au défilé d’hier ont une certitude évidente : quel que soit le nombre de participants (qui n’était pas négligeable à Paris hier), le mouvement se radicalise fortement. Place de la Nation, les forces de police ont régulièrement dû reculer, et les affrontements étaient sévères. On est loin des manifestations calmes du mois de mars (même si certaines se ponctuaient par des feux de poubelle ou quelques affrontements directs). Ce 1er mai, la violence a franchi un cap à Paris.

Elle est à l’unisson des casserolades qui se déploient un peu partout en France, et qui bunkérisent progressivement Macron et son gouvernement. Si le pire a été évité samedi soir au Stade de France, ce fut au prix d’une fouille systématique des spectacteurs, et au prix d’un changement dans le protocole : le Président n’a pas pu paraître sur la pelouse.

Globalement, la situation se dégrade et cette dégradation est intense.

Professionnalisme des forces de l’ordre

Dans la pratique, il faut se féliciter du très grand professionnalisme des forces affectées au maintien de l’ordre : CRS et gendarmes mobiles, qui paient souvent chèrement des interventions dont le mérite fondamental est d’être globalement respectueuses des libertés et de l’intégrité physique des personnes. Sans cette maîtrise de soi, la situation serait dramatique. Il faut au passage saluer le respect global des consignes données par le Conseil d’Etat sur les conditions de maintien de l’ordre.

Je n’ignore pas que les forces de l’ordre n’ont pas forcément bien vécu la petite clé de bras que le Courrier a contribué à leur faire en diffusant une vidéo dénonçant les nasses illégales et l’absence de RIO. Mais dans l’usage proportionné et démocratique de la violence légitime, comme on dit, ces petits aménagements sont indispensables…

Le chaos vient-il des black block ?

Je sais que beaucoup attribuent les vrilles dans les manifestations à la présence de blacks blocks. Incontestablement certains étaient présents hier, et n’y sont pas allés de main morte. Il faut évidemment regretter cette violence aveugle qui n’a pas d’efficacité dans le combat politique.

Mais l’honnêteté oblige à en réduire la portée. Tous les troubles ne sont pas dus à ces éléments extrémistes. Dans de nombreuses manifestations spontanées, j’ai croisé des jeunes, des lycéens, des étudiants, loin de ces engagements et très disposés à agir. Beaucoup brûlent des poubelles et s’enfuient rapidement pour éviter les BRAV-M. Ces manifestants-là ne sont pas des agneaux, mais c’est une erreur de les confondre avec des gauchistes sur-entraînés. Ils appartiennent à une génération loin de l’engagement politique que nous connaissons. Au lieu de les flétrir, il faudrait s’interroger sur les étapes à venir de leur militantisme, qui risquent d’en défriser plus d’un.

C’est un peu cela la nouveauté : l’après COVID révèle une génération nouvelle relativement désespérée, peu formée à l’engagement, et prête à quelques inquiétantes dérives.

Le chaos, c’est stratégie macroniste

Mais toute cette violence inattendue, plutôt sage si je me fie à ces jeunes que j’ai rencontrés au gré des manifestations, qui fuyaient la police et évitaient les affrontements directs, n’existerait pas si le Président de la République n’adoptait pas une méthode de gouvernement “jupitérienne”, fondée sur le passage en force et la dramatisation systématiques des rapports politiques. Au lieu de chercher des compromis, Macron aime dominer et écraser ses adversaires.

Cette stratégie délibérément agressive conduit au pire. Jamais les débats politiques n’ont été autant hystérisés en France, et jamais l’intimation d’être dans un camp ou dans son opposé n’a fait autant de dégât. Il faut être pour, ou contre, sans nuance. Les conditions de la réflexion sont mises entre parenthèses au profit d’un duel permanent, à la vie ou à la mort, entre les uns et les autres.

Cette stratégie du chaos, qu’on a bien vue à l’œuvre avec le COVID, qu’on voit à nouveau à l’œuvre avec les retraites, s’appuie largement sur des techniques de manipulation dont l’un des inconvénients est de “braquer” la société française et d’empêcher tout dialogue raisonnable.

L’ambiguïté que Marine Le Pen devra dépasser

Lors de sa journée militante au Havre, Marine Le Pen a pris cette étrange posture consistant à dénoncer la “stratégie d’usure” d’Emmanuel Macron en appelant à éviter le chaos. Je sais que beaucoup de commentateurs ont relevé sa virulence contre Macron. Mais il y a une chose qu’elle n’est pas clairement énoncé : c’est que la stratégie de Macron n’est pas celle de l’usure, mais du chaos. Les troubles à l’ordre public sont directement suscités par la méthode présidentielle, qui table in fine sur une réaction bourgeoise pour tenir le pays.

En écoutant Marine Le Pen, on a bien compris qu’elle a exprimé ses angoisses face à l’exercice du pouvoir. Depuis de nombreuses années, elle est convaincue qu’en cas de victoire électorale, les Français descendraient dans les rues, qu’une chienlit s’installerait et qu’au besoin sa tête finirait au bout d’une pique. Elle évite donc d’insulter l’avenir en prônant l’ordre plutôt que le désordre.

Mais le désordre actuel est voulu par le pouvoir pour faire taire toute opposition. La méthode fonctionne tellement bien qu’une grande partie de la droite se réfugie désormais derrière le panache blanc de Macron pour réclamer le retour à l’ordre. Cet “abandon” agace fortement une partie de l’opinion dont l’objectif premier est de voir Emmanuel Macron quitter le pouvoir coûte-que-coûte.

Aujourd’hui, Marine Le Pen prend le risque de décevoir cette attente populaire, en partie parce qu’elle est (à mon avis faussement) convaincue qu’elle même devra affronter le désordre. Beaucoup la voient en Danton, elle préfère jouer les La Fayette. Ce faisant, elle ouvre un nouveau couloir pour une autre formation populiste. 
 
Source : https://lecourrierdesstrateges.fr/2023/05/02/mais-qui-seme-le-chaos-en-france/

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