02 avril 2023

Le rapport complet des renseignements français qui fait l’éloge des "Soulèvements de la Terre"

Si l’on s’en tient aux déclarations de M. Gérald Darmanin, la dissolution des Soulèvements de la Terre serait justifiée par les « événements inqualifiables » survenus à Sainte-Soline et « l’extrême violence de groupuscules fichés par les services de renseignement parfois depuis de très nombreuses années. » [1]

[1] La réponse des Soulèvements de la Terre à cette annonce...

. Pourtant, un rapport de son propre Service Central du Renseignement Territorial sur les Soulèvements de la Terre éclaire d’une toute autre lumière cette annonce. En effet, à la lecture de cette note confidentielle étonnamment élogieuse, on comprend qu’au-delà du prétexte affiché de la violence si le ministre cherche à dissoudre le mouvement, c’est parce qu’il réussit !

« Les Soulèvements de la Terre par leur inventivité, leur niveau d’organisation, leur force d’influence, leur capacité à mobiliser et à donner un retentissement national et médiatique aux luttes locales auxquelles ils s’associent, apparaissent aujourd’hui comme un acteur majeur de la contestation écologique radicale. » 

Réussir à quoi ? Le fond de l’histoire est là : à travers une somme d’analyses élogieuses qui renvoie à une capacité à fédérer, à sortir de la léthargie politique et à impacter réellement des projets destructeurs de l’environnement, on nous explique en 8 pages que le problème fondamental avec ce mouvement c’est que plutôt que de contester bien dans les clous, il parvient à peser sur le champ politique. 
Ce que ce gouvernement indique ensuite en faisant suivre cette note des renseignements par une tentative de dissolution, c’est que pour lui désormais toute opposition effective qui se met en travers de sa route - et de celles des lobbys financiers et industriels que sa politique soutient - doit disparaître. Dissoudre toute opposition, quitte à le faire dans un bain de sang avant les méandres des tribunaux.

Au-delà de cet éclairage transparent sur les mobiles du gouvernement, ce devoir appliqué de sociologue policier interpellé par la vivacité de son sujet n’en est pas moins biaisé par son incapacité manifeste à percevoir le mouvement tel qu’il est. Invariablement, tout ce qui est effervescence, réseau, coalition est ramené - pour mieux pouvoir incriminer ensuite - à l’encadrement par un groupe dirigeant. Il faut surtout donner le sentiment que les personnes et groupes ici agissant, ne sont guidés que par des motifs instrumentaux et froids, s’accaparant opportunément la cause écologique ou paysanne au profit d’une pure recherche abstraite de terrains de conflits et de violence. Mais comment s’étonner que des fonctionnaires du renseignement qui écrivent depuis leur bureau au service d’un gouvernement qui s’obstine à détruire terres arables, forêts, fermes, cours d’eau... ne parviennent pas à comprendre et saisir ce qui est défendu et ce qui se construit, les liens les solidarités et les joies qui vont avec. Il n’est pas davantage surprenant que les rédacteurs du rapport réduisent tout le bouillonnement politique, local et décentralisé, dont les Soulèvements de la Terre sont l’écho et le catalyseur, au type d’agencement pyramidal rigide dont ils sont les agents.

Par-delà la pauvreté de leurs analyses, force est de constater que si depuis deux ans des foules grandissantes ne se contentent plus de défiler et recherchent des gestes ad hoc pour freiner concrètement certains chantiers, pour empêcher le pillage de l’eau ou des prairies, c’est bien parce qu’une urgence vitale à agir se fait ressentir. Et tentative de dissolution ou pas, répression brutale ou pas, ce sentiment d’urgence ne devrait qu’augmenter tant que les décideurs continueront à promouvoir dans ce pays des infrastructures incarnant une violence écologique et sociale face à laquelle de très nombreuses personnes ont désormais choisit de faire front.

