A chaque loi de programmation militaire décevante reviennent toujours les mêmes arguments. Part trop importante du nucléaire, inflexibilité de Bercy, contexte économique défavorable… Mais on évoque rarement l’indifférence de notre personnel politique non pas vis-à-vis des questions stratégiques, mais des armées, dont il ignore tout par ailleurs.
La présentation de la loi de programmation militaire 2024-2030, n’a guère, doux euphémisme, suscité l’enthousiasme. A l’aune des martiales déclarations d’Emmanuel Macron, louant le passage de notre industrie de défense vers l’économie de guerre, on attendait une résurrection de nos forces. Or c’est dans une certaine mesure l’inverse qui se produit. Pas de remontée en puissance de notre parc de blindés lourds, report de l’entrée en service d’une bonne partie de la nouvelle génération de blindés légers, moins de Rafale prévus encore en 2030, une flotte de frégates qui demeurera famélique, des effectifs stables, hormis sur certaines niches… : Nos armées continueront à gérer la pénurie. Mais les raisons pour lesquelles elles demeureront les parents pauvres de l’Etat ne sont pas nécessairement à rechercher où on le croit.
Faisons fi des arguments éculés. La part du nucléaire, noyau de notre dispositif de dissuasion, n’est pas contrairement à ce que l’on entend fréquemment, trop grande. Quatre SNLE, une composante aérienne réduite, plus ou moins 300 têtes nucléaires, nous sommes au minimum de ce que nous pouvons faire tout en restant crédibles et indépendants. Evidemment notre situation économique n’est pas brillante. Sur les 413 milliards d’euros de la loi de programmation militaire 2024-2030, plus de 30 milliards sont déjà assurés de s’envoler du fait de l’inflation, en supposant que celle-ci demeure dans les limites projetées. L’effort consenti est cependant réel, sensible. Alors ? Alors, c’est simple. Nos décideurs politiques n’ont que faire des doléances des militaires d’une part, et sont d’un réalisme cynique de l’autre, les deux aspects étant étroitement liés.
Il n’y a pas de menace russe
Nous l’avons déjà évoqué dans ces pages : entre nous et les Russes, nous et le seul acteur susceptible de nous entraîner dans un conflit de haute intensité en Europe, il y a 2 000 kilomètres. Deux mille kilomètres tenus par les forces de l’OTAN, par des États alliés, théoriquement couverts par le parapluie atomique américain en cas d’agression majeure. Deux mille kilomètres que les troupes russes, incapables de conquérir la rive droite du Dniepr, ne pourront jamais franchir en supposant d’ailleurs qu’elles n’en aient jamais eu l’idée : Si les propagandistes russes aiment à évoquer un bombardement nucléaire de Londres ou les chars de leur armée roulant vers Varsovie et Berlin, le Kremlin lui sait qu’il n’a pas la moindre chance vis-à-vis de l’Alliance Atlantique et n’a pas la moindre raison d’envahir des Polonais inassimilables et armés jusqu’aux dents, ou des Baltes qui n’ont rien à offrir. Bref, il n’y a pas de menace russe et nos décideurs politiques et militaires en sont parfaitement conscients. Mais tous mentent, jouant la carte de l’alarmisme à des fins strictement carriéristes ou corporatistes.
Emmanuel Macron, comme ses prédécesseurs Hollande, Sarkozy ou Chirac, estime que la posture gaullienne du chef de guerre, de l’homme providentiel guidant la nation dans des temps sinon tragiques, du moins incertains, est de nature à lui conserver dans une certaine mesure un reste sinon de popularité, du moins de légitimité. Il fait donc un geste en termes de budget, mais qui ne porte pas sur les postes de dépense espérés par les États-majors.
