Les États-Unis arment de toute urgence l’armée taïwanaise pour – lui donnant ainsi les moyens de sa défense – qu’elle puisse causer de gros dégâts et à peu de frais. Dans le même temps, l’UE exhorte Pékin à ne recourir, en aucune circonstance, à la force contre Taïwan. Cela rappelle l’alignement des forces qui s’est développé autour de l’Ukraine avant le début de l’« opération spéciale » russe. Pékin aimerait échapper à ce qui n’est encore qu’une éventualité, mais il y est de plus en plus contraint.
L’Union européenne a mis en garde la Chine contre les « grandes conséquences » d’un recours à la force contre Taïwan. La déclaration du commissaire européen semble contenir une menace, mais, en fait, il s’agit toujours de diplomatie : ainsi, le ministre des Affaires étrangères de l’UE, Josep Borrell, insiste sur la nécessité de résoudre, par le dialogue, toutes les contradictions entre Pékin et Taipei.
Une situation devenue familière à la Russie
L’Occident avait également mis en garde la Russie contre de « grosses conséquences » si des troupes étaient envoyées en Ukraine. Mais en même temps, il a tout fait pour que l’« opération spéciale » soit déclenchée : attirer Kiev dans l’OTAN, rééquiper les Forces armées d’Ukraine, soutenir le mouvement de « rééducation» de la société ukrainienne dans l’esprit de la russophobie. Approximativement la même chose se répète dans le cas de la Chine et de Taïwan, à l’exception suivante : l’île séparatiste n’est pas incitée à rejoindre l’OTAN, alors que c’est le cas pour le Japon. Dans ces circonstances, le résultat pourrait néanmoins être similaire : à savoir que tôt ou tard, la Chine lancera sa propre opération militaire spéciale, même si Borrell ne le souhaite sincèrement pas.
Sur le fait que les conséquences puissent être importantes et dommageables, Borrell a raison. Les combats commenceront là où se situent les routes commerciales les plus importantes. Ce sera un rude coup porté au système de circulation de l’économie mondiale. En outre, le marché ne sera plus approvisionné en semi-conducteurs, puces et autres produits électroniques taïwanais, pendant un certain temps ; et personne n’est en mesure de remplacer ce fournisseur. On semble aussi vouloir ignorer ce qui sera le pire pour l’avenir de l’économie mondiale : le début d’un conflit et les tentatives de l’Occident de « raisonner» la Chine par des sanctions, comme cela s’est produit avec la Russie.
Toutefois, la situation présente une différence avec le conflit en Ukraine. L’Occident ne veut vraiment pas de guerre contre Taïwan : à la fois parce qu’il a peur des conséquences et parce qu’il est intéressé par le maintien du statu quo, alors que l’île – comme un énorme porte-avions en mer de Chine méridionale – est contrôlée par Washington et non par Pékin.
Mais comme la Russie, la Chine peut tout simplement ne pas avoir d’autre choix
Parmi les prévisions des sinologues, l’année 2025 apparaît souvent celle où la RPC pourrait démarrer sa propre « opération spéciale ». Ce n’est qu’une hypothèse, peut-être un fantasme. Mais cette échéance n’est pas tirée d’un chapeau : beaucoup dépendra des votes de 2024 qui détermineront la nature du gouvernement taïwanais.
En effet, des élections doivent avoir lieu à Taïwan, à la fois parlementaires et présidentielles. Les sociologues et les politologues prédisent une victoire pour le parti d’opposition « Kuomintang », qui a déjà battu le « Parti démocrate progressiste » au pouvoir lors des récentes élections municipales. Dans le système taïwanais, c’est le « Kuomintang » qui soutient l’unification avec la RPC en une seule Chine, alors que le gouvernement actuel est « indépendant » et rigidement orienté vers les États-Unis.
Que la position prochinoise soit promue par le « Kuomintang » peut sembler étrange. Après tout, c’est ce parti qui était en état de guerre civile avec les communistes chinois. Après avoir perdu le conflit, le « Kuomintang » a été évacué vers Taïwan et a ainsi ouvert la page de l’histoire séparatiste de l’île. Mais c’était il y a longtemps. En second lieu, le « Kuomintang » est un parti nationaliste de grande puissance, dont l’objectif est une seule grande Chine. Pour elle, ils sont prêts à abandonner le rôle de « premier violon », voulu par Tchang Kaï-chek, et à devenir le deuxième Hong Kong selon le schéma « un pays, deux systèmes ».
Si l’on continue les analogies avec l’Ukraine, Pékin espère raisonnablement que des « Ianoukovitch » et des « Medvedtchouks » locaux arriveront au pouvoir à Taïwan, personnages avec lesquels ils pourront négocier. Mais la perte de Taïwan est inacceptable pour Washington. Par conséquent, les États-Unis feront tout pour empêcher la victoire du Kuomintang. On ne sait pas à quel point ils s’impliqueront, de quelle manière effrontée ils agiront et s’ils décideront d’une tentative de « révolution de couleur » et de répressions préélectorales.