Le 30 mars, le journal Le Monde publiait une tribune intitulée Nous sommes les Soulèvements de la Terre dans laquelle des dizaines d’acteurs, artistes, députés, écrivains revendiquent leur appartenance au mouvement. Elle compte désormais plus de 20.000 signatures.

Les soulèvements de la terre, vecteur de radicalité des luttes écologistes

Résumé :
Créé début 2021 par des membres de l’ultra-gauche issus de l’ex-ZAD de Notre-Dame-des-Landes, les Soulèvements de la Terre (SLT) a insufflé une nouvelle dynamique aux luttes écologistes et imposé des modes d’action plus offensifs.

  • S’agrégeant à des luttes locales, sélectionnées par un comité centralisé, SLT s’est engagé depuis sa création dans une vingtaine d’actions dans le cadre d’un programme axé autour de la défense « des terres nourricières, de la lutte contre la « bétonisation » et de la protection de l’eau, décliné en différentes « Saisons » et « Actes » (la 4e saison a débuté à la rentrée 2022).
  • Affichant la volonté de fédérer au-delà des sphères contestataire d’ultra-gauche, ce mouvement a su incarner le concept de transversalité des luttes, en rassemblant associations, syndicats et mouvements écologistes autour de combats communs.
  • Le noyau dur des SLT, composé initialement de stratèges d’ultra-gauche, s’est progressivement élargi à des militants issus de collectifs environnementaux comme Extinction Rébellion.
  • Le mouvement des SLT a joué un rôle majeur dans la diffusion et l’acceptation de modes opératoires plus offensifs. Il est notamment à l’origine du concept de « désarmement » qui, en inscrivant les actions de sabotage dans une logique défensive des biens communs menacés, a ingénieusement convaincu des militants habituellement adeptes d’actions de désobéissance civile à basculer vers la « résistance civile ».
  • Les SLT sont également à l’origine de l’adoption d’un nouveau type d’actions collectives violentes, inspirées de celles propres à l’ultra-gauche : activistes masqués, porteurs de combinaisons blanches ou bleues, formant un « White bloc » ou « Blue bloc » n’hésitant pas à affronter les forces de l’ordre pour commettre leurs exactions (dégradations, intrusions, sabotages… )
  • Les SLT, par leur inventivité, leur niveau d’organisation, leur force d’influence, leur capacité à mobiliser et à donner un retentissement national et médiatique aux luttes locales auxquelles ils s’associent, apparaissent aujourd’hui comme un acteur majeur de la contestation écologiste radicale, transmettant notamment à de nouvelles générations, plus adepte de la désobéissance civile, des modes opératoires offensifs, développés pour certains dans la clandestinité.

1. Le fonctionnement des Soulèvements de la Terre, mouvement fédérateur engagé dans les luttes écologistes locales

Un noyau dur de militants d’ultra-gauche issus de l’ex-ZAD de Notre-Dame-des-Landes : la campagne les Soulèvements de la Terre, construite sur le rejet du système néo-libéral et capitaliste (tenu pour responsable de la crise sociale écologique et sanitaire), s’est créée et structurée en janvier 2021 autour d’un noyau dur de militants, tous issus de l’ex-ZAD de Notre Dame des Landes : Prénom NOM, Prénom NOM, Prénom NOM, Prénom NOM, Prénom NOM, Prénom NOM, Prénom NOM, Prénom NOM, désireux d’exporter leurs expériences et les stratégies déployés localement durant la lutte contre ce projet aéroportuaire, à l’ensemble du territoire.
Le manifeste détaillant les objectifs de ce mouvement a été signé par une centaine de collectifs, associations et personnalités, actant la volonté de constituer un front commun (ultra-gauche, syndicats agricoles, collectifs écologistes, riverains… ) transcendant les appartenances d’origine et les divergences de stratégies (juridiques, citoyennes, occupations et actions plus offensives) dans une logique de transversalité des luttes afin de fédérer le plus grand nombre possible de militants et groupes issus d’horizons idéologiques différents.

