Comment ? La Chine et la Russie alliées à ce point ? Mais nous avions décrété cela impossible, trop fragile, pathétique et un peu fou, sous le feu de nos manipulations, de nos armes-proxy et de nos sanctions ! Ainsi nombre d’observateurs et de commentateurs de notre héroïque bloc-BAO considèrent-ils, interdits, la fiesta Xi-Poutine de Moscou. Ils n’y croyaient pas, ils ont bien du mal à y croire : nous les voyons dans un état de grand désarroi intellectuel et de grande souffrance conceptuelle. Comment ? Ils ont osé ? Malgré nos règles et nos vertus ?
Mise à part la folie générale des neocons & assimilés, et celle de leur Président bien-aimé dont la famille a reçu divers $millions de la part de la Chine selon les calculs du département du Trésor, – et cette affirmation qui est accueillie par un « It’s not true », les lèvres serrées et les yeux dans le vague du président, – malgré tout cela comme arguments irrationnels et de circonstances, il faut continuer à croire qu’il y eut dans les plus hautes sphères de l’État très-profond des argumentations rationnelles pour justifier le piège poussant la Russie à la guerre contre l’Ukraine. La rencontre, – que dis-je ! – le “séjour” de Xi à Moscou pour parler avec son ami Poutine et sceller dans le marbre une nouvelle “Grande-Alliance” fait voler en éclats piteux et nombreux cette argumentation.
« Il y a brutalement un sens de l’urgence, l’alarme qui sonne partout. On lit aujourd’hui, article après article, commentaire après commentaire, de très nombreux textes sur la rencontre Xi-Poutine et ce qui apparaît soudain au commentateurs comme une alliance qui met en danger notre [leur] système global... »
C’est Alexander Mercouris qui observe l’agitation médiatique énorme causée dans la presse anglo-saxonne par la rencontre, cette agitation marquant l’habituel constat que la réalité finit en général par confirmer les craintes les plus sombres des grands capitaines de la conquête du monde, et infirmer avec une brutalité cruelle les puissantes structures et infrastructures des rêveries du simulacre sur lequel s’étaient confortablement installés les susdits capitaines.
« Je me rappelle, en 2016, une couverture de ‘The Economist’ montrait Poutine et Xi avec comme titre : “Russia & China, the best of Friennemies” [c’est-à-dire deux pays supposés “amis” (Friends) mais en réalité “ennemis” (Ennemies)]. Ils n’étaient pas vraiment amis, ils étaient ennemis, ils prétendaient être amis mais en réalité ils étaient ennemis, signifiant que les nombreux antagonismes, l’inimitié historique, les disparités économiques rendaient totalement impossible l’alliance dont certains parlaient. C’était le consensus comme je m’en rappelle, pendant des années après que j’ai écrit un article cette même année 2016 pour affirmer leur véritable alliance...
» Et brusquement, durant ces derniers mois, il apparaît de plus en plus que la Chine et la Russie sont aussi proches que ce que j’avais écrit en 2016, et de plus en plus proches... Et c’est un des grands paradoxes de la guerre en Ukraine. On envisageait que cette guerre embarrasserait de plus en plus la Chine et établirait une distance entre les deux pays, et il y eut même des tentatives, au cours des six premiers mois, pour que la Chine exerce des pressions sur la Russie ... Et maintenant, tout cela s’est complètement écroulé ! »
Mercouris rappelle un article d’un ancien haut fonctionnaire du département d’État, Wes Marshall, en août 2021 dans ‘The National Interest’. L’auteur détaillait ce qu’était le “plan” des réalistes de l’État profond, – et vous vous apercevez avec surprise, que ces gens réalistes et raisonnables, sont finalement aussi fous que les neocon, simplement un peu moins bruyants. Marshall expliquait en effet que “le plan” était effectivement de forcer la Russie à modifier sa politique étrangère avec la pression, voire le conflit contre l’Ukraine où elle allait inévitablement s’épuiser grâce à l’aide de l’OTAN apportée à l’Ukraine (et les fameuses sanctions faisant s’effondrer [voir Lemaire] l’économie russe en quelques jours) ; puis, toujours le “plan”, pour la forcer à se retourner contre la Chine au côté des USA et de l’“Ouest collectif”...
