« Il a voulu faire le malin en montrant qu'il s'y connaissait, et il s'est pris les pieds dans le tapis », rigole un spécialiste du nucléaire, encore abasourdi de la gaffe commise par le président en présentant son plan « eau », le 30 mars dernier, depuis le lac de Serre-Ponçon.
En pleine polémique sur les retraites, le chef de l'État souhaitait reprendre la main en présentant lui-même ce plan, que les ministères concernés préparaient depuis des mois, sous la supervision de Matignon, afin de « fixer un cap à la nation » en portant un objectif ambitieux : « Faire 10 % d'économies d'eau dans tous les secteurs, d'ici à 2030. »C'est alors que, sortant visiblement de son texte, le président s'est lancé dans une courte digression, alors qu'il évoquait le secteur de la production d'électricité, rappelant que le refroidissement des centrales nucléaires représente 12 % de la consommation d'eau annuelle du pays. « Sur le nucléaire, on doit adapter nos centrales nucléaires au changement climatique en engageant un vaste programme d'investissements pour faire des économies d'eau et permettre de fonctionner beaucoup plus en circuit fermé », a promis le président. Stupeur dans les rangs des spécialistes.
« Une centrale en circuit ouvert rejette toute l'eau qu'elle prélève dans l'environnement, donc elle n'en consomme pas », relève la déléguée générale de la Société française d'énergie nucléaire, Valérie Faudon. « À l'inverse, dans un circuit fermé, une partie de l'eau s'évapore des tours aéroréfrigérants et est enlevée au milieu. Les centrales en circuit fermé consomment donc beaucoup plus d'eau que les autres… »
Aucun « plan d'investissement »
Privilégier les centrales nucléaires fonctionnant en circuit fermé ne vise donc pas à économiser de l'eau, mais à adapter le parc à une baisse estimée de 10 à 40 % du débit des fleuves et des rivières, pour des raisons écologiques : l'eau prélevée retourne au milieu, réchauffée de 4 à 8 degrés avant de se diluer, menaçant d'impacter les écosystèmes si la température globale du cours d'eau dépasse un certain seuil.
Chaque été, EDF doit ainsi réduire la puissance d'une poignée de réacteurs, entraînant des pertes de production qui « restent très inférieures à 1 % de la production annuelle, hormis en 2003, année marquée par un épisode de canicule historique où elle a atteint 1,4 % », relevait en mars la Cour des comptes dans un rapport consacré, justement, à « l'adaptation du parc de réacteurs nucléaires au changement climatique ». Une récente étude, publiée dans Nature Energy, estime que les pertes de production mondiales liées aux indisponibilités climatiques pourraient atteindre près de 2 % en 2100.
À LIRE AUSSISur le nucléaire, tout le monde ment… C'est la raison pour laquelle… aucun plan d'investissement n'est prévu, pour l'instant, pour « adapter » le parc existant. D'une part, parce que de nombreuses adaptations ont d'ores et déjà été réalisées, documente la Cour des comptes. « EDF a progressivement développé depuis les années 1990 une connaissance fine des enjeux climatiques et de leurs impacts pour les températures, la ressource en eau ou le niveau de la mer, et a mis en place une gouvernance, une organisation interne et des projets de recherche et développement pour y répondre », souligne l'institution.
Depuis 2014, l'électricien dispose d'un « service climatique ». 960 millions d'euros ont été investis pour adapter le parc au climat, notamment aux canicules, sur la période 2006-2021, et « les dépenses programmées en lien avec l'adaptation au changement climatique sur la période 2022-2038 s'élèveraient à environ 612 millions d'euros », précise la Cour des comptes.
Les impensés des futurs réacteurs
« Les propos du président s'inscrivent dans la continuité du Conseil de politique nucléaire » du 3 février dernier, qui a validé le lancement de nouvelles études, dans la perspective de la prolongation de la durée de vie des centrales à 60 ans, précise au Point le ministère de la Transition énergétique. Une source industrielle proche du dossier souligne d'ailleurs qu'aucun « plan d'investissement » n'est prévu. « Des améliorations sont possibles, mais il n'est pas question de transformer une centrale à circuit ouvert en centrale à circuit fermé ! C'est complexe, et le coût serait exorbitant pour un faible bénéfice ».
Ce que confirme, d'ailleurs, le rapport de la Cour des comptes, faisant état d'études exploratoires conduites par EDF sur la possibilité de doter certains sites de tours aéroréfrigérantes sur les centrales de Saint-Alban, du Bugey et de Tricastin. « La faisabilité technique et foncière est très complexe et difficile à mettre en œuvre. Les coûts sont très élevés : un coût d'installation de l'ordre de 500 millions d'euros et des coûts de maintenance significatifs restant à évaluer », estime EDF, qui « souligne par ailleurs que la construction d'un aéroréfrigérant ne répondrait qu'imparfaitement aux enjeux climatiques en limitant l'augmentation de température du fleuve et la quantité d'eau prélevée, mais en générant d'autres inconvénients environnementaux (consommation d'eau du fleuve par évaporation et rejets). »
Aujourd'hui, aucun budget n'est programmé, et aucune des 53 mesures du plan eau, dévoilé le 30 mars, ne concerne le nucléaire. Reste que l'électricien devra, pour l'avenir, apporter des réponses aux questionnements de la Cour des comptes concernant les futurs réacteurs EPR, qui ne comportent « pas d'évolution technologique marquée » en termes de système de refroidissement « sobre en eau ». Un impensé – voire un manquement – qu'il faudra combler.
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