2. L’élargissement à un premier cercle de militants issus de collectifs environnementaux

Autour de ce noyau dur de militants d’ultra-gauche, aguerris et forts de leur expérience zadiste, ce mouvement a rapidement su attirer à lui des activistes écologistes aguerris, dès la fin de la saison 1, après l’action Grand Péril Express. Le travail en renseignement du service a ainsi permis d’identifier de nombreux militants traditionnels. Prénom NOM incarne parfaitement le profil type de militants écologistes que les SLT ont su déduire. Militante d’Extinction Rebellion (XR), elle a participé à plusieurs actions de désobéissance civile non violente de ce collectif à Paris, avant de rejoindre les SLT, souhaitant dépasser le seul cadre des actions ponctuelles menées par XR, jugées insuffisantes et sans effets. Désormais domiciliée sur l’ex-ZAD de NDDL, elle fait partie intégrante de l’équipe dirigeante de ce mouvement, dont elle assure la promotion en France et à l’étranger. Dans le sillge de Prénom NOM, de nombreux militants écologistes, progressivement désabusés par les manifestations et actions de désobéissance civile, jugées « stériles », sont enclins à basculer dans la radicalité et à rejoindre les SLT. Ainsi Prénom NOM, autre militante originaire du groupe XR Paris/Ile de France, a progressivement pris ses distances avec le groupe écologiste pour s’investir pleinement dans les actions plus offensives et engagées, proposées par le mouvement des SLT et s’afficher aux côtés de Prénom NOM lors de l’action Grand Péril Express (prises de parole lors de débriefings). Le profil de Prénom NOM illustre également ce type de parcours. Après un passage sur l’ex-ZAD de NDDL durant l’été 2018, elle a fondé le collectif inter-faculté Désobéissance écoloParis, avant de rejoindre le groupe Extinction rébellion la Rochelle, puis d’occuper les fonctions de porte-parole national du mouvement Youth for Climate (YFC) en France. S’investissant d’abord dans le mouvement des SLT au nom du collectif YFC, signataire de la campagne, elle n’a pas tardé à s’impliquer plus personnellement, devenant chargée de la communication des SLT.

3. Le syncrétisme militant : un modèle de synergie entre massification et radicalité

Ce panel très large de militants, séduits par la rhétorique et les combats portés par les SLT s’est parfaitement illustré lors de la manifestation des 29 et 30 septembre 2022 contre le démarrage du chantier d’une retenue de substitution à Sainte-Soline, où trois cortèges (blanc, vert, rouge) ont cohabité, chacun acceptant, respectant et tirant profit de la diversité des profils présents et des modes d’action. Le cortège blanc (au rôle protecteur et pacificateur) était composé essentiellement d’un public familial, de représentants politiques et de journalistes. Le cortège vert (référence symbolique à l’écologie était constitué de militants déterminés issus principalement des collectifs XR, Greenpeace et Bassines Non Merci) le rouge (en référence à la symbolique antifasciste) à quant à lui intégré les individus les plus violents issus de la mouvance d’ultra-gauche (vêtus en noir selon les codes des black-blocs) et des militants SLT (porteurs de combinaisons bleues). Pour les structures écologistes, qui constituent numériquement le plus important contingent de cette alliance informelle, cette transversalité des luttes s’est imposée comme une nécessité, même si elle implique le rapprochement avec des groupes plus radicaux. La nécessité de se focaliser sur les points communs et les buts à atteindre a primé sur les divergences. Certains activistes écologistes, lassés des démonstrations de sensibilisation, ont pu assouvir, en intégrant cette campagne, leur recherche d’actions plus virulentes. Par ailleurs, la pratique de la pluralité des tactiques par le mouvement, induite notamment par sa composition, a offert un large panel de modes opératoires aux militants et groupes issus d’horizons idéologiques différents.

