Des patients victimes d'antibiotiques puissants, les fluoroquinolones, portent plainte et dénoncent un scandale sanitaire.
Les fluoroquinolones sont une classe d’antibiotiques qui peuvent être utilisés lors d’infections bactériennes graves. Ils sont commercialisés sous de multiples appellations comme Oflocet, Ciflox ou Tavanic. Mais ils peuvent être à l’origine d’effets indésirables, irréversibles voire mortels.
Selon une association de patients, six millions de prescriptions en infraction avec les recommandations médicales ont été faites depuis quatre ans, un chiffre obtenu à partir de données de prescriptions de l'OCDE pour ces médicaments en France. Des patients dont la santé a été gravement dégradée demandent à la justice d'ouvrir une enquête pénale sur la responsabilité des médecins et des autorités de santé. Une plainte a été déposée auprès du pôle de santé publique de Paris et du parquet de Versailles, et une dizaine d’autres devraient l’être cette semaine.De très nombreux médecins continuent de prescrire ces fluoroquinolones pour de banales infections : cystites, otites ou sinusites. Parmi les patients, Jean-Baptiste raconte à franceinfo avoir pris l'un de ces fluoroquinolones, que son médecin lui avait prescrit, il l’apprendra plus tard, de façon injustifiée. Dans les semaines qui suivent, sa santé se dégrade. Il ressent des picotements, insomnies, troubles neuropsychiatriques, douleurs dans les jambes et les bras, au point de ne plus pouvoir marcher. Il est aujourd’hui en fauteuil roulant et ne peut plus travailler.
Un autre malade, Philippe Coville, souffre aujourd’hui de graves neuropathies, après avoir pris des fluoroquinolones en 2021, là encore en dehors des recommandations médicales pour ce type de médicaments. Il a depuis créé une association d’aide et d’information sur les effets délétères des fluoroquinolones (dont l'adresse email est contact.france@fluoroquinolones.info), et ouvert, avec d’autres victimes, une page Facebook qui rassemble près de 200 personnes. Selon lui, "six millions de personnes ont été empoisonnées en France en quatre ans". Il vient de porter plainte et a commencé à récolter des témoignages, déjà "une cinquantaine en France, et une cinquantaine dans 'd’autres pays européens'." Philippe Coville demande "que les justices de tous les pays d'Europe se saisissent du sujet pour faire la lumière sur ce qu'il s'est passé et pour que des responsabilités soient établies". Il pointe "les responsabilités des médecins", mais pas seulement.
"Les autorités de santé continuent de cacher une situation de négligence généralisée".
Philippe Coville
à franceinfo
Depuis 18 mois, Philippe Coville tente d'alerter les autorités de santé, sans grand résultat. Il se demande notamment pourquoi, en quatre ans, un seul courrier d’alerte a été envoyé aux médecins. "Il aurait fallu répéter les messages de sécurité. Cela s’appelle de la gestion du risque." D’autant plus qu’une étude publiée en mai dernier commandée par l'Agence européenne du médicament (EMA), confirme que plus des deux tiers des prescriptions en France sont faites pour des indications non prévues par les recommandations : "Compte tenu de la gravité de certains de ces effets, comme une atteinte du système nerveux (neuropathies périphériques), des troubles neuro-psychiatriques, une affection du système musculo-squelettique (douleurs et gonflements au niveau des articulations, inflammation voire rupture des tendons, douleurs et/ou faiblesse au niveau des muscles), et de leur caractère durable dans le temps, invalidant et potentiellement irréversible, l'EMA a réévalué en 2018-2019 le rapport bénéfice/risque des fluoroquinolones. Cette réévaluation a conduit notamment à restreindre leurs indications thérapeutiques et à actualiser leur profil de sécurité d’emploi."
Sandrine est pharmacienne remplaçante dans toute la France. Elle dit constater au quotidien la "négligence" des médecins, mais aussi des pharmaciens, qui ne jouent pas suffisamment leur rôle de barrière entre les médicaments et les patients : "Des prescriptions injustifiées de fluoroquinolones, j’en vois passer toutes les semaines, et même tous les jours, lors de mon dernier remplacement. La plupart du temps, les patients repartent avec leur petite boite sans savoir ce qu’ils risquent. Moi, je refuse la délivrance mais ce n’est pas le cas de nombreuses officines. Quand on voit des tiroirs de 20 ou 30 boites de fluoroquinolones, on sait que ça dépote. Quant aux médecins, soit ils ne sont pas au courant, soit ils s’en fichent. Ils n’en ont rien à faire des recommandations", dénonce-t-elle.
La Société française de pharmacologie et de thérapeutique (SFPT) appelle de son côté sur franceinfo le ministère de la Santé à mettre en place un dispositif pour que les médecins justifient chaque prescription de fluoroquinolones. "Dans les cas d'infections urinaires, dans les sinusites, on ne devrait plus voir une seule prescription de fluoroquinolones en première intention", affirme à franceinfo Mathieu Molimard, professeur au CHU de Bordeaux et responsable de la communication de la SFPT. Il juge "crédible" le chiffre de six millions de prescriptions injustifiées. Mais selon lui, il n'y a pas, aujourd’hui, "les outils pour bloquer les prescriptions. Il faut aller plus loin et changer la législation."
Contacté par franceinfo, le ministère de la Santé explique avoir publié récemment un dossier thématique sur le site de l’ANSM, l’agence du médicament , et avoir demandé que des messages apparaissent dans les logiciels d’aide à la prescription. Un message d’alerte a également été envoyé il y a quelques jours, le 7 mars, à l’ensemble des pharmacies de ville et à l’hôpital.
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