Quoi qu’il en soit, lorsqu’ils élaborent leur politique à l’égard de Taïwan, les dirigeants chinois ne sont pas guidés par l’« opération spéciale » russe, considérée comme un défi aux États-Unis. Ce sont précisément les élections de 2024 qu’ils prennent en compte. Les Chinois observent simplement le conflit et la réaction des occidentaux sur son évolution. Et ils en tirent des conclusions, qui ne sont d’ailleurs pas en faveur de l’Occident.
Dans l’idéal, la Chine préférerait régler le conflit par la diplomatie
Les États-Unis n’ont pas réussi à faire tomber l’économie russe, ni à la déconnecter du monde. Le bloc d’alliés réunis à cette fin ne comportait que les pays de l’OTAN et les satellites asiatiques des États-Unis, adversaires de la Chine : le Japon et la Corée du Sud.
Tout pourrait être beaucoup plus sérieux dans un conflit avec la Chine. La coalition pourrait être plus large, et les sanctions plus dures. Mais ce n’est pas certain : soit l’Occident n’est plus assez fort, soit il en veut trop, soit les deux à la fois. Car ni l’Asie, ni l’Afrique, ni même l’Amérique latine – qui était jusqu’à présent la « basse-cour » des États-Unis – n’ont adhéré à l’initiative occidentale antirusse. Il y aura encore moins de pays qui voudront s’engager dans une guerre économique avec la Chine, car pour de nombreux d’entre eux, ce ne serait pas seulement se tirer une « balle dans le pied », mais un suicide pur et simple. Autrement dit, la Chine risque beaucoup moins que ce que la Russie risquait.
Cependant, au fil des mois à venir, Pékin aura certainement l’occasion de se convaincre qu’un accord « dans le bon sens » avec les dirigeants taïwanais ne lui sera pas permis. Et c’est pourquoi la date de 2025 est retenue, car un nouveau retard n’est plus dans l’intérêt de la Chine.
Premièrement, Taïwan continuera à être activement armé, de sorte qu’au fil du temps, le prix d’une opération militaire spéciale pour la Chine augmentera. Deuxièmement, Pékin aimerait acquérir cette « poule aux œufs d’or ». Or, les Américains la « déplument » en ce moment même, délocalisant la production de semi-conducteurs sur leur propre territoire.
Enfin, troisième argument, 2025 est à mi-chemin du troisième mandat du président Xi Jinping. Rappelons qu’il n’y aurait dû en avoir que deux au maximum. Mais la législation de la RPC, formulée sous le « grand chef » Deng Xiaoping, a été réécrite pour le camarade Xi. Officiellement celui-ci est égal en grandeur au camarade Deng, et surtout avec le premier des grands : le fondateur de la RPC, Mao Zedong.
Malgré une augmentation notable du bien-être de la population, les mauvaises langues disent que cette « grandeur » a été écrite par Xi avec quelques anticipations qu’il faudra renforcer. Si c’était par l’unification de la Chine, ce serait une option idéale et la garantie d’un quatrième mandat.
Le coût d’un conflit armé américano-chinois serait tout simplement énorme
Par conséquent, puisque Borrell est préoccupé par la sécurité économique de l’Europe et le ciel paisible de l’Asie de l’Est, il ne devrait pas se contenter d’avertir la Chine des conséquences d’un éventuel conflit. Mais aussi persuader les États-Unis de ne pas provoquer Pékin, de ne pas s’impliquer dans la politique intérieure de Taiwan, de ne pas y fournir des armes, pour ne pas faire de Xi, aux yeux de ses dignitaires, un dirigeant qui a raté une occasion historique. Il y a une chance pour la réunification de la Chine, mais aussi une chance pour la paix.
Le président français Emmanuel Macron, après une visite en Chine, a déjà déclaré que l’Europe n’avait pas besoin d’entrer en conflit avec Pékin en entrant dans la confrontation taïwanaise. Pour cela, en RPC, Macron, en raison de l’autonomie politique de la France, est mieux considéré que les autres dirigeants occidentaux. Cependant, les déclarations « audacieuses » de Macron ne restent, presque toujours, que des paroles en l’air. Car Paris occupe désormais une position d’infériorité chronique par rapport à Washington. La décision n’est pas dans ses mains ni dans celles de Borrell, mais plutôt du ressort de l’Amérique. Or, celle-ci va fournir d’urgence à Taïwan des systèmes de défense aérienne portables Stinger, ainsi que des systèmes de missiles antichars Javelin et TOW 2B Aero. Tout ceci gratuitement.
« Si vous obtenez soudainement une telle aide gratuite, vous devrez payer un prix impensable », a déclaré l’ancien ministre de la Défense de Taïwan, Feng Shikuan. C’est un avis formulé clairement tout comme les sentiments qui l’inspirent. Si, comme l’a souligné Borrell, le coût d’un conflit armé américano-chinois sera tout simplement énorme pour la Chine, l’Occident et le reste du monde, alors pour Taïwan, ce serait vraiment incommensurable.
Source : https://lecourrierdesstrateges.fr/2023/05/23/la-chine-contrainte-de-resoudre-le-probleme-de-taiwan-par-la-force-par-vz/
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