Les SLT sont ainsi parvenus à séduire largement et à rassembler, sur des mêmes actions, des individus aux profils et aux méthodes très éloignées, en procédant à l’articulation de pratiques militantes, pour qu’elles soient complémentaires : - des membres de la Confédération Paysanne (CP), dont le porte-parole Prénom NOM, soutiennent le mouvement depuis sa création, ce qui confère une légitimité et une expertise technique, notamment dans la dénonciation des « méfaits » du modèle agro-industriel défendu par la Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles (FNSEA). La présence de la CP a permis au mouvement de déconstruire le « récit dominant qui voulait faire de cette lutte une bataille entre écologistes et agriculteurs », - des antifas, pourtant peu investis jusqu’alors dans la lutte contre les projets jugés « inutiles », ont été présents aux côtés des SLT dès l’action intitulée « Bye Bye Bayer, Ciao Monsanto », en date du 5 Mars 2022. Ils ont apporté leur savoir faire, notamment dans des situations d’affrontements avec les forces de l’ordre, - des représentants politiques, certains élus ayant notamment participé, porteurs de leurs écharpes tricolores, à la manifestation de Sainte-Soline, pourtant interdite, qui donnent une légitimité au combat mené et contribuent à le transposer dans le débat public. La lutte contre les méga-bassines a ainsi pu être considérée par Nicolas Haeringer du mouvement climat comme une forme de syncrétisme, car elle « puise dans les gestes et les imaginaires qui ont ponctué les batailles de ces dernières années : « le côté éruptif des Gilets Jaunes, la résistance des ZADs, la désobéissance de la Confédération paysanne, les grandes convergences du forum social ou encore les convois d’Ende Gelände ».

→ L’engagement des SLT en faveur des luttes écologistes locales

Un comité des SLT organise régulièrement sur l’ex-ZAD de NDDL et au quartier libre des Lentillères à Dijon des rencontres avec les collectifs locaux désireux de s’agréger à la campagne des SLR. Les dossiers sélectionnés bénéficient de l’appui logistique, humain, financier et organisationnel du mouvement. Le soutien des SLT à un combat local lui confère généralement une visibilité nouvelle et apparaît comme un accélérateur de luttes. Le retentissement médiatique du combat contre les retenues de substitution dans le marais poitevin depuis que les SLT se sont engagés dans cette lutte, pourtant portée localement par le collectif Bassines Non Merci depuis 2017, en est la parfaite illustration.

Selon un principe de réciprocité, chaque organisation et collectif bénéficiant d’un appui des SLT s’engage à soutenir les autres luttes pour lesquelles les SLT sont engagés, amplifiant ainsi le nombre de manifestants et conduisant à une grande mobilité des militants sur l’ensemble du territoire national. Le mouvement est soutenu financièrement par l’association Pour la Défense des Terres, créée par Prénom NOM et Prénom NOM (tous deux co-présidents jusqu’en août 2022) et domiciliée sur l’ex-zad de Notre-Dame-des-Landes.
La trésorerie générée par l’association permet au mouvement de bénéficier de rentrées d’argent régulières et substantielles, nécessaires au soutien de la lutte, à l’organisation des évènements festifs et à la mise en place d’un important volet de communication. Les SLT peuvent recevoir plusieurs milliers d’euros chaque mois, provenant essentiellement de dons via la plateforme HelloAsso. Les associations locales impliquées dans les luttes dans lesquelles les SLT se sont engagés bénéficient directement de ce soutien financier.

