Il y a quelques constantes dans l’univers, depuis la vitesse de la lumière jusqu’à la certitude de la mort et d’une ferme ponction fiscale si vous habitez en France. Au fil des ans, une autre constante s’est installée, à savoir celle de l’incompétence terminale des administrations françaises en matière de numérique : chaque projet lancé, généralement en fanfare, s’est terminé de façon aussi piteuse que coûteuse.
Par exemple, en 2012, l’État français décidait posément de financer avec l’argent des autres (i.e. le vôtre) le lancement d’un “Cloud souverain” en proposant à deux acteurs du marché d’alors, Cloudwatt et Numergy, de s’y mettre un bon coup. Assurément, la réussite (et la souveraineté numérique) était au tournant et un peu d’argent public aiderait à ce but louable et facile à atteindre. En 2015 (soit à peine trois ans plus tard), les résultats étaient là, indiscutables : c’était un échec retentissant et coûteux.
Dans la même période, le même État lançait en parallèle différents projets informatiques, certains destinés à améliorer les traitements de procédures administratives, d’autres à chapeauter la solde des militaires ou d’autres encore à faire de la bonne comptabilité publique bien solide, bien carrée, bien propre sur elle. Chacun se souvient notamment du désastre du logiciel Louvois, de la transition ultra-douloureuse vers un RSI catastrophiquement géré, du logiciel d’Opérateur national des Payes, des cartes grises qui connaissent encore à ce jour de francs soucis de fonctionnement.
L’arrivée en 2020 de la pandémie de covid aura donné l’occasion aux mêmes freluquets d’étendre leur incompétence jusque sur les téléphones mobiles : l’application “StopCovid” fut un modèle de réalisation onéreuse, mal boutiquée et sous-optimale. Gouffre pour les contribuables, gadget inutile sur le plan sanitaire, véritable pied-de-biche administratif pour ouvrir la porte à la société de surveillance, ce fut là encore une belle illustration de tout ce qu’il ne faut pas faire en matière d’informatique par l’État.
On pourrait aussi évoquer les différentes tentatives de claquer le pognon gratuit du contribuable dans différentes lubies du moment, depuis les tablettes Apple de la part de François Hollande en 2014 jusqu’aux ordinateurs “gratuits à 500€ pièce” distribués en Île-De-France pour un électoralisme bien gras…
À chaque tentative des clowns républicains de pousser l’État à s’occuper d’informatique, depuis le “plan Calcul” jusqu’à ces précédents avatars ridicules en passant par le “plan Informatique pour tous”, à chaque fois le même constat d’un gâchis obscène d’argent public et d’une absence visible et criante de tout résultat palpable. L’engouement avec lequel le pouvoir lance actuellement, en toute décontraction, une “stratégie nationale pour l’intelligence artificielle” devrait terroriser tous les contribuables français et le fait que ce domaine regorge de chercheurs français qui sont tous installés à l’étranger ou travaillent pour des sociétés étrangères en dit long sur la capacité des clowns gouvernementaux à louper systématiquement les tendances de plusieurs décennies.
En pratique, depuis 40 ans, à chaque fois que l’État s’est occupé de technologies modernes informatiques, ce fut toujours sur un coup de tête, par effet de mode : les politiciens, attirés par des mots-clés technoïdes comme des moustiques par la lumière électrique dans une nuit d’été moite, se sentent systématiquement propulsés par cette envie irrésistible de claquer des sommes conséquentes. À chaque gimmick, un chèque public, et à chaque chèque public, un échec.
Alors que dans les années 2000, Google devenait le premier moteur de recherche en part de marché, susurrez “moteur de recherche français” à l’oreille de ces brochettes de guignols au pouvoir et pouf, voilà des fonds publics qui déboulent sur l’une ou l’autre promesse vaporeuse. Malgré tout, après des années de gestion catastrophique et de pertes colossales, les projets financés vont au drain.
On a même eu droit à des frétillements consternants de ministricules républicains pendant moult pince-fesses destinés à promouvoir la “French Tech” dans une Starteup-Naychonne qui n’en finissait pas de financer des chèvres en espérant les transformer en licornes. Bien évidemment, alors que les sources magiques d’argent gratuit commencent à se tarir et que les transitions chèvres-licornes n’ont toujours pas eu lieu, la même “French Tech” se réveille avec une sévère gueule de bois que seul le contribuable pourra apaiser avec ses poches profondes et ses générations futures endettables à merci.
Devant ce constat, comment ne pas se réjouir du récent choix par le gouvernement de trois projets qui sont censés rivaliser avec Microsoft Office et Google Docs ?
Oui, vous avez bien lu : malgré l’échec retentissant des précédents projets de “Cloud souverain”, le gouvernement relance le manège et distribue une enveloppe de 23 millions d’euros d’argent gratuit des autres pour financer trois (pourquoi pas un, pourquoi pas dix-huit ?) projets de suites bureautiques collaboratives dans le cloud, dans le but de faire émerger des alternatives crédibles aux deux principales suites actuellement utilisées et qui ont le goût douteux d’être américaines. Et cette fois-ci au contraire des précédentes, c’est sûr, cela va marcher parce que… eh bien parce que c’est ainsi.
Ah, vraiment, comment ne pas comprendre que cette nouvelle tentative va mener à la même réussite flamboyante que toutes les autres ? Du reste, comment douter que l’État français se devait absolument d’intervenir dans ce domaine pour aider à l’apparition d’un concurrent, pardon, de trois concurrents solides aux mastodontes installés ? Pourquoi imaginer un monde dans lequel une solution apparaîtrait par besoin, issue du marché et de l’innovation humaine, alors qu’on peut obtenir un résultat clairement inférieur tout en claquant des sommes colossales d’argent public ?
Petit à petit, de plans mal boutiqués en projets vaporeux, de partenariats douteux en subventions dilapidées, l’État français s’est dilaté comme jamais pour s’insérer dans tous les pans de la société civile et a su se bâtir une solide réputation, tant dans le domaine informatique que partout ailleurs en réalité, à savoir celle d’une source de financements presque infinie et sans responsabilité attachée, sans comptes à rendre ni garantie de résultats.
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