Ceux-ci, ancrés dans le concret, estiment que, menace russe ou pas, il faut conserver les savoir-faire, les savoir-être et les outils industriels indispensables afin d’être en mesure, à long terme, de rebâtir une armée robuste si nous devons affronter des États que nous ne concevons pas encore aujourd’hui comme hostiles. Il faut donc que nous gardions un noyau dur de chars, d’artillerie lourde, d’avions, d’hélicoptères et de navires de combat performants, des plateformes et des systèmes efficaces, interconnectés, qui nous permettrons de faire face à long terme. Sauf que celui-ci, cette façon de penser des soldats à l’horizon dix, vingt, trente ans, ce n’est pas l’agenda de nos hommes politiques. Pour eux l’équation est simple : de nouveaux matériels impliquent de nouveaux soldats, de nouveaux mécaniciens, de nouveaux pilotes, de nouvelles infrastructures. Bref des coûts d’acquisition et de possession bien trop élevés et se déclinant sur des décennies, alors qu’en cas de coup dur il est si simple à leurs yeux d’acheter du matériel sur étagère.
Nos politiques ignorent tout de la guerre et de la chose militaire
Maîtrisant l’équation stratégique en Europe à moyen terme et considérant que les alarmes des militaires cachent surtout les jérémiades d’une profession qui rechigne toujours à renoncer aux moyens qui ont fait sa force et sa gloire, Emmanuel Macron dose donc intelligemment l’effort à consentir.
Des moyens ? D’accord. Mais pour le cyber, le renseignement, des armements peu chers et médiatisés comme les munitions rôdeuses. Ils seront parfaits pour lutter contre la menace actuelle, essentiellement celle du l’espionnage et du terrorisme.
Pour le reste, s’il plait aux Baltes, Polonais et Allemands de s’endetter pour attendre le grand méchant russe comme Giovanni Drogo les Tartares, libres à eux. Nous savons, nous, que rien, sans doute, ne surgira plus jamais de la steppe où apparurent ceux-ci. Nos Tartares sont au sud. Face à eux des centaines de chars lourds supplémentaires ou davantage d’avions et de navires sont inutiles pour l’heure. Cela se tient. Du moins sur l’échelle de temps d’un de nos politiciens contemporains.
Ceux-ci ont oublié depuis longtemps que gouverner c’est prévoir. Que la fonction première de l’Etat, c’est la guerre. De de Gaulle à Chirac, tous nos dirigeants politiques ont connu la guerre, l’ont faite. Mais Nicolas Sarkozy a balayé la cour à Balard. François Hollande a fait un service militaire en tant qu’aspirant dans le génie, sans conviction, mais parce qu’il estimait alors qu’il fallait avoir coché cette case quand on aspire déjà à être Président. Emmanuel Macron, né en 1977, n’a pas eu à faire son service national alors que l’institution vivait ses dernières années. Bref, comme l’avait relevé le général Lecointre, ces hommes -et ceux qui les entourent- ignorent tout de la guerre et des armées. Appartenant pour la plupart à cette caste issue des grandes écoles n’ayant pour idée de la grandeur que la leur, ils n’ont aucune idée de la stratégie en dehors de la politique politicienne, aucune culture des armes et de la violence. Bourgeois n’aspirant qu’à s’embourgeoiser davantage, repus en voie de déconstruction, ils méprisent ceux que le langage de la force intéresse, attire, et plus encore leurs nostalgies et leurs traditions. La défense à leurs yeux n’est qu’un service public comme les autres, dont les cadres acceptent d’être payés de breloques, se taisant pour pouvoir pantoufler grassement en deuxième section. Cela aussi, dans une certaine mesure, se tient. Sauf que cela peut se payer cher.
En 2006, lors qu’Israël entra en guerre contre le Hezbollah avec le résultat désastreux que l’on sait, nombre d’observateurs israéliens remarquèrent qu’Ehud Olmert, le Premier ministre en exercice, était le seul qui, depuis 1974 et Golda Meir, n’avait jamais occupé de hautes fonctions dans l’armée. Le lien fût vite fait. Nous serions bien avisés de le faire aussi à l’aune des erreurs que nos Présidents commettent depuis un quart de siècle.
Source : https://lecourrierdesstrateges.fr/2023/04/12/armees-francaises-les-raisons-dun-abandon-par-philippe-migault/
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