→ Un séquencement thématique rythmé par des « saisons »

Depuis leur création, les SLT se sont engagés dans une vingtaine d’actions, déclinées en différentes « Saisons » et « Actes », dans le cadre de programmes axés autour de la lutte contre l’artificialisation des sols (défense des « terres nourricières », « lutte contre la bétonisation ») et de la protection des biens communs, dont l’eau, qui est devenu un sujet majeur pour les mouvements contestataires.
La saison 1 (27 mars au 17 juillet 2021), composée de 5 actes, ciblant principalement les industries considérées comme les plus toxiques (le béton, les pesticides et l’industrie phytosanitaire), s’est achevée par l’action Grand Péril Express, qui s’est tenue du 29 juin au 4 juillet en Île-de-France, marquée par l’occupation de plusieurs sites des groupes Lafarge et Eqlom par des individus en partie masqués et vêtus de combinaisons blanches, à l’origine d’actes de sabotage. Cette action a marqué, pour de nombreux militants environnementaux, le franchissement d’une étape dans les modes opératoires traditionnellement admis.
La saison 2 (22 septembre 2021 au 26 mars 2022), axée sur le thème de l’accaparement et l’intoxication des terres par le système agro-industriel, s’est également décomposée en 5 actes. Cette saison a été marquée par 3 actions offensives liées à la contestation des projets de retenues de substitution dans le marais poitevin (actes 1, 2 et 5). Au cours du printemps maraîchin, du 26 mars 2022, 300 éléments radicaux, vêtus de combinaisons bleues, dans un cortège de 5000 manifestants ont violemment pris à partie les forces de l’ordre. Au cours de l’action « Bye Bye Bayer ! Ciao Monsanto ! » (acte 4) du 5 mars 2022, visant à assiéger le siège social de Bayer France, 250 personnes, vêtues de combinaisons blanches et masquées, ont tenté de pénétrer dans le site Bayer de Villefranche-sur-Saône.
La saison 3 (2 avril au 28 août 2022), s’est déclinée en 6 actes visant à « enfoncer le clou », avec un retour sur les lieux de luttes précédents, ayant pour mot d’ordre « entre la fin du monde et la fin de leur monde, il n’y a pas d’alternative ». Point culminant e cette édition, le Grand Charivari des 14 et 15 mai 2022 sur la commune de Pertuis, où plusieurs exactions ont été commises à l’encontre de la société Pellec (appartenant au maire de Pertuis et partie prenante dans les travaux de la Zone d’activité Économique contestée), des forces de l’ordre et des établissements bancaires.
La saison 4 s’est ouverte avec, en prologue, une action surprise le 29 septembre, dénonçant les projets de carrières de sable à Saint-Colomban (44). Elle a toutefois réellement été lancée avec la manifestation « Pas une bassine de plus », en opposition au projet de construction d’une nouvelle retenue de substitution (SEV15) à Sainte-Soline (79) le week-end des 29 et 30 octobre. Très offensive, et bénéficiant d’une forte couverture médiatique, cette action a rassemblé près de 5000 personnes dont 300 militants radicaux déterminés, auteurs de violences à l’encontre des forces de l’ordre et de sabotages.

II. La diffusion de modes opératoires offensifs propres à l’ultra-gauche

→ Le désarmement, ou la conceptualisation de l’éco-sabotage par les SLT.
Les stratèges des SLT ont ingénieusement réussi, par le concept de « désarmement », à faire accepter la pratique de l’éco-sabotage à une masse de militants davantage adeptes d’actions de désobéissance civile. Loin de faire l’objet d’un consensus général, les dégradations commises à l’encontre des sociétés Lafarge et Eqiom en Île-de-France lors de l’action Grand Péril Express par des individus masqués, et qualifiées de « désarmement », avaient suscité de nombreux débats internes parmi les militants écologistes issus notamment du collectif XR. Les SLT ont pris soin de distinguer ce concept du sabotage, qui désigne une pratique, celle « d’altérer et d’endommager » sans rien dire de « l’intention qu’il y a derrière », du désarmement, « qui signifie rendre inopérante des armes », mettant ainsi en avant « la nécessité de détruire les armes qui détruisent la planète et ainsi faire obstacle à une plus grande violence ».