C’était donc un “plan” remarquable à deux volets aux alouettes :
• Manipuler la Russie en la conduisant vers un conflit avec l’Ukraine où elle se trouverait irrémédiablement affaiblie par l’inévitable défaite militaire et l’inéluctable effondrement économique, avec surtout la distance mise par la Chine entre elle et son faux-allié, parce que la Chine n’accepterait jamais une telle méconduite...
• ... Manipuler la Chine dans la même occasion, parce que la Chine est un grand pays raisonnable qui n’irait pas se compromettre avec un État-voyou à la Poutine. Ainsi la Chine participerait-elle à la grande œuvre de l’’Ouest-collectif’ de la liquidation de l’État-Poutine et serait-elle prête, à son tour et privée de l’alliance d’une Russie forte, à être liquidée par l’‘Ouest-collectif’ devenant ainsi par la grâce de l’habileté manœuvrière le ‘Grand-Ouest-collectif’.
Coup de main de Guglielmo Ferrero
Nous n’avons jamais vraiment compris comment les grands esprits de l’‘Ouest-collectif’ pouvaient, dans cette ère nouvelle du postcommunisme et du capitalisme triomphant, dans une hégémonie se réclamant in fine et sans le moindre frein ni la plus petite hésitation de “l’idéal de la puissance” identifié par Guglielmo Ferrero, envisager pour notre période d’immenses transformations autre chose qu’une tendance de fond pour le problème qui nous importe ; et que ce serait celle d’une alliance entre la Russie et la Chine face à l’immuable et inarrêtable pression de l’hégémonie US destinée à dominer le monde ou à « mourir en se suicidant » (façon Bunker berlinois-1945). Les USA sont depuis longtemps les porte-drapeau de l’“idéal de puissance” mis en évidence avant eux par l’Allemagne impériale et moderniste déjà grosse du Führer, comme l’expliquait Ferrero lorsqu’il écrivait en 1917 – il parlait de la seule Allemagne pour l’“idéal de puissance”, mais il laissait l’Amérique pointer son nez et l’on comprendrait dès lors, – l’on devait absolument et impérativement comprendre dès lors que les USA se saisiraient un jour de 1945 de l’étendard de la “volonté de puissance”, en maudissant Hitler mais en s’apprêtant déjà à l’imiter à leur façon comme on le voit aujourd’hui...
Guglielmo Ferrero donc, opposant l’“idéal de la perfection” des pays latins à l’“idéal de la puissance” germaniste et bientôt américaniste, ces deux concepts de “civilisation” s’affrontant en 1914-1918, – premier véritable “conflit de civilisation” de l’ère de la modernité :
« L’idéal de puissance peut, au contraire, être considéré, en ce moment [1917], comme un idéal germanique. Ici aussi, il ne faut pas tomber dans l’erreur de croire que cet idéal a été créé par les Allemands. L’Allemagne a contribué moins que la France au long et pénible travail qui devait aboutir à l’éclosion de cet idéal dans le monde. Mais il est indiscutable aussi que, si elle a été lente à comprendre l’idéal nouveau, l’Allemagne a fini par en devenir, en Europe, pendant les derniers trente ans, le champion le plus ardent. L’immense développement de l’Allemagne, qui avait émerveillé le monde, n’est autre chose que cet idéal nouveau de puissance transformé par les Allemands en une espèce de religion nationale, devenu une sorte de messianisme, et appliqué avec une logique implacable et une passion ardente jusqu’aux conséquences extrêmes, dans tous les champs : non plus seulement dans l’industrie et les affaires, comme ont fait les Américains, mais dans le monde des idées et — application plus dangereuse — dans la guerre et l’armée.»