En ancrant ces actions dans une logique défensive, les leaders des SLT sont parvenus à normaliser le recours au sabotage, la majorité des militants acceptant aujourd’hui, a minima, la nécessité de faire coexister différents modes d’actions. Preuve de la capacité d’influence des SLT, le terme de désarmement est d’ailleurs désormais repris par différents collectifs qui n’hésitent plus à revendiquer le franchissement d’une étape, rendue nécessaire par l’attitude des pouvoirs publics.

→ Le recours aux « actions directes » clandestines.
En parallèle de ces actions de sabotage clandestines, menées en marge des manifestations officielles. Sur le même mode que les appels à renouer avec « l’action directe » lancés par l’ultra-gauche au printemps 2020 et ayant conduit à une vague d’actions contre les réseaux de communication, les SLT ont diffusé ce mode opératoire et inspiré de nombreux actes de sabotages clandestins. La lutte contre les « méga-bassines » est emblématique de l’intégration de ce nouveau mode d’action dans les contestations écologistes. À côté des actes de sabotage menés lors des manifestations offensives dans le marais poitevin, 18 actes de dégradations clandestins (ou tentatives) à l’encontre des retenues d’eau (découpe de liner, dégradation de tuyaux d’irrigation...) ont été recensés par le service depuis septembre 2021. Dès octobre 2021, une vidéo de revendication publiée par le site Lundimatin et relayée par les SLT appelait les activistes à poursuivre des actions de « désarmement » et fournissait un « tuto » permettant d’opérer le « démantèlement sauvage » d’une bassine. Dans la continuité d’actions de sabotages menées au mois d’août 2022 contre deux bassines, une tentative d’action coordonnée clandestine contre la SEV 17 à Mauzé-le-Mignon, impliquant une trentaine d’individus en provenance notamment de l’ex-ZAD de NDDL, a été déjouée le week-end des 3 et 4 septembre.

→ L’appropriation du black-bloc par les luttes écologistes : création des « white blocs » et des « blue-blocs »
S’inspirant des modes opératoires de l’ultra-gauche, les SLT ont dupliqué aux luttes écologistes les caractéristiques des « black blocs » : rassemblement éphémère, anonyme, et décentralisé d’individus organisés pour attaquer, souvent avec violence, les symboles de l’État et du capitalisme, pouvant conduire à des affrontements avec les forces de l’ordre. L’action Grand Péril Express du 3 juillet 2021, a ainsi vu, pour la première fois, des activistes écologistes masqués et porteurs de combinaisons blanches, commettre des dégradations. Depuis, et alors que l’action à visage découvert était un précepte établi des actions écologistes, la majorité des activistes présents sur les actions des SLT agissent désormais masqués et porteurs de combinaisons blanches ou de bleus de travail. Certains militants n’hésitent même plus, en marge des actions en elles-même, à porter une cagoule pour garantir leur anonymat. Le port permanent d’une cagoule a ainsi été observée par une centaine de militants présents sur le camp, dès la veille de la mobilisation de Sainte Soline des 29 et 30 octobre. Ce mode d’action s’est également diffusé au sein de militants d’XR, du collectif Bretagne contre les fermes usines, du Bloc Lorrain... L’apparition de ces « white blocs » ou « blue blocs » a donné lieu à l’émergence de comportements hostiles voire violents à l’encontre des forces de l’ordre, alors que les militants déterminés, équipés (munis de masque à gaz, de parapluies, porteurs de cagoules et combinaisons...) et armés (pierres, mortiers, cocktails Molotov, boules de pétanque...) n’hésitent plus à affronter directement.
6 actions des SLT se sont accompagnées de prises à partie violentes des forces de l’ordre depuis mars 2021. Une élévation progressive du niveau de violence est ainsi observée par le service. La récente mobilisation à Sainte-Soline en constitue le point d’orgue, les forces de l’ordre ayant eu à déplorer un grand nombre de blessés dans leurs rangs. Bien que les forces de l’ordre aient été prises à partie à d’autres occasions (actions « Bye Bye Bayer ! Ciao Monsanto !, Grand Charivari), les mobilisations contre les méga-bassines ont conduit aux affrontements les plus violents. Dès la manifestation du 22 septembre 2021, à Mauzé-sur-le-Mignon, alors que deux cents individus ont pénétré sur le chantier d’une réserve de substitution d’eau et dégradaient des pelleteuses, trois gendarmes qui tentaient de les repousser ont été blessés.
Le 6 novembre 2021, toujours à Mauzé-sur-le-Mignon, les forces de l’ordre ont été directement visées par des jets de fumigènes et de projectiles (pierres, ballasts et boules de pétanque), blessant deux gendarmes, dont l’un à la tête.
De nouveaux heurts avec les forces de l’ordre ont émaillé également le « printemps maraîchin » du 25 au 27 mars à La Rochénard (79) où divers projectiles (mortiers d’artifice, cocktails Molotov, cailloux) ont été lancés en direction des forces de l’ordre, par 300 individus déterminés. Enfin, lors de la récente manifestation des 29 et 30 septembre 2022 à Sainte-Soline, 61 gendarmes ont été blessés lors de violentes prises à partie avec 300 militants masqués (tirs de mortiers, jets de boule de pétanque, cocktails Molotov...)

III. Des actions s’intégrant dans une stratégie opérationnelle élaborée

Le suivi, par le service, du fonctionnement des SLT et des modes opératoires mis en place par ses leaders, font état d’une stratégie rodée, maîtrisée, s’appuyant sur l’expérience zadiste du combat mené en son temps à NDDL et s’adressant opportunément au plus grand nombre, dans un contexte favorable aux luttes écologistes.

→ Une forte capacité organisationnelle : entre savoir-faire et inventivité

Les actions des SLT sont élaborées avec soin et dans le plus grand secret par des organisateurs qui ont démontré, à plusieurs reprises, leur capacité à mener à terme des actions, parvenant à surprendre des dispositifs de maintien de l’ordre substantiels. Lors de la manifestation du 6 novembre 2021, les militants ont pris d’assaut une bassine face à des forces de l’ordre prises de court, après que les militants, qui se dirigeaient en cortège vers la SEV17, ont bifurqué vers la retenue de Cramchaban qu’ils gagnaient à pied, en traversant les cours d’eau. Dans la même logique, l’ultimatum intitulé « Bye Bye Bayer ! Ciao Monsanto ! » désignant le siège social de Bayer comme la cible d’une mobilisation le 5 mars était en partie un leurre à l’attention des forces de l’ordre. Comme anticipé par le service, un autre site de la firme en région lyonnaise, l’usine de Villefranche-sur-Saône, avait fait l’objet dans la matinée d’une tentative d’intrusion par 250 militants masqués, vêtus de combinaisons banches. Les SLT déploient des capacités logistiques importantes pour s’assurer de la réussite de leurs actions, en marge de celles-ci (par des repérages minutieux notamment) ou lors des manifestations. Un véritable PC opérationnel est mis en place sur les actions les plus élaborées, permettant une coordination tactique, avec des briefings (sur la manœuvre, la conduite à tenir en garde à vue...), l’utilisation de talkies-walkies, la distribution de plans, un soutien aérien par un drone permettant d’orienter les militants en temps réel en fonction des positionnements des forces de l’ordre, la présence de « signaleurs » dans les cortèges pour orienter les black blocs. Des formations à la sécurité numérique sont également dispensées par des membres des SLT.

La diversité des profils présents sur les actions orchestrées par les SLT permet également une transmission de modes opératoires offensifs et clandestins à des nouvelles générations de militants. Dans cette logique, la veille de la manifestation du 29 octobre à Sainte-Soline, une cinquantaine de militants a été formée aux modes opératoires « black bloc » dans un grand chapiteau présent sur le camp (simulations de blessures, utilisation d’une bâche renforcée, simulations de demi-tour avec des affrontements...).