Nous-mêmes, au moins dès le milieu des années 2000, une fois fermement installés dans la folie DeepState-neocon, il nous est apparu que Chine et Russie ne pouvaient faire autre chose qu’alliance, et évoluer vers une alliance d’autant plus affirmée que la pression déconstructuratrice des USA se ferait forte, inexorable, insensée, étrangère à toute mesure et à toute raison, ivre d’hybris paranoïaque et de puissance schizophrénique. Malgré les tentatives plutôt risibles par leur caractère éphémère et du type “The Show Must Go On” d’un “pas de deux” (le G2 de Brzezinski !), l’axe Moscou-Pékin était une fatalité.
Dès le 23 mars 2006, à l’occasion d’une visite russe à Pékin avec Poutine et Lavrov déjà là, nous pouvions écrire ceci, avant de compléter, sept ans plus tard, cette proximité par un facteur civilisationnel, culturel et spirituel que l’Amérique moderniste honore d’une haine sans détour ni retour :
« …Car, au-delà de tous ces éléments, il y a cette évidence qui n’est pas vraiment dite mais qui est dans tous les esprits : ce partenariat Russie-Chine renforcé ces deux derniers jours est conçu pour équilibrer la pression générale et la volonté de domination des USA dans le monde. Il ne s’agit pas de la même chose que les relations de l’un ou l’autre (Chine ou Russie) avec les USA ; il s’agit d’une démarche quasiment de type “objectif” : un refus de facto de la chape de plomb que les USA font peser sur la perception du monde et, par conséquent, sur les affaires du monde. (La chose est bien du domaine entre le dit et le non-dit : dans sa présentation des articles qu’elle publie sur la visite, la Pravda propose ce titre général: “Russia and China develop closer ties to oppose USA's supremacy”, sans pourtant que ce thème soit particulièrement présent dans ses articles.)
» On comprend que le rapprochement stratégique Russie-Chine se place dans la logique du temps historique en cours. Mais il s’agit plus d’une affirmation “objective” de la multipolarité du monde que d’une alliance spécifique, faite dans un but stratégique pour lequel il faudrait rassembler des moyens militaires. Deux géants producteurs-consommateurs d’énergie se rassemblent autour de ce facteur, — l’énergie, — qui est aujourd’hui un facteur fondamental de la puissance ; le reste va avec : rassemblement de puissances commerciales, de puissance de production, de puissance d’investissements, de diverses coopérations, etc.; bref, rassemblement paradoxalement de type économique et capitalistique à la base, mais sous la direction et le contrôle de deux États qui gardent une certaine cohésion de vision, — donc, rassemblement devenant de ce fait fondamentalement stratégique.
» Cette simple description nous fait comprendre que le rapprochement sino-soviétique sera perçu par les Américains, quand ils s’en apercevront, avec la plus complète hostilité, et une crainte décuplée par rapport aux diverses analyses paniquardes de ces dernières années. Les Américains liront le “pour équilibrer la pression générale… des USA” comme ceci : “pour contrecarrer…”. Ils n’ont d’ailleurs pas tort car c’est bien le résultat auquel on parviendra, et cela sans nécessairement ferrailler du sabre dans son fourreau. On n’a pas besoin, aujourd’hui, d’une alliance militaire en bonne et due forme pour affirmer une stratégie ; ce serait même le contraire, si l’on tient compte du destin piteux des alliances militaires (OTAN, UK-USA, “coalition of the willing” en Irak). Mais, bien sûr, les Américains y verront, eux, une menace militaire, sans avoir rien vu venir. »
Maintenant, et pour dignement terminer ce clin d’œil nostalgique, un retour au présent : Xi, de retour à Pékin demain, aura cinq jours d’entretien avec Lula du Brésil. Les Russes, eux, feront forum Russie-Afrique avec les dirigeants africains...
« Et pendant ce temps-là, s’écrie Alex Christoforou, les USA distribuent de l’argent à Zelenski ! »
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