→ Une communication parfaitement maîtrisée au service de la diffusion de l’idéologie d’ultra-gauche

Habiles communicants, les leaders des SLT ont parfaitement intégré l’importance des médias pour légitimer et démocratiser leurs combat aux yeux du plus grand nombre et remporter la bataille de l’opinion. Reflet de leur objectif fédérateur, s’inscrivant dans une démarche de diversité des tactiques, ces campagnes de communications s’adressent autant aux milieux militants qu’au grand public. Bénéficiant de relais dans les médias alternatifs proches de la mouvance d’ultra-gauche (tel que LundiMatin) et de la sphère environnementaliste (ex : Reporterre), les SLT sont parvenus à rassembler, sur les mêmes actions individus, issus des mouvances d’ultra-gauche, antifas, zadistes, écologistes traditionnels et écologistes plus radicaux. Pour cela, ils ont élaboré et diffusé des vidéos revendicatives attractives assumant tant le volet festif qu’offensif de leurs actions, des parodies humoristiques, organisés des caravanes sur l’ensemble du territoire national, sont allés directement à la rencontre des militants locaux, ont multiplié contacts et échanges avec l’ensemble de la frange contestataire. Par ailleurs, le mouvement a su dès ses débuts s’entourer de personnalités intellectuelles et universitaires (tels que l’anthropologue Philippe Descola, l’auteur et illustrateur de bande-dessinées Alessandro Pignocchi, les écrivains Alain Damasio et Corinne Morel-Darleux, l’historien-chercheur Christophe Bonneuil...) qui participent à la diffusion du message des SLT dans les médias nationaux.

Dès le 24 novembre 2021, une tribune co-écrite par Julien Le Guet, Nicolas Girod et Lotta Nouqui contre les « méga-bassines », signée par 240 personnalités, était publiée sur le site internet du journal Le Monde. La rhétorique défensive développée par les SLT pour servir leur cause est parfaitement exploitée à des fins de communication. Les SLT se positionnent comme protecteur de la nature (« Nous sommes la nature qui se défend ») et cherchent à légitimer le recours à des actions offensives et violentes. Pour cela, ils emploient des concepts que le désarmement, la légitime défense déployée contre une « violence institutionnelle » qui impose des projets jugés « écocidaires » ou plus récemment, la notion « d’éco-résistance », opposée au qualificatif d’écoterrorisme, utilisés par le Ministre de l’Intérieur et des outres mers à l’issue de la manifestation de Sainte-Soline. De fait, les SLT sont parvenus, par l’important relai médiatique autour de ce sujet et les nombreux débats qui ont suivi l’épisode de Sainte-Soline, à faire de la contestation contre les « méga-bassines » un véritable sujet de société, désormais au cœur de l’actualité médiatique et contestataire (les SLT assument d’ailleurs ces actions radicales qui alimentant les controverses et garantissent une couverture médiatique).

COMMENTAIRE :

Les SLT ont joué un rôle de premier plan dans le durcissement des modes opératoires et l’instauration d’un « flanc radical » engagé dans les luttes écologistes, permettant ainsi un déplacement de la fenêtre d’Overton : des actions, considérées comme trop extrêmes les premières fois, deviennent, par habitude, moins violentes aux yeux des militants et des actions qui ne remportaient pas l’adhésion d’une majorité de la population finissent par apparaître comme moins radicales. Le fort rayonnement de ce mouvement novateur, considéré récemment comme un « modèle de réussite à suivre » dans un post de Cerveaux Non Disponibles sous titré « intérêt commun et diversité des tactiques », devrait continuer à influer fortement la radicalisation des luttes écologistes, qui connaît une accélération ces derniers mois. Fort de ce succès, des antennes locales des SLT pourraient voir le jour sur l’ensemble du territoire national.